Des essais terrain ont été réalisés en 2015 et 2016 en Alsace, dans les Pays de la Loire et dans les Alpes-Maritimes sur des trichogrammes contre la pyrale du buis Cydalima perspectalis.

La pyrale du buis soumet les buis français à une pression incessante depuis les années 2000. Les vols d'adultes (photo 1) peuvent être massifs comme en 2016 en Rhône-Alpes mais ce sont les chenilles (photo 2) qui causent les dégâts. Le trichogramme figure aujourd'hui parmi les solutions efficaces contre cette pyrale.

Pourquoi les trichogrammes

Tous visent des lépidoptères

Les trichogrammes sont des micro-hyménoptères de moins de 0,5 mm. Certaines espèces sont capables de lutter efficacement contre certains lépidoptères. C'est le cas contre la pyrale du maïs Ostrinia nubilalis, la mineuse de la tomate Tuta absoluta ou encore les tordeuses de la vigne Eupoecilia ambiguella et Lobesia botrana. Il était logique d'espérer que des trichogrammes agissent contre la pyrale du buis.

Une souche sur sept cents

En premier lieu, nous avons réalisé un screening au laboratoire sur les souches de trichogrammes de Bioline, à Valbonne, pour en sélectionner une parmi les 700 disponibles en collection. Ensuite, nous avons testé en conditions réelles, sur des buis dans des jardins, l'efficacité de la souche de trichogramme retenue. Cet article retrace les deux dernières années de recherche au sein de la station R&D de Bioline à Valbonne (Alpes-Maritimes), avec nos partenaires la Fredon Alsace et la Fredon Pays de la Loire, appelée désormais Polleniz.

Essai 2015

Tests « semi-field » sur le site R&D de Bioline, à Valbonne

Il est connu que les trichogrammes peuvent avoir des spécificités pour un hôte, et aussi avec une plante (exemple : Trichogramma brassicae sur maïs). L'objectif des premiers essais a été de vérifier si les trichogrammes ont une affinité avec le buis et confirmer leur acceptation des oeufs de pyrale.

Des trichogrammes adultes âgés de moins de 24 heures (photo 3) ont été mis en contact avec des pontes de pyrale sur des petits buis de 30 cm de haut et 15 cm de large. Les pontes de pyrales avaient, elles aussi, moins de 24 heures et étaient issues de l'élevage du laboratoire de Valbonne.

Les buis étaient disposés selon trois expositions : en cage, à l'ombre (exposition constante au nord) et en plein soleil (exposition constante au sud). Pour chaque condition, se trouvaient :

- trois buis infestés traités, alignés pour mimer une haie ; les trichogrammes étaient placés au pied du buis central ;

- un buis témoin infesté, placé à au moins 50 m des autres buis (Figure 1), dans les mêmes conditions (cage, ombre ou soleil).

Le dispositif était laissé en place 48 heures. Trois tests ont été réalisés sur les buis en plein air, et deux sur les buis en cage.

Résultats

Après ces 48 h d'exposition aux trichogrammes, les feuilles avec pontes étaient prélevées des buis et isolées dans des tubes, puis incubées à 25 °C.

Quelques jours plus tard, il était possible de mesurer l'efficacité des trichogrammes en comptant le nombre d'oeufs parasités ou avortés par rapport au nombre d'oeufs éclos et avortés naturellement. La Figure 2 présente les résultats finaux.

Dans les trois conditions (ombre, soleil, cage), l'apport des trichogrammes permet une forte réduction du nombre d'oeufs éclos (plus de 90 % des oeufs sont détruits). Nous notons deux actions sur les oeufs :

- le parasitisme simple, action la plus facile à observer car les oeufs deviennent noirs (photo 4) et un ou plusieurs trichogrammes peuvent s'y développer ;

- l'avortement qui résulte soit du super-parasitisme (nombre de piqûres de ponte réalisées par plusieurs femelles si important que l'oeuf avorte), soit du host-feeding (le trichogramme se nourrit du vitellus de l'oeuf), soit de l'enkystement de l'embryon du trichogramme (défense immunitaire de l'oeuf de pyrale).

L'avortement naturel varie selon les conditions d'exposition des oeufs. Il est ici plus important sur les buis exposés tout le jour au soleil. Dans ces conditions, il est facile de différencier l'avortement naturel de celui dû à l'action des trichogrammes : dans les meilleures situations, les trichogrammes suppriment plus de 90 % des oeufs alors que les témoins comptent plus de 90 % d'éclosion.

Conclusion des tests semi-field 2015

Au cours de ces essais en extérieur, il a été possible de confirmer l'intérêt de la souche pour les oeufs et la plante. Deux actions distinctes (parasitisme et avortement) entraînent la suppression de plus 90 % des oeufs dans les meilleures conditions.

Cette souche montre une forte efficacité dans une situation de concentration importante d'oeufs de pyrale du buis (plus de mille oeufs répartis sur les trois buis pour mille trichogrammes lâchés).

Ces tests nous permettent aussi d'affirmer que la souche Bioline résiste bien aux conditions chaudes et sèches puisque les tests ont été réalisés en juillet, période très chaude et sèche en 2015.

Essais 2016

Les objectifs visés

Les objectifs de la campagne 2016 étaient doubles. Nous avons d'abord souhaité démontrer l'efficacité de la souche commerciale en respectant les préconisations d'emploi (dose 5 000 trichogrammes par diffuseur ; densité : un diffuseur/10 m2 ; fréquence : deux lâchers par vol, soit un mois de protection) selon deux méthodes d'évaluation :

- l'évaluation visuelle des dégâts (géré par la Fredon Alsace et la Fredon PDL) ;

- le calcul du taux de parasitisme des oeufs pondus par les pyrales (géré par Bioline dans un domaine privé en PACA).

Le deuxième objectif de cette campagne était d'étudier la possibilité de stockage au froid (en réfrigérateur ménager) des diffuseurs avant les lâchers.

Tests Fredon avec évaluation visuelle des dégâts

Présentation du site alsacien

L'expérimentation qui visait à démontrer la régulation de la pyrale du buis était située en condition de parc en bordure de forêt. L'évaluation visuelle a été effectuée par le même opérateur à l'aide d'une grille de référence (avec base photo) en classe par tranche de 25 %. La notation a été réalisée de manière aléatoire tous les quinze jours sur cinq zones de 2 m linéaires.

Le parc choisi comprend des haies de buis avec certains spécimens de plus de 2 m de haut et des buis isolés. Une partie est consacrée aux lâchers de trichogrammes et la seconde utilisée comme témoin négatif.

Chaque modalité dispose de son propre piège à phéromone afin de distinguer les différences d'infestations et d'observer le début et la fin de chaque vol (Figures 3 et 4). Les pièges ne limitent pas l'infestation en papillons, leur rôle est de la signaler. De plus, vu la mobilité de ces papillons, ils ne permettent pas d'évaluer l'efficacité d'un quelconque outil de lutte. Le Tableau 1 suggère une différence d'infestation du site entre le premier et le deuxième vol.

Comme l'indique la fiche de préconisation, les trichogrammes doivent être lâchés juste après la capture des premiers adultes et un second lâcher doit être réalisé quinze jours après. Quatre lâchers sont effectués vu l'existence de deux générations.

Dans le cas de ce parc en Alsace, la modalité TNT (témoin non traité) présente une infestation plus forte lors du premier vol, puis la tendance s'inverse à la seconde génération avec un pic de vol des pyrales pour la modalité trichogrammes à presque 200 individus capturés en une semaine.

La durée moyenne des deux vols est de six semaines, son intensité correspond à une infestation « standard » pour la région.

Résultats obtenus

Même si l'infestation diffère entre les modalités lors du premier vol, le niveau de dégâts (Figure 5) en début de saison (avant le premier vol et le premier lâcher de trichogrammes) est équivalent entre les deux modalités.

Après la fin du premier vol, les dégâts sont plus importants sur le témoin non traité. Après le deuxième vol, nous observons une très nette différence, pour arriver à un niveau de dégâts inférieur à 10 % pour la modalité traitée. Et même si l'infestation est plus importante pour le témoin non traité, cette situation s'inverse à la deuxième génération.

Les dégâts ont été estimés avant le premier vol et après chaque vol (Figure 6). Cette approche révèle une meilleure efficacité des trichogrammes sur la deuxième génération. En fin de la saison, il est possible d'affirmer que l'action des trichogrammes permet une réduction des dégâts de presque 80 %.

Essai Polleniz à Angers

L'infestation du site de la ville d'Angers (un domaine privé) par la pyrale est faible (Tableau 2). Elle est équivalente pour les deux modalités cartographiées dans la Figure 7 page suivante. Malgré ce faible niveau d'infestation, nous arrivons à observer un effet trichogramme (Figure 8 page suivante).

En effet, l'écart entre le pourcentage de dégâts de la modalité témoin et celui de la modalité trichogrammes est minime avant le premier vol des adultes (6 %), alors qu'à la fin de l'expérimentation nous observons une différence de presque 20 % de dégâts.

Synthèse de ces deux essais terrain

Les trichogrammes montrent un très bon niveau d'efficacité en situation « normale » d'infestation (Alsace) et une efficacité certaine lors d'une faible infestation (Angers). Il est plus facile d'estimer le pourcentage de dégâts en deuxième génération qu'en première génération car les chenilles restent à l'intérieur des buis.

Il est à noter que nous aurions pu effectuer plus de lâchers que prévu car dans les deux situations, les vols ont duré six semaines, alors que les préconisations d'emploi suggèrent de protéger les buis pendant deux fois quatre semaines et non pas deux fois six semaines. Nous pouvons supposer qu'un lâcher supplémentaire (donc six semaines de protection) par génération de pyrale aurait un impact bénéfique qui réduirait d'autant plus les dégâts.

Inversement, nous pouvons émettre l'hypothèse que la génération fille issue des pontes naturelles de la pyrale est suffisamment efficace pour éviter de lâcher des diffuseurs supplémentaires (hypothèse à confirmer par des tests pour 2017).

Tests réalisés par Bioline

Évaluation du taux de parasistisme

Bioline a par ailleurs évalué l'efficacité des trichogrammes via le taux de parasitisme des oeufs de pyrale sur un domaine privé en région PACA (photo 5 page suivante). Sur ce site, deux pics de vol du ravageur ont été observés, l'un fin juillet-début août (semaines 30 à 32) et l'autre fin août (semaine 35) (Tableau 3 page suivante).

Des diffuseurs ont été posés tous les quinze jours dès la semaine 30 et ce, jusqu'à la fin du vol. La campagne de récolte hebdomadaire d'oeufs de pyrale a démarré en plein pic de vol (semaine 32) sur tout le site. Le nombre d'oeufs récoltés diminue au fil des semaines et le pourcentage d'oeufs neutralisés varie de 55 % à 92 % (Tableau 4). Cette méthode d'analyse nous permet d'avoir une vision à un instant T du taux de parasitisme des pontes naturelles. Il nous est cependant impossible de connaître l'âge des oeufs récoltés.

Par ailleurs, en récupérant les oeufs parasités, nous avons écarté la possibilité que la génération fille issue de ces oeufs puisse avoir un impact positif sur les pontes de pyrale des semaines suivantes. Ne pouvant assurer que l'ensemble des pontes parasitées aient été collectées, nous supposons un impact réel léger sur le parasitisme.

Pour ces quatre semaines de récolte, le taux de parasitisme moyen est de 68 %. Même en situation de faible infestation, les trichogrammes ont donc une capacité de prospection importante. Pour compléter ce test, il serait intéressant de comparer l'utilité d'un traitement Bt en complément ou le passage d'un Bt seulement sans trichogrammes.

À la fin de la saison, l'évaluation visuelle des buis est plus que satisfaisante : aucun ne présente de dégât (photo 6).

Diffuseurs stockés au froid

Nous avons souhaité étudier la possibilité, pour les utilisateurs des diffuseurs antipyrale du buis, de les stocker au réfrigérateur pendant au moins quinze jours (temps d'attente entre deux lâchers). Deux paramètres phénotypiques ont été testés en 2016 dans le laboratoire de Bioline, à Valbonne, et attestent d'une bonne efficacité des trichogrammes sortis des diffuseurs :

- la fécondité sur sept jours à 25 °C avant ou sans stockage pendant 21 jours ;

- le taux d'émergence des trichogrammes après 7, 14 ou 21 jours de stockage.

Les résultats sont :

- une fécondité moyenne (nombre d'oeufs parasités /femelle) de 48 oeufs parasités pour les trichogrammes non exposés au froid, et 46 oeufs pour ceux exposés ;

- un taux d'émergence de 99 à 100 % des oeufs parasités après 7, 14 et 21 jours de stockage au froid, comme dans le témoin stocké à 20 °C.

Cela montre qu'il n'y a pas de différence entre le lot stocké au réfrigérateur et le lot témoin. Il est ainsi possible de garder les diffuseurs dans un réfrigérateur de type ménager durant trois semaines sans que cela ait un impact sur la qualité des trichogrammes qui en sortiront.

Bilan global 2015-2016

Ces deux années de recherche et de développement ont permis à Bioline France de proposer une solution biologique adaptée à la problématique du buis. Malgré la densité du feuillage des buis (avant les dégâts...), les trichogrammes sont capables de prospecter les feuilles une par une et de voler à la recherche d'oeufs à parasiter. De plus, le trichogramme intervient sur l'oeuf, c'est-à-dire avant l'apparition du stade destructeur du ravageur (la chenille). Enfin le troisième avantage de notre souche est son efficacité même en conditions très chaudes.

Perspectives 2017

Bioline a prévu de nouveaux essais pour optimiser les lâchers de trichogrammes sur cinq sites en France : deux sites à Angers avec Polleniz (Fredon PDL), un site en Alsace avec la Fredon Alsace, un site dans un domaine privé (Alpes-Maritimes) et un site dans un château près de Toulouse.