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Réduire l'usage des pesticides sans dégrader la productivité

MARTIN LECHENET* **, GUILLAUME PY**, FABRICE DESSAINT*, DAVID MAKOWSKI*** ET NICOLAS MUNIER-JOLAIN* *Inra, UMR Agroécologie - Dijon. **Agrosolutions - Paris. ***Inra, UMR Agronomie - Grignon. - Phytoma - n°705 - juin 2017 - page 43

Une analyse des systèmes d'exploitation de 946 fermes du réseau Dephy permet « d'objectiver » le débat sur la réduction des pesticides.
Le désherbage mécanique, un des nombreux leviers pouvant contribuer à la réduction d'usage de pesticides. Photo : P. Farcy

Le désherbage mécanique, un des nombreux leviers pouvant contribuer à la réduction d'usage de pesticides. Photo : P. Farcy

La revue Nature Plants a récemment publié une étude coordonnée par l'Inra, traitant la question des possibilités de réduire la dépendance aux pesticides sur la base de données du réseau de fermes de démonstration Dephy, pour le secteur des grandes cultures. Les auteurs détaillent ici les principaux résultats de la publication, avec quelques résultats complémentaires.

Le travail réalisé

De la contribution scientifique aux débats

Les débats sur les possibilités de réduire l'utilisation de pesticides par l'agriculture française sont passionnés, et ils ont été ravivés par les objectifs du plan Écophyto. Nous apportons une contribution scientifique à ces débats, en valorisant la diversité du réseau des fermes de démonstration Dephy : diversité géographique, diversité de contextes de production, diversité de pratiques, et enfin diversité de niveau d'usage de pesticides.

Nous avons ainsi étudié, sur un échantillon de 946 fermes de grandes cultures et de polyculture-élevage (Figure 1), la relation entre d'une part le niveau d'usage de pesticides mesuré par l'indice de fréquence de traitement (IFT) et, d'autre part, la productivité et la rentabilité de la ferme (détails dans les Encadrés 1 et 2 p. 45 et 46).

Prise en compte du système d'exploitation

Cette analyse a été réalisée à l'échelle du système de culture, c'est-à-dire à l'échelle de la succession de cultures implantées par chaque agriculteur Dephy. Elle a pris en compte les caractéristiques du contexte de production de chaque ferme, décrit avec vingt-deux variables : type de sol, réserve utile, variables descriptives du climat local, mais aussi accès à l'irrigation, présence ou non d'élevage sur l'exploitation, contrats de collecte de cultures industrielles à forte valeur ajoutée...

Des liens variables entre usage de pesticides et performances

Dans le système de production

À l'échelle de la ferme, en considérant toutes les cultures qui se succèdent dans le système, aucun antagonisme n'est constaté entre baisse de l'IFT et productivité (exprimée en MJ.ha-1.an-1) dans 94 % des situations (Figure 2A, points jaunes et verts).

Pour 39 % des fermes (points verts), majoritairement des fermes de polyculture-élevage, le fait de consommer peu de pesticides est même associé à une augmentation de la productivité du système, exprimée en MJ.ha-1.an-1.

La pente entre IFT et rentabilité (marge semi-nette, voir Encadré 2)) est :

- positive dans 22 % des situations (Figure 2B, points rouges ; dans ces cas, une baisse d'IFT est associée à une moindre rentabilité) ;

- négative dans 11 % des situations (points verts ; dans ces cas, une baisse d'IFT est associée à une meilleure rentabilité) :

- non significativement différente de zéro dans 67 % des situations (points jaunes).

La tendance à une meilleure marge associée à un IFT faible est observée majoritairement dans le centre du pays, sur une diagonale nord-est/sud-ouest, y compris en régions céréalières (points verts).

Différences liées au contexte de production

Les sites pour lesquels les performances tendent à être meilleures avec un fort IFT (en rouge sur les cartes) sont localisés majoritairement dans le nord de la France, en zones de production de cultures industrielles de type betterave ou pomme de terre, et, pour la rentabilité, dans le Sud-Ouest dans les zones de production de maïs semence.

Dans ces régions, les systèmes les plus utilisateurs de pesticides (par rapport aux pratiques locales) sont ceux qui intègrent la plus grosse proportion de ces cultures à forte valeur ajoutée. Ces dernières contribuent à la bonne performance économique de l'exploitation mais sont également fortement dépendantes des pesticides (en particulier la pomme de terre, mais aussi dans une moindre mesure la betterave et le maïs semence).

Le poids de ces cultures dans l'assolement détermine fortement la forme de la relation (positive) entre IFT et performances économiques. Ceci ne veut pas dire qu'il n'y ait pas dans ces régions de possibilité de conduire ces cultures avec moins de pesticides sans dégradation de la performance - voir le cas de la betterave ci-dessous.

Analyse pour la culture de blé

Le rendement du blé n'est évidemment jamais corrélé négativement au niveau d'usage de pesticides sur blé (Figure 2C, ne présentant aucun point vert).

Ceci n'est pas surprenant, car on voit mal quels mécanismes expliqueraient une augmentation du rendement du fait de la baisse des IFT (à part la phytotoxicité des produits phytosanitaires, mais celle-ci reste heureusement limitée).

Dans 27 % des cas (principalement dans le Centre-Ouest, points jaunes sur la carte), la relation IFT-rendement n'est pas significative. Cela veut dire que les blés conduits avec peu de pesticides dans ces environnements ont des rendements équivalents aux blés à plus fort IFT.

Pour les 73 % de cas restants, la baisse d'IFT est associée à une baisse de rendement. Ce n'est pas nécessairement le fait d'un moindre contrôle des maladies, adventices et ravageurs. C'est surtout parce que les moyens alternatifs utilisés tendent à réduire le rendement potentiel : variétés tolérantes pas nécessairement localement les plus productives, retard de date de semis pour esquiver les levées d'adventices, fertilisation modérée pour limiter la progression des maladies...

Cependant, le plus souvent, la modération du rendement est compensée par la baisse des charges, puisque la marge calculée pour le blé (même si cet indicateur est discutable à cette échelle, ne tenant pas compte des effets des précédents culturaux) est équivalente (65 % des cas), voire supérieure (24 % des cas) pour les blés à faible IFT, comparés aux IFT plus forts (Figure 2D). L'antagonisme entre faible IFT et maintien de la marge à l'échelle de la seule culture de blé ne concerne que 11 % des sites du réseau.

Analyse pour la betterave

La betterave est la culture industrielle la plus représentée dans le réseau (3 % de la SAU). Contrairement au cas du blé, les itinéraires techniques « betterave » économes en pesticides ne sont jamais associés à un rendement plus faible que les autres betteraves produites dans un contexte similaire (Figure 2E).

Ceci indique que les techniques alternatives (variétés résistantes aux maladies, désherbage mécanique) ne tendent pas à affecter le rendement. Dans près d'un tiers des cas, les économies de charges associées permettent même aux betteraves conduites de façon économe d'être plus rentables que celles conduites de façon plus intensive (Figure 2F).

Ce résultat confirme que, même dans les régions betteravières du nord de la France où l'on constate un antagonisme entre IFT et marge à l'échelle du système de culture du fait du fort poids de l'assolement, des économies de pesticides restent possibles sans avoir d'impact sur les performances économiques, par des adaptations à l'échelle des itinéraires techniques des cultures sans changement d'assolement.

Le gisement potentiel de réduction serait de 30 % à l'échelle du réseau

Scénario possible : analyse à l'échelle des fermes

Dans le scénario de transition généralisée :

- une partie des fermes Dephy ne modifient pas leurs pratiques car on ne trouve pas de ferme à la fois plus économe en pesticides et aussi rentable dans un contexte de production identique (soit parce qu'on est dans une zone du Nord ou du Sud-Ouest où il y a localement un antagonisme entre baisse d'IFT et maintien de la marge, soit parce que la ferme est déjà la plus économe dans son contexte) ;

- pour quelques fermes, il n'a pas été possible de simuler de transition, car elles étaient trop isolées dans leur contexte de production :

- pour les autres fermes, la baisse moyenne d'IFT estimée selon ce scénario est de -42 %, ce qui correspond en moyenne à -37 % d'herbicides, -47 % de fongicides et -60 % d'insecticides. Ceci confirme au passage qu'il est plus difficile de baisser l'usage des herbicides que celui des fongicides et insecticides.

À l'échelle de l'ensemble du réseau, compte tenu du fait que certaines fermes ne modifient pas leurs pratiques, la baisse estimée est de -30 %. Par construction du scénario de transition, la rentabilité de chaque ferme serait soit maintenue, soit améliorée.

Analyse à l'échelle de la « ferme France »

Le volume de production global, exprimé en MJ.ha-1.an-1 serait légèrement augmenté.

Bien que ce scénario ne bouleverse pas le paysage agricole, la production serait géographiquement partiellement relocalisée, avec en tendance plus de diversité de productions dans chaque ferme et dans chaque région (par exemple, davantage de blé en Alsace, de maïs et de légumineuses à graines en Bourgogne...).

Les volumes de production de céréales à paille seraient réduits (environ 5 %), à la fois du fait d'une tendance à la baisse des rendements, mais aussi parce que la tendance à la diversification serait souvent au détriment des céréales.

Cependant, à l'échelle du pays, ceci pourrait être compensé par une baisse de la consommation des engrais de synthèse, notamment du fait d'une surface implantée en légumineuses plus importante, et donc :

- une économie d'énergie substantielle ;

- une augmentation des productions de protéines ;

- une meilleure autonomie protéique globale ;

- la baisse des importations de tourteaux de soja.

Des résultats qui alimentent le débat

Modifier notamment les assolements

Dans un contexte de tension professionnelle sur la question des pesticides, ces résultats font débat. Ils indiquent en effet qu'il serait possible de réduire de façon significative le niveau d'usage de pesticides de l'agriculture française sans dégrader globalement les performances productives et économiques.

Mais ceci exigerait de modifier de façon importante les pratiques, y compris les assolements des exploitations. Sans être une totale révolution, cela modifierait de façon substantielle le paysage agricole.

Ceci nécessiterait également la généralisation de l'idée que, pour certaines cultures comme le blé, l'optimisation économique et environnementale ne passe pas forcément par une maximisation du rendement visé car les derniers quintaux sont souvent les plus coûteux, sur le plan économique comme sur le plan environnemental.

Ces résultats ne veulent absolument pas dire que les pesticides sont peu efficaces ou qu'ils sont mal utilisés. Comme la plupart des agriculteurs français, les agriculteurs du réseau Dephy raisonnent finement leurs traitements et adaptent leurs décisions en fonction de l'état des parcelles pour éviter les traitements inutiles ou les surdosages.

Des leviers divers et efficaces

Cependant, ceux d'entre eux qui consomment moins de pesticides que la moyenne utilisent, en plus, des leviers de gestion alternatifs, d'ordre non chimiques, d'ordre agronomiques, souvent préventifs et non curatifs pour éviter les problèmes avant qu'ils ne surviennent. Ces leviers sont non seulement efficaces, mais en plus - c'est l'information importante de l'étude publiée dans Nature Plants - ne tendent pas à dégrader les performances productives et la rentabilité des exploitations.

Ces leviers sont nombreux et divers :

- diversification des rotations, avec pour les éleveurs d'herbivores l'introduction de prairies temporaires, et pour tous l'introduction de cultures rustiques peu dépendantes des pesticides (par exemple : triticale, tournesol, sorgho, maïs...) ;

- diversification des familles de culture et des périodes de semis ;

- utilisation de variétés peu sensibles aux maladies, voire de mélanges de variétés et d'espèces ;

- valorisation du travail du sol (labour et/ou faux-semis) ;

- adaptation des dates de semis et/ou des modalités de fertilisation ;

- recours au désherbage mécanique...

Ces leviers améliorent, en moyenne, les performances des systèmes de culture : l'introduction du binage dans des cultures de maïs, de tournesol ou de betterave ne dégrade pas leur rendement.

Pour un éleveur, l'introduction de prairies temporaires ou de maïs, voire de mélanges céréale-légumineuse, au détriment du blé ou du colza, peut augmenter la productivité énergétique globale du système, car ces cultures sont très productives en énergie. Il en est de même pour la diversification par le maïs des rotations de type colza-blé-orge d'hiver, sur les sols suffisamment profonds.

Raisonner par système et pas seulement par culture

La réussite du plan Écophyto passe par l'adoption de l'ensemble de ces leviers, y compris des changements de rotation et d'assolement, levier souvent majeur. C'est pourquoi il est important de considérer la question du changement à l'échelle pertinente du système de culture, même si cette échelle n'est pas familière à tous les agronomes. C'est à l'échelle du système de culture que se raisonne la gestion des bioagresseurs par des moyens alternatifs aux pesticides, notamment pour les adventices, mais pas seulement. Et c'est largement à cette échelle, intégrant la diversité des cultures de la ferme, que la performance économique de l'exploitation s'élabore.

On voit avec nos analyses à l'échelle du blé que les résultats et leur interprétation peuvent être sensiblement différents si la réflexion se limite à ne prendre en compte qu'une seule culture à la fois ! C'est d'ailleurs bien à l'échelle du système de culture que les acteurs du réseau Dephy, agriculteurs et ingénieurs-réseau animateurs de groupes, raisonnent les changements de pratiques.

Un scénario basé sur du réel

Les agriculteurs du réseau Dephy n'ont pas été choisis pour leur représentativité de l'agriculture de France, mais ceci ne nuit pas à la pertinence des résultats. En effet, l'étude ne valorise pas la représentativité des pratiques, mais leur diversité. C'est le gradient d'usage de pesticides qui permet d'analyser la relation avec les performances. Par ailleurs, la force des résultats vient du fait qu'ils s'appuient sur des fermes qui existent réellement, avec des pratiques bien décrites dans le réseau.

Le scénario de transition qui nous a permis d'estimer un potentiel de baisse est fictif, mais il repose sur l'adoption généralisée de pratiques bien réelles, associées à des performances effectivement observées dans le réseau Dephy, dans des contextes de production bien caractérisés.

En revanche, d'une certaine façon, le fait de travailler sur la base des pratiques des agriculteurs observées limite le champ d'exploration des possibles agronomiques. Par exemple, on pourrait imaginer des baisses d'IFT bien supérieures sans pertes de performance économique dans les exploitations productrices de pomme de terre si on disposait de variétés de pommes de terre à la fois productives, résistantes au mildiou (cible majeure des nombreux traitements) et compatibles avec les exigences des industries de valorisation de la pomme de terre.

L'importance de l'accompagnement du changement

Plongée dans l'inconnu

Enfin et pour finir, l'absence d'antagonisme entre la baisse d'usage de pesticides et le maintien des performances productives et des performances économiques de l'exploitation ne doit pas masquer qu'en agriculture, tout changement est difficile.

Le changement implique pour l'agriculteur une plongée dans l'inconnu qui est inconfortable, d'autant plus que, si le changement ne génère pas de perte économique, souvent il ne génère pas non plus de bénéfice économique.

Une organisation collective

Ainsi, l'introduction d'une nouvelle culture :

- nécessite de se familiariser avec de nouveaux itinéraires de conduite ;

- exige éventuellement l'acquisition de matériels nouveaux (dont l'amortissement économique est bien pris en compte dans nos calculs de charges de mécanisation) ;

- implique une augmentation de la complexité du système à conduire, et des changements dans l'organisation des tâches sur la ferme ;

- nécessite surtout d'identifier un débouché commercial pour cette nouvelle production, dans le cas où celle-ci n'est pas directement valorisable sur la ferme par un atelier d'élevage.

La diversification, qui est au coeur des changements vers une agriculture plus économe en produits phytosanitaires, ne peut pas s'envisager sans une organisation collective des filières de valorisation. Or cette organisation a nécessairement un coût qu'il ne faut pas sous-estimer.

Compensation justifiable et modification des échanges commerciaux

Les difficultés à surmonter pour modifier les pratiques agricoles pourraient justifier une compensation par des incitations permettant de valoriser économiquement la transition (ex. : paiements pour services environnementaux), et des solutions pour couvrir les risques de cette transition (ex. : assurances).

Par ailleurs notre scénario de transition Écophyto montre que l'adoption généralisée de pratiques plus économes en produits phytosanitaires pourrait modifier la répartition géographique des productions et la répartition des volumes, ce qui ne manquerait pas d'affecter les échanges commerciaux, dans le sens d'une augmentation de l'autonomie et donc d'une réduction des échanges.

Du conseil et des filières

Les agriculteurs ne peuvent surmonter seuls le défi de la baisse généralisée de la dépendance aux pesticides, avec l'objectif de concilier le dynamisme économique du secteur avec le respect de l'environnement et de la santé publique. Ils doivent être accompagnés dans cette transition à la fois par un conseil pertinent à l'échelle du système de culture, du type de celui qui est fait dans l'accompagnement des fermes Dephy, et à la fois par une organisation des filières impliquant tous les acteurs.

Nous espérons que les résultats issus du réseau Dephy contribueront à un débat serein sur la question, et pourront convaincre l'ensemble de la profession que cette transition Écophyto est possible si l'on s'en donne les moyens.

Fig. 1 : Les 946 fermes Dephy conventionnelles de grandes cultures et polyculture-élevage ayant participé à l'étude

Répartition géographique et IFT, mesuré à l'échelle du système de culture de chacune à son entrée dans le réseau. Cet IFT variait de 0 à 10,2, avec une moyenne à 3,1.

Fig. 2 : Complexité des relations entre IFT et performances

Cartographie des pentes entre productivité (A, C, E) et IFT, entre rentabilité (B, D, F) et IFT, estimées à l'échelle du système de culture (A, B), sur la seule culture de blé tendre d'hiver (C, D), puis la culture de betterave à sucre (E, F). Pente estimée, pour chaque ferme du réseau Dephy, en fonction de son contexte de production (sol, climat, contexte socio-économique).

Les points rouges et verts désignent les fermes où la pente est, respectivement, significativement positive et négative. Autrement dit :

- points rouges = la productivité (exprimée en énergie produite, soit en mégajoules par ha et par an = MJ.ha-1.an-1) ou la rentabilité (marge semi-nette, détails dans l'Encadré 2) baissent quand l'IFT par an baisse ;

- points verts = la productivité ou la rentabilité augmentent quand l'IFT baisse (on parle de « pente négative ») ;

- points jaunes = pente non significativement différente de zéro (productivité ou rentabilité ne variant pas avec l'IFT).

La taille des points de couleurs est proportionnelle à la précision de l'estimation de la pente.

1 - Réseau Dephy et pratiques décrites

Le réseau de fermes de démonstration Dephy a été mis en place dans le cadre du plan Écophyto entre 2010 et 2012. Il est constitué d'agriculteurs engagés volontairement dans une démarche de réduction de l'usage des pesticides, motivés par le changement, mais qui, au démarrage du réseau, étaient assez représentatifs de l'agriculture française en termes de pratiques. Nous avons travaillé avec les données issues de 946 fermes conventionnelles en grandes cultures et polyculture-élevage.

La description fine des pratiques et des rendements au cours des trois années précédant immédiatement l'entrée dans le réseau a permis d'estimer pour chaque ferme :

- le niveau d'usage de pesticides (mesuré par l'indice de fréquence de traitement, IFT) du système ;

- la productivité à l'échelle du système de culture ; pour comparer ce qui est comparable, les rendements des cultures (blé, colza, maïs...) ont été transformés en énergie récoltée, sur la base du contenu énergétique des produits, et cumulés pour exprimer la productivité du système en MJ.ha-1.an-1 (mégajoules/ha/an) ;

- la rentabilité, estimée par la margesemi-nette tenant compte du produit brut, des charges opérationnelles et des charges de mécanisation, sur la base d'un scénario de prix moyens sur 2005-2015.

Les charges de mécanisation ont été estimées sur la base d'un matériel standardisé pour chaque type d'opération, en tenant compte du prix d'achat du matériel standard (référentiel APCA), de la durée d'amortissement et du niveau d'utilisation annuel moyen par hectare sur le système de culture considéré. Elles ne tiennent donc pas compte des stratégies spécifiques d'équipement des exploitations.

2 - Méthodes d'analyse

Dans un premier temps, nous avons utilisé une méthode statistique spécifique pour étudier la relation entre l'IFT et la productivité ou la rentabilité, qui intègre les caractéristiques du contexte de production en covariable, ce qui permet de tenir compte des interactions éventuelles entre le contexte de production et l'IFT.

Cette méthode revient, pour chaque ferme « F », à mesurer la pente de la relation entre IFT et productivité/rentabilité sur le sous-échantillon de fermes qui partagent avec la ferme « F » les mêmes caractéristiques de contexte et en donnant un poids à chaque ferme de ce sous-échantillon d'autant plus fort que leur contexte est proche de « F ». Comme le contexte de production varie d'une ferme à l'autre, cette approche permet d'estimer une relation entre l'IFT et la productivité/rentabilité (positive, négative, ou non significativement différente de zéro) pour spécifiquement chacune des 946 fermes du réseau. Si la pente de cette relation est positive (points rouges sur les cartes de la Figure 2), il y a localement une tendance à la dégradation des performances économiques avec la baisse d'IFT. Dans le cas contraire, les systèmes à faible usage de pesticides sont localement aussi performants (points jaunes), voire plus performants (points verts) que ceux qui utilisent davantage de pesticides.

Dans un deuxième temps, nous avons quantifié la baisse potentielle d'IFT à l'échelle du réseau, sur la base d'un scénario dans lequel chaque ferme Dephy adopterait les pratiques (et donc les performances) d'une autre ferme Dephy de contexte de production similaire (sol, climat, mais aussi présence d'élevage, accès à l'irrigation ou aux filières de cultures industrielles), en choisissant celle qui a le plus faible IFT, sous condition que la marge dégagée par les nouvelles pratiques soit au moins égale à la marge initiale, pour que la transition soit acceptable par l'agriculteur.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Le suivi des fermes du réseau Dephy, créé entre 2010 et 2012 dans le cadre du plan Écophyto, permet, d'ores et déjà, d'évaluer les possibilités de réduire la dépendance aux pesticides :

- en analysant les pratiques actuelles (en comparant les exploitations entre elles) ;

- mais également en simulant des évolutions sur des scénarios réalistes.

TRAVAIL - L'analyse de 946 fermes du réseau travaillant en agriculture conventionnelle montre la complexité des liens entre indicateur de fréquence de traitement (IFT) global de l'exploitation (système de culture), la productivité (exprimée en énergie produite) et la rentabilité (marge semi-nette).

PROSPECTIVE - Il en ressort qu'une baisse globale de l'IFT de 30 % serait possible en mettant en oeuvre des techniques actuellement disponibles sans diminuer la rentabilité des exploitations. Les leviers efficaces existent.

Mais une telle évolution implique des changements (par exemple : diversification de l'assolement, par conséquent, adoption de nouvelles cultures, nouvelles techniques) au niveau des exploitations. Celles-ci doivent donc être accompagnées.

De plus, cela entraînera également des évolutions macro-économiques (exemple : moins de blé, davantage de protéagineux), ce qui suppose une évolution/adaptation des filières.

MOTS-CLÉS - Pesticides, plan Écophyto, réseau Dephy, IFT (indicateur de fréquence de traitement), performances, productivité, rentabilité, système d'exploitation, changement, diversification.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : nicolas.munier-jolain@inra.fr

LIEN UTILE : www.nature.com/articles/nplants20178

BIBLIOGRAPHIE : - Martin Lechenet , Fabrice Dessaint, Guillaume Py, David Makowski & Nicolas Munier-Jolain 2017, Reducing pesticide use while preserving crop productivity and profitability on arable farms, Nature Plants 3, Article number : 17008 (2017) doi : 10.1038/nplants.2017.8.

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