DOSSIER - Qualité sanitaire des grains

Réglementation : ce qui bouge et ce qui traîne

MARIANNE DECOIN, Phytoma. - Phytoma - n°706 - août 2017 - page 16

Quelles évolutions réglementaires ont touché la qualité sanitaire des grains en un an ? Fongicides nouveaux, insecticides restreints, auxiliaires non indigènes autorisés, rodenticides confortés en tant que biocides - et décisions en attente.
1. Blé attaqué par Fusarium roseum, champignon toxinogène.  M. Delos

1. Blé attaqué par Fusarium roseum, champignon toxinogène. M. Delos

2. Tribolium brun (T. confusum), ravageur des grains stockés.  M. Delos

2. Tribolium brun (T. confusum), ravageur des grains stockés. M. Delos

Tableau 1 : nouvelles AMM phytopharmaceutiques pouvant avoir un impact sur la qualité des grains

Tableau 1 : nouvelles AMM phytopharmaceutiques pouvant avoir un impact sur la qualité des grains

Tableau 2 : substances actives (SA) insecticides approuvées comme phyto au niveau européen et autorisées en France pour la protection des grains stockés

Tableau 2 : substances actives (SA) insecticides approuvées comme phyto au niveau européen et autorisées en France pour la protection des grains stockés

Tableau 3 : réglementation des rodenticides utilisables au silo

Tableau 3 : réglementation des rodenticides utilisables au silo

La réglementation encadrant la qualité sanitaire des grains en lien avec la santé végétale peut évoluer de deux façons. D'une part, elle fixe des seuils officiels de contaminants (ex. : mycotoxines) à ne pas dépasser. D'autre part, elle autorise ou interdit des outils de protection réglementés.

Maladies et mycotoxines

Alcaloïdes d'ergot, toxines T2 et HT2 : les seuils se font attendre

Du côté des contaminants naturels, la réglementation européenne fixe des taux maximaux de mycotoxines et champignons mycotoxinogènes (= producteurs de ces toxines) dans les grains.

Il y a un an(1), nous signalions la sortie du règlement fixant les seuils de présence de sclérotes d'ergot Claviceps purpurea sur céréales brutes, sauf maïs et riz(2). Le texte prévoyait la fixation de seuils pour les toxines produites par l'ergot, précisément la somme des douze alcaloïdes principaux. Il prévoyait d'envisager des teneurs maximales appropriées « avant le 1er juillet 2017 ».

Au 4 septembre, ce n'était pas sorti. Mais l'Efsa (Agence européenne de sécurité de l'alimentation) a publié en juillet dernier son avis sur l'évaluation du risque d'exposition. Les propositions de seuils devraient suivre.

Toujours le 4 septembre, aucun seuil n'était encore fixé pour les toxines T2 et HT2. Il est prévu de fixer un taux maximum, dans les grains et produits dérivés, de la somme de ces fusariotoxines (toxines produites par des champignons du genre Fusarium) de la famille des trichothécènes. Même si des recommandations existent déjà.

Pourtant les toxines T2 et HT2 font partie, avec le DON (autre trichothécène, mais déjà réglementé), des substances(3) sur lesquelles l'Anses appelle à une « vigilance particulière » pour l'alimentation des enfants de moins de 3 ans, dans le bilan de son EATi (Étude de l'alimentation totale infantile) publié en septembre 2016. Selon l'agence, l'exposition de certains enfants français via leur alimentation serait « supérieure aux valeurs toxicologiques de référence » (VTR(4)).

Rappelons que l'étude de l'alimentation totale (EAT2) de l'Anses portant sur toute la population de plus de 3 ans et publiée en 2011 pointait un risque de dépassement de VTR pour le DON et une incertitude pour les toxines T2 et HT2(5). La VTR de ces dernières est basse et les techniques analytiques ne permettaient pas de les doser correctement à ces taux-là.

Protection : cinq antifusarioses

Par ailleurs, il y a du nouveau pour la protection des céréales, au champ, contre les fusarioses potentiellement productrices de fusariotoxines sur les grains.

La première est l'extension d'usage, sur orge, avoine et seigle, d'un fongicide à base de tébuconazole, triazole actif contre les Fusarium spp. (espèces du genre Fusarium).

Les quatre autres sont des associations originales de substances déjà connues sur céréales, autorisées en même temps contre les fusarioses et des maladies du feuillage (Tableau 1). Ceci étant, ces quatre produits n'apportent aucune nouvelle substance anti-fusariose. Ce sont des molécules éprouvées (tébuconazole et prothioconazole) qui font le travail contre ces maladies.

Enfin, aucune nouveauté n'est advenue pour les autres grains, le maïs notamment.

Protection contre les insectes dits de stockage

Approbations prolongées

En revanche, des évolutions réglementaires sont à noter pour la protection contre les insectes de stockage. Certes, aucune nouvelle substance insecticide n'est apparue. Mais des anciennes ont vu leurs approbations européennes prolongées (Tableau 2).

En février dernier(6), trois substances qui étaient approuvées jusqu'en août 2019 ont bénéficié de prolongations. Ce sont :

- la phosphine (en fait les phosphures, qui se transforment en phosphine lors de leur application) et les pyréthrines naturelles, jusqu'au 31 août 2022 ;

- la terre de diatomées, alias kieselgur, jusqu'au 31 août 2020.

Tout récemment, cela a été le tour de deux pyréthrinoïdes : la cyperméthrine et la deltaméthrine. Leur approbation, qui devait expirer le 31 octobre prochain, a été prolongée jusqu'au 31 octobre 2018 par un règlement paru le 31 août(7).

Par ailleurs, l'approbation du chlorpyriphos-méthyl, un organophosphoré, expire le 31 janvier 2018. Mais l'examen du dossier risque fort de ne pas être achevé à cette date. Comme les informations demandées ont été fournies, il est probable que l'approbation de cet insecticide soit prolongée pour permettre de finir l'examen du dossier. Mais combien de temps ? Un an ou davantage ? Et quid du pirimiphos-méthyl, dont l'approbation expire en principe fin juillet 2018 ?

LMR abaissées

Cependant, deux des substances citées plus haut ont vu modifier leurs LMR (limites maximales de résidus) dans les grains. On sait que ces limites, fixées au niveau européen, ont force de loi dans tous les États membres de l'Union, dont la France.

D'abord la phosphine : un règlement européen d'octobre 2016(8) applicable depuis le 28 avril 2017 modifie les LMR de plusieurs substances actives, dont « le phosphane et les sels de phosphure » : désormais, la somme de ces composés donne le taux de résidus de phosphine officiel.

Concrètement, les LMR augmentent sur maïs, sorgho, millet et sarrasin et diminuent sur céréales à paille, colza et tournesol. Certaines LMR, provisoires, seront « réexaminées à la lumière des informations disponibles dans les deux ans à compter de la publication » du règlement, soit le 8 octobre 2018.

L'autre modification de LMR touche la deltaméthrine. Un règlement d'octobre 2016 applicable depuis le 7 mai 2017(9) modifie ses LMR sur divers végétaux. Elle la divise par deux sur blé et riz. Selon Arvalis-Institut du végétal, les doses utilisées en post-récolte sur blé apportent 0,5 mg de la substance par kg de blé stocké... Et la nouvelle LMR est de 1 mg/kg. Cela laisse une marge !

Le synergiste n'est plus UAB

Une autre évolution est une restriction, mais elle ne touche que l'agriculture biologique (AB). Le butoxyde de pipéronil, synergiste d'insecticides notamment de stockage, n'est plus autorisé en AB. Or, les insecticides de stockage UAB (utilisables en agriculture biologique) à base de pyréthrines naturelles étaient formulés avec ce synergiste. Cette décision franco-française a été prise par le CNAB (Comité national de l'agriculture biologique) en décembre 2015. Aucun produit contenant du pypéronyl butoxyde ne peut plus être vendu en AB depuis le 1er avril dernier. Les agriculteurs et organismes stockeurs (OS) ayant en stock de tels produits peuvent les utiliser sur grains bio jusqu'au 30 de ce mois de septembre(10).

Par ailleurs, ces produits restent autorisés et vendus en agriculture conventionnelle.

Méthodes alternatives : auxiliaires

Cependant, la protection des grains stockés contre les insectes passe aussi par des méthodes alternatives à l'emploi d'insecticides ! Certaines ne sont pas concernées par les réglementations des produits phytopharmaceutiques et biocides : ventilation de refroidissement dont Arvalis fait une promotion active, barrières physiques comme celle présentée dans Phytoma(11)...

En revanche, les macro-organismes utiles d'origine non indigène sont réglementés. Ils ne peuvent être testés et commercialisés en France que munis d'autorisations :

- AET (autorisation d'entrée sur le territoire) pour les tests en milieu confiné ;

- AIE (autorisation d'introduction dans l'environnement) pour les lâchers en milieu non hermétiquement confiné, c'est le cas du stockage du grain en France.

Cette obligation, créée par la loi Grenelle 2 de 2010 puis un décret de 2012, est applicable depuis la publication de la liste des macro-organismes indigènes et assimilés en 2015(12). Depuis, des autorisations ont été accordées à divers organismes utiles non indigènes, dont deux sont des hyménoptères auxiliaires de lutte biologique contre des ravageurs des grains stockés. Leurs AET et AIE ont été publiées fin décembre dernier(13). Holepyris sylvanidis est à la fois un prédateur et un ecto-parasitoïde des larves de coléoptères ; il s'attaque principalement au tribolium brun Tribolium confusum, mais ne dédaigne pas à l'occasion le tribolium roux Tribolium castaneum et le silvain Oryzaephilus surinamensis. Cephalonomia tarsalis, lui, vise principalement le silvain O. surinamensis. Reste à voir si ces AET et AIE seront anecdotiques, ou si nous verrons se développer la technique, en particulier en AB.

Gérer les rongeurs

Réglementation : parlons biocides

La troisième catégorie de bioagresseurs nuisibles à la qualité des grains est celle des vertébrés. Face aux oiseaux, les solutions sont de type barrière physique (fermeture des silos, pose de filets, etc.) et/ou effarouchement. Pour les rongeurs, c'est plus compliqué !

Certes, les moyens physiques se développent. Certes, les progrès du diagnostic (voir l'article p. 36) permettent de mieux cibler les traitements, donc de supprimer ceux qui sont inutiles. Mais il est encore impossible de se passer totalement des rodenticides. Sur le plan réglementaire, c'est clair depuis 2013(14), les rodenticides utilisés dans et autour des locaux de stockage du grain pour lutter contre les rongeurs ne sont pas considérés comme des produits phyto.

En effet, ces produits ont une utilité sanitaire vis-à-vis du personnel des OS, en améliorant l'hygiène des lieux et en diminuant les risques de transmission d'infections diverses. Ce type d'action relève de la réglementation des biocides.

De plus, les spécialités ne sont pas autorisées au contact direct des grains, mais doivent être disposées dans des postes d'appâtage accessibles aux seuls rongeurs visés.

Cependant, en maîtrisant les populations de rats et souris, ces appâts chargés de rodenticides protègent les grains de la consommation par les rongeurs et, également, préservent leur qualité sanitaire (baisse du taux de grains souillés d'excréments et/ou grignotés, donc vulnérables aux moisissures, etc.). Cette action phytosanitaire est « masquée » réglementairement la protection sanitaire des humains. Mais elle existe, c'est pourquoi nous l'évoquons ici.

Le certibiocide

À noter : le fait que ces produits soient « biocides » et non « phyto » ne dispense pas leurs applicateurs d'être certifiés ! Ils doivent, depuis le 1er juillet 2015, être titulaires du « certibiocide », certificat pour l'utilisation professionnelle de produits biocides créé sur le modèle du certiphyto. Pour les salariés appliquant des produits phyto (insecticides de stockage) mais aussi des biocides (rodenticides), il existe des passerelles entre les deux certificats.

Huit rodonticides réapprouvés

L'événement de 2017 est la publication, le 26 juillet(15), des réapprobations européennes en tant que biocides de huit substances rodenticides (Tableau 3).

Toutes sont des substances « dont la substitution est envisagée ». Le législateur européen aurait bien voulu les interdire mais, techniquement, elles sont encore indispensables. Elles sont réapprouvées en l'attente de solutions pouvant se substituer à elles avec autant d'efficacité et de durabilité et moins de risque. Les approbations dureront sept ans, soit jusqu'au 30 juin 2024, sauf survenue de solutions de substitution.

Les huit substances réapprouvées sont des anticoagulants. Les risques de sélection de résistance à ces produits ne sont pas négligeables. De fait, il en existe déjà (voir p. 36). C'est d'autant plus problématique qu'une seule autre substance est actuellement approuvée : l'alphachloralose, qui inhibe la communication nerveuse.

La recherche de nouvelles solutions (autres rodenticides, piégeage, stérilisation...) est active. Mais quand aboutira-t-elle ?

(1) « Réglementation : des seuils, un délai et une stabilisation », Phytoma n° 696, août-septembre 2016, p. 14 à 17. (2) Règlement n° 2015/1940 du 28 octobre 2015, publié au JOUE (Journal officiel de l'Union européenne) le 29 octobre. (3) Il y en a sept autres : l'arsenic inorganique, le plomb et le nickel, puis le PCDD/F, le PCB, l'acrylamide et le furane. (4) voir Phytoma n° 697, octobre 2016, p. 4.(5) Voir Phytoma n° 646, août-septembre 2011, p. 13 à 16.(6) Règlement n° 2017/195 du 3 février 2017, publié au JOUE le 4, voir Phytoma n° 701, février 2017, p. 5. (7) Règlement n° 2017/1511 du 30 août 2017, publié au JOUE le 31 août.(8) Règlement n° 2016/1785 du 7 octobre 2016, publié au JOUE le 8 octobre. (9) Règlement n° 2016/1822 du 13 octobre 2016, publié au JOUE le 18 octobre. (10) Source : Guide des intrants utilisables en AB. Voir les sites de l'Itab, Institut technique de l'AB, et de l'Inao, Institut national de l'origine et de la qualité (voir « Liens utiles »).(11) Voir M. Belmond 2016, « Insectes de stockage des grains : une barrière... en poudre », Phytoma n° 696, août-septembre 2016, p. 22-23, et M. Belmond 2015, « Insectes de stockage des grains, une barrière qui... se pulvérise », Phytoma n° 686, août-septembre 2015, p. 30-31.(12) Loi du 12 juillet 2010. Décret n° 2012-140 du 30 janvier 2012. Liste indigènes et assimilés publiée en avril 2015.(13) Arrêtés du 20 décembre 2016 au BO Agri n° 52 daté du 15 au 22/12/2016 (Phytoma n° 700, janvier 2017, p. 6).(14) Voir « Statut des rodenticides, ils sont biocides au silo », Phytoma n° 666, août-septembre 2013, p. 33.(15) Huit règlements datés du 25 juillet, au JOUE du 26.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La réglementation concernant la qualité sanitaire des grains évolue. Le point sur les dernières décisions.

MYCOTOXINES - On attend encore la fixation de seuils officiels de toxines T2 HT2 (fusariotoxines) et d'alcaloïdes d'ergot. Si aucune nouvelle substance fongicide n'est arrivée, de nouveaux produits antifusariose ont été autorisés.

INSECTES - Concernant la protection des insectes de stockage, les événements sont :

- la prolongation des approbations européennes de cinq des sept substances insecticides disponibles ;

- des modifications de LMR ;

- l'autorisation de deux auxiliaires.

RONGEURS - Huit des neuf substances rodenticides approuvées par l'Union européenne en tant que biocides (statut sous lequel sont réglementés les rodenticides utilisables sur des grains stockés) ont vu renouveler leurs approbations.

MOTS-CLÉS - Qualité sanitaire des grains, réglementation, mycotoxines, fongicides, insectes de stockage, insecticides, LMR (limites maximales de résidus), auxiliaires, rongeurs, rodenticides.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : m.decoin@gfa.fr

LIENS UTILES : Réglementation européenne : http://eur-lex.europa.eu/oj/direct-access.html?locale=fr

EAT2 de 2011 : www.anses.fr/fr/content/etude-de-l%E2%80%99alimentation-totale-eat-2-l%E2%80%99anses-met-%C3%A0-disposition-les-donn%C3%A9es-de-son-analyse

EATi de 2016 : www.anses.fr/fr/content/l%E2%80%99anses-passe-au-crible-l%E2%80%99alimentation-des-enfants-de-moins-de-trois-ans

Articles de Phytoma : archives sur www.phytoma-ldv.com (début d'article libre, le reste réservé à nos abonnés).

Itab : www.itab.asso.fr

Inao : www.inao.gouv.fr

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