Les filières grandes cultures et les agriculteurs s'inquiètent de la réglementation européenne de plus en plus exigeante sur les mycotoxines, les pesticides et les éléments-traces métalliques (ETM) en alimentation animale et humaine, sans compter le plan Écophyto 2 et les cahiers des charges spécifiques. Pour répondre à ces préoccupations, il est nécessaire de disposer de références techniques et scientifiques.
Enjeux et motivation
Les références permettent d'accompagner les acteurs dans la gestion des contaminations des cultures en garantissant la qualité et l'innocuité des produits.
Le projet Quasagro, courant de 2015 à 2018, vise à obtenir de telles références. Il associe des acteurs de la recherche, du conseil et de l'enseignement : Acta, Terres Inovia, Arvalis-Institut du végétal, Itab, Inra, chambres régionales d'agriculture d'Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes et des Pays de la Loire, université de Bordeaux, Bordeaux Sciences Agro et Eplefpa Bougainville de Brie-Comte-Robert. Leur but : apporter leurs compétences et expertises pour réaliser des expérimentations communes visant à mieux comprendre les niveaux de contamination en mycotoxines, ETM et résidus de pesticides des sols agricoles et des récoltes de grande culture en fonction des pratiques culturales et des facteurs environnementaux.
Quels contaminants ?
L'Anses a publié, en 2011, les résultats de son étude EAT2 sur l'exposition des consommateurs aux contaminants présents sous forme de résidus dans l'alimentation. Le rapport pointe des risques de dépassement de seuils toxicologiques pour trois ETM (plomb, cadmium, arsenic inorganique) et une famille de mycotoxines, le déoxynivalenol (DON) et ses dérivés qui sont des contaminants présents au champ. Il conseille de réduire les teneurs de ces contaminants dans les aliments les plus contributeurs.
Or, les produits issus de grandes cultures sont concernés. Ainsi, le pain est un des contributeurs majoritaires pour le cadmium, le plomb, le DON et ses dérivés.
Études à mener conjointement
Les problématiques, d'une part de contamination des récoltes par les ETM et les mycotoxines, et d'autre part de persistance de résidus de pesticides dans les sols, se posent pour toute l'agriculture. De plus, la croissance de l'agriculture biologique (AB) exige de l'intégrer dans la problématique.
Enfin, il convient de gérer conjointement les différents contaminants pour éviter que des solutions pertinentes sur un type de contaminant aient des effets négatifs sur un autre.
Taux de contamination connus
Les teneurs du cadmium, du plomb et du DON sont réglementées en Europe (EC 1881/2006 et EC 56/2005).
Certaines années, plus de 10 % de la production de blé dur a présenté une concentration en DON supérieure à la valeur limite. Entre 14 et 85 % des blés durs ont des taux de cadmium supérieurs à 0,1 mg/kg, possible future limite réglementaire.
Des teneurs élevées de cadmium peuvent aussi exister dans les tourteaux de tournesol. Plus de 15 % de la production française suivie dans le cadre du plan de surveillance des oléagineux affiche un taux entre 0,8 et 1 mg/kg, la valeur limite en alimentation animale (Dauguet et Lacoste, 2013).
Mieux gérer la contamination des céréales et oléagineux est donc indispensable pour garantir leur commercialisation.
Des processus à mieux connaître
Les processus de contamination sont complexes (Figure 1). Le manque de références techniques et scientifiques, de données explicatives et d'indicateurs prédictifs complique l'aide aux agriculteurs dans la gestion des contaminations des cultures. Il faudrait des bases de données regroupant des indicateurs et les contextes pédoclimatiques et agronomiques afin de proposer des valeurs de références et mieux comprendre les mécanismes de contamination pour trouver des leviers de contrôle. La gestion agronomique des sols et des résidus de culture semble une voie à tester.
Sur le plan technique, le projet vise à caractériser les situations à risque (par site) corrélées à des facteurs explicatifs agronomiques et environnementaux. L'analyse conjointe de systèmes biologiques et conventionnels revêt un intérêt particulier au regard des différences de pratiques agronomiques.
Sur le plan environnemental, les questions liées aux niveaux de contamination des productions végétales en toxines ou éléments-traces (ET) par rapport aux pratiques culturales, ou encore au problème de rémanence des produits phytosanitaires/décontamination des sols sont à approfondir pour apporter des éléments de maîtrise de la multicontamination au champ.
Enfin, demeure la nécessité économique de respecter les valeurs limites réglementaires européennes. Cela contribuera à l'évaluation des relations coût/bénéfice des systèmes de culture biologiques et conventionnels, notamment via les contaminants dont l'occurrence au champ pourrait être régie par des relations antagonistes.
Objectifs généraux
Le projet vise à affiner la compréhension des niveaux de contamination élevés en mycotoxines, ETM et résidus de pesticides des sols agricoles et/ou productions végétales de grande culture en plein champ, en fonction des pratiques culturales et des facteurs environnementaux. Les voies d'investigation sur le potentiel infectueux, la biodisponibilité des ETM et la persistance des pesticides sont :
- l'effet des conditions pédoclimatiques (pH, texture, matière organique, température, humidité) ;
- l'effet des intrants minéraux et/ou organiques ;
- le rôle des résidus de culture ;
- l'impact des traitements phytosanitaires.
L'exploitation des données recueillies vise à prédire les risques et proposer des modes de gestion des cultures limitant le transfert ou le développement des contaminants.
Le projet propose :
- d'acquérir des références nationales sur les niveaux de contamination en mycotoxines, ETM et pesticides des sols et des plantes ;
- de dégager une typologie des situations pédoclimatiques favorables aux contaminations ;
- d'identifier des leviers agronomiques pour contrôler ces contaminations dans divers contextes et proposer des itinéraires techniques sécurisés.
Le tout en s'appuyant sur le réseau de parcelles du RMT Quasaprove(1).
Programme
Recherche de références
Pour mieux comprendre les déterminismes agropédologiques des multicontaminations en grande culture, une première action associe une approche sans a priori à une approche expérimentale utilisant des réseaux expérimentaux existants et des expérimentations en conditions contrôlées (serres et microcosmes) :
- 1.1 L'approche sans a priori recense les niveaux de contamination du blé tendre, du blé dur et du tournesol (pour les mycotoxines et les ETM) et des sols (pour les résidus de pesticides et les ETM) en agriculture conventionnelle et biologique sur le réseau de parcelles du RMT Quasaprove.
- 1.2 En parallèle, le programme prévoit l'étude de l'effet d'itinéraires techniques en focalisant sur celui de l'apport de matières organiques exogènes ou issues du recyclage des résidus de cultures et du passif d'intrants phytosanitaires sur la biodisponibilité des ETM, la rémanence et la biodégradation des pesticides, et enfin le potentiel infectieux et la contamination par Fusarium.
- 1.3 Enfin, il s'agit de comprendre l'influence de paramètres du sol et du climat pour expliquer les effets observés sur différents sites en termes de rémanence des résidus de pesticides et de biodisponibilité des ETM ; pour cela, sont testées, sur des sols différents mais en conditions contrôlées, la capacité de biodégradation microbienne des pesticides et la dégradabilité des matières organiques (évaluée au travers de l'activité microbienne) sur la dynamique de biodisponibilité des ETM.
Valorisation et coordination
La deuxième action, transversale, assurera la valorisation et le transfert des connaissances vers la profession (agriculteurs, conseillers) et l'enseignement agricole :
- 2.1 Développement d'outils en ligne pour interroger la base de données Quasaprove selon les situations référencées dans le cadre du projet et plus largement du RMT.
- 2.2 Valorisations pédagogiques via une formation pour les enseignants de lycées agricoles sur la base d'un diagnostic des besoins et l'élaboration de séquences d'enseignement.
- 2.3 Transfert ciblé vers le conseil agricole et les agriculteurs, via la création de documents supports, le montage de formations et l'organisation de portes ouvertes.
- 2.4 Organisation d'un forum d'échanges et de transfert.
Une action 3 de coordination technique et scientifique est prévue pour l'animation, la gestion et le fonctionnement du réseau de parcelles Quasaprove en lien avec les autres réseaux et essais mobilisés pour le projet (3.1) et le management du projet (3.2).
Connaissances actuelles et ce qu'il faut étudier
Les éléments-traces
Naturellement présents dans les sols à la suite de la pédogénèse, les éléments-traces (ET) sont également apportés par la pollution atmosphérique diffuse et les intrants agricoles (engrais, produits phytopharmaceutiques, effluents d'élevage) et s'y accumulent (Franco et al., 2006).
En grande culture, conventionnelle comme biologique, les épandages de produits organiques (effluents d'élevage, composts) sont source d'ET avec des flux non négligeables (Sogreah, 2007, Bengtsson et al., 2003 ; Zaccone et al., 2010). L'accumulation d'ET dans les sols est influencée par la quantité et la qualité des matières organiques présentes, vu leur pouvoir de sorption (During et al., 2003, Dauguet et al., 2010).
Les ET peuvent migrer vers les plantes (Clemens et al., 2002, Nguyen et al., 2013), s'accumuler dans les organes récoltés (Grant et al., 1998) et se retrouver dans les produits transformés (Zaccone et al., 2010). Le blé dur, le blé tendre et le tournesol accumulent ainsi du cadmium dans leurs grains ou graines. Les teneurs trouvées dépendent de la variété (Li et al., 1997, Greger et Lofsted, 2003, Harris et Taylor, 2004) mais surtout des propriétés du sol qui conditionnent la biodisponibilité des ET (Smolders 2001, Adams et al., 2004, He et al., 2005).
Pour la production française de blé dur, l'effet pédoclimat expliquerait plus de 75 % de la variabilité des concentrations en cadmium (Barrier-Guillot et al., 2012).
La teneur totale en métal dans les sols ne permet pas de prédire sa concentration dans les plantes (Baize et Tomassonne, 2003, Grant et al., 1998). En effet, pour qu'un ET soit absorbé par un végétal, il doit être biodisponible et, pour cela, libéré de la matrice solide du sol et passé en solution. Le pH et les matières organiques (MO) jouent un rôle primordial : l'acidification du sol accroît la mobilité et la biodisponibilité des métaux, mais une hausse de la teneur en MO va les limiter (McLaughlin et Singh, 1999, Sauvé et al., 1998, 2000, Stephan et al., 2008). Ainsi, l'épandage de produits organiques, fréquent en AB et augmentant la teneur en MO des sols et potentiellement les teneurs en ET, va jouer sur la dynamique des flux d'ET.
L'effet du précédent cultural a été mis en évidence, mais la raison n'est pas identifiée : effet sur le pH, les propriétés du sol, le flux revenant au sol (Grant et al., 2010) ?
Le relargage d'ET sorbés par les MO particulaires au cours de leur dégradation dans les sols (par voie microbienne) est un processus très débattu. Ainsi, il semble nécessaire de mieux caractériser la biodisponibilité des ET dans différents sols et pour divers modes de gestion des intrants.
Fusariose et ses toxines
La fusariose de l'épi du blé, causée par des espèces fongiques des genres Fusarium et Microdochium, induit des pertes de récoltes et s'accompagne souvent de l'accumulation de toxines dans les produits récoltés.
En France, les trichothécènes, dont le DON, sont les mycotoxines les plus préoccupantes en termes d'impact économique et de santé publique. Si le lien entre symptômes visuels et toxines trouvées dans les grains est controversé, des études illustrent la pertinence de tests QPCR pour estimer les teneurs en trichothécènes des blés et maïs (Fredlund et al., 2008 ; Nicolaisen et al., 2009).
Des progrès récents en détection et quantification moléculaire des espèces du complexe fusarien permettent l'analyse fine de cette communauté et des interactions, synergiques ou antagonistes, entre ses composantes, en termes de maladie, de développement du champignon intraplante et de production de toxines (projet ANR DON&CO, 2011-2014). Ces outils sont aussi utiles pour préciser l'impact des conditions environnementales et pratiques agronomiques (dont le mode de culture, conventionnel, AB, etc.) sur la composition de la flore fusarienne et la contamination en toxines. Ils permettent aussi de quantifier et caractériser la contamination des résidus.
Comprendre l'origine du lien
La gestion des résidus de culture ainsi que la nature du précédent cultural ont été identifiées comme principaux facteurs de risque DON (Obst and Bechtel, 2000 ; Schaafsma et al., 2001 ; Gourdain et al., 2009). La présence dans le sol de résidus de la récolte précédente est déterminante, les Fusarium étant capables de survie saprophyte. Cette aptitude est très marquée chez F. graminearum (Wilcoxson et al., 1988 ; Naef and Defago, 2006 ; Landschoot et al., 2011), principal producteur de DON.
Si la relation entre résidus et contamination en DON des récoltes a été soulevée, peu d'études ont cherché à comprendre l'origine de cette relation. Pourtant, cette compréhension permettrait d'exploiter et intégrer au mieux ce facteur dans la définition de stratégies de contrôle du risque DON.
De façon plus générale, si plusieurs études ont montré comment le mode de culture (gestion des résidus, traitements fongicides, rotation, date de semis, choix variétal, etc.) peut avoir un impact sur les teneurs en DON, elles sont souvent descriptives et n'expliquent pas comment l'équilibre de la flore fongique présente sur les épis peut être touché et moduler la production de mycotoxines par les espèces toxinogènes.
En s'intéressant à quantifier les principales espèces fongiques sur grains et sur résidus, en intégrant la variable climatique et les associations différentes d'espèces, ce projet permettra de recueillir des données très originales sur les relations mode de culture/équilibre d'espèces/toxinogenèse.
Pesticides dans les sols
La contamination diffuse de sols agricoles en résidus de pesticides est de plus en plus souvent décelée (GIS Sol, 2011). Les pesticides se dégradent plus ou moins rapidement selon leur nature, les conditions pédoclimatiques et l'activité biologique intrinsèque des sols.
L'influence de l'historique de traitement des sols (donc du passif cultural) est une variable essentielle à considérer. En effet, l'impact fonctionnel majeur des pesticides sur les communautés microbiennes des sols est l'acquisition de capacités de biodégradation par certains micro-organismes qui s'adaptent (Arbeli and Fuentes, 2007). L'entretien de ces capacités de biodégradation est très influencé par la fréquence d'épandage (Cheyns et al., 2012).
Mais il faut aussi considérer que la rétention des pesticides, qui limiterait leur biodégradation microbienne, est d'autant plus importante que les teneurs en carbone organique du sol et le temps de contact augmentent. Ainsi, les apports d'amendements organiques et le recyclage des résidus de récolte peuvent agir sur le devenir des pesticides, en modulant aussi bien l'activité des micro-organismes dégradants que la rétention des molécules, donc leur transfert vers les milieux aquatiques connexes.
Les résultats sont parfois contrastés ! Ils dépendraient à la fois de la quantité et de la qualité des matières organiques apportées (Perrin Garnier et al., 2001), mais aussi des voies de biodégradation des pesticides considérés (cométabolisme ou métabolisme direct). Ainsi, des molécules interdites en France depuis des années comme l'atrazine sont encore détectées dans les sols (Jablonowski et al., 2009) et, de plus, le lindane se retrouve dans des sols où il n'a jamais été utilisé (Villaneau et al., 2009).
La conversion de parcelles conventionnelles après de nombreuses années de traitements phytosanitaires peut poser un problème de rémanence des contaminants organiques qui reste sous-évalué et méconnu.
Dans certaines régions de Nouvelle-Zélande, la présence de molécules très rémanentes telles que le DDT a été signalée en sols sous AB (Condron et al., 2000). Très peu de données (type monitoring au champ) existent dans la bibliographie sur la rémanence et l'évolution des capacités de biodégradation microbienne de pesticides dans des parcelles après conversion en agriculture biologique (Fernandes et al., 2012).
L'EAT2 n'a pas mis en évidence de contaminations importantes d'aliments issus de grandes cultures par les pesticides. Les pesticides détectés étaient essentiellement ceux utilisés lors du stockage des grains, donc ne résultant pas de contamination au champ. Les plans de surveillance d'instituts techniques ne mettent pas non plus en évidence de contaminations détectables. C'est pourquoi ce projet est focalisé majoritairement sur la contamination des sols.
Originalité
Le réseau de parcelles Quasaprove, associé aux réseaux Res0Pest(2) (Inra) et RotAB(3) (Itab), nous donne l'occasion unique de faire un état des lieux et comparer la qualité des sols et des intrants organiques en agriculture conventionnelle et biologique.
L'analyse conjointe des diverses familles de contaminants dans une approche multicontamination est très rarement réalisée en conditions de plein champ. De plus, l'analyse croisée des conditions pédoclimatiques et des itinéraires techniques pouvant influer sur certains contaminants est originale, au niveau national et international.
Le réseau de parcelles Quasaprove est un instrument agronomique unique en France pour étudier en conditions réelles de culture la multicontamination des productions végétales de grande culture et répondre à la demande du milieu agricole.
L'intégration du mode de conduite biologique est en soi une originalité et une innovation : effectuer de telles recherches menées conjointement en agriculture conventionnelle et biologique est une première. En outre, l'analyse de résidus de pesticides dans les sols n'a jamais été réalisée dans un cadre d'approche systémique en France.
(1) Outil agronomique créé dans le cadre de ce Réseau mixte technologique (RMT) : réseau de parcelles à caractéristiques pédo-géochimiques connues, permettant de tester, en grandeur réelle, hypothèses et modèles. (2) Réseau national regroupant huit sites expérimentaux situés sur des unités expérimentales (UE) Inra. Objectif : produire des connaissances mobilisables pour la conception de systèmes de culture innovants minimisant le recours aux pesticides (www6.inra.fr/reseau-pic/Projets/Res0Pest). (3) Programme de recherche centré sur l'étude des rotations pratiquées ou à recommander en grandes cultures biologiques (www.itab.asso.fr/programmes/rotation.php).