Alerte

Dégâts causés par C. marshalli sur des pélargoniums en Algérie

YAMINA GUENAOUI, FATMA-ZOHRA REKAD ET ZINE-EDDINE LABDAOUI, université Abdelhamid Ben Badis de Mostaganem (Algérie). - Phytoma - n°707 - octobre 2017 - page 44

La présence du lépidoptère invasif Cacyreus marshalli, inféodé aux géraniacées, a été constatée dans la région d'Alger.
Plante et ravageur 1. Larve (chenille) âgée. Photo : E. Labdaoui

Plante et ravageur 1. Larve (chenille) âgée. Photo : E. Labdaoui

Plante et ravageur 2. Mines de C. marshalli sur feuille. Photo : F.-Z. Rekad

Plante et ravageur 2. Mines de C. marshalli sur feuille. Photo : F.-Z. Rekad

Plante et ravageur 3. Mines de C. marshalli sur feuille. Photo : E. Labdaoui

Plante et ravageur 3. Mines de C. marshalli sur feuille. Photo : E. Labdaoui

Plante et ravageur 4. Plant sain de Pelargonium peltatum.  Photo : F.-Z. Rekad

Plante et ravageur 4. Plant sain de Pelargonium peltatum. Photo : F.-Z. Rekad

Développement de C. marshalli : 5. Chrysalide.  Photo : F.-Z. Rekad

Développement de C. marshalli : 5. Chrysalide. Photo : F.-Z. Rekad

Développement de C. marshalli : 6. Adulte. Photo : M. Z.-E. Labdaoui

Développement de C. marshalli : 6. Adulte. Photo : M. Z.-E. Labdaoui

Développement de C. marshalli : 7. Plant de Pelargonium zonale, sur lequel ont été placées des larves. Celles-ci ont atteint l'âge adulte. En revanche, les adultes n'y ont pas pondu. Photo : M. Z.-E. Labdaoui

Développement de C. marshalli : 7. Plant de Pelargonium zonale, sur lequel ont été placées des larves. Celles-ci ont atteint l'âge adulte. En revanche, les adultes n'y ont pas pondu. Photo : M. Z.-E. Labdaoui

En juin 2017, une famille nous a contactés pour nous signaler la présence de larves hérissées de poils blanchâtres (photo 1) provoquant des dégâts spectaculaires (photos 2 et 3) sur un plant de géranium acheté deux semaines auparavant, en bon état et en pleine floraison, dans une pépinière de la commune de Zéralda (banlieue ouest d'Alger).

Constat

Identification de l'espèce

Nous avons réceptionné le plant endommagé qui appartenait à l'espèce Pelargonium peltatum (géranium lierre, photo 4). Il abritait plusieurs stades de développement de l'insecte.

Le plant a été isolé en salle d'élevage dans une cage en verre aérée pour obtenir des adultes. Une recherche bibliographique a permis de rapprocher l'insecte avec l'espèce Cacyreus marshalli, inféodée aux géraniacées et dont le caractère invasif a été rapporté à partir de la fin des années 1990 dans l'Europe du Sud.

Les symptômes typiques d'attaques, la phénologie de l'insecte et particulièrement la forme, la taille et la couleur des adultes du lépidoptère (photo 6) ont confirmé son identité sans laisser aucun doute.

À propos des plantes-hôtes

Biosystématique complexe

Les plantes ornementales connues sous le nom populaire de géraniums sont originaires d'Afrique du Sud, comme C. marshalli. Ces plantes appartiennent à la famille des géraniacées qui comptent cinq principaux genres, dont les plus importants sont Pelargonium, Geranium et Erodium (avec 430 espèces). L'étude de la biosystématique des géraniacées est très complexe et la différence entre les espèces des trois genres réside à la fois dans l'origine géographique, la forme des fleurs, le nombre d'étamines et la forme du fruit. On retient que chez les espèces du genre Erodium, le nombre d'étamines est de cinq ; chez Pelargonium, il est de sept avec des fleurs irrégulières tandis que chez le genre Geranium, le nombre d'étamines est toujours de dix avec une symétrie centrale (Guittonneau, 1972). Les espèces du genre Erodium étaient à l'origine rattachées au genre Geranium.

Biologie et éthologie

Six générations par an

Cacyreus marshalli est un lépidoptère monophage : il s'attaque aux plantes d'une seule famille, en l'occurrence celle des géraniacées. L'espèce peut développer jusqu'à six générations par an (Thiberghien et Vesco, 2003). Son cycle comprend l'oeuf, quatre stades larvaires, la chrysalide et l'adulte. La ponte a lieu sur la partie aérienne (tiges, feuilles et fleurs).

L'insecte est partiellement endophyte ; en effet, les jeunes larves des premiers stades, de couleur verte, se comportent en mineuses en creusant des galeries dans les pétales, feuilles et tiges qui noircissent (photos 2 et 3).

Les chenilles plus âgées changent de couleur et laissent apparaître sur la face dorsale des lignes rosâtres (photo 1). Elles consomment directement le végétal pour compléter leur croissance.

À la fin de son développement, la larve se transforme en chrysalide (photo 5). L'émergence des adultes se présente après une période de nymphose qui dépend des conditions climatiques (photo 6).

Nous n'avons pas pu obtenir de ponte sur l'espèce courante de Pelargonium commercialisée dans l'ouest algérien qui semble correspondre à Pelargonium zonale. Cependant, les larves immatures déposées sur cette variété (photo 7) se sont développées jusqu'à l'âge adulte (observations personnelles).

Historique de l'invasion

De l'Afrique du Sud à l'Europe

L'espèce est originaire d'Afrique du Sud comme sa plante-hôte. On la trouve aussi au Mozambique et au Zimbabwe, où elle ne constitue pas de problème majeur. Ce fait laisse supposer que, dans ces pays-là, elle est régulée par ses ennemis naturels.

Selon Sarto I. Monteys (1992), qui a décrit la biologie, les symptômes et dégâts du ravageur, l'introduction de l'espèce sur le continent européen remonte à novembre 1978 après l'importation de plants de Pelargonium provenant d'Afrique du Sud.

En octobre 1990, l'insecte a été identifié pour la première fois de façon correcte par Eitschberger et Stamer (1990) sur la base de spécimens récoltés sur l'île de Majorque en 1989 et par Raynor (1990), qui lui donne le nom d'espèce Caryceus ethiopicus, une des neuf que comporte le genre Cacyreus (Sarto I. Monteys (1992)). Ensuite, Sarto I. Monteys et Maso (1992) lui ont attribué de façon définitive le nom de Cacyreus marshalli. À partir des îles Baléares, l'espèce a envahi plusieurs pays du sud de l'Europe, plus le Maroc (Afrique du Nord) (Tarrier, 1997).

En France, un signalement a eu lieu d'abord dans les Pyrénées-Orientales en 1997, puis en 1999 dans le Var (Germain, 1999). La cartographie de sa distribution en France entamée par Arnaud (1999) a montré l'étendue de sa dispersion.

Jusqu'à 2011, sa présence en France était confirmée dans vingt départements du sud de la métropole, plus la Corse (EPPO, 2011), où le climat est plus favorable et sa plante-hôte disponible toute l'année. Mais sa présence ne se limite pas à ces départements puisqu'en 2004, elle a été signalée à Orléans (Binon, 2005).

Italie, Grèce et Slovénie

En Italie, C. marshalli a été signalé dans la région de Rome en 1996 (Trematerra et al., 1997). En Grèce, l'insecte a été découvert pour la première fois en 2009 à Athènes, à la suite de plantation de nouveaux pélargoniums dans des jardins et espaces verts ayant subi le gel l'année précédente (Anastassiu et al., 2010). La même année, il a été signalé en Slovénie (Polak, 2009). L'insecte figurait sur la liste A2, établie en 2011 par l'OEPP(1), comportant quatorze organismes nuisibles. Une enquête de réévaluation du risque, à laquelle 31 pays de la zone OEPP ont répondu, a conduit au maintien de ce ravageur dans cette liste (Suffert, 2012).

Comment lutter efficacement ?

La voie des moyens naturels

Comme dans tous les cas d'introduction nouvelle d'insectes nuisibles invasifs sans leurs antagonistes naturels, c'est à la lutte chimique que l'on a recours dans l'urgence. Mais, compte tenu des contraintes environnementales particulièrement sévères en Europe et des problèmes de résistance aux pesticides, on recherche toujours la voie des moyens naturels efficaces pour résoudre le problème posé.

Les premiers travaux réalisés en Espagne sur les antagonistes spontanés de ce lépidoptère ont permis le recensement de l'espèce oophage Trichogramma evanescens (Westwood) (Sarto I. Monteys et Gabarra, 1998). Le premier inventaire des antagonistes potentiels de ce lépidoptère, réalisé par l'Inra (France) en 2005 a confirmé que là aussi T. evanescens a été le premier parasitoïde spontané recensé (Groussier et al., 2006).

Les essais portant sur neuf souches de trichogrammes d'origines géographiques différentes ont donné des résultats encourageants pour quatre souches. La recherche a mis au point un dispositif pouvant utiliser des trichogrammes (parasitoïdes oophages) associé à des larves de chrysopes (prédatrices de jeunes larves) pour contrôler de façon plus efficace le ravageur.

En Italie, des travaux ont été réalisés plus récemment par Dingo et al. (2013) pour tester l'efficacité de trois parasitoïdes indigènes qui sont Trichograma brassicae (Bezdenko) (Hymenoptera : Trichogrammidae, Exorista larvarum (L.) Diptera : Tachinidae) et le parasitoide des pupes Brachymea tibialis (Walker) (Hymenoptera : Chalcidoïdae).

Les résultats de l'étude laissent penser que les deux derniers antagonistes ont des potentialités pour s'adapter à C. marshalli dans la nature. Pour répondre aux besoins des particuliers, il faut mettre à leur disposition des moyens de lutte facile d'accès, efficaces et peu coûteux.

Quand et comment ce ravageur a-t-il pu pénétrer en Algérie ?

Seize individus retrouvés en maraîchage

La première découverte des dégâts causés sur Pelargonium remonte à fin juin 2017. Cependant, nous avons noté que C. marshalli figurait sur la liste des lépidoptères capturés dans la commune de Rouiba (banlieue est d'Alger) lors d'une étude réalisée entre 2009 et 2010 sur la diversité et la structure des populations de papillons dans les agroécosystèmes de la plaine de la Mitidja (Remini et Moulaï, 2015).

Selon ces mêmes auteurs, seize individus représentant près de 3 % de l'ensemble des espèces ont été capturés dans des parcelles expérimentales comportant du maraîchage. Les auteurs n'ont donné aucun détail sur les critères ayant permis l'identification de l'espèce. Il n'est fait référence ni à son origine géographique ni à son caractère invasif, ni même à sa nuisibilité pour les géraniums.

Il est possible que l'espèce ait pu pénétrer en Algérie à partir des pays voisins et riverains de la Méditerranée par l'importation de plants de « géraniums » contaminés. Il faut souligner que dans la région d'Alger, c'est à partir de 2008 avec l'aménagement de parcs et jardins publics autour des nouveaux immeubles que les particuliers ont montré un intérêt grandissant pour les géraniums. Ces derniers figurent parmi les plantes ornementales les plus recherchées pour le fleurissement des balcons.

Pas encore de prolifération

Pour l'instant, le ravageur ne semble pas avoir d'impact important. En effet, nous avons mené une enquête auprès des pépiniéristes et revendeurs de plantes ornementales dans les régions de Mostaganem et d'Oran. Celle-ci n'a pas confirmé la présence de ce ravageur en dehors de la zone de sa première découverte.

En laboratoire, l'insecte n'a pu se développer que sur deux espèces de Pelargonium, l'espèce P. peltatum sur laquelle il a été découvert en juillet 2017 et l'espèce Pelargonium zonale, plus commune. Sur cette dernière variété, nous n'avons pas pu obtenir de ponte.

Quoi qu'il en soit, la protection des plantes ornementales n'a pas le même intérêt que celle des plantes vivrières. Même si l'insecte venait à prendre de l'ampleur dans les mois ou années à venir, la lutte sera sans doute exclusivement chimique en pépinières pour empêcher la destruction des plants et préserver leur aspect esthétique pour ne pas engendrer de pertes de la valeur marchande.

Quant aux particuliers qui seraient confrontés au ravageur, leur conduite dépendra étroitement de leur niveau de connaissances et de leur sensibilisation aux problèmes de pollution chimique. La recherche d'antagonistes indigènes spontanés pourrait déboucher sur des résultats intéressants même si leur exploitation risque d'être confrontée à des problèmes de financement.

(1) Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes (en anglais : EPPO, European and Mediterranean Plant Protection Organization), organisation intergouvernementale chargée de la coopération et de l'harmonisation dans le domaine de la protection des plantes entre les pays de la région européenne et méditerranéenne.

REMERCIEMENTS

REMERCIEMENTS à la famille Maoui de nous avoir fait parvenir le plant attaqué.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Des dégâts importants sur Pelargonium peltatum (nom populaire : géranium lierre) ont été observés par des particuliers sur un plant acheté début juin 2017 près d'Alger.

IDENTIFICATION - Les symptômes caractéristiques et la morphologie des différents stades de développement du ravageur ont conduit à identifier l'espèce responsable : Cacyreus marshalli.

SITUATION - Ce lépidoptère originaire d'Afrique du Sud, introduit en Europe à la fin des années 1990 et dont l'aire de dispersion ne cesse de s'élargir, aurait pu pénétrer en Algérie il y a plusieurs années sans causer de dégâts visibles sur les espèces de géranium communes. En Algérie, des prospections menées à Oran et Mostaganem n'ont pas décelé le ravageur dans d'autres régions que celle où il a été découvert.

PERSPECTIVES - Pour lutter contre cet insecte invasif, plusieurs recherches de moyens alternatifs à la lutte chimique exclusive ont été conduites en Europe (Espagne, France). Les trichogrammes, parasitoïdes oophages, sont considérés comme efficaces car, agissant sur le stade oeuf, ils empêchent les larves de creuser, dans les fleurs et feuilles, des galeries qui rendent le plant non commercialisable. D'autres ennemis naturels prédateurs ont été testés pour constituer un moyen de lutte complémentaire associé à des produits sélectifs. La recherche d'ennemis naturels spontanés dans les régions contaminées pourrait déboucher sur des résultats intéressants.

MOTS-CLÉS - Ravageur, espèces invasives, Cacyreus marshalli, Algérie, Pelargonium peltatum géranium lierre.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : yguena@yahoo.fr

BIBLIOGRAPHIE : - Anastassiu H. T., N. Ghavalas, J.G. Coutsis, 2010, First record of Cacyreus marshalli In Greece and comments on the potential occurrence of Zizeeria karsandra in the Greek island of Crete (Lepidoptera : Lycaenidae), Phegea 38 (3) 01.IX. 2010 : 85.

- Arnaud J.-P., 1999, Cacyreus marshalli (Lepidopera : Lycaenidae) en France : contribution à l'ébauche de la cartographie de son extension, Alexanor, 21 (2) : 111-112.

- Binon M., 2005, Cacyreus marshalli (Butler, 1898) (Lepidoptera : Lycaenidae) « La petite bête qui monte » dans le Loiret, L'Entomologiste 61 (1) ,33-34.

- Dindo M. L., Francati S., Marchetti E., Ferracini C., Quacchi A., Alma A., 2013, Acceptance and suitability of Cacyreus marshalli (Lepidoptera : Lycaenidae) as host for three indigenous parasitoids, Biocontrol Science and Technology, vol. 23, n° 11, 1342-1348.

- Eitschberger U. & P. Stamer, 1990, Cacyreus marshalli Butler, 1898, eine neue Tagfalterat fû sie europäosche Fauna ? (Lepidoptera : Lycaenidae), Atalanta, 21 (1/2) : 101-108.

- Germain J.-F., 1999, Cacyreus marshalli, nouveau ravageur du pélargonium, PHM, revue horticole, 402 : 36-40.

- Groussier G., Tabone É., Coste E., Risso B., 2006, Mise en place d'une lutte biologique contre Cacyreus marshalli, Butler à l'aide de trichogrammes, AFPP, 3e Conférence internatinale sur les moyens alternatifs de protection des cultures, Lille, 13, 14 et 15 mars 2006, 626-634.

- Guittonneau G. G., 1972, Contribution à l'étude bio-systématique du genre Erodium, L'Her. dans le Bassin méditerranéen occidental, Boissiera, vol. 20, Laboratoire de biologie végétale d'Orléans associé au laboratoire CNRS n° 121, université de Paris 11 (Orsey), 156 p.

- Polak S. 2009, Geranium Bronze (Cacyreus marshalli (Butler, 1898) : a new butterfly species for Slovenian fauna, 2nd Slovenian Entomological Symposium, Ljubljana, 7-8 Febr. 2009 : 104-105.

- Raynor E. M., 1990, The occurrence of Cacyreus species (Lep. : Lycaenidae) in Majorca, Entologis'record, 102 : 250.

- Remini L. & R. Moulaï, 2015, Diversity and structure of butterfly populations in agro-écosystems of Mitidja (Algeria), Zoology and Ecology, DOI : 10,1080/21658005, 2015, 1090119.

- Sarto I., Monteys V., 1992, El taladro de los geranios Cacyreus marshalli, grave plaga de los geranios europeos : su biologia, sintomas y danos, Horticultura 83 : 13-19.

- Sarto I., Monteys V., Maso A., 1992, Confirmacion de Cacyreus marshalli, Butler 1898, (Lycaenidae : Polyommatinae), como nueva especie para la fauna europea, Bol. San. Veg. Plagas, 17 : 173-183.

- Tarrier M., 1997, Cacyreus marshalli, Butler, 1898 (Lep : Lycaenidae), espèce nouvelle pour la France, le Portugal et le Maroc, Alexanor, 20 (3) 143-144.

- Suffert M. (2012), Re-evaluation of EPPO - listed pests, EPPO, Bulletin, 42 (2) 181-185.

- Thiberghien G. et Vesco J.-P., 2003, Le brun du pélargonium, un insecte envahisseur, Cacyreus marshalli, Butler 1898 (Lepidoptera : Lycaenidae : Polymmatidae), Insectes 25 n° 129, 2003 (2).

- Trematerra P., Zilli A., Valentini V., Mazzei P., 1997, Cacyreus marshalli, un lepidottero sudafricano dannoso ai genara in Italia, Informatore Fitopatologico, 7-8, 2-6.

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