Sur le métier

Ene Leppik, spécialiste en écologie chimique des ravageurs

PAR CHANTAL URVOY - Phytoma - n°707 - octobre 2017 - page 47

À l'Inra de Versailles, Ene Leppik étudie les molécules émises par les cultures et leurs effets sur le comportement des ravageurs. Son objectif ? Se servir de ces composés organiques volatils comme moyen alternatif de lutte contre des ravageurs, tels que la pyrale du maïs ou la bruche de la féverole. De quelle façon ? En focalisant le ravageur sur une partie de la parcelle ou encore en réalisant des piégeages massifs.
 Photo : C. Urvoy

Photo : C. Urvoy

Après une licence en écologie des animaux, Ene Leppik, d'origine estonienne, s'expatrie en France en 2003 pour continuer ses études. « Je voulais poursuivre dans l'écologie chimique et la biologie de l'insecte, formation qui n'existait pas en Estonie. À Orsay, il y avait un excellent professeur en matière de comportement des insectes. »

Quelques années plus tard, pendant sa thèse, elle identifie les composés organiques volatils (COV) qui font que la pyrale femelle reconnaît le maïs pour venir y pondre. En dehors de la phase de ponte, le ravageur ne vit pas dans la culture.

« Nous avons reformulé le mélange de COV. Il est actuellement testé au champ par Arvalis. L'objectif final sera peut-être de concentrer les pontes de pyrale dans certains endroits de la parcelle grâce à cet attractif afin d'épargner le reste. Ce serait un moyen de lutte complémentaire aux insecticides ou aux trichogrammes. Ce mélange peut également servir à détecter le vol d'oviposition des femelles dans le cadre des avertissements agricoles. »

Bruche de la féverole

Depuis 2012, elle travaille à l'Inra de Versailles au sein de l'Institut d'écologie et des sciences de l'environnement de Paris (IEES(1)), dans l'équipe Crea (Chimio-réception et adaptation).

Ene Leppik se penche plus particulièrement sur le paysage chimique dans lequel évoluent les insectes.

« Nous étudions les molécules émises par les plantes, la perception de celles-ci par les insectes et leur effet sur leur comportement. »

C'est la bruche de la féverole qui occupe Ene Leppik dans le cadre d'un contrat avec Arvalis, puis avec Terres Inovia.

« Les insecticides les plus efficaces contre la bruche allant être interdits, le débouché alimentation humaine vers l'Égypte, très important pour la France, était menacé. Il fallait trouver des moyens de lutte alternative. »

Capturer les odeurs

« Nous avons d'abord étudié la biologie (cycle de vie, lieux d'hivernation, colonisation...) et l'écologie de la bruche en réalisant des observations sur le terrain dans un champ très infesté. »

Ensuite, le comportement et la physiologie de l'insecte ont été décortiqués, sur le terrain et au laboratoire, pour vérifier que ce sont bien les signaux chimiques émis par la féverole qui permettent la reconnaissance de la plante par la bruche.

« Le ravageur n'entre pas dans la parcelle tant que la féverole ne fleurit pas. Puis, au stade "gousses", les femelles pondent dans celles-ci. »

Des odeurs ont été prélevées au champ à différents stades (feuilles, fleurs, gousses) en entourant les féveroles d'un sac de téflon avec un capteur de COV à l'intérieur.

Tests au labo...

L'attractivité de ces trois types d'odeur a ensuite été testée au laboratoire sur les insectes. Comme au champ, celles du stade « feuilles » n'étaient pas attractives.

En revanche, celle du stade « fleurs » attirait les mâles et les femelles (en lien avec l'accouplement sur la plante-hôte) et celle du stade « gousse » attirait préférentiellement les femelles (ce qui leur signalait un lieu de ponte).

« Nous avons identifié les molécules chimiques. Ce sont des composés très faciles à synthétiser, mais il faut cerner ceux qui servent réellement à attirer la bruche (pour éliminer les autres) et surtout recréer le bon ratio pour être aussi efficace que les COV naturels. Pour cela, nous avons testé chaque composé identifié sur les antennes des bruches par électrophysiologie. À partir de ceux qui induisaient une réponse, nous avons recréé une vingtaine d'attractifs gousses et fleurs que nous avons à nouveau testés. »

... et au champ

En 2015, Ene Leppik identifie enfin la formulation qui fonctionne le mieux pour chaque stade. Il faut maintenant vérifier que c'est le cas quand on laisse la bruche voler.

« La bruche ne pouvant pas être élevée en laboratoire comme la pyrale, nous sommes tributaires de la période de colonisation au champ (mai à mi-juillet) pour faire nos tests. »

Depuis 2016, un « COV fleurs » et un « COV gousses » sont testés en ferme expérimentale et chez des agriculteurs. « L'an dernier, les tests ont confirmé la bonne capture de l'ensemble des bruches avec le "COV fleurs" et des femelles avec le "COV gousses". » Cette année, des agriculteurs en réseau via Terres Inovia les testent également pour évaluer le nombre de points avec COV nécessaires dans une parcelle pour piéger massivement le ravageur et réduire le taux de grains bruchés en dessous des 5 % admis par l'Égypte.

Piégeage massif

« Pour l'instant, nous travaillons avec des plaquettes fortement engluées pour fixer les bruches, avec dépôt du COV dans une extrémité. Trois-cents ravageurs peuvent être capturés par plaque. Mais il nous faut un outil plus pratique. Pour cela, nous testons tous les pièges existant sur le marché. Hélas, pour l'instant, aucun ne correspond au type de vol de la bruche. Il va peut-être falloir innover. »

Mais pour Ene Leppik, il reste seulement quelques mois pour y parvenir car son contrat se termine fin décembre.

Pourtant, en matière d'écologie chimique, les perspectives sont importantes.

« On pourrait étudier les relations plante-insecte d'autres ravageurs monophages comme la bruche de la lentille ou encore l'altise du colza dans le même objectif : mettre au point des attractifs pour les utiliser comme moyen de lutte alternative. »

(1) Regroupe 153 chercheurs issus du CNRS, de l'Inra, l'IRD, l'UPMC, l'université Paris-Diderot et l'Upec.

BIO EXPRESS

ENE LEPPIK

2002. Licence d'écologie des animaux à l'université de Tartu (Estonie).

2004. Maîtrise de biologie des populations et des écosystèmes (Paris 11).

2005. Master 1 en écologie, biodiversité et évolution (Paris 11).

2006. Master 2 en neurosciences (Paris 11).

2011. Doctorat en écologie chimique (Paris 11) avec une thèse sur la pyrale du maïs.

Depuis 2012. Post-doctorat à l'Inra de Versailles au sein de l'équipe chimio-réception et adaptation (Crea) sur la bruche de la féverole.

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