DOSSIER - Vigne

Maladies du bois de la vigne : les avancées présentées à Reims

FLORENCE FONTAINE*, PATRICIA TROTEL-AZIZ*, VINCENZO MONDELLO*, ÉMILIE BRUEZ**, PASCAL LECOMTE** ET PATRICE REY** - Phytoma - n°708 - novembre 2017 - page 24

En juillet dernier, des professionnels et des scientifiques de plusieurs pays travaillant sur la thématique des maladies du bois (MDB) ont échangé et fait le bilan des connaissances et perspectives pour lutter contre ces pathologies.
La tribune (lors de l'allocution d'ouverture) et l'amphithéâtre des séquences « en salle » de ces journées consacrées aux maladies du bois de la vigne. Photo : C. Coppin et V. Mondello

La tribune (lors de l'allocution d'ouverture) et l'amphithéâtre des séquences « en salle » de ces journées consacrées aux maladies du bois de la vigne. Photo : C. Coppin et V. Mondello

 Photo : C. Coppin et V. Mondello

Photo : C. Coppin et V. Mondello

 Ce symptôme foliaire d'esca sur chardonnay est spectaculaire, mais ne fait que signaler le plus grave : les nécroses dans le bois.  Photo : F. Fontaine

Ce symptôme foliaire d'esca sur chardonnay est spectaculaire, mais ne fait que signaler le plus grave : les nécroses dans le bois. Photo : F. Fontaine

Une partie des participants venus présenter leur expertise lors de ces journées internationales sur les MDV, devant le centre des congrès de Reims.  Photo : C. Coppin

Une partie des participants venus présenter leur expertise lors de ces journées internationales sur les MDV, devant le centre des congrès de Reims. Photo : C. Coppin

Les congressistes se sont également rendus sur le terrain. En « globish » (alias global english, ou anglais mondial), cela s'appelle un « field trip », voyage au champ. Photo : V. Mondello

Les congressistes se sont également rendus sur le terrain. En « globish » (alias global english, ou anglais mondial), cela s'appelle un « field trip », voyage au champ. Photo : V. Mondello

Du 4 au 7 juillet 2017 s'est déroulé à Reims le dixième congrès international sur les maladies du bois de la vigne, organisé par Florence Fontaine (université de Reims Champagne-Ardenne) et ses collègues. C'est la première fois que cette manifestation, qui se réitère tous les deux ans depuis 1999, était organisée en France.

Les participants

Plus de 240 intervenants provenant de 29 pays

Majoritairement venus d'Europe, mais également des États-Unis, d'Afrique du Sud, d'Australie, de Nouvelle-Zélande, du Chili, de Chine, du Canada, etc., ces participants ont intensément échangé sur la problématique des MDB. Le public, principalement constitué de chercheurs, a interagi avec des organismes techniques et de développement, des pépiniéristes ainsi que des entreprises privées.

À propos de pathogènes

Toujours plus de champignons associés aux MDB

Les nécroses du bois, lorsqu'elles atteignent les vaisseaux conducteurs et bloquent leur fonctionnement, sont un facteur clé dans le processus pathologique des MDB. Il est donc primordial de comprendre à quel moment ces champignons pathogènes interviennent dans ce processus de dégradation du bois et d'altération du bois fonctionnel.

De nombreuses études réalisées de par le monde ont permis d'isoler et identifier des agents pathogènes associés aux MDB grâce au développement d'outils moléculaires.

Actuellement, 133 espèces de champignons appartenant à 34 genres sont recensées comme impliquées dans les MDB. L'ensemble de ces données collectées doit être partagé avec la profession, dont la communauté scientifique, pour en extraire le potentiel de valorisation. Pour cela, ces informations sont regroupées dans des bases de données accessibles à tous, comme TrunkDiseaseID.org pour les pathogènes associés aux MDB.

Ce partage de données mondial permet de voir notamment que certains pathogènes sont également présents chez d'autres plantes-hôtes. Ainsi, le genre fongique Phaeoacremonium est aussi détecté chez l'olivier. Le recoupement et l'accès à toutes ces données permettront de mieux cibler les leviers clés afin de lutter durablement contre les MDB.

Agents pathogènes au coeur de la communauté microbienne du bois

Le comportement des pathogènes du bois dépend de leur environnement biotique. La description du microbiote (ensemble des organismes vivant dans le bois) est donc primordiale pour mieux connaître tous ces acteurs, incluant également les bactéries et les virus, et leurs interactions. Un déséquilibre microbien peut notamment conduire à la prolifération des agents pathogènes déjà présents dans le bois de la vigne.

Au contraire, l'impact de l'arsénite de sodium sur la microflore du bois conforte son efficacité contre certains pathogènes des MDB au niveau de l'amadou. Concentré dans différents organes de la vigne, l'arsénite agit aussi sur la physiologie de la plante, pour une meilleure défense face à l'infection par les pathogènes des MDB.

L'équilibre microbien peut aussi être modifié par la richesse des sols en cuivre. Ainsi, certains champignons associés aux MDB sont plus présents au niveau de ceps se développant dans des sols riches en cuivre.

Ces données montrent clairement l'importance de la microflore dans la préservation, au sein du bois, d'un équilibre entre les agents pathogènes et ceux potentiellement bénéfiques pour la plante. En se basant sur ces observations, l'implantation au niveau des ceps de micro-organismes bénéfiques (bactéries, champignons ou oomycètes) pour lutter contre les MDB est une stratégie prometteuse. De fait, elle est expérimentée à tous les niveaux de production des plants, de la pépinière au vignoble.

Ce qui module les pathogènes

Conduite de la vigne

Par ailleurs, l'influence du système de conduite de la vigne sur la communauté des champignons liés aux MDB est étudiée. Des résultats préliminaires montrent que la taille aurait peu d'influence sur les communautés microbiennes dans le bois de ceps conduits en système traditionnel vertical comparé à un système de taille semi-minimal en lyre.

Symptomatologie sensible au déficit hydrique et au développement

Les champignons responsables des MDB sont détectés dans l'ensemble des ceps, qu'ils soient symptomatiques ou asymptomatiques. Certaines études montrent que la colonisation du bois est proportionnelle au diamètre des vaisseaux conducteurs et à leur richesse en un composé, la pectine. Au niveau de la plante, ces champignons induisent plus ou moins rapidement des blessures visibles (chancre, nécrose, bras mort) et des réponses de défense relativement précoces (barrière physique, sécrétion de composés volatils, production de protéines en lien avec les réponses de défense de la vigne) tout en modulant progressivement le métabolisme de la vigne.

Les déviations métaboliques liées au développement de la plante, comme celles provoquées par un déficit hydrique sur la plante et/ou les pathogènes, amplifient l'infection des plaies et les symptômes foliaires. La reprogrammation métabolique de la vigne contribuerait donc à sa sensibilité aux pathogènes responsables des MDB. Cette sensibilité est différente selon le stade phénologique de la plante. Par exemple, elle est accrue en période de floraison.

Facteurs de virulence modulant les interactions vigne/pathogènes

La pathogénicité des agents des MDB résulterait de la production d'un vaste arsenal de facteurs de virulence (principalement des enzymes et phytotoxines de différentes natures) permettant aux pathogènes d'infecter le cep, puis d'y survivre.

Il est suggéré que les actions cumulées de plusieurs toxines amplifient les troubles occasionnés chez la vigne pour y induire un tableau clinique sans possibilité de rémission. Les fonctions multiples des gènes codant pour ces facteurs de virulence chez les champignons liés aux MDB expliqueraient leur grande capacité d'adaptation aux divers cultivars et aux contraintes de l'environnement telles qu'un déficit hydrique. Le séquençage complet du génome des agents pathogènes des MDB est partiellement réalisé. Il permettra dans un avenir proche de cibler précisément ces facteurs de virulence afin de mieux comprendre leur régulation, au service de la protection de la vigne.

Phytotoxines : méfaits morphologiques et métaboliques

Qualitativement et quantitativement, certaines phytotoxines sont positivement corrélées à la taille des chancres, alors que d'autres sont positivement corrélées à la taille des nécroses, jusqu'à l'apparition d'un « bras » mort.

L'inhibition des étapes précoces de signalisation des défenses de la vigne par ces phytotoxines pourrait expliquer la virulence des champignons responsables des MDB. Certaines phytotoxines bio-accumulées par la vigne miment effectivement les effets d'hormones de signalisation, empêchant la vigne d'activer ses défenses.

Cette stratégie métabolique permet notamment au pathogène de contourner l'immunité de son hôte. La sensibilité plus ou moins marquée des cépages aux pathogènes responsables des MDB pourrait donc résulter d'un bras de fer métabolique engagé entre cultivars de vigne et agents des MDB.

Pistes pour la protection

Des bactéries bénéfiques afin d'optimiser la protection de la vigne

Bien que l'origine naturelle des toxines devrait leur permettre d'être facilement reconnaissables par les systèmes de détoxication des plantes, certains cépages bio-accumulent les toxines au préjudice de leur immunité basale. Sachant qu'à ce jour aucun cépage n'est décrit comme étant résistant aux MDB, une détoxication optimisée à l'aide de bactéries bénéfiques (issues du vignoble) est proposée en renfort à cette immunité basale défectueuse.

Cette approche est d'autant plus prometteuse qu'au vignoble, les ceps asymptomatiques et symptomatiques abritent une communauté microbienne dont l'issue des interactions tripartites (vigne/pathogène/bactérie bénéfique) module l'orchestration des défenses dans les organes de la vigne au bénéfice ou au préjudice de l'hôte.

Une bactérie bénéfique, Bacillus subtilis, est actuellement à l'étude. Les premiers résultats montrent qu'elle peut effectivement (co-)métaboliser certaines phytotoxines et protéger les boutures infectées par des agents des MDB.

La gestion des MDB de la pépinière au vignoble

L'absence récurrente de solutions radicales contre les MDB a stimulé ces dernières années de très nombreuses initiatives en matière de développement de nouveaux moyens de lutte. Cette session a donc été très dense et riche : pas moins de 17 communications orales (sur 63 au total) et 27 posters (sur 92), avec des approches très différentes qui seront sans doute demain complémentaires pour une meilleure gestion raisonnée des MDB.

La mise en place parallèle de réseaux et d'organisations qui se mobilisent au service de la profession viticole est également à mentionner. On peut ainsi citer :

- l'implication au niveau international de l'OIV (via le soutien de thèses, des guides sur la gestion des MDB en pépinière et au vignoble seront écrits et validés par des experts et diffusés dans le futur) ;

- la mise en place en France d'un plan national de dépérissement à la suite de l'analyse de 450 publications permettant d'identifier les lacunes majeures en matière de recherche et de développement ;

- un projet collaboratif français (FUI Advantage) associant recherche et partenaires industriels dans le but de développer de nouvelles solutions de protection ;

- un réseau européen (Winetwork) diffusant en huit langues des bases de connaissances et des informations sur les méthodes de lutte contre les MDB les plus connues et/ou utilisées(1).

Pour la pépinière

Les travaux présentés sur la gestion des MDB en pépinière peuvent être résumés ainsi : un potentiel pour l'eau électrolysée, un traitement à l'eau chaude toujours à l'étude, la greffe sur place préférable à la greffe mécanique.

Deux études indépendantes réalisées en pépinière en France et en Italie ont montré que l'eau électrolysée aurait un réel potentiel pour réduire les pathogènes de l'esca, principale maladie des MDB.

Le traitement à l'eau chaude est toujours à l'étude. Des travaux réalisés en Autriche et en Turquie confirment sa capacité à réduire la pression des contaminations.

Au stade de la multiplication, une étude bordelaise a montré, pour la première fois, la plus grande prédisposition à l'esca de plants greffés mécaniquement, à l'anglaise ou en oméga, par comparaison à des plants greffés sur place en fente.

Mais une étude exploitant des plants greffés in vitro et libres de tout pathogène avant plantation a montré que ces plants étaient rapidement recontaminés par des Botryosphaeria deux ans après leur implantation au vignoble. Ce résultat met en évidence la difficulté de contrôler l'inoculum des champignons de ce genre, souvent très opportunistes et très communément répandus.

Au vignoble, quelle durée de protection des plaies de taille ?

Des études réalisées par des chercheurs australiens et néo-zélandais permettent aujourd'hui de mieux comprendre la durée maximale de protection des plaies de taille par les fongicides classiques dotés d'un réel potentiel préventif et curatif (tébuconazole, pyraclostrobine, fluazinam).

Le pouvoir curatif de ces fongicides est de l'ordre d'une semaine et celui de protection de l'ordre de deux semaines, soit une durée maximale de protection de trois semaines.

Tour d'Europe sur les MDB et leur gestion au vignoble

Un questionnaire a été diffusé à travers l'Europe via le réseau de chercheurs participant au projet COST FA 1303.

De façon générale, les viticulteurs savent très bien gérer leurs vignes lorsque la maladie est déclarée. Néanmoins, beaucoup sont encore peu sensibles aux méthodes susceptibles de prévenir ou différer les dommages des MDB, notamment par l'adoption de systèmes de taille respectueux des trajets de sève.

Toujours en matière de pratiques viticoles, les résultats d'une action financée par le programme Casdar V1303 (2013-2017) ont largement confirmé que les pratiques avec des bras courts (de type Guyot) dépérissent beaucoup plus vite que celles en cordons ou en lyre avec des bras longs. Toutefois, l'avantage apporté par une pratique peut vite être annihilé par des pratiques de taille trop mutilantes (larges plaies de taille rases, retour fréquent à proximité des bras...).

Les recherches sur la lutte biologique s'intensifient

De très nombreux produits à base de micro-organismes, déjà homologués ou en cours de développement, sont à l'étude, tant pour un usage en pépinière qu'au vignoble.

Parmi eux, on trouvera des champignons antagonistes des agents des MDB (Trichoderma atroviride, T. asperellum, T. gamsii, T. virens, Bionectria ochroleuca), un oomycète qui induit les défenses de la vigne (Pythium oligandrum), un mycoparasite (Microdochium sp.), mais aussi des bactéries (Pantoea agglomerans, Paenibacillus, Bacillus pumilus, B. subtilis, Pseudomonas sp.), des stimulateurs de défense, des substances connues, comme le cuivre ou le chitosan, utilisées seules ou associées (pyraclostrobine, boscalid) à un polymère.

Quelques innovations en termes de stratégie de lutte

Des démarches tout à fait originales et novatrices ont été présentées, telles qu'une nouvelle formulation de cuivre tri-sulfate rendu mobile grâce à son couplage à des cristaux de phosphate de calcium, ou une perspective de curetage chimique par injection verticale de fongicides dans le bois amadou, ou encore la possibilité de limiter le développement des nécroses internes en utilisant Vitis sylvestris comme porte-greffe intermédiaire.

Rendez-vous à l'été 2019

Ces journées ont été très riches en informations et innovations. Le prochain rendez-vous fixé à l'été 2019 pour le onzième congrès international sur les MDB aura lieu au Canada, à Kelowna (province de Colombie-Britannique). Il sera organisé par le Dr José Ramon Úrbez-Torres.

Avant cet événement international, la profession et les chercheurs français auront l'occasion de se revoir lors des réunions organisées dans le cadre du plan dépérissement et durant les journées dédiées aux maladies du bois organisées par Marielle Adrian, Sophie Trouvelot (UMR Agroécologie, Dijon) et Philippe Larignon (IFV) en 2018.

*SFR Condorcet, université de Reims Champagne-Ardenne, Unité de recherche vigne et vin de Champagne (URVVC) EA 4707, Laboratoire stress, défenses et reproduction des plantes - Reims. **UMR Santé et Agroécologie du vignoble (SAVE), Inra - Bordeaux Sciences Agro - Villenave-d'Ornon. (1) Détails sur ce réseau dans l'article p. 29 à 32.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - En juillet 2017, à Reims, plus de 240 participants de 29 pays, chercheurs en majorité, ont fait le point sur les maladies du bois (MDB) de la vigne.

AVANCÉES - Les connaissances progressent concernant les agents pathogènes associés aux MDB : leur identité mais aussi leurs interactions avec d'autres micro-organismes au sein de la communauté microbienne du bois, mais encore l'influence de la vigne elle-même (stade de développement, état physiologique, mode de conduite) et celle des conditions environnementales (déficité hydrique, etc.) ont été évoquées.

Des recherches de moyens de gestion de ces MDB ont été présentées, avec l'étude de micro-organismes bénéfiques (bactéries, champignons, oomycètes) potentiellement utilisables en lutte biologique, celle des modes de taille et d'autres pistes (certaines formulations de cuivre, le curetage, le choix de porte-greffe intermédiaire).

MOTS-CLÉS - Vigne, recherche, MDB (maladies du bois), nécroses, agents pathogènes, communauté microbienne, métabolisme, bactéries bénéfiques, lutte biologique.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : florence.fontaine@univ-reims.fr, vincenzo.mondello@univ-reims.fr, patricia.trotel-aziz@univ-reims.fr, emilie.bruez@inra.fr, pascal.lecomte@inra.fr, patrice.rey@inra.fr

LIEN UTILE : http://managtd.eu/en/10th-iwgtd/

BIBLIOGRAPHIE : certains posters sont à disposition sur le site du congrès. Les annales seront également mises à disposition sur ce site.

L'essentiel de l'offre

Phytoma - GFA 8, cité Paradis, 75493 Paris cedex 10 - Tél : 01 40 22 79 85