Les effets des produits bénéfiques aux plantes sont dus à leurs principes actifs, mais aussi à la manière dont ces derniers sont formulés. C'est vrai pour les produits inertes, qu'ils soient fertilisants ou phytopharmaceutiques, mais encore plus pour les micro-organismes vivants.
Pourquoi penser formulation
Micro-organismes biostimulants : de quoi s'agit-il ?
Depuis qu'il est recommandé de limiter les intrants en agriculture, y compris les engrais, de nombreux travaux sont consacrés aux micro-organismes stimulant la croissance des plantes. Parmi les usages les mieux documentés, citons :
- les rhizobiacées utilisées depuis de nombreuses années en cultures de légumineuses, notamment de soja, pour assurer la fixation symbiotique de l'azote ;
- les champignons endomycorhizogènes de la famille des glomales utilisés dans de nombreuses cultures pour créer des associations mycorhiziennes favorisant l'absorption d'éléments nutritifs, en particulier du phosphore, et aidant la plante à surmonter divers stress d'origine abiotique (sécheresse, salinité, etc.).
Plus récemment, des bactéries libres appartenant aux genres Bacillus et Pseudomonas et des champignons appartenant en particulier au genre Trichoderma ont retenu l'attention : ils sont les matières actives de divers produits dits biostimulants, actuellement autorisés en tant que MFSC(1) dans le cadre de la réglementation française.
Formuler pour maintenir vivant et actif
Les recherches académiques ont fait progresser la connaissance des modes d'action de ces micro-organismes biostimulants (voir bibliographie), mais leur production à l'échelle industrielle et leur utilisation par les agriculteurs posent des problèmes technologiques loin d'être tous résolus.
Si ces micro-organismes peuvent, pour la plupart, être produits par fermentation en milieu liquide ou solide, il convient ensuite de mettre au point un procédé de formulation qui assure leur survie et permet leur application dans les champs avec le matériel dont dispose l'agriculteur. En effet, à la différence de la fermentation de micro-organismes pour la production de métabolites secondaires (antibiotiques, etc.), ce que l'industrie fait depuis des années, l'usage de biostimulants requiert de récolter les organismes et d'assurer leur survie avant utilisation.
Mais cette survie ne suffit pas ! Encore faut-il que ces micro-organismes soient en état d'exprimer leurs capacités de biostimulation. Ainsi, conserver une forte densité de micro-organismes vivants mais aussi physiologiquement prêts à entrer en activité est un challenge pour les industriels.
Comment conserver et appliquer
De leur côté, les distributeurs de produits destinés à l'agriculture ont l'habitude de commercialiser des produits de synthèse à très longue DLUO(2). Ils exigent donc, pour les préparations microbiennes, des durées de conservation longues, de l'ordre d'une année. L'idéal pour eux est de pouvoir commercialiser l'année n+1 un produit fabriqué l'année n.
Enfin, la formulation des produits doit non seulement répondre aux exigences évoquées ci-dessus mais offrir une utilisation facile aux agriculteurs. Or les produits biostimulants actuels se présentent en majorité sous forme de poudre. Celle-ci doit être mise en suspension puis, pour l'apport au sol, être pulvérisée à la surface du sol avant d'être enfouie superficiellement. Cette pratique n'est sans doute pas optimale, d'autant qu'elle fait répandre les micro-organismes sur toute la surface de la parcelle alors qu'ils n'interagissent avec la plante que dans la rhizosphère.
Les formulations peuvent évoluer
Ainsi, la mise en oeuvre des Rhizobium en culture de soja a beaucoup évolué depuis leur mise sur le marché. L'inoculum de Rhizobium était le plus souvent formulé dans une tourbe à mélanger avec les semences juste au moment du semis. Après ce mélange, le semis devait avoir lieu rapidement car la survie des bactéries n'était pas assurée.
Pour pallier ce problème, il a fallu mettre au point un additif allongeant la durée de survie du micro-organisme et donnant la possibilité de reporter le semis au lendemain si les conditions météorologiques ne permettaient pas de le faire le jour même.
Nouvelle évolution : actuellement, certaines formulations sont utilisables en enrobage de semences, ce qui facilite le travail de l'agriculteur.
Pourquoi la micro-encapsulation ?
Une technique largement répandue
La micro-encapsulation est une technologie disponible qui peut apporter des réponses aux questions soulevées ci-dessus. Elle consiste à protéger, isoler et/ou vectoriser un composé d'intérêt. Diverses solutions existent, avec des fonctionnalités différentes : libération prolongée de molécules volatiles, protection contre l'oxydation, aide à la formulation... Produites à partir de différents matériaux (agrosourcés, synthétiques, hydrosolubles), les microcapsules obtenues peuvent être intégrées dans de nombreux produits du quotidien : spray, poudre, pâte, granulés...
Cette technologie est très largement utilisée dans des domaines divers : pharmacie, cosmétique, hygiène et même agriculture. En effet, la micro-encapsulation permet de protéger des molécules photosensibles et/ou de contrôler l'émission de substances volatiles. C'est le cas par exemple des phéromones utilisées contre certains insectes ravageurs des cultures.
Deux sociétés se rapprochent
La société Agrene, spécialisée en microbiologie appliquée à l'agriculture, s'est donc rapprochée de la société Creathes, spécialiste de la micro-encapsulation, pour développer un procédé d'encapsulation de micro-organismes biofertilisants ou agents de biocontrôle.
Concrètement, les micro-organismes d'intérêt, bactéries ou champignons, sont incorporés à une matrice qui sera ensuite séchée de manière à obtenir des microcapsules de taille pouvant aller de quelques micromètres à quelques millimètres. Le savoir-faire réside d'une part dans le choix d'une matrice, d'origine naturelle, biodégradable et assurant la conservation du micro-organisme puis son relargage après application, et d'autre part dans le procédé d'encapsulation, en particulier la phase de séchage qui doit laisser survivre les micro-organismes.
Nous avons travaillé avec des champignons et bactéries biostimulants ou agents de biocontrôle. Certaines bactéries comme les Bacillus sont réputées « résistantes » car productrices de spores. D'autres sont plus fragiles, c'est le cas des Pseudomonas et Rhizobium. Pour les champignons, nous avons formulé un Trichoderma et un Fusarium oxysporum non pathogène.
Tests d'encapsulation
Quatre souches microbiennes testées
Dans un premier temps, et quel que soit le micro-organisme concerné, il faut choisir un milieu et un mode de culture adaptés à son développement ou à sa multiplication (fermentation en milieu liquide ou solide), puis un procédé de récolte des propagules (cellules végétatives, spores, fragments de mycélium ou conidies) qui élimine le milieu de culture avec les métabolites secondaires ayant pu s'y accumuler. Ces propagules sont mélangées à la matrice.
Le mélange obtenu est alors soumis à un procédé physique de « mise en forme » et de séchage de manière à obtenir des microcapsules de la taille souhaitée. La survie des micro-organismes est conditionnée par leur résistance à certains paramètres physiques tels que la température et la pression qui doivent respecter la « fragilité » de l'organisme concerné (photos 1, 2, 3 et 4 page précédente).
Pour les souches de Bacillus sp., Trichoderma sp. et Fusarium oxysporum non pathogène, de nombreux essais ont été réalisés en croisant différents paramètres. Ils ont permis d'obtenir des granules de taille et de consistance différentes et de définir des conditions de procédé optimales pour l'obtention de granulés renfermant les micro-organismes viables aux densités souhaitées (soit un minimum de 1 × 106 CFU(3)/g de granulé) et compatibles avec les conditions d'utilisation visées.
Une densité de propagules variable
Le Tableau 1 présente les densités théoriques attendues (calculées en fonction de la quantité de propagules utilisées) et les densités obtenues immédiatement après encapsulation.
On constate que, quels que soient le micro-organisme et le procédé d'encapsulation considéré, la densité observée dans le granulé est inférieure à la densité théorique attendue. Cette « perte », variable selon le micro-organisme, est inférieure à un log(4) pour la souche de Trichoderma sp. et deux log pour celles de Fusarium et de Bacillus utilisées pour cette étude.
Cependant, pour ces trois micro-organismes, chaque microgranulé contient la densité microbienne minimale souhaitée, c'est-à-dire une densité supérieure à 1 × 106 CFU par gramme.
Ce n'est pas le cas pour la souche de Pseudomonas sp., pour laquelle la densité observée est significativement bien plus faible que la densité minimale souhaitée. D'autres procédés devront donc être mis en oeuvre pour améliorer le rendement d'encapsulation de ce type de bactéries « fragiles ». Des essais prometteurs sont en cours.
Tests de conservation des inoculums encapsulés
Les champignons se conservent bien
La seconde étape dans la mise au point du procédé est de s'assurer de la conservation des propagules pendant la durée de stockage nécessaire entre le moment de production et celui de l'application des micro-organismes. Nous avons donc étudié la stabilité des inoculums encapsulés conservés à 20 °C.
Le Tableau 2 montre la bonne conservation d'une souche de Trichoderma sp. encapsulée. La densité de propagules de Trichoderma sp. ne chute que très lentement et très progressivement entre le moment de la production et le neuvième mois de stockage.
La souche de F. oxysporum étudiée se comporte presque comme celle de Trichoderma : elle se conserve parfaitement bien pendant trois mois, puis sa densité chute sensiblement entre le troisième et le sixième mois de stockage, date à laquelle elle s'établit à 5 × 105 (contre 2 × 106 CFU/g juste après encapsulation).
Bactérie : des améliorations nécessaires
Quant à la souche de Bacillus étudiée, elle se révèle beaucoup plus fragile puisque sa densité chute d'un log après un mois de stockage, passant de 1 × 106 à 1 × 105 CFU/g. De plus, elle continue à diminuer au cours du temps et passe en dessous du seuil de détection après 6 mois de stockage.
Il est vraisemblable, au vu des conditions de culture choisies, que ce sont des cellules végétatives et non des spores de Bacillus qui ont été encapsulées. Quoi qu'il en soit, les cellules bactériennes apparaissent plus fragiles, donc plus difficiles à encapsuler que les conidies des champignons. D'autres protocoles de production et d'encapsulation sont à l'étude. Ils pourraient permettre d'améliorer le rendement de cette technologie.
Libération des micro-organismes et colonisation du sol
Tests sur sols en microcosmes
Lors de cette première étude, nous nous sommes intéressés à des micro-organismes susceptibles d'être utilisés en tant que biostimulants à apporter au sol où ils doivent exercer leurs activités bénéfiques pour la plante. Il était donc nécessaire, dans une troisième étape, de s'assurer de la capacité de la microcapsule à libérer le micro-organisme après apport au sol. C'est pourquoi nous avons contrôlé, par analyse microbiologique, la libération des micro-organismes dans des microcosmes de sol et étudié leur dispersion à partir du point de localisation de la microcapsule.
Cette étude a été réalisée pour les trois micro-organismes Trichoderma, F. oxysporum et Bacillus dans un dispositif « microcosme », c'est-à-dire un petit volume de sol placé dans une grande boîte de Petri. Le micro-organisme encapsulé est apporté au sol de manière localisée au centre du dispositif, à une dose donnée. Un suivi de la densité du micro-organisme introduit est réalisé au cours du temps et à des distances connues du point d'introduction. Pour ce faire, des prélèvements ponctuels sont réalisés en suivant des cercles concentriques disposés à une distance croissante du centre de la boîte (Figure 1).
En sol désinfecté, il suffit de quantifier par une méthode classique de suspensions-dilutions la population du micro-organisme introduit. Par contre, en sol naturel, il convient de différencier la souche introduite des populations autochtones appartenant à la même espèce. Pour ce faire, nous avons travaillé avec des souches microbiennes pour lesquelles nous disposions d'un marqueur moléculaire spécifique (SCAR) permettant de quantifier par PCR en temps réel la population de la souche introduite dans le sol au sein de la microflore autochtone.
Résultats
La Figure 2 montre la cinétique de colonisation d'un sol désinfecté inoculé ponctuellement par la souche de Bacillus sp. encapsulée. Les deux courbes sont d'abord superposées, indiquant une libération rapide dans le sol de la bactérie apportée par la capsule, mais au-delà du troisième jour les courbes se différencient montrant que le procédé d'encapsulation choisi joue un rôle sur la vitesse de colonisation du sol par la souche de Bacillus. On peut penser que c'est la nature de la matrice d'incorporation qui différencie ces deux types de capsules.
La Figure 3 quant à elle montre que la souche de Trichoderma sp. encapsulée est rapidement libérée dans le sol qu'il soit désinfecté ou non. La vitesse de colonisation est naturellement beaucoup plus rapide en sol désinfecté mais, bien que plus lentement, Trichoderma colonise aussi le sol porteur de microflore autochtone car non désinfecté. Cette différence de vitesse de colonisation est conforme à ce qui est attendu entre un sol désinfecté et un sol non désinfecté, et sans rapport avec la formulation encapsulée.
Efficacité au champ
Une prochaine étape prévue
Enfin, la dernière étape pour valider ce travail consistera à réaliser des expérimentations au champ pour vérifier que les micro-organismes introduits sont présents et expriment les activités bénéfiques pour lesquelles ils sont introduits dans les cultures.
Nous sommes en cours de négociation avec des stations expérimentales pour réaliser ce type de tests visant à comparer l'efficacité d'une même dose d'apport, soit localisé à la raie de semis grâce à l'encapsulation, soit pulvérisé sur toute la surface de la parcelle comme pratiqué actuellement.
Un outil prometteur
Un procédé à adapter à chaque souche
Cet article résume les principales étapes d'un travail de recherche/développement en cours. Il existe d'autres matrices et d'autres procédés d'encapsulation à expérimenter pour améliorer le rendement de la technologie. Parmi tous les essais réalisés, nous avons choisi de présenter les résultats obtenus avec des micro-organismes résistants et d'autres sensibles aux stress (température, pression, dessèchement) subis pendant le processus d'encapsulation.
Des progrès sont possibles, mais nous pensons apporter ici la preuve de la validité de cette approche de formulation de préparations à base de micro-organismes destinées à être apportées aux sols.
Les résultats montrent qu'il n'existe pas de procédé unique permettant d'encapsuler efficacement n'importe quel micro-organisme. Ces organismes montrent en effet une extrême diversité de comportement, d'aptitude à la survie, de résistance aux stress, y compris au sein d'une même espèce microbienne. Il faudra adapter à chaque souche microbienne le procédé dont la validité vient d'être démontrée.
Avantages attendus
L'encapsulation présente plusieurs avantages par rapport à la formulation actuelle sous forme de poudre : elle réduit les risques pour l'utilisateur et permet de localiser l'inoculum au niveau de la raie de semis, donc, pour une même dose/ha, d'augmenter la densité des micro-organismes dans la rhizosphère de la jeune plantule, là où leur activité est attendue. Cette technologie est susceptible d'être utilisée non seulement pour des biostimulants mais aussi pour des agents de biocontrôle.
(1) Matières fertilisantes et supports de culture. Ceux aux compositions simples (ex. : engrais minéraux type « NPK ») sont simplement normalisés. D'autres, notamment les biostimulants, doivent avoir une AMM (autorisation de mise sur le marché) comme fertilisant. Précision : un micro-organisme à activité biostimulante ne peut, par ailleurs, revendiquer une action phytosanitaire (ex. : lutte contre le mildiou) que s'il a une AMM en tant que produit phytopharmaceutique (qui sera reconnu de biocontrôle si la souche est naturelle). (2) Date limite d'utilisation optimale. (3) Il ne s'agit pas ici des initiales de « Championnat de France universitaire » mais de celles de « colony-forming unit », autrement dit « unité formant colonie ». par exemple, une spore est une CFU. (4) Il s'agit du log base 10, c'est-à-dire que 102 correspond à 100 et 106 à 1 million.
Fig. 2 : Influence du type d'encapsulation
Colonisation par Bacillus sp. d'un sol désinfecté, après inoculation localisée. On voit l'influence du procédé d'encapsulation sur la capacité de la souche à coloniser le sol.
Fig. 3 : Influence de l'état du sol (désinfecté ou non)
Colonisation, par Trichoderma sp., d'un sol désinfecté ou non après apport localisé d'un inoculum encapsulé. Le sol désinfecté est colonisé plus vite. Cependant, le champignon conserve une capacité de colonisation même en présence d'une microflore autochtone (cas du sol non désinfecté).