DOSSIER - Pomme de terre

Produits phytopharmaceutiques pour la pomme de terre

MARIANNE DECOIN, Phytoma. - Phytoma - n°710 - janvier 2018 - page 35

Quelles sont les tendances côté innovations ? le traitement des plants ou du sol fait jeu égal avec celui des étapes suivantes, et le biocontrôle monte en puissance. Par ailleurs, des produits « conventionnels » sont, disons, chahutés.
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symptômes de rhizoctone.  K. Bouchek - FN3PT/INRA-IGEPP

symptômes de rhizoctone. K. Bouchek - FN3PT/INRA-IGEPP

La protection phytosanitaire de la pomme de terre a vu sept innovations en un an... ou plutôt six ! La septième est suspendue. En même temps, un défanant est exclu du marché... Récapitulons, en commençant par les six nouveaux produits autorisés à ce jour

Protection des plants contre des maladies

Fongicide de biocontrôle

Trois nouveaux produits sont destinés à protéger les plants de pomme de terre, autrement dit les tubercules destinés à la plantation. Deux d'entre eux sont fongicides (Tableau 1 page suivante).

Le plus original est probablement Proradix, à base d'une souche bactérienne du genre Pseudomonas. Selon la décision d'AMM (autorisation de mise sur le marché), il a montré une efficacité contre le rhizoctone et l'helminthosporiose.

Le détenteur de cette AMM est Sourcon Padena, société domiciliée en Allemagne. Koppert avait développé le produit jusqu'en 2014 mais la collaboration a cessé. Interrogé, Sourcon Padena déclare ne pas avoir définitivement déterminé qui sera la distributeur en France. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une poudre à appliquer sur les tubercules avant ou juste au moment de la plantation. Comme c'est un micro-organisme vivant, sa durée de stockage est limitée à six mois au froid et quatre mois à température ambiante. Passé ces délais, les bactéries seront moins vivaces et donc moins efficaces.

Attention, la « température ambiante » ne doit pas dépasser 22 °C ! Cette exigence est facile à satisfaire durant les mois d'hiver et de début de printemps, mais il faut être vigilant dans les toutes dernières semaines avant la plantation.

Le produit a été autorisé récemment : décision d'AMM publiée le 13 novembre dernier. Au moment où nous mettons sous presse, il n'est pas encore inscrit sur la liste officielle des produits UAB (utilisables en agriculture biologique) ni sur celle dite de biocontrôle L. 253-5(1). Mais il est composé d'un micro-organisme naturel et il est non classé sur les plans toxicologique et écotoxicologique : il a donc toutes les caractéristiques pour figurer sur les deux listes.

Fongicide classique

Le second fongicide de protection des plants se nomme Sercadis. Ce produit de BASF Agro était déjà connu sur d'autres cultures (céréales, vergers, vigne). Son extension d'usage concrétise l'arrivée sur pomme de terre d'une substance active inédite sur la culture, à savoir le fluxapyroxad (Tableau 1).

Ceci étant, il s'agit d'un SDHI(2) ; il a donc le même mode d'action que le flutolanil déjà utilisé en traitement des plants de pomme de terre, dans Iota P et Rialto.

Le nouveau produit, considéré comme efficace contre le rhizoctone et présenté sous forme liquide (c'est une SC, suspension concentrée), est applicable aussi bien en traitement des plants qu'en traitement du sol lors de la plantation. Dans ce cas, il doit être localisé sur la ligne de plantation.

Protection des plants contre des insectes

Premier antitaupin de biocontrôle sur pomme de terre

Le troisième produit de protection des plants est un insecticide. Nommé Naturalis et proposé par De Sangosse, il a été autorisé sur pomme de terre en même temps que sur de nombreuses autres cultures maraîchères, fruitières et florales.

Il vise les ravageurs du sol, précisément les taupins (Tableau 1). Étant à base d'une souche de Beauveria bassiana, un champignon entomopathogène, c'est un bio-insecticide. Tout comme le biofongicide à base de Pseudomonas, il n'est pas encore reconnu UAB et de biocontrôle L. 253-5. Mais, là encore, c'est parce que son AMM est trop récente : elle a été publiée le 20 novembre dernier. Étant, lui aussi, à base d'un organisme vivant naturel et « non classé tox et écotox », il devrait à terme intégrer les deux listes. Ce sera ainsi le premier produit de biocontrôle à être autorisé contre les taupins sur pomme de terre.

Formulé en phase liquide, ce produit s'applique en traitement du sol (« Tsol ») sur pomme de terre. Le majorité de ses autres usages étant en « TPA », traitement des parties aériennes (application sur la végétation), De Sangosse dispose encore de peu de données techniques pour l'usage spécifique Tsol/taupin/pomme de terre.

Protection en végétation

Biocontrôle antichenilles

Une troisième nouveauté de biocontrôle autorisée récemment s'applique en végétation. C'est Delfin, de Certis Europe.

Ce bio-insecticide à base de Bacillus thuringiensis sous-espèce kurstaki (en abrégé « Btk ») est reconnu UAB depuis des lustres et a intégré la liste biocontrôle L. 253-5 en mars 2017. En 2017, il a obtenu une extension d'usage sur diverses cultures, dont la pomme de terre (Tableau 2). Cette extension concerne officiellement les chenilles phytophages, mais Certis recommande le produit contre la teigne de la pomme de terre Phthorimaea opercullela.

Certes, un autre produit à base de Bt est déjà autorisé sur pomme de terre : il se nomme Novodor SC. Mais son principe actif est une autre sous-espèce de la bactérie, le Btt pour « tenebrionis » et ne vise pas des chenilles (larves de lépidoptères) mais les larves d'un coléoptère, le doryphore. L'arrivée du produit à base de Btk est donc bien une nouveauté pour la filière pomme de terre.

Désherbage : association inédite

Revenons aux produits conventionnels avec un nouvel herbicide, lui aussi autorisé sur pomme de terre en même temps que sur d'autres cultures.

Proposé par Adama France, son premier nom de marque est Tavas mais il est connu sous son second nom, à savoir Elysium (Tableau 2). Il associe la métribuzine et le diflufénicanil (DFF). La métribuzine était déjà autorisée pour désherber la pomme de terre, soit seule, soit associée au flufénacet, à la clomazone ou au prosulfocarbe, mais l'association avec le DFF est inédite. De plus, cette dernière substance n'était pas encore autorisée sur pomme de terre. Même si elle partage son mode d'action avec la flurochloridone (inhibition de la même enzyme nommée désaturase, et même classement dans le groupe F1 du HRAC(3)), c'est quand même une innovation. Ceci étant, le produit ne devrait pas être disponible pour la pomme de terre en 2018...

Post-récolte

La sixième nouveauté s'utilise sur les tubercules, mais surtout pas ceux destinés à la plantation ! C'est un antigerminatif de post-récolte.

Nommé Dormir, ce produit de la société écossaise Dormfresh est commercialisé en France par BASF Agro. Il est à base de 1,4 diméthyl-naphtalène, en abrégé 1,4 DMN. Selon Arvalis-Institut du végétal, qui l'a testé, il « vient enrichir la gamme de produits autorisés pour des applications en stockage : le chlorprophame (CIPC), l'huile de menthe et l'éthylène ».

Ce nouveau produit est à appliquer en post-récolte, par thermonébulisation à chaud ou à froid dans les locaux de stockage, et ceci au moins 30 jours avant la commercialisation des pommes de terre.

Deux exclusions de produits

Un petit tour et puis s'en va

Par ailleurs, durant l'automne 2017, l'actualité de la protection de la pomme de terre comprend deux exclusions de produits : une suspension provisoire qui est un épisode d'un feuilleton en cours, et un véritable retrait.

La suspension d'abord. Il s'agit de celle de Closer quelques semaines après son autorisation.

Premier épisode, cet insecticide de Dow AgroSciences à base de sulfoxaflor avait été autorisé en septembre dernier sur plusieurs usages, en particulier contre pucerons sur pomme de terre. Deuxième épisode, cette AMM a été attaquée en justice par l'association GF (Générations Futures) aux motifs que :

- le sulfoxaflor serait un néonicotinoïde, or cette famille d'insecticides doit être interdite en France à partir de septembre 2018 pour cause de toxicité notamment sur les abeilles et autres pollinisateurs ;

- l'Anses(4) aurait autorisé le produit sans attendre des informations confirmatives demandées par les autorités européennes lors de l'approbation de la substance.

Troisième épisode, lors d'une audience en référé (procédure d'urgence), Dow Agro-Sciences a plaidé que :

- le sulfoxaflor ne serait pas un néonicotinoïde car son mode d'action, certes proche, serait différent (la preuve en serait qu'il n'y a pas de résistance croisée et qu'il n'est pas placé dans le même groupe IRAC(5) que les néonicotinoïdes) ;

- vu sa faible persistance, les risques (réels ou non) pour les abeilles liés au fait que les néonicotinoïdes allient systémie et persistance ne le concerneraient pas ;

- l'autorisation par l'Anses était accompagnée de restrictions liées à l'absence des données ; en clair, les usages pour lesquels il manquait encore des données n'auraient pas été autorisés.

De son côté, l'Anses a rappelé que les AMM ne sont pas délivrées sur la base de la classification chimique des substances mais au vu de l'évaluation scientifique de l'efficacité et des risques propres à chaque produit et pour chaque usage, l'AMM n'étant délivrée que sur la base d'un dossier contenant l'ensemble des données nécessaires à cette évaluation.

Pour information, les données confirmatives demandées ont été fournies par Dow à l'Union européenne, laquelle les a transmises à la France, et l'Anses est en train de les examiner. Son avis est attendu en février prochain.

Pour sa part, GF a plaidé que :

- le sulfoxaflor serait tout de même un néonicotinoïde, la proximité des modes d'action étant trop forte et les distinctions entre groupes IRAC étant contestables car ce comité est une émanation des firmes ;

- les restrictions existantes ne seraient pas suffisantes, notamment celle de ne pas traiter moins de cinq jours avant la floraison car la date d'une floraison cinq jours avant la date supposée ne pourrait pas être garantie.

Quatrième épisode, le juge a statué : en l'absence de jugement sur le fond, par précaution, il a suspendu les AMM des produits à base de sulfoxaflor le 24 novembre. Et maintenant ? On attend la suite :

- tout d'abord, la contestation de la suspension devant le Conseil d'État par Dow, annoncée mais pas encore effective à notre connaissance ;

- ensuite, l'avis de l'Anses sur les nouvelles données fournies par l'Europe, attendu donc pour février ;

- enfin, le jugement sur le fond des griefs fournis par GF, auquel s'est adjointe l'Unaf (Union nationale de l'apiculture française).

Pour l'instant, la vente des produits est suspendue, et les distributeurs qui en avaient acheté entre la publication de l'AMM et la suspension ne peuvent les revendre aux agriculteurs.

Glufosinate retiré

La deuxième décision est le retrait du marché français de tous les produits à base de glufosinate-ammonium autorisés en France, le principal se nommant Basta F1 (les autres sont des produits de revente).

Cet HNS (herbicide non sélectif) de contact était utilisé sur pomme de terre pour le défanage. Il était autorisé en France depuis le début des années 1990.

L'Anses a eu à réexaminer le dossier en 2017 et a estimé que, à la lumière des exigences actuelles, le glufosinate ne « passe plus » (il est classé reprotoxique présumé, « peut nuire à la fertilité »). D'où le retrait.

Ailleurs dans le monde, les utilisations continuent... En France et en pratique :

- les distributeurs n'ont plus que jusqu'au 24 janvier 2018 pour écouler leurs stocks ;

- les agriculteurs ont jusqu'au 24 octobre pour les utiliser ; un dernier défanage avec ce produit sera donc possible en 2018 ; après, c'est terminé !

(1) Autrement dit « figurant sur la liste des produits de biocontrôle au sens des articles L. 253-5 et L. 253-7 du code rural ». Pour intégrer cette liste, une spécialité doit être de biocontrôle (à base de micro-organisme, médiateur chimique, substance naturelle ou copie conforme) et aussi ne pas présenter certaines toxicités. (2) Succinate-DesHydrogenase Inhibitor, inhibiteur de la succinate déshydrogénase (une enzyme). (3) Herbicide Resistance Action Committee. Comité international regroupant des scientifiques spécialistes des herbicides des principaux groupes agrochimiques mondiaux. Classe les herbicides par mode d'action et édite des recommandations internationales pour prévenir et gérer les phénomènes de résistance aux herbicides. (4) Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.(5) Insecticide Resistance Action Commitee. Est aux insecticides de ce qu'est le HRAC pour les herbicides.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - En 2017, l'autorisation de produits phyto destinés à la pomme de terre a connu huit événements notables.

NOUVEAUX PRODUITS - Six produits nouveaux ont été autorisés en un an. Trois visent à protéger les plants : deux fongicides antirhizoctone dont un de biocontrôle à base d'une souche de Pseudomonas (actif aussi sur l'helminthosporiose), et l'autre à base de fluxapyroxad, et un insecticide de biocontrôle à base de Beauveria bassiana contre les taupins.

Deux s'utilisent en végétation : un insecticide de biocontrôle à base de B. thuringiensis kurstaki visant la teigne de la pomme de terre et un herbicide à base de dilfufénicanil et de métribuzine.

Le dernier est un antigerminatif de post-récolte à base de 1,4 DMN.

SUSPENSION, RETRAITS - Par ailleurs, un insecticide à base de sulfoxaflor autorisé en 2017 est actuellement suspendu, et les défanants à base de glufosinate-ammonium sont retirés du marché.

MOTS-CLÉS - Pomme de terre, produits phytopharmaceutiques, produits phyto, biocontrôle, AMM (autorisations de mise sur le marché), retraits.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : m.decoin@gfa.fr

LIENS UTILES : www.hracglobal.com

www.irac-online.org

www.anses.fr/fr

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