1. Ventilateur centrifuge utilisé pour refroidir les grains à l'air ambiant sur le site d'Axéréal, à Pouilly-sur-Loire. Il a été laissé en fonctionnement sur un des groupes de six cellules, pour comparer ses performances à celles de la ventilation réfrigérée. Photos : 1. Axéréal - 2. FrigorTec - Vignettes haut de page : Pixabay
Fig. 1 : Test chez Axéréal, efficacité de la ventilation réfrigérée Refroidissement d'une cellule d'orge avec le groupe frigorifique FrigorTec.
Refroidir les grains : air ambiant ou réfrigéré
Une solution réputée onéreuse
Le refroidissement des grains peut représenter une alternative aux produits phyto, soit en se substituant à ces derniers, soit en permettant de réduire leur utilisation. La technique majoritairement utilisée en France est celle de refroidissement des grains à l'air ambiant. Mais, actuellement, de par le changement climatique et l'augmentation des prix de l'énergie, cette technique de refroidissement des grains est de plus en plus difficile à mettre en oeuvre.
La solution de la ventilation réfrigérée existe depuis une vingtaine d'années en France. Le type de matériel utilisé, souvent mobile, vient remplacer le ventilateur classique. Mais bien souvent, cette solution est réputée trop onéreuse, voire trop énergivore. Cette croyance est-elle fondée ? Pour apporter des éléments de réponse, un essai de matériel et des témoignages d'utilisation de ce type de matériel en routine sont présentés ici.
Axéréal innove avec la ventilation réfrigérée
Comparaison ambiante/froide
La société Axéréal a réalisé un essai dans la Nièvre, sur son site de Pouilly-sur-Loire. Celui-ci comprend un silo vertical de douze cellules doublées, réparties en deux groupes de six cellules d'une capacité de 2 500 tonnes chacune.
Chaque groupe possède son circuit d'alimentation en air et son ventilateur centrifuge. Pour cet essai, un des deux ventilateurs centrifuges habituels a été laissé en place (voir photo 1). L'autre a été retiré et remplacé par un groupe frigorifique de marque FrigorTec, modèle Granifrigor KK 320 Europe (voir photo 2). Il s'agit de comprimer l'air ambiant, le refroidir, puis le faire circuler dans les gaines qui viennent irriguer le grain en air frais.
Conduite de l'essai
Toutes les cellules sont équipées de silothermométrie. C'est ce qui a permis, durant l'essai, de suivre l'évolution de la température du grain. En complément de ce paramètre, les consommations électriques et les durées de ventilations ont été enregistrées.
À la moisson, l'essai a commencé dès que les cellules étaient pleines. Des configurations ont été choisies : une puis deux cellules de céréales à paille ont été ventilées. Les deux types de ventilation ont été déclenchés : la ventilation à l'air ambiant, qui tourne uniquement la nuit quand les températures de l'air ambiant sont inférieures à 18 °C, et la ventilation à l'air réfrigéré qui tourne 24 h/24 hors périodes caniculaires.
Un grain davantage refroidi pour une même consommation électrique
Le groupe frigorifique tourne 24 h/24. Il a une puissance totale de 34 kW (compresseur froid, ventilateur, auxiliaires) contre 75 kW pour le ventilateur centrifuge.
À la moisson, en ventilant une cellule d'orge à la fois, sur la même période (de début à mi-juillet 2017), quel que soit le type de refroidissement, il a coûté 0,021 €/tonne refroidie/°C de refroidissement. Le groupe frigorifique a abaissé la température du grain de 12,9 °C là où l'air ambiant permet de la diminuer de 9,4 °C. Le refroidissement d'une cellule d'orge est donc plus important avec le groupe frigorifique (voir Figure 1 : refroidissement d'une cellule d'orge avec le groupe frigorifique testé).
Néanmoins, le groupe ayant été dimensionné pour refroidir deux cellules simultanément, les résultats suivants montrent que le groupe est plus performant dans ces conditions. Pour la ventilation en multi-cellules (deux cellules à la fois), les consommations électriques sont comparables (0,020 €/tonne refroidie/°C pour l'air ambiant contre 0,021 €/tonne refroidie/°C pour l'air réfrigéré), et là encore, l'amplitude de refroidissement est de 9,4 °C pour l'air réfrigéré contre 5,3 °C pour l'air ambiant.
Ainsi sur ce premier palier, juste à la moisson, le refroidissement à l'air réfrigéré permet, sur la même durée que la ventilation à l'air ambiant, de refroidir le grain d'une amplitude quasiment double pour une consommation électrique comparable. En effet, la ventilation réfrigérée travaille avec un débit d'air plus faible que celle à l'air ambiant, mais avec une différence de température entre air et grain beaucoup plus élevée. Les pertes causées par la compression de l'air sont beaucoup plus faibles qu'avec la ventilation à l'air ambiant.
Ces résultats sont prometteurs et les essais vont se poursuivre en 2018. L'objectif est de tester ces machines sur d'autres types de silos, afin de générer des éléments pour piloter au mieux le refroidissement des grains et anticiper les changements météorologiques et réglementaires à venir.
Le froid à La Scara : un parti pris de longue date
La pratique appliquée
Dans l'Aube, sur le site de La Scara, à Arcis-sur-Aube (photo 3), Fabrice Dantigny (photo 4), responsable du silo, utilise trois appareils de la marque italienne Borghi (photo 5) pour refroidir 85 000 t de grains.
Dans ce silo composé de cellules en béton, la marchandise (orge de brasserie, blé tendre et colza) est refroidie en deux passes.
Une première passe, réalisée dès la moisson, permet de refroidir le grain autour de 18 °C. Ainsi, toute la capacité de stockage est refroidie entre 15 et 18 °C autour de mi-août. Ensuite, une seconde passe est réalisée à partir de fin août. L'objectif est de baisser la température autour de 12 °C le plus rapidement possible. Rappelons que les insectes de stockage éventuellement présents ne se développent pas (ni ne se nourrissent) à des températures inférieures ou égales à 12 °C. Début décembre, tous les grains ont une température inférieure à 12 °C.
Des atouts confortés par l'expérience
Les avantages de cette démarche reposent sur le fait que les orges de brasserie, y compris les orges de report, conservent ainsi une faculté germinative supérieure à 98 % jusqu'à 24 mois de conservation, et pas une goutte d'insecticide de stockage n'est appliquée sur cette marchandise. De plus, durant l'été, les groupes froids fonctionnent majoritairement sur les heures EDF d'été. Le coût est ainsi abaissé comparé à une ventilation à l'air ambiant.
Les trois appareils présents sur ce site tournent 24 h/24. Fabrice Dantigny les pilote en ventilant plusieurs cellules à la fois. Avec vingt ans d'expérience dans le froid, il a observé que « refroidir une cellule de 46 m de haut prend onze jours, alors que cinq cellules simultanément en prend seize »... De nouvelles perspectives s'ouvrent donc pour la conduite de ce type de refroidissement !
Val de Gascogne : des blés aux petits oignons
De l'air ambiant au froid
Dans le Gers, au silo de Sainte-Christie de la coopérative Val de Gascogne, le centre de travail du grain est équipé d'un groupe froid qui prend soin des blés engagés dans des démarches qualité (blé tendre CRC culture raisonnée contrôlée et blé dur Moisson d'or Croix de Savoie), afin d'assurer une conservation optimale de ces denrées.
Le silo est composé de dix-huit cellules de 500 tonnes, d'une hauteur de 21 mètres chacune (photo 6). Le refroidissement du grain est une réponse de la coopérative pour les contrats sans traitement insecticide des grains. Outre les investissements et la formation sur la ventilation à l'air ambiant, la coopérative a voulu aller plus loin. En 2005, elle a investi dans un groupe froid de la marque suédoise Swegon (photo 7).
Ce groupe froid, à l'origine mobile, a été installé à poste fixe sur le centre de travail du grain. L'équipe de silotiers a su trouver les clés du pilotage du groupe froid. La maintenance et le suivi de ce matériel sont assurés par un frigoriste local.
La procédure actuelle
À la moisson, dès que les cellules sont au tiers pleines avec une température du grain comprise entre 30 et 35 °C, la ventilation réfrigérée est mise en route pour ramener le grain à une température proche de 20 °C (premier palier). Si les nuits sont suffisamment fraîches, la ventilation à l'air ambiant est utilisée en substitution du groupe froid.
Un deuxième palier à l'air réfrigéré est réalisé au début de l'automne pour baisser la température du grain entre 12 à 15 °C.
Le troisième palier se fera à l'air ambiant en hiver afin de descendre la température entre 5 et 10 °C permettant ainsi une bonne conservation du grain.
Ainsi, en février 2018, chaque cellule du centre du travail du grain avait été ventilée 410 heures en moyenne depuis la collecte d'été et les températures du grain y sont comprises entre 8 et 14 °C.
Comme le dit Philippe Pisoni, responsable de l'activité céréale chez Val de Gascogne, « dans le sud-ouest de la France, compte tenu de la température à laquelle le grain entre dans les silos au moment de la collecte (30 à 35 °C) et du peu de nuits fraîches à la moisson, le groupe froid est nécessaire si nous voulons assurer une bonne conservation afin de pouvoir continuer de maintenir et développer notre politique de démarche qualité pour les blés tracés ».
Bien maîtriser le dimensionnement
Le froid peut être « récalcitrant »
Jean-Louis Sonnet, responsable maintenance pour la coopérative Qualisol, a essayé un groupe froid d'une autre marque que celles citées plus haut, dans un silo bio.
Ce silo comprenait une galerie de 75 m de long, approvisionnant en air vingt-deux cellules d'une capacité de 500 tonnes en lin, maïs et blé.
Le matériel utilisé durant une campagne n'a pas permis de refroidir les cellules. « Pour des cellules type Privé, ce matériel aurait pu donner satisfaction. Mais dans ces conditions, la pression produite ne permettait pas à l'air de traverser la colonne de grain. »
Il faut donc porter attention au dimensionnement de ce type de machine : il dépend de la capacité de stockage à refroidir et du type de grain. Cette expérience n'est malheureusement pas isolée et montre l'importance d'une évaluation approfondie en amont de l'installation de la machine.
Le pilotage est également une donnée importante : être correctement conseillé sur les réglages de la machine fait partie intégrante de la prestation de mise en route de ladite machine.
Repousser les limites
La ventilation réfrigérée est une technologie qui suscite l'intérêt pour refroidir le grain le plus rapidement possible dès la moisson. Néanmoins, vigilance : le dimensionnement et le pilotage sont de nouveaux domaines pour les silotiers. Voilà un nouveau défi qui repousse les limites de ce que l'on pensait savoir sur la ventilation avec notre expérience de celle à l'air ambiant !
RÉSUMÉ
1 - FrigorTec : choisir le bon modèle et se faire accompagner, du projet à la mise en route
M. Fröscher, commercial chez FrigorTec : « Il faut toujours prendre en compte les conditions de chaque site : géométrie des cellules, espèces stockées, climat local, etc. Ceci permet de choisir le modèle de groupe froid qui assure un bon refroidissement et a des coûts d'investissement et d'exploitation les plus faibles possible. »
Pour cela, FrigorTec accompagne les clients, du projet à la mise en route et même au-delà.
« Un autre aspect important et le système de distribution d'air dans la cellule. Sur cet aspect, on a peu de soucis en France parce qu'il y a pratiquement partout des systèmes de ventilation à l'air ambiant qui permettent toujours l'adaptation pour la ventilation réfrigérée. » Comment réaliser cette adaptation ?
« Dans certaines installations, il est possible de laisser en place les ventilateurs classiques, et c'est indispensable s'il s'agit d'un système de vidange/ventilation. Sinon, on peut retirer le ventilateur, car le groupe froid peut fonctionner aussi comme simple ventilateur quand il fait suffisamment frais dehors. » Pour assurer le succès de la ventilation réfrigérée et bien négocier le tournant après des habitudes prises avec la conduite de la ventilation à l'air ambiant, il faut avoir un partenaire possédant une bonne connaissance des métiers du grain et de l'ingénierie du froid.
2 - Axéréal : importance du pilotage du froid
La ventilation réfrigérée entre sur la pointe des pieds chez Axéréal.
Didier Habert, directeur des flux, a suivi les essais de la machine allemande de la marque FrigorTec à la moisson 2017 : « Il ne faut pas avoir d'a priori. Ce type de machine nous pousse à remettre en question nos pratiques. Malgré des débits et des pressions plus faibles que la ventilation à l'air ambiant, cette machine a montré une bonne efficience. Les notions de paliers, de dose spécifique n'ont plus le même sens. Il faut oublier ce que l'on sait pour apprendre cette pratique. » Une formation au pilotage comme celle montrée ci-dessus est nécessaire.
« Dans le silo d'essai, malgré une température ambiante de 30 °C durant l'été, les 5 000 tonnes de céréales ventilées perdaient 1 °C par jour. »
Sur la même période, pour un coût électrique équivalent, la ventilation réfrigérée refroidit davantage que celle à l'air ambiant.
Mais ce premier constat nécessite validation. Pour la moisson prochaine, quatre nouvelles machines prendront place sur les sites d'Axéréal, afin de valider ce procédé de refroidissement dans toutes les configurations rencontrées à l'échelle de cette coopérative.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : maud.mathie@technigrain.com
ARCHIVE : - Mathie M., 2016, Tirer parti de la ventilation de refroidissement des grains (sur la ventilation à l'air ambiant), Phytoma n° 696, août-septembre 2016, p. 28 à 30.