Voici le témoignage de onze années de gestion d'un espace végétalisé attaqué par les maladies du buis les plus redoutées, dans un cimetière suisse. Il en ressort qu'une méthode destinée initialement à maîtriser les adventices peut se révéler une bonne pratique contre ces maladies !
La situation en 2007
Un végétal omniprésent
Le buis est depuis toujours une composante très importante de l'ornement végétal et de l'architecture du cimetière du Bois-de-Vaux, à Lausanne (Suisse). Cet espace possède environ 4 000 emplacements avec bordure de buis (Buxus sempervirens suffruticosa) et 5 km de haies (Buxus sempervirens rotundifolia) sur une surface d'environ 24 hectares (photo 1). Cette densité spécifique est due au règlement du cimetière (article 68b), selon lequel « seuls sont admis les entourages en buis à petites feuilles ou en dur, à l'exclusion de ceux en bois, en métal ou en ardoise ». C'est donc avec beaucoup d'attention qu'en juillet 2007 les responsables du lieu ont constaté le dépérissement du feuillage de plusieurs centaines de bordures de buis.
Après avoir fait appel aux spécialistes de l'Hepia de Genève pour en déterminer la cause, les coupables ont été identifiés : deux champignons pathogènes du nom de Volutella buxi et Cylindrocladium buxicola. L'infection s'est introduite après la plantation d'une bordure par des usagers ayant acheté les buis dans une jardinerie de la région lausannoise. Ces buis provenant d'une pépinière française étaient contaminés mais ne présentaient pas encore de symptôme de maladie lors de leur implantation.
Entretien du buis et état du sol lors de l'apparition des maladies
Largement utilisé depuis le début de la construction du cimetière dans les années 1920, le buis n'avait pas posé de problème majeur jusqu'en 2007. L'entretien se résumait à une taille annuelle à l'aide des cisailles à mains, l'arrosage d'été à la lance ou aux tourniquets et un apport d'engrais organo-minéral au printemps.
Cependant, à partir du début des années 1980, les jardiniers ont commencé à faire usage de désherbants chimiques pour éliminer les herbes indésirables autour des emplacements. Ce sont surtout des herbicides à base d'atrazine qui ont été pulvérisés jusqu'à la fin des années 1990, période de leur interdiction déterminée par la réputation cancérigène de cette substance et la réalité d'une forte quantité résiduelle de la molécule dans le sol.
Le sol autour des buis était donc dépourvu de couverture pendant toute l'année. Cette mise à nu a provoqué un appauvrissement au niveau des micro-organismes du terrain et une perte de la fertilité, accrue par la présence constante de molécules chimiques actives à toute saison. Au moment de l'apparition des maladies, seules des mousses et des algues terrestres poussaient sur le sol du cimetière.
Développement et propagation des pathogènes
Conditions nécessaires
La température optimale pour la croissance de Cylindrocladium buxicola et de Volutella buxi est de 25 °C, la croissance s'arrête en dessous de 5 °C et au-dessus de 30 °C. Une période de sept jours à 33 °C provoque la mort du champignon. En Suisse, de telles conditions n'existant pas même pendant des étés très chauds, on ne peut pas compter sur une disparition naturelle de ces deux champignons.
Pour l'infection, qui peut se faire directement à travers la cuticule foliaire saine, le champignon a besoin d'un film d'eau à la surface de la feuille durant 5 à 7 heures. Dans les débris des plantes malades, le pathogène forme des chlamydospores, c'est-à-dire des spores résistantes qui peuvent survivre pendant plusieurs années.
Des mesures exceptionnelles pour faire face aux dégâts
Dans un premier temps, le buis subit une défoliation quasi complète. Les feuilles repoussent ensuite pendant un à deux ans à partir de la première attaque mais, dès que les réserves du végétal s'épuisent, la plante meurt.
Étant donné l'ampleur des dégâts et la virulence de l'attaque qui ne cessait de s'élargir, des mesures exceptionnelles, immédiates et très rigides ont été prises pour tenter d'endiguer l'expansion des maladies : arrachage des bordures malades, veille sanitaire et mise en quarantaine du cimetière, traitements traditionnels au moyen des produits phytosanitaires de synthèse, désinfection des outils et des chaussures lors de la taille annuelle des bordures.
Quatre années de tentatives
2007-2008 : lutte fongicide classique
Plusieurs produits fongicides ont été utilisés en alternance, en 2007 et 2008. Ce sont les suivant : Switch 0,15 %, Slick 0,05 %, Sportak 0,1 % et Rondo DG 0,1 %.
Cette lutte avec des produits phytosanitaires de synthèse est efficace pour arrêter la propagation des maladies et stopper les dégâts sur les plantes si le temps est favorable, mais dès que les conditions météorologiques redeviennent propices aux champignons, l'infection se remet immédiatement en fonction et il faut traiter à nouveau.
Pour traiter l'intégralité des bordures de buis du Bois-de-Vaux, il faut compter environ une semaine de travail à deux personnes : ce temps doit être pris au détriment d'autres travaux importants d'entretien du site, qui se déroulent de mai à septembre.
Les traitements chimiques ont donc été abandonnés au bout de deux ans car les résultats étaient de trop courte durée par rapport aux moyens employés.
2009-2010 : essais de diversification
Dès 2009 et en collaboration avec l'Hepia, les responsables du cimetière ont mis en place des solutions alternatives ainsi que des essais pour tenter de faire face à une infection qui semblait être devenue impossible à interrompre :
- plantation d'une nouvelle variété de buis, le Buxus microphylla <201B>Faulkner' ;
- essai de lutte microbiologique ;
- essai de plantation d'espèces visuellement proches du buis (Lonicera nitida, Euonymus japonicus « Green Rocket », Ilex crenata et Taxus baccata) en vue d'un changement au niveau du règlement.
Essais décevants
Le Buxus microphylla 'Faulkner' n'est pas résistant aux maladies. Certes, le port de cette espèce de buis, plus ouvert et aéré que celui du Buxus sempervirens suffruticosa, permet un séchage plus rapide du feuillage par temps humide et pluvieux, mais ce n'est pas suffisant pour le protéger complètement des deux champignons.
La lutte microbiologique, dont le but était de renforcer la résistance des plantes, a été abandonnée après deux années d'essais menés par le personnel du cimetière en collaboration avec les spécialistes de l'Hepia, faute de résultat concret. La liste des huit micro-organismes testés à partir du printemps 2009 jusqu'en automne 2010 est la suivante :
- Trichoderma harzianum (produit TC + Stim C, Biovitis, France) ;
- Pseudomonas fluorescens souche Pf153 (produit Biofitac, Biophyt, Suisse) ;
- Pseudomonas syringae (produit Biosave P-10, États-Unis) ;
- Bacillus subtilis (produit Serenade, Andermatt Biocontrol, Suisse) ;
- Gliocladium catenulatum (produit Verdera TurfPG, Verdera, Finlande) ;
- Streptomyces sp. (produit Verdera Turf PS, Verdera, Finlande) ;
- Glomus intraradices (produit MYC 800, ITHEC, France) ;
- Bacillus amyloliquefaciens ITHEC 45 (produit Rhizocell, ITHEC).
Végétaux alternatifs intéressants
Parmi les plantes choisies et testées pendant trois ans dans l'optique d'un éventuel remplacement du buis pour les petites bordures, celles qui ont été retenues sont l'if commun Taxus baccata et le fusain du Japon Euonymus japonicus « Green Rocket ». Non seulement ces deux espèces se sont révélées les plus résistantes aux conditions climatiques parfois particulières des cimetières, mais elles remplissent les critères d'esthétique et d'entretien recherchés pour le remplacement du buis. Choisir deux essences permettait aussi de casser les pratiques établies et réglementées de la monoculture à outrance.
Après 2010
Du BRF pour contenir les adventices
En 2010 a été lancé le projet « Zéphycim ».Son but était la diminution, voire l'arrêt des produits chimiques dans les cimetières lausannois.
Après autorisation du chef de service et de la municipalité, nous avons commencé à informer les usagers du cimetière et la population de notre démarche et du fait que l'aspect esthétique des surfaces entretenues allait changer sensiblement. Effectivement, l'arrêt d'utilisation des herbicides de synthèse a provoqué une véritable explosion des herbes indésirables autour des tombes et la réaction des familles de défunts a été immédiate et virulente.
En 2012, nous avons donc mis en place différents systèmes de couverture du sol pour endiguer cette « invasion ». Le BRF, à raison d'une couche de 10 cm d'épaisseur, s'est révélé tout de suite intéressant, efficace et facile à appliquer. En une année, 160 m3 de BRF ont été épandus autour des emplacements et derrière eux ; il était composé à 90 % de bois de feuillus et à 10 % de bois de résineux.
Un effet bénéfique sur la vie du sol
Cette couverture du sol, connue comme favorable à son fonctionnement (photos 4 et 5) a déclenché des réactions très positives sur la totalité du patrimoine végétal du Bois-de-Vaux. Il a été évident dès le début que les haies et les bordures du cimetière appréciaient le fait d'avoir une humidité constante au niveau du sol, un apport important en matière organique et une stabilité retrouvée au niveau des amplitudes thermiques en hiver et en été.
Pour créer un lien entre le sol et le BRF, apporter des antagonistes et faire un appel de faune, des centaines de litres d'extraits fermentés de consoude et d'ortie ont été appliqués en arrosage autour des tombes. Ces extraits ont été produits au cimetière avec des plantes récoltées sur place et mises à macérer dans de l'eau de pluie (photo 6).
Sol évalué en 2017
Une étude menée in situ en 2017, par Charlotte Perillard, étudiante à la faculté des géosciences et de l'environnement de l'université de Lausanne, a démontré les avantages d'une telle couverture.
En voici la synthèse : « Le principal impact constaté des BRF lors de cette étude concerne la forte augmentation de la teneur en carbone organique en surface. Ces matériaux se révèlent donc être à la source d'une humification prononcée, comme le suggèrent les instigateurs de la méthode. Les résultats obtenus semblent confirmer le potentiel de réhabilitation des sols conféré aux BRF, ne serait-ce que par la teneur plus élevée en matières organiques observée. L'horizon superficiel plus humifère, ainsi que les conduits de vers de terre témoignent d'une évolution possible du système, encore jeune à ce jour. Un suivi de cette évolution au cours du temps permettrait de mieux saisir l'aptitude des BRF à améliorer la structure du sol, ainsi que ses limites. L'étude de la faune du sol ainsi que l'apparition de nouveaux groupes trophiques et fonctionnels permettraient également d'évaluer les mécanismes d'intégration du carbone organique ainsi que l'impact sur la structure résultant de la stimulation des organismes du sol (des vers de terre plus particulièrement). En effet, des pièges Barber installés sur chacune des zones ont révélé une pédofaune différenciée, dont la comparaison aurait été susceptible d'améliorer l'évaluation des impacts des BRF. » (Perrelet C., 2017)
« Dans un contexte urbain, les BRF représentent un matériau de choix pour pallier l'appauvrissement du stock de matières organiques des anthroposols reconstruits, causé par un déséquilibre entre un apport organique presque inexistant et l'export des résidus de tonte. » (Mehdi L. & al., 2013)
2012-2017 : une amélioration
Lien manifeste entre pratiques culturales et maladies
Depuis 2012, nous avons constaté une régression constante de la présence des maladies du buis. La contamination apparaît en taches de léopard et non plus sur la totalité des bordures. Les buis atteints se « remettent à feuille » sans problème avant l'hiver. Depuis 2017, les deux maladies semblent avoir disparu du cimetière (photo 7).
L'extrême virulence et la forte propagation des maladies n'ont pas été le fruit de la fatalité : les erreurs culturales, l'usage massif de produits chimiques et une monoculture réglementée appliquée telle un dogme avec simplification de l'entretien ont entraîné l'appauvrissement biologique et la dégradation du sol, ainsi que la pollution de l'environnement, et ont rendu les buis vulnérables aux maladies. La dégradation globale de la biodiversité au fil des ans a créé les prémices de la catastrophe phytosanitaire qui s'est ensuite manifestée.
Il a fallu un virage à 180 ° vers un système moins invasif et plus proche des cycles naturels pour rétablir un contexte favorable à la santé des buis. À nous de retenir la leçon pour que de telles situations ne se reproduisent plus.
RÉSUMÉ
RÉUSSITES - Les ifs et le fusain du Japon sont de bons végétaux pour remplacer les buis morts. Le changement de pratiques de gestion des sols (herbicides chimiques remplacés par la couverture du sol) a amélioré la vie du sol et la santé des buis survivants.
MOTS-CLÉS - Bonnes pratiques en jevi (jardins, espaces végétalisés et infrastructures), cimetières, buis Buxus sempervirens, maladies, Cylindrocladium buxicola, Volutella buxi, BRF (bois raméal fragmenté).
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : Paolo.Fornara@lausanne.ch
- Purin d'ortie & CIE, B. Bertrand, É. Petiot, J.-P. Collaert (2012), éditions Terran.
- La Révolution d'un seul fil de paille, Masanobu Fukuoka (2005), Guy Trédaniel éditeur.
- Perrelet C.,faculté de géosciences et de l'environnement de l'Unil, Intégration du carbone organique et influence sur la structure du sol suite à l'apport de bois raméaux fragmentés (BRF), travail de Bachelor sous la direction du professeur E. Verrecchia, juin 2017.
- Lemieux G. & Germain D. (2001), Le bois raméal fragmenté : la clé de la fertilité durable du sol, université de Laval, faculté de foresterie et de géomatique, département des sciences forestières, Canada.