DOSSIER

Évolutions réglementaires : quels effets sur les phytos demain ?

MARIANNE DECOIN, Phytoma. - Phytoma - n°720 - janvier 2019 - page 21

Certaines décisions réglementaires d'ores et déjà prises en Europe et en France auront, dans un proche avenir, une influence sur la gamme des produits phytopharmaceutiques disponibles pour les vergers français.
 Photo et vignette haut de page : Pixabay

Photo et vignette haut de page : Pixabay

 Les fongicides à base de thirame, utilisés entre autres sur amandier, se verront retirer leurs AMM au plus tard le 30 janvier 2019. Photo : Pixabay

Les fongicides à base de thirame, utilisés entre autres sur amandier, se verront retirer leurs AMM au plus tard le 30 janvier 2019. Photo : Pixabay

L'Union européenne, cadre mouvant mais incontournable de la réglementation phytosanitaire, a pris depuis un an des décisions qui auront des conséquences pratiques en vergers.

Feux verts européens à des « alternatifs »

Le cuivre réapprouvé

Une décision européenne relativement médiatisée concerne les produits phyto(1) alternatifs à la gamme « conventionnelle ». Il s'agit du renouvellement de l'approbation du cuivre, publiée le 14 décembre dernier(2). C'était dix-sept jours avant la fin de validité de la précédente approbation, et la décision finale a suivi moult hésitations, discussions et volte-face sur la nécessité et les modalités de cette réapprobation.

N'entrons pas dans le houleux débat sur les qualités et défauts toxicologiques et écotoxicologiques du cuivre et de ses composés... Notons simplement que cette approbation est importante, d'abord en arboriculture biologique mais aussi dans les vergers conventionnels dans lesquels l'usage des produits phyto UAB est parfaitement autorisé.

En effet, des produits à base de cette substance minérale sont actuellement autorisés contre des bactérioses et des chancres sur agrumes, kiwi, olivier, fruits à pépins, fruits à coque, et/ou fruits à noyaux, sans compter par exemple la tavelure sur pommier et autres arbres fruitiers à pépins, la cloque du pêcher et autres arbres fruitiers à noyau, la maladie de l'oeil de paon sur olivier... Et de nouveaux usages viennent de s'ajouter à cet inventaire, l'article précédent les évoque !

Attention, cette approbation :

- n'a été octroyée que pour sept ans, jusqu'au 31 décembre 2025, car le cuivre est classé « substance dont on envisage la substitution » vu sa persistance dans le sol et sa toxicité sur certains organismes aquatiques ;

- s'accompagne de restrictions de la dose maximum moyenne applicable à l'hectare, qui passe de 6 à 4 kg/an.

En clair, le règlement autorise 28 kg/ha cumulés sur les sept années d'approbation, avec une possibilité de modulation entre années selon la pression de maladie.

Deux pour les vergers

Par ailleurs, parmi les cinq nouvelles substances approuvées par l'Union européenne depuis un an, quatre sont de type alternatif, dont deux micro-organismes classés comme substances phyto au sens strict, et deux substances de base.

Rappelons que l'approbation européenne d'une substance est une condition indispensable et incontournable, pour que des produits phyto contenant la substance puissent être autorisés dans les États membres de l'Union, y compris la France. Bien entendu, ces substances ne seront pas forcément toutes incluses dans des produits utilisables en vergers ! Mais l'arboriculture fruitière est concernée par deux d'entre elles, de type « substances alternatives ».

Du talc de base

Tout d'abord, le talc E553 a été approuvé comme substance de base utilisable en vergers (entre autres). Il peut donc, dès cette année 2019, être appliqué :

- sur pommier et poirier contre la tavelure ;

- sur pommier, poirier et olivier contre divers ravageurs, tels que les psylles Cacopsylla pyri et Cacopsylla fulguralis, les acariens, notamment Panonychus ulmi et/ou les mouches dont Drosophila suzukii et la mouche de l'olive Bactrocera oleae.

Attention, en tant que substance de base, ce produit peut être vendu sans AMM (autorisation de mise sur le marché), mais, contrairement à la majorité des vingt substances de base actuellement approuvées par l'Union européenne, il n'est pas UAB, utilisable en agriculture biologique(3) (voir le tableau ci-dessus).

Une levure contre des maladies

Ensuite, on sait que la souche NRRL Y-27328 de la levure Metschnikowia fructicola, approuvée en décembre 2018(4), est développée pour le traitement dans les vergers de pêcher afin de prévenir les maladies de post-récolte des fruits type Monilia. Une communication à la 12e Cima, de Végéphyl, à Tours, en faisait état(5).

Le dossier de demande d'AMM d'un produit contenant cette souche a été déposé en France, l'autorisation est espérée courant 2019. Logiquement, ce produit devrait obtenir sa reconnaissance UAB et intégrer la liste biocontrôle L. 253-5(6).

Frein sur les conventionnels

Quand l'Europe « désapprouve »

L'Union européenne ne fait pas qu'approuver ou réapprouver des substances. D'une part, il lui arrive de refuser l'approbation de nouvelles substances - dont on entend peu parler. D'autre part, et surtout, elle refuse souvent de renouveler des approbations. Deux des substances « retoquées » en 2018 sont connues dans des produits encore autorisés en France pour divers usages, dont certains en verger. Il s'agit du thirame(7) et de la pymétrozine(8).

Fongicides et insecticides retirés

À l'heure où nous mettons sous presse, des fongicides à base de thirame (Ordoval, Rhodiasan Express, Rhodiasan Flash) sont autorisés sur diverses cultures, dont l'amandier, le pommier et ses cultures rattachées (poirier, cognassier, etc.) et/ou le pêcher et ses cultures rattachées (nectarinier, abricotier). L'Europe exige le retrait de leurs AMM au plus tard le 30 de ce mois de janvier. Selon nos sources, l'Anses(9) aurait programmé ce retrait pour cette date, les produits restant utilisables jusqu'au 30 avril prochain. Les décisions sont peut-être publiées à l'heure où vous lisez ces lignes !

Quant à la pymétrozine, elle est connue dans les insecticides Plenum 50 WG, Platy, Piquillin et Plecazoni 50, autorisés contre les pucerons sur fruits à noyaux (pêcher, nectarinier, abricotier) et/ou à coque (noyer, noisetier, châtaignier). Leur retrait d'AMM peut attendre le 30 avril 2019 et l'interdiction d'utilisation le 30 janvier 2020, ce qui laisserait un an pour écouler les stocks... Mais rien n'empêche l'Anses de prendre de l'avance !

Une chose est sûre : l'Union européenne interdit que ces dates soient dépassées. Ensuite, les produits cités seront des PPNU (produits phyto non utilisables) à porter à la prochaine collecte de PPNU d'Adivalor.

Restrictions sur trois « néonics »

Une autre décision européenne, fort médiatisée auprès du grand public, est celle des restrictions concernant trois substances insecticides néonicotinoïdes. Un trio de règlements parus en mai 2018(10) supprime les autorisations en plein air, vergers inclus, de trois de ces substances, à savoir l'imidaclopride, la clothianidine et le thiaméthoxame. Mais, sur ce sujet-là, la France avait pris les devants !

La France devance l'Europe

Haro sur tous les néonics

En effet, alors que l'Union européenne prévoyait un retrait des AMM le 19 septembre et une date limite d'utilisation le 19 décembre 2018, la France avait décidé de supprimer les AMM mais aussi les autorisations d'utilisation de tous les néonicotinoïdes, et ceci dès le 1er septembre 2018. Les substances concernées sont les trois déjà citées, plus le thiaclopride et l'acétamipride que l'Union européenne avait épargnées.

Depuis le 1er septembre 2018, les utilisations de ces produits sont interdites, sauf dérogations que le ministère chargé de l'agriculture n'a toujours pas octroyées.

Auparavant, il existait pour les vergers des produits à base d'acétamipride (Suprême, etc.), de clothianidine (Dantop 50 WG), d'imidaclopride (notamment Confidor), de thiaclopride (Calypso entre autres) et de thiaméthoxame (Actara, etc.). Des dérogations vont-elles être octroyées ce printemps, par exemple contre les insectes xylophages sur cerisier et sur pêcher ou sur la mouche sur figuier, usages repérés par l'Anses comme à risque d'impasses techniques ? À suivre.

Le bannissement du glyphosate

Reste le désherbage. Le facteur de son évolution future est, bien entendu, la disparition annoncée du glyphosate d'ici trois ans à compter de la promulgation de la loi EGalim de l'automne dernier, autrement dit pour l'automne 2021.

Cet herbicide était utilisé en arboriculture fruitière, principalement sur le rang, de nombreux vergers français ayant des interrangs enherbés. Les machines destinées au désherbage mécanique du rang s'améliorent afin de moins risquer de mutiler les troncs des arbres fruitiers. Il en est de même du matériel de gestion des couverts de l'interrang (et désormais du rang là où l'enherbement total du verger est une option envisageable). Des itinéraires techniques sans herbicide sont expérimentés, voir l'article en p. 29 à 34 de ce numéro.

De fait, l'arboriculture fruitière n'est pas la filière la plus touchée par l'interdiction future du glyphosate - les producteurs en agriculture biologique s'en passent bien - sauf, bien entendu, dans les zones très pentues et/ou en terrasse, réfractaires au désherbage mécanique.

Et même là, à quand des petits robots désherbeurs passe-partout, autonomes et silencieux, car électriques ? À partir de leurs panneaux solaires, évidemment. Techniquement, c'est envisageable. Mais... à quel prix ? La question est de trouver le moyen de valoriser le fatal surcoût face à la concurrence de fruits produits dans des pays où restent autorisés le glyphosate, les néonicotinoïdes et d'autres produits phyto interdits en France, et dont l'usage est bien moins onéreux que celui des méthodes alternatives.

(1) Dans cet article, « phyto » = phytopharmaceutique. (2) Règlement n° 2018/1981 du 13 décembre 2018, au JOUE (Journal officiel de l'Union européenne) du 14. (3) Source : données sur les substances de base du site de l'Itab, Institut technique de l'agriculture biologique. (4) Règlement 2018/1915 du 6 décembre 2018, JOUE du 7. (5) Voir « Innovations fongicides : le biocontrôle mis à l'épreuve », Phytoma n° 719, décembre 2018, p. 24 à 26.(6) Liste « au titre des articles L. 253-5 et L. 253-7 du code rural » des produits phyto qui, parmi ceux de type biocontrôle (eux-mêmes définis à l'article L. 253-6 dudit code), échappent à certains classements. Dernière version : note de service DGAL/SDQSPV/2018-834 du 14 novembre 2018. Prochaine prévue ce mois de janvier.(7) Règlement n° 2018/1500 du 9 octobre au JOUE du 10.(8) Règlement n° 2018/1501 du 9 octobre au JOUE du 10.(9) Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.(10) Règlements nos 2018/783, 784 et 785 du 29 mai, au JOUE du 30.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La gamme des produits phyto (= phytopharmaceutiques) utilisables en verger en France va évoluer à la suite de décisions réglementaires récentes.

EUROPE - L'approbation des substances actives par l'Union européenne est une condition nécessaire (mais pas suffisante) pour l'autorisation en France de produits contenant ces substances. En 2018, l'Europe a pris ces différentes mesures :

- la réapprobation du cuivre et ses composés, substance contenue dans des produits, en majorité UAB, autorisés dans les vergers français ;

- l'approbation de deux nouvelles substances développées pour de futurs usages en verger (la substance de base talc et le biofongicide Metschnikowia fructicola souche NRRL Y-27328) ;

- le retrait d'approbation de deux substances utilisées en verger, le thirame et la pymétrozine ;

- la restriction de trois néonicotinoïdes (imidaclopride, clothianidine et thiaméthoxame) interdisant leur usage en verger.

FRANCE - Dans le même temps, la France a interdit tous les usages de tous les produits à base de néonicotinoïdes (ceux déjà cités, l'acétamipride et le thiaclopride). Elle a programmé l'interdiction des herbicides à base de glyphosate d'ici trois ans, soit pour 2021.

MOTS-CLÉS - Vergers, réglementation, Union européenne, France, substance active, approbation, produit phytopharmaceutique, produit phyto, UAB (utilisable en agriculture biologique), restriction, interdiction.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : m.decoin@gfa.fr

LIENS UTILES : Pour l'Itab, www.itab.asso.fr/

Pour le JOUE, https://eur-lex.europa.eu/oj/direct-access.html?locale=fr

L'essentiel de l'offre

Phytoma - GFA 8, cité Paradis, 75493 Paris cedex 10 - Tél : 01 40 22 79 85