Surveillance

Missions et activités de l'Anses dans un contexte d'émergence

AMANDINE CUNTY*, PAULINE DE JERPHANION** (CES AUTEURS ONT CONTRIBUÉ ÉGALEMENT À L'ÉCRITURE DE CET ARTICLE), VALÉRIE OLIVIER*, BRUNO LEGENDRE*, CARÈNE RIVOAL*, FRANÇOISE POLIAKOFF*, CHARLES MANCEAU* ET PASCAL HENDRIKX** *Anses, Laboratoire de la santé de - Phytoma - n°721 - février 2019 - page 9

Le diagnostic et l'épidémiologie sont deux compétences de l'Anses face aux bioagresseurs émergents. Présentation avec l'exemple de X. fastidiosa.
Le diagnostic, une démarche structurée mettant en oeuvre des connaissances, une expertise et des méthodes d'analyse. Photo : Anses

Le diagnostic, une démarche structurée mettant en oeuvre des connaissances, une expertise et des méthodes d'analyse. Photo : Anses

Fig. 1 : Historique de la détection de Xylella fastidiosa en Europe et de l'implication de l'Anses       La bactérie a été détectée dans cinq pays de l'Union européenne, dont les statuts épidémiologiques diffèrent à l'heure actuelle.

Fig. 1 : Historique de la détection de Xylella fastidiosa en Europe et de l'implication de l'Anses La bactérie a été détectée dans cinq pays de l'Union européenne, dont les statuts épidémiologiques diffèrent à l'heure actuelle.

Fig. 2 : Gestion des données relatives à X. fastidiosa      La coordination des acteurs de la collecte des données et le souci de vérification de leur qualité visent à obtenir une base de données fiable et opérationnelle.

Fig. 2 : Gestion des données relatives à X. fastidiosa La coordination des acteurs de la collecte des données et le souci de vérification de leur qualité visent à obtenir une base de données fiable et opérationnelle.

Fig. 3 : « Zones délimitées », la transparence      Cette carte, accessible publiquement, situe les zones (en violet) soumises à restriction de circulation des végétaux du fait de la présence de X. fastidiosa.

Fig. 3 : « Zones délimitées », la transparence Cette carte, accessible publiquement, situe les zones (en violet) soumises à restriction de circulation des végétaux du fait de la présence de X. fastidiosa.

Le contexte actuel de globalisation des échanges, la rapidité des transports, les changements climatiques et la mise en oeuvre de nouvelles pratiques culturales peuvent contribuer à l'émergence d'organismes nuisibles aux végétaux.

Deux compétences nécessaires

Diagnostic

Les bioagresseurs émergents représentent une menace importante pour la sécurité alimentaire et les écosystèmes cultivés et naturels. Mettre en oeuvre des systèmes efficients de surveillance du territoire et de contrôle des végétaux est primordial pour tous les acteurs concernés.

La détection d'une émergence est possible grâce au diagnostic : une démarche structurée mettant en oeuvre des connaissances, une expertise et des méthodes d'analyse. Il vise à identifier la cause exacte d'une problématique phytosanitaire donnée et s'organise sur trois niveaux : diagnostic agronomique de terrain, diagnostic de laboratoire dit « de première intention » et diagnostic de laboratoire « de deuxième intention » (pouvant avoir vocation à confirmer celui de première intention). L'anticipation d'une émergence à l'échelle du laboratoire passe par l'évaluation et la caractérisation de méthodes d'analyse fiables et robustes, puis par la mise en oeuvre de tests pour détecter et identifier l'organisme nuisible.

Surveillance épidémiologique

Après détection d'une émergence, il est prioritaire de faire un état des lieux de la zone contaminée et d'éviter la dissémination de l'organisme nuisible en instaurant une surveillance du territoire. Dans ce contexte, la gestion des données collectées, cruciale, permet de suivre la situation sanitaire, d'orienter la stratégie de surveillance et la décision du gestionnaire pour la lutte, de dégager des axes de recherche et de documenter l'évaluation du risque.

Le diagnostic et l'épidémiologie sont des compétences mobilisées par l'Anses(1) en appui au ministère en charge de l'agriculture, gestionnaire du risque. Cet article présente l'intérêt d'associer ces compétences dans le contexte d'une émergence en santé végétale en prenant l'exemple de la bactérie Xylella fastidiosa.

Les missions de l'Anses

Veille et évaluation des risques

L'anticipation des crises sanitaires est réalisée au travers d'une veille documentaire (littérature scientifique, journaux spécialisés, listes d'alerte de l'Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes [OEPP])(2), et par la conduite d'analyses du risque phytosanitaire (ARP).

L'unité d'évaluation des risques biologiques du Laboratoire de la santé des végétaux (LSV) de l'Anses réalise ces ARP, selon des normes internationales (FAO NIMP n° 21), utilisant des données (biologiques, économiques, etc.) relatives aux organismes nuisibles et aux filières de productions végétales concernées.

Ces expertises sont effectuées en mobilisant un collectif d'experts intuitu personae. Ce comité d'experts spécialisé (CES) « Risques biologiques pour la santé des végétaux » de l'Anses garantit une expertise scientifique, collective et indépendante, nécessaire pour exclure tout conflit d'intérêt. Le résultat des ARP permet au ministère de déterminer si un organisme nuisible doit être réglementé (ou déréglementé), de le catégoriser, ainsi que de formuler des recommandations pour sa surveillance et d'identifier les éventuelles mesures phytosanitaires pour sa gestion.

Référence et recherche

L'Anses, par le biais du LSV, exerce des missions de laboratoire national de référence (LNR) dans le domaine de la santé des végétaux sur des organismes nuisibles aux plantes (bactéries, virus, phytoplasmes, nématodes, insectes et acariens, oomycètes et champignons), sur les plantes invasives et sur des OGM pour différentes matrices végétales (arrêté du 28 juillet 2018), soumis à réglementation dans l'Union européenne ou à la réglementation des pays tiers (exports de produits végétaux).

Le LSV intervient en appui au gestionnaire pour développer des méthodes de détection et/ou d'identification d'organismes nuisibles, ainsi qu'en animant un réseau de laboratoires agréés effectuant des analyses officielles liées à la surveillance du territoire. Ce processus est encadré par les articles R 202-2 à R 202-21 du code rural et de la pêche maritime (CRPM).

Afin d'anticiper une émergence, le LSV recense, puis évalue et valide l'applicabilité de méthodes de détection et d'identification disponibles en interne ou proposées par l'OEPP, la CIPV ou la communauté scientifique. Pour caractériser une méthode de détection ou d'identification, le LSV s'appuie sur des référentiels tels que le guide de validation de méthodes interne à l'Anses et le protocole dédié de l'OEPP (PM7/98). Ces guides décrivent les procédures à suivre pour caractériser une méthode d'analyse selon des critères de performance tels que la spécificité, la sensibilité, la limite de détection, la répétabilité et la reproductibilité.

Les méthodes officielles, au sens du décret 2006-7 du 4 janvier 2006, sont des méthodes acceptées par le ministère en charge de l'agriculture pour être utilisées dans le cadre des actes officiels relevant des services du ministère (plans de contrôle et de surveillance, contrôles à l'import et à l'export..). L'Anses propose au ministère les méthodes d'analyses à officialiser que ses laboratoires ont validé, et en coordonne la révision.

Afin d'augmenter la capacité analytique de la surveillance, en tant que LNR, le LSV anime un réseau de vingt laboratoires agréés. Ces laboratoires sont en charge d'analyses de détection de première intention, le LSV intervenant alors sur les analyses de confirmation. Ces laboratoires sont sélectionnés selon leurs capacités analytiques et compétences sur une méthode donnée pour la détection d'un groupe d'organisme(s) nuisible(s) dans des produits végétaux.

Le LSV évalue selon une fréquence annuelle ou bisannuelle l'aptitude de ces laboratoires en réalisant des essais interlaboratoires d'aptitude (EILA). Des échantillons de statut connu et préparés par le LSV sont soumis pour une analyse en aveugle aux laboratoires participants. Toute non-conformité implique la mise en place d'actions correctives par le laboratoire concerné, qui seront ensuite vérifiées par le LSV.

Appui à la surveillance

Tel que défini dans le CRPM, l'Anses vient en appui scientifique et technique à la collecte, au traitement, à l'accessibilité, à la transmission et à la diffusion des données d'épidémiosurveillance pour alimenter l'évaluation des risques et fournir aux gestionnaires des dispositifs de surveillance une aide pour définir et mettre en oeuvre des stratégies de surveillance. L'unité Épidémiologie et appui à la surveillance (EAS) de l'Anses, compétente en épidémiologie, biostatistiques et gestion des données, aide à la mise en place de systèmes pour gérer les données de surveillance et diffuser l'information aux acteurs, sur demande et en partenariat avec le ministère chargé de l'agriculture.

L'Anses participe à la plateforme d'épidémiosurveillance en santé végétale(3) dont la convention-cadre a été signée en juillet 2018 par ses six membres (Direction générale de l'alimentation, Anses, Inra, Fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles - Fredon France, Acta, APCA). Cette plateforme a pour objet l'amélioration de la surveillance biologique du territoire en France en appui aux gestionnaires des dispositifs. Risques émergents, gestion des données de surveillance et partage de l'information sont ses axes de travail. L'unité EAS est impliquée dans sa coordination et dans l'équipe opérationnelle. Plus largement, l'Anses apportera son expertise aux divers groupes de travail.

L'exemple de Xylella fastidiosa

Cinq sous-espèces et plus de trois cents espèces de plantes-hôtes

Xylella fastidiosa est une bactérie Gram négative localisée dans les vaisseaux du xylème des plantes. Endémique du continent américain, elle est transmise par des insectes dits « piqueurs-suceurs du xylème », tels que les Aphrophoridae, Cercopidae, Cicadellidae ou Cicadidae. Elle cause des symptômes peu typiques (brûlures et dessèchements foliaires, chloroses, défoliation...), pouvant aller jusqu'à la mort du végétal, sur une large gamme d'hôtes. En 2018, l'Efsa(4) a recensé 563 espèces de plantes appartenant à 82 familles botaniques, incluant 312 espèces de plantes et 61 familles botaniques dont l'infection par X. fastidiosa a été déterminée avec au moins deux méthodes différentes de détection. Cinq sous-espèces de X. fastidiosa sont décrites à ce jour : subsp. fastidiosa, multiplex, pauca, sandyi et morus.

Réglementairement, X. fastidiosa est listée dans la directive 2000/29-CE parmi les organismes nuisibles de quarantaine européens. En France, elle est classée comme danger sanitaire de catégorie 1 (arrêté du 15 décembre 2014), statut de préoccupation majeure.

Situation en Europe et en France

En Europe, X. fastidiosa a été détectée sur des plantes cultivées, ornementales et de la flore sauvage, en Italie, en France, en Espagne et au Portugal, et ponctuellement sur des plantes en serre en Allemagne (Figure 1) et sur des caféiers lors d'interceptions en France, aux Pays-Bas, en Italie et en Suisse.

En France, depuis 2015, X. fastidiosa subsp. multiplex a été détectée sur plus de quarante espèces végétales, majoritairement ornementales mais aussi des plantes sauvages du maquis corse. La sous-espèce pauca a été détectée sur polygale à feuilles de myrte dans un seul site en région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA). Après élimination des plantes incriminées, cette sous-espèce n'a plus été détectée sur ce site, bien qu'une surveillance particulière y ait été appliquée.

Historique de la mobilisation

En 2002, le LSV a débuté ses travaux méthodologiques sur la détection précoce de X. fastidiosa, dans le cadre d'introductions sous dérogation de matériel végétal hôte de X. fastidiosa provenant de pays à risque (par exemple vigne en provenance des États-Unis) (Figure 1). Puis, en 2010, lors d'un atelier thématique organisé à Bari (projet COST 873, « Bacterial diseases of stone fruits and nuts »), le laboratoire a confronté et étendu ses connaissances et compétences, mais également noué des liens avec les scientifiques de l'université de Berkeley (Californie), spécialistes de la maladie de Pierce provoquée sur la vigne aux États-Unis par X. fastidiosa et de sa vection. L'isolement de X. fastidiosa pouvant être fastidieux, il convenait de détecter la présence de la bactérie directement sur plante. Seuls les outils moléculaires ou sérologiques semblaient le permettre ; ils ont fait l'objet d'une évaluation interne au LSV à partir de 2002, puis d'un essai inter-laboratoires de validation (EILV) en 2014. À l'issue de ce travail, le LSV a retenu puis validé la méthode de détection par PCR en temps réel dite « Harper » (Harper et al., 2010).

Les premiers cas de caféiers positifs en 2012 en France ont permis de confronter le schéma de détection en cours de développement à des cas réels d'infection. Le LSV a pu gagner en compétences sur l'isolement des souches et sur le test de pouvoir pathogène (Jacques et al., 2016). Les souches issues des premières détections de la bactérie en France sur des caféiers interceptés à l'importation ont permis une collaboration avec l'Inra sur l'identification de la sous-espèce par séquençage multilocus (MultiLocus Sequence Typing, MLST) et les analyses de génomique comparative.

Ces premières détections ont alerté les services de l'État français sur le risque majeur d'émergence pour l'Europe et ont donné lieu à une évaluation du risque simplifiée (ERS) menée par l'Anses (Anses, 2012) à la demande du ministère en charge de l'agriculture. De plus, deux avis sur la pertinence des moyens de lutte à mettre en place pour la gestion de la crise sanitaire ont été produits au travers de la mobilisation du CES « Risques biologiques pour la santé des végétaux » de l'Anses (Anses, 2015 a & b). Pour prévenir une émergence telle que connue sur oliveraies en Italie à partir de fin 2013, une surveillance de X. fastidiosa a été mise en place par les services de l'État sur l'ensemble du territoire. C'est dans ce cadre que le premier foyer français de X. fastidiosa a été détecté en Corse le 22 juillet 2015, à la suite d'analyses conduites par le LSV, avec l'appui de l'Inra pour l'identification de la sous-espèce. Dans les jours suivant cette découverte, l'Anses a participé à une première mission d'expertise en Corse pour conduire des investigations sur les plantes contaminées et les vecteurs potentiels, en août 2015 (ministère de l'Agriculture, 2015)(5).

Méthodes officielles d'analyse

À l'issue des travaux de caractérisation de la méthode de détection de X. fastidiosa sur plante, initié début 2015, le rapport de validation a été finalisé lorsque ce premier foyer a été identifié en France. Cette méthode, proposée au ministère en charge de l'agriculture pour officialisation, a été publiée par l'Anses le 14 octobre 2015 sous la référence MA039 (version 1)(6).

La MA039 décrit et détaille le mode opératoire à suivre, de la réception de l'échantillon végétal au laboratoire jusqu'à l'analyse et l'interprétation des résultats. La spécificité analytique de la méthode (sa capacité à détecter la cible et ne pas détecter les non-cibles) a été évaluée sur une gamme de 74 souches cibles et 29 souches d'espèces non-cibles.

Puis la sensibilité, la spécificité, la répétabilité et la reproductibilité ont été évaluées sur des espèces végétales, dites « d'intérêt », artificiellement contaminées avec X. fastidiosa sur une gamme de concentrations de 105 à 102 bactéries/ml de macérât végétal (douze répétitions par concentration testée, pour chaque matrice donnée). Pour chaque espèce végétale, la limite de détection a été déterminée lorsque 100 % des répétitions de statut positif ont été positives. Des différences affectant les limites de détection ont été observées selon l'espèce végétale, attestant de la présence ou non d'inhibiteurs de PCR chez certaines. L'ajout systématique d'un témoin positif dans le protocole officiel contribue ainsi à gagner en confiance dans le résultat d'analyse.

La Direction générale de l'alimentation (DGAL) au sein du ministère en charge de l'agriculture a mis en place un réseau de cinq laboratoires agréés pour faire face au nombre croissant d'analyses officielles à réaliser à partir de 2015. Leur aptitude à la détection de la bactérie a été évaluée et confirmée par le LNR, avant mise en place de leur agrément.

Lorsqu'un résultat positif ou indéterminé (c'est-à-dire en limite de détection ou peu reproductible) est obtenu par un laboratoire agréé, l'échantillon est adressé au LNR (LSV) pour analyse de confirmation et éventuellement identification de la sous-espèce par MLST (Yuan et al., 2010). La réussite de l'identification de la sous-espèce par MLST dépend des inhibiteurs présents dans la plante-hôte. Le bilan des analyses réalisées par les laboratoires agréés et le LNR de 2015 à 2017 est présenté dans le tableau p. 12. Le taux de confirmation par le LNR se situe entre 87 % et 100 % selon l'année. Les résultats discordants peuvent s'expliquer par la dégradation des extraits durant le transport et/ou par la présence d'inhibiteurs de la réaction de PCR (variable selon l'espèce végétale). Entre 2016 et 2017, le nombre d'échantillons prélevés en Corse et soumis à confirmation au LSV a diminué, du fait de l'absence de recensement de nouveaux foyers et/ou de nouvelles espèces de plantes-hôtes.

Structuration du système de surveillance

Afin de suivre la situation sanitaire et d'orienter les mesures de lutte, la DGAL a saisi l'Anses en octobre 2015 pour compiler à l'échelle nationale les données de surveillance de X. fastidiosa. Ces données proviennent de deux types de structures : les services phytosanitaires (Services régionaux de l'alimentation - SRAL et délégataires, Fredon) et les laboratoires (agréés et de référence).

Dans le premier cas, elles décrivent le prélèvement et son contexte (espèce végétale, date, adresse, coordonnées GPS, modalité de surveillance, zone de foyer ou zone indemne, laboratoire destinataire). Dans le second cas, elles renseignent sur l'analyse réalisée (type, date et résultats d'analyse). Un système d'identifiant unique permet d'associer les données contextuelles de terrain aux résultats d'analyses en laboratoire. Un flux de données a été mis en place dès novembre 2015 vers l'unité EAS (Figure 2). Afin d'en optimiser la gestion et la qualité, des indicateurs permettent d'évaluer la complétude, l'exactitude et la cohérence des données.

Une application web à accès limité et sécurisé a été développée à l'aide du paquet « shiny » du logiciel R (Chang et al., 2017), et mise en service en novembre 2016, afin de mettre les données (cartes, statistiques descriptives) à disposition des SRAL, du LNR et du gestionnaire du risque. Cette application permet à ce dernier de suivre la situation sanitaire, mais aussi d'accéder aux indicateurs de qualité des données et donc d'être incité à les améliorer. Elle donne également des éléments d'aide à la gestion des foyers (carte des zones infectées, c'est-à-dire périmètres de 100 mètres autour des foyers). Des indicateurs sanitaires, préalablement définis lors du développement de l'application en concertation avec la DGAL et le LNR, sont calculés : nombre de prélèvements, nombre de positifs, prévalence, statistiques par espèce végétale...

Sur demande de la DGAL, une seconde application ouverte(7) est mise à disposition du public pour permettre de se situer en fonction des zones dites « délimitées » (zone soumise à des restrictions au niveau de la circulation des végétaux sensibles à la bactérie) à la suite de la détection officielle de la contamination d'un végétal par la bactérie X. fastidiosa, conformément aux dispositions de l'article 4.3 de la décision européenne 2015/789 (Figure 3). L'Anses communique également sur la situation française et les méthodes de détection au travers d'articles de bilan de la surveillance (de Jerphanion et al., 2016 ; de Jerphanion et al., 2018), lors de séminaires et congrès nationaux et internationaux (Legendre et al., 2017) ou d'ouvrages en collaboration avec la DGAl (Landa et al., 2017).

Ces différents moyens de communication permettent de sensibiliser les professionnels et les filières, et de les inciter à alerter les services de l'État en cas d'observation de dépérissement anormal. Les échanges avec les agents de terrain et la communauté scientifique ont pour objectif d'améliorer la connaissance de la bactérie et d'en optimiser la détection et la surveillance.

Amélioration du système de surveillance et pistes de recherche

La DGAL, responsable du dispositif de surveillance, a mis en place en 2016 un groupe de travail méthodologique sur la surveillance de X. fastidiosa. Il a pour objectif d'apporter un appui scientifique et technique au gestionnaire du risque (DGAL) en identifiant des perspectives d'amélioration de la surveillance et en évaluant la situation sanitaire vis-à-vis de X. fastidiosa, afin que la surveillance réponde au mieux à ses objectifs au coût le plus juste et ce, dans le respect des standards européens de la surveillance. Il est également chargé d'apporter un retour d'information aux acteurs locaux. Dans ce cadre, l'Anses a apporté son expertise pour réviser le plan de surveillance national en 2016 et 2017 (ministère de l'Agriculture, 2018). Ces travaux ont été préfigurateurs de la plateforme d'épidémiosurveillance en santé végétale.

Par ses implications dans différents projets de recherche (H2020 PonTE, Euphresco 2015-F-146) et par souci d'être toujours plus performant, le LSV poursuit ses activités d'amélioration de la méthode officielle de détection et d'identification de X. fastidiosa sur plantes, notamment celles riches en inhibiteurs. En parallèle, la validation d'une méthode de détection et d'identification de la bactérie sur insectes vecteurs est en cours de finalisation ; le LSV a organisé en 2017 un EILV sur ce type de matrice (projet Euphresco 2015-F-146). Ces travaux anticipent l'éventuelle mise en place d'une surveillance vectorielle.

Enfin, au sein du panel « bactériologie X. fastidiosa » de l'OEPP, le LSV participe activement à l'amélioration des protocoles (version 3 du protocole PM7/24 publiée) et échange avec d'autres équipes européennes et internationales de référence. Les données de surveillance ont été utilisées dans le cadre de travaux de recherche collaboratifs (Anses/Inra) en modélisation mathématique de la dynamique spatio-temporelle de la bactérie aux échelles régionale et supra-régionale (Soubeyrand et al., 2018) qui donnent des pistes pour optimiser la stratégie de surveillance.

De même, la collection de souches isolées par le LSV dans le cadre du plan de surveillance depuis 2015 (environ cinquante souches) constitue un matériel biologique précieux pour la recherche. Elle va être utilisée pour apporter des éléments de compréhension sur l'émergence et l'épidémiologie de la bactérie en France (thèse Anses/Inra, 2017-2020).

Discussion

Que ce soit dans un contexte de santé humaine, animale ou végétale, l'anticipation puis la gestion d'une émergence sont réalisées selon les mêmes principes fondamentaux :

- veille et évaluation du risque ;

- mise en place d'un diagnostic efficient ;

- compilation des données de terrain et des données analytiques afin d'avoir une bonne compréhension de l'épidémiologie de la maladie ;

- proposition d'éléments d'amélioration pour optimiser la surveillance.

L'évaluation du risque apporte des éléments majeurs pour la mise en place et le fonctionnement des réseaux d'épidémiosurveillance, selon trois notions fondamentales : standardiser, formaliser et hiérarchiser (Hendrikx, 2003). Cela s'applique au niveau du terrain (voies d'entrées [aéroports, ports], zones et filières à risque à prospecter), au niveau du laboratoire (recensement des outils de détection et d'identification disponibles à valider ou à développer) ainsi que sur l'identification des manques à combler en termes de connaissances sur la maladie (biologie de l'organisme nuisible, gamme d'hôtes, vecteurs...).

Le diagnostic conditionne la réussite, la fiabilité et l'efficacité de l'évaluation de l'état sanitaire du territoire, ainsi que la prise en charge de la maladie. Les méthodes de diagnostic ont vocation à être améliorées grâce aux données issues des plans de surveillance (élargissement de la gamme d'hôtes ou de vecteurs...), des avancées de la recherche (taxonomie, biologie de l'agent pathogène...), du développement et de la validation de nouveaux réactifs ou nouvelles technologies. Par exemple, dans le domaine de la virologie, la technologie Next Generation Sequencing représente un intérêt pour l'identification d'une large gamme de virus sur une même matrice végétale. Cependant, avant d'être utilisée dans le cadre de la surveillance, cette technologie nécessite d'être standardisée, évaluée et les outils de bio-informatique adaptés à une analyse rapide et simple des résultats (Massart et al., 2014). Par ailleurs, l'exemple de Pseudomonas syringae pv. actinidiae (Psa), bactérie réémergente à l'échelle mondiale à la fin des années 2000 responsable du chancre bactérien du kiwi, montre que les avancées de la recherche ont permis une évolution de la surveillance et de la gestion des parcelles touchées. En effet, grâce à la collection de souches isolées en France par le LSV dans le cadre du plan de surveillance de Psa, des souches peu agressives ont pu être identifiées et regroupées au sein d'un nouveau pathovar, le pv. actinidifoliorum (Cunty et al., 2015), et les méthodes de lutte adaptées en conséquence.

La collecte des données et leur gestion conditionnent la réactivité des services phytosanitaires et des réseaux de laboratoires de diagnostic dans le cas d'une émergence. Le développement de systèmes de collecte des données sur le terrain à l'aide d'applications mobiles est une réponse complémentaire à cette problématique. Par exemple, en Italie, l'application XylApp (D'Onghia et al., 2014) a été développée dans le contexte de la crise sanitaire après la détection de X. fastidiosa dans les Pouilles, permettant d'assurer la traçabilité des données du terrain jusqu'au laboratoire. Ce système est aujourd'hui transféré à d'autres régions italiennes et d'autres pays européens, et adapté à d'autres maladies.

Cet exemple met en évidence l'importance du caractère générique des systèmes d'information dans la gestion d'une crise sanitaire. Il est aussi envisageable de multiplier les sources de données et d'impliquer les citoyens dans la surveillance pour identifier des émergences (Brown et al., 2017). La qualité des données reflète le fonctionnement d'un système de surveillance. Définir des indicateurs de performance et de fonctionnement sur l'ensemble des activités d'un dispositif de surveillance, tels que ceux présentés pour évaluer la qualité des données, permettrait d'identifier d'autres points à améliorer (Hendrikx et al., 2011). Par exemple, la pertinence et la qualité de l'échantillonnage sur le terrain sont un point important à évaluer vis-à-vis des objectifs de surveillance. Dans cette perspective, des méthodes d'échantillonnage basées sur le risque pourraient être utilisées (Parnell et al., 2014). La communication entre les acteurs du terrain et du laboratoire est primordiale afin d'optimiser l'échantillonnage (partie de la plante à prélever, délai maximal d'envoi de l'échantillon prélevé...).

Pour une réactivité optimale en cas d'émergence et limiter la dissémination des organismes nuisibles, l'implication de l'ensemble des acteurs est nécessaire. Le Réseau français pour la santé végétale (RFSV) y participe en favorisant les partenariats de recherche entre les acteurs publics et privés pour développer les connaissances sur la santé des végétaux et les acquisitions de compétences(8).

(1) Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. (2) https://www.eppo.int/ACTIVITIES/plant_quarantine/alert_list(3) https://agriculture.gouv.fr/lancement-de-la-plate-forme-depidemiosurveillance-en-sante-vegetale(4) https://www.efsa.europa.eu/en/efsajournal/pub/5408(5) agriculture.gouv.fr/sites/minagri/files/20150908_rapport_mission_corse_xylella_31082015b.pdf(6) www.anses.fr/fr/system/files/ANSES_MA039_Xylellafastidiosa_final.pdf(7) https://shiny-public.anses.fr/Xylella_fastidiosa/(8) www.rfsv.fr/moodle/REMERCIEMENTS Nous remercions les agents en charge de la surveillance sur le terrain (SRAL, Fredon, DSF, DDSCPP), les agents du laboratoire d'analyse du LSV d'Angers et les agents du laboratoire de Lyon (Anses), le réseau de laboratoires agréés en charge des analyses dans le cadre de la surveillance de X. fastidiosa. Nous remercions également, pour leur aide dans la rédaction de cet article, la DGAL et pour l'Anses : la DiCoRIS, la DSP, Philippe Reignault et Géraldine Anthoine.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - L'Anses, en lien avec le ministère de l'Agriculture, évalue les risques sur les organismes nuisibles émergents, développe et valide des méthodes analytiques pour les détecter, contribue à la mise en place de réseaux de surveillance et au développement de systèmes de gestion des données efficients. L'objectif est d'avoir une vue d'ensemble des points clés liés à la détection et au suivi des émergences en santé végétale, et de décrire la contribution de l'agence impliquée dans la santé du végétal à l'épidémiosurveillance du territoire.

ÉTUDE - L'exemple de l'émergence de Xylella fastidiosa est succinctement développé pour illustrer les actions de l'Anses. L'association des compétences en diagnostic et en épidémiologie permet d'apporter un appui réactif au ministère, le gestionnaire du risque en cas d'émergence d'un organisme nuisible.

MOTS-CLÉS - Surveillance épidémiologique, système d'information, Xylella fastidiosa, maladies émergentes des plantes, outils de détection et d'identification, réseau de surveillance.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : amandine.cunty@anses.fr

pauline.dejerphanion@anses.fr

LIENS UTILES : www.anses.fr, et voir notes (2) à (8).

BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article (21 références)est disponible auprès de ses auteurs (contacts ci-dessus).

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