Cocons de Neodryinus typhlocybae. Ses larves se développent sur celles de M. pruinosa et les parasitent. Photo : Fredon Alsace
Le flatide pruineux, Metcalfa pruinosa (Say) (Hemiptera, Flatidae), insecte d'origine nord-américaine, a été introduit en Europe, dans les années 1980, initialement en Italie et dans le sud de la France (Della Giustina, 1986 ; Della Giustina & Navarro, 1993). Il s'est rapidement montré très envahissant. À la suite de son signalement en 2013, en Alsace (Kuntzmann, 2013), un programme de lutte biologique contre ce ravageur a été initié dès 2014.
Les acquis de la lutte biologique contre le flatide
Un ravageur suivi à la trace
Insecte piqueur-suçeur se nourrissant sur un large spectre de végétaux, M. pruinosa engendre des dégâts conséquents, notamment par la sécrétion importante de miellat sur lequel se développe de la fumagine, une maladie cryptogamique. Sur ses végétaux hôtes, sa présence est trahie par la sécrétion d'une pruine (trace cotonneuse blanche), ce qui permet de le détecter aisément dès les stades larvaires.
N. typhlocybae, un auxiliaire reconnu
Pour maîtriser ce ravageur, un programme de lutte biologique par acclimatation (ou « classique ») a été initié par l'Inra d'Antibes au milieu des années 1990. L'auxiliaire choisi a été Neodryinus typhlocybae (Ashmead) (Hymenoptera, Dryinidae), hyménoptère parasitoïde de M. pruinosa dans son aire d'origine et introduit antérieurement avec succès en Italie (Malausa, 1999). Les stades larvaires de N. typhlocybae sont ectoparasitoïdes des larves de M. pruinosa, c'est-à-dire qu'elles se développent à la surface de leur hôte (photo 1). De plus, les femelles de N. typhlocybae consomment également les larves du flatide.
Après les résultats prometteurs des premières introductions expérimentales dans le sud de la France, un programme de plus grande ampleur a été poursuivi par l'Inra pour l'introduction de N. typhlocybae sur une grande partie de la zone de présence de M. pruinosa (Malausa et al., 2000 ; Malausa et al., 2001).
Le parasitoïde a montré son efficacité dans la régulation des populations de M. pruinosa, ce qu'ont prouvé plusieurs années d'études post-introduction (Malausa et al., 2003). Les introductions de ce parasitoïde ont donc été répétées sur les nouvelles zones de colonisation du flatide. Il s'agit en effet de l'action la plus efficace pour lutter contre M. pruinosa, du fait de la difficulté de positionner les traitements phytopharmaceutiques lorsque les stades larvaires sont les plus sensibles (Malausa et al., 2006, Thierry & Chuche, 2007).
Travaux conduits en Alsace
Une prospection en milieu viticole qui révèle l'importance des zones refuges
Des campagnes de communication et de prospection ont permis d'affiner la connaissance de la répartition de M. pruinosa (Figure 1).
L'effort de prospection s'est tout d'abord porté sur le vignoble, premier environnement de découverte du flatide. Mais il a été rapidement constaté que des populations plus importantes de M. pruinosa se trouvaient généralement dans l'environnement proche du vignoble, en zones boisées et arbustives, notamment sur cornouillers (Cornus sp. L.), orties (Urtica sp. L.), érables (Acer sp. L.) ou clématites (Clematis sp. L.). Les individus retrouvés sur vigne proviendraient de ces zones « refuges », plus propices au développement de M. pruinosa, car plus ombragées. Lorsque les populations atteignent un certain seuil, des individus pourraient alors se propager vers le milieu viticole environnant.
À ce jour, aucun dégât significatif sur vigne pouvant être imputé directement à la présence de M. pruinosa n'a été porté à notre connaissance. En revanche, de nombreux particuliers constatent de fortes populations de M. pruinosa sur plantes d'ornement.
Des introductions et installations rapides de N. typhlocybae peuvent permettre de maintenir les populations de M. pruinosa sous un seuil de nuisibilité tolérable.
Introduction de nids de N. typhlocybae
Parallèlement au suivi de la répartition de M. pruinosa, des essais d'introduction de N. typhlocybae ont été conduits sur deux secteurs : à Colmar en 2014 (premier foyer identifié en 2013) puis sur la commune d'Eguisheim en 2016. Sur chacun de ces sites, un « nid » de N. typhlocybae a été installé à l'intérieur de bosquets à proximité des vignes au mois de mars pour permettre l'émergence des adultes au mois de mai (photo 2).
Par « nid », nous entendons un regroupement de feuilles hébergeant des cocons, formes hivernantes du parasitoïde, préalablement sexés et triés (afin d'éliminer d'éventuels hyperparasitoïdes). Dans ces nids se trouvaient quinze femelles et vingt mâles, différenciables par la taille des larves âgées dans le cocon (Fauvergue et al., 2007). Ces nids provenaient de la région Midi-Pyrénées pour s'assurer d'introduire une souche de N. typhlocybae préétablie en France métropolitaine.
Évaluation à Colmar et Eguisheim
En août 2017, une première série de prospections a été réalisée pour déterminer l'établissement ou non de N. typhlocybae dans les zones de lâchers. L'étude des nids a permis de s'assurer de l'émergence des adultes sur les deux sites.
Dans la zone de Colmar, les prospections n'ont pas permis de mettre en évidence une installation de N. typhlocybae dans l'environnement du lâcher. En revanche, sur le secteur d'Eguisheim, des cocons de la nouvelle génération ont pu être retrouvés (photo 1).
En 2018, les prospections ont permis de confirmer l'installation sur le site d'Eguisheim mais aussi de détecter les premiers cocons de N. typhlocybae sur le site de Colmar.
Ainsi, des populations de N. typhlocybae ont pu s'établir sur ces deux sites d'introduction. Cette opération a également permis de déterminer la distance de dispersion de N. typhlocybae sur le secteur d'Eguisheim. Elle est d'environ 850 mètres entre le site d'introduction et le point le plus éloigné bénéficiant d'une présence du parasitoïde.
Perspectives de lutte
Capacités d'installation et de maintien
Ces travaux ont permis d'effectuer une première opération d'introduction du parasitoïde de M. pruinosa en Alsace. Les premiers résultats suggèrent des capacités d'installation et de maintien de l'auxiliaire N. typhlocybae.
Sur le site de Colmar, l'absence de découverte de cocons de N. typhlocybae avant 2018 et, à notre connaissance, l'absence d'une nouvelle introduction depuis 2014 peuvent suggérer une faible installation du parasitoïde sur ce site lors de son introduction. Cela peut être dû à des conditions climatiques défavorables ou à un environnement moins propice en début d'installation. Un suivi devra être réalisé pour s'assurer du maintien d'une population sur ce premier foyer.
Cependant, N. typhlocybae semble montrer une bonne capacité d'installation même à faible effectif introduit (Fauvergue et al., 2007), ce qui permet de relativiser l'effet d'une mauvaise installation initiale.
En revanche, le nombre plus important de cocons retrouvés sur le site d'Eguisheim suggère une meilleure installation du parasitoïde.
Davantage de points d'introduction du parasitoïde seront toutefois nécessaires dans les zones de foyers de M. pruinosa afin d'accélérer la propagation de l'auxiliaire et ainsi permettre à terme une régulation satisfaisante du flatide.
Dispersion et répartition
Le suivi dans le temps des populations de N. typhlocybae permettra également d'apprécier la capacité de dispersion du parasitoïde. En effet, ce parasitoïde a montré une capacité intrinsèque de dispersion réduite durant les premières années suivant l'introduction, et qui augmente par la suite (Malausa et al., 2003). Ce phénomène peut être dû à une diminution de la ressource en hôtes qui pousse les femelles à rechercher de nouvelles colonies de M. pruinosa. D'autres facteurs peuvent cependant entraîner une augmentation du rayon de dispersion, comme le déplacement de matériel végétal. Les suivis de M. pruinosa et N. typhlocybae devront se poursuivre afin de caractériser précisément leurs répartitions.
D'autre part, des cas importants d'hyperparasitisme sur N. typhlocybae ont pu être relevés dans certaines zones d'introduction du sud de la France, notamment sur le site d'Antibes, sans toutefois montrer d'effet négatif sur le taux de parasitisme de M. pruinosa (Malausa et al., 2006). Cet aspect pourra également faire l'objet d'un suivi pour s'assurer de l'effet neutre des espèces d'hyperparasitoïdes présentes en Alsace sur la dynamique d'installation de N. typhlocybae et sa capacité de régulation sur M. pruinosa.
REMERCIEMENTS Nous remercions M. Jean-Claude Malausa, de l'Inra de Sophia Antipolis - UMR « Institut Sophia Agrobiotech » - équipe RDLB, pour ses conseils lors de nos réflexions en amont des introductions de N. typhlocybae. Ces travaux ont été cofinancés par le fond européen de développement régional (programme Interreg V - projet « InvaProtect »).
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Le flatide pruineux Metcalfa pruinosa a été détecté en milieu viticole en Alsace. La méthode la plus efficace contre ce ravageur est la lutte biologique classique par acclimatation de l'auxiliaire Neodryinus typhlocybae.
TRAVAIL - Une prospection a permis de préciser la répartition de M. pruinosa. Il en ressort que le ravageur est davantage présent dans les zones boisées et arbustives proches des vignes (zones refuges), ainsi que sur végétaux d'ornement, que sur vigne elle-même, mais que le risque de dégâts au vignoble existe en cas de pullulations de populations non maîtrisées.
Des lâchers de N. typhlocybae ont donc été réalisés sur deux sites, l'un en 2014 et l'autre en 2016. Des prospections réalisées en 2017 et 2018 ont évalué l'installation de cet auxiliaire.
RÉSULTATS - L'auxiliaire s'est bien installé. Sa dispersion étant limitée, des lâchers supplémentaires seront nécessaires pour éviter des pullulations et des dégâts avant que l'extension des populations de l'auxiliaire ne rejoignent celle des populations du ravageur.
MOTS-CLÉS - Flatide pruineux, Metcalfa pruinosa, lutte biologique par acclimatation, lutte biologique classique, auxiliaire, Neodryinus typhlocybae, Alsace.
La vigne, une victime collatérale ?
Parmi les informations remontées du terrain sur les dégâts occasionnés par Metcalfa pruinosa aux végétaux cultivés depuis son premier signalement en France (Della Giustina, 1986), et son identification comme « un nouvel envahisseur » (Della Giustina, 1993), certaines concernent la vigne.
Campagne 1998. « L'aire de répartition en France de M. pruinosa est en extension sur vigne : du Var et des Bouches-du-Rhône elle a gagné le Gard, Châteauneuf-du-Pape et le sud de la Drôme... Elle ne semble pas encore affecter la production de raisin de cuve mais provoque des pertes qualitatives consécutives aux quantités importantes de miellat qu'elle produit, ce qui posera vite problème sur les raisins de table. » (La Rocque [de] B., 1998, bilan phytosanitaire vigne, Phytoma-LDV n° 510, p. 32 ; ces bilans se basaient sur les remontées des correspondants Avertissements agricoles, ancêtres des BSV).
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : alexandre.fleisch@fredon-alsace.fr
LIEN UTILE : www.fredon-alsace.fr
BIBLIOGRAPHIE : - Della Giustina W., 1986, Metcalfa pruinosa (Say 1830), nouveauté pour la faune de France (Hom. : Flatidae), Bulletin de la Société entomologique de France, 91 : 89-92.
- Della Giustina W. & Navarro E., 1993, Metcalfa pruinosa, un nouvel envahisseur ? Phytoma - LDV, 451 : 30-32.
- Fauvergue X., Malausa J.-C., Giuge L. & Courchamp F., 2007, Invading parasitoids suffer no Allee effect: a manipulative field experiment, Ecology 88(9): 2392-2403.
- Kuntzmann P., 2013, Metcalfa pruinosa en Alsace, Phytoma - LDV 667 : 4.
- Malausa J.-C., 1999, Un espoir face aux pullulations de Metcalfa pruinosa - Introduction en France de Neodryinus typhlocybae, parasite larvaire de cette « cicadelle », Phytoma - LDV 512 : 37-40.
- Malausa J.-C., Giuge L., Brun P., Chabrière C., Faivre d'Arcier F., Jeay M., Richy D., J.-M. Trespaille-Barrau & Vidal C., 2000, Lutte biologique contre Metcalfa pruinosa : bilan des lâchers de l'auxiliaire Neodryinus typhlocybae en 1999, Phytoma - LDV 527 : 39-41.
- Malausa J.-C., Giuge L., Bertaux F., Brun P., Costanzi M., Faivre d'Arcier F., Goarant G., Jeay M., Reboulet J.-N., Richy D., J.-M. Trespaille-Barrau & Vidal C. 2001, Lutte biologique contre Metcalfa pruinosa. Poursuite du programme de dissémination de l'auxiliaire Neodryinus typhlocybae dans le sud de la France, Phytoma - LDV 537 : 18-20.
- Malausa J.-C., Giuge L. & Fauvergue X., 2003, Acclimatation et dispersion en France de Neodryinus typhlocybae (Ashmead) (Hymenoptera, Dryinidae) introduit pour lutter contre Metcalfa pruinosa (Say) (Hemiptera, Flatidae), Bulletin de la Société entomologique de France, 108 (1) : 97-102.
- Malausa J.-C., Benaouf G., Boivin C., Bossu V., Chapelle P., Ehanno D., Faivre d'Arcier F., Giuge L., Goarant G., Hartig A.-J., Hostalnou E., Lichou J., Montegano P., Ondet S.-J., Richy D., Salva G., Sanquer E., Trespaille-Barrau J.-M. & Vidal C., 2006, Bilan de dix années de lutte biologique contre le flatide nord-américain introduit en France, Metcalfa pruinosa, Bulletin technique apicole, 33 (4) : 153-162.
- Thierry D. & Chuche J., 2007, Réflexion sur le devenir d'insectes du vignoble dans le contexte d'un réchauffement climatique global, 8e Journée technique du CIVB (Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux) du 13 mars 2007 : 90-101.