En Normandie, les ruissellements érosifs sont très fréquents, avec un impact fort sur la qualité des eaux. Pour les étudier et trouver des solutions, l'Areas(1) a été créée en 1985 par trois collectivités et la chambre d'agriculture de Seine-Maritime. Basée à Saint-Valery-en-Caux, avec une équipe de dix salariés, elle agit via la recherche, l'expertise et la formation.
« La problématique des produits phytosanitaires dans l'eau potable a émergé dans les années 2000 avec la question de savoir quelle était la part véhiculée par les eaux de ruissellement de surface », raconte Lai Ting Pak, chargée de mission. Ainsi est né, en 2008, le programme Pesticeros, clôturé en 2018.
Prélèvements automatisés multi-stations
« L'objectif était de développer des connaissances sur les transferts de produits phytosanitaires dans les eaux de ruissellement en caractérisant ceux-ci à l'échelle d'un bassin versant de 1 000 ha (4,6 km de long sur 3,1 km de large). Cela fait appel à des compétences en hydrologie et agronomie, et nécessite une analyse à différentes échelles : parcelle, sous-bassin et bassin versant. » Pour ce faire, trois stations ont été positionnées à l'exutoire d'une zone d'intérêt : le bassin versant, un sous-bassin versant agricole et un sous-bassin versant drainant la zone urbaine de Bourville. Les prélèvements, réalisés automatiquement, sont déclenchés par un volume seuil écoulé adapté à la variabilité saisonnière des ruissellements. « Nous récupérons les flacons une à deux fois par jour tant qu'il y a du ruissellement. Un de mes collègues se charge de cette tâche. »
200 molécules recherchées
Un suivi qualitatif, avec notamment les concentrations de 200 matières actives, est réalisé depuis l'automne 2007.
« Nous avons démarré avec les molécules déjà recherchées en rivières et dans les eaux souterraines, complétées au fil des ans par les nouvelles matières actives utilisées sur le bassin versant. » Un laboratoire de Rouen réalise les analyses des échantillons d'eau prélevés. Cependant, une trentaine de molécules utilisées sur le bassin versant ne peuvent être suivies faute de méthode d'analyse ou de limite de quantification suffisamment basse.
« C'est le cas du métaldéhyde. Or, c'est l'antilimace le plus utilisé ! »
Enregistrer les pratiques
Deuxième type de données collectées : les pratiques des utilisateurs. Une trentaine d'agriculteurs conduisent les 180 parcelles du bassin versant. « Nous avons réussi à tous les mobiliser, ce qui permet d'avoir une vision exhaustive. Je les rencontre chaque année individuellement avec un questionnaire très détaillé : occupations du sol (rotation, variété...), travaux du sol (date, train d'outils...), traitements phytosanitaires (date, produit, dose...), pour chaque parcelle. » De retour au bureau, Lai Ting Pak saisit ces informations dans une base de données gérée par un collègue. Les collectivités et les jardiniers amateurs ne répertoriant pas leurs traitements phytosanitaires, il était impossible de conduire la même opération avec eux.
« Nous avons décidé de mesurer les quantités de matières actives en sortie de village, grâce à une des trois stations, pour les retirer de celles sortant du bassin versant et ainsi connaître réellement ce qui est dû à l'activité agricole. »
Interpréter les données
Au bout de onze ans, une quantité très importante de données ont été engrangées. « C'est fantastique ! », s'exclame Lai Ting Pak dont la mission principale est d'analyser, d'interpréter et de valoriser les données de Pesticeros. « Je peux ainsi faire une analyse très fine des exportations des produits phyto en fonction des dates d'apport, de la pluviométrie ruisselante ou non... et pour chaque molécule, de cerner l'importance des transferts, leur variabilité spatiale et temporelle, et son potentiel à migrer. Cela permet d'identifier des priorités potentielles d'action. » Cette analyse est déjà réalisée pour une dizaine de molécules d'intérêt ou les plus à risque en matière de transfert : glyphosate et son métabolite l'AMPA, herbicides de céréales d'hiver (isoproturon, chlortoluron, diflufenicanil...) et de cultures de printemps (lénacile), fongicides (triazoles, dithiocarbamates)...
« Je regarde aussi les matières actives épandues que l'on ne retrouve pas dans les eaux de ruissellement pour comprendre quelles caractéristiques expliquent cela. »
Aménager le territoire
Objectif final : proposer des solutions. Au niveau agronomique, deux voies d'action potentielles ont été identifiées : la gestion des traitements phyto et celle du ruissellement.
« Pour une molécule à demi-vie courte, une solution serait d'éloigner les traitements des périodes de ruissellement. Quant à ce dernier, il peut être réduit en ralentissant la formation de la croûte de battance ou en augmentant l'infiltration des pluies par une couverture végétale, par exemple. »
Mais ces solutions ne sont pas toujours compatibles avec les préoccupations ou obligations des producteurs. « C'est pourquoi nous nous orientons vers l'aménagement de zones tampons, plus consensuel et à effet plus immédiat. »
Une suite sera également proposée à Pesticeros : modéliser les transferts de produits phytosanitaires pour tester l'efficacité de différents scénarios d'aménagement du territoire, avec la finalité de servir à d'autres régions. Voilà qui devrait encore occuper notre chargée de mission pendant un certain temps !
(1) Association de recherche sur le ruissellement, l'érosion et l'aménagement du sol.
BIO EXPRESSLAI TING PAK
2008. Ingénieur agronome diplômée d'Agrocampus Ouest spécialisée en génie de l'environnement (sol-eau-hydrosystèmes) à Rennes (Ille-et-Vilaine).
2009. Thèse en hydrologie et allocataire de recherche au Cirad, en Guadeloupe.
2013. Docteur diplômée de Montpellier SupAgro spécialisée en eaux continentales et société.
2014. Post-doctorat au CNRS.
Chargée de mission à l'Areas, à Saint-Valery-en-Caux (Seine-Maritime).