ACTUS

POLLINISATEURS TRAITER ET PRÉSERVER : L'ÉQUATION IMPOSSIBLE ?

Phytoma - n°722 - mars 2019 - page 4

Le dispositif réglementaire de protection des insectes pollinisateurs va probablement se renforcer. Un avis de l'Anses émet en tous cas des dispositions dans ce sens.
Des combinaisons d'insecticides et de fongicides considérés comme sûrs pour les abeilles domestiques, appliqués lors de la floraison, peuvent se montrer toxiques, notamment sur les larves. Photo : V. Vidril

Des combinaisons d'insecticides et de fongicides considérés comme sûrs pour les abeilles domestiques, appliqués lors de la floraison, peuvent se montrer toxiques, notamment sur les larves. Photo : V. Vidril

L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a publié le 5 février un avis sur le renforcement du dispositif réglementaire de protection des abeilles et autres pollinisateurs vis-à-vis des produits phyto. Elle émet une série de recommandations, ainsi que des orientations pour le renforcement de leur évaluation. Sur ce point, l'agence a saisi son comité d'experts. Son travail s'appuiera sur la méthodologie proposée par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa)(1).

æLa réglementation nationale comportait des mesures de protection déjà au début du XXe siècle. Les « affaires » associant traitements phyto et abeilles, datant d'une vingtaine d'années, ont amené à une réelle prise de conscience et un renforcement des dispositions. L'arrêté « abeilles » du 28 novembre 2003 interdit ainsi l'utilisation de traitements insecticides et acaricides durant toute la période de floraison et pendant les périodes de production d'exsudats, sur tous les peuplements forestiers et les cultures visitées par les butineuses. Lorsqu'une dérogation est accordée, l'utilisation pendant ces périodes est possible, mais seulement en l'absence des abeilles et avec des produits portant la mention « abeilles ». L'Anses, qui avait déjà rendu un avis sur cet arrêté le 31 mars 2014(2), rappelle que les recommandations émises restent d'actualité...

L'arrêté du 7 avril 2010 prescrit des modalités relatives à l'utilisation de certains mélanges extemporanés (insecticide de la famille des pyréthrinoïdes et fongicide de la famille des triazoles ou des imidazoles). Par ailleurs, la France a interdit l'utilisation des produits contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes depuis le 1er septembre 2018. La loi EGalim prévoit d'étendre cette interdiction aux substances insecticides possédant un mode d'action identique.

æL'ensemble des données des différents réseaux de surveillance indique une exposition des abeilles à différents types de substances chimiques : fongicides, herbicides et insecticides. De ce fait, l'Anses recommande d'élargir l'interdiction d'appliquer à l'ensemble des produits phyto (y compris fongicides et herbicides) utilisés en pulvérisation pendant les périodes de floraison et/ou périodes de production d'exsudats.

Afin de s'assurer de l'absence d'effets inacceptables dus à la présence éventuelle de résidus de produits phyto dans les fleurs au moment de la floraison, l'interdiction devrait s'étendre aux substances actives systémiques utilisées en pulvérisation avant floraison ou en traitements de semences.

Les effets néfastes de fongicides en coexposition avec d'autres substances actives ou même de pathogènes sont mis en évidence au sein de nombreuses publications. Dans une étude publiée en début d'année, dans la revue Insects, le chercheur américain Reed Johnson, de l'Ohio State University(3), décrit comment des combinaisons d'insecticides et de fongicides considérés comme sûrs pour les abeilles domestiques, appliqués lors de la floraison, peuvent s'avérer toxiques, notamment sur les larves.

æL'interdiction élargie aux substances actives systémiques avant floraison ou en traitements de semences concernerait également les produits à base de micro-organismes. En effet, certains ne montrent pas de spécificité d'hôte (par exemple Paecilomyces fumosoroseus).

Seule la luminosité peut être proposée comme condition indicatrice de l'absence d'activité de butinage des abeilles domestiques, selon l'Anses. Les traitements phyto bénéficiant d'une dérogation ne devraient donc être appliqués qu'après l'heure de coucher du soleil et dans les trois heures suivantes.

æConcernant l'octroi des dérogations, l'Anses recommande de le conditionner à la réalisation de nouveaux essais (dès lors que les méthodes le permettant sont disponibles) sur le développement du couvain, le comportement des abeilles, l'intoxication chronique, la toxicité aiguë sur bourdon... Selon l'Efsa, l'évaluation des risques réalisée pour l'abeille domestique ne permet pas de couvrir les risques pour les bourdons et les abeilles solitaires : le comportement alimentaire et de reproduction est différent, ainsi que l'influence de la luminosité et des températures sur leur activité.

æLes ministères de l'Agriculture et de la Transition écologique ont annoncé la mise en place d'un groupe de travail visant à définir les mesures permettant de limiter les risques, tout en prenant en compte les contraintes techniques pour les agriculteurs. La France va par ailleurs renouveler sa demande à la Commission européenne d'actualiser les méthodologies d'évaluation des risques pour les pollinisateurs, mises en oeuvre dans le cadre des approbations européennes des substances actives.

æD'après une enquête réalisée par le ministère de l'Agriculture, le taux moyen de mortalité d'abeilles domestiques durant l'hiver 2017-2018 avait atteint près de 29,4 % (contre un taux naturel de 10 %). Les causes sont multiples : phytos, bioagresseurs (varroa, loque américaine, champignons, virus, teignes...), diminution des ressources alimentaires (abandon de cultures mellifères, fauchage de la flore naturelle...).

(1) EFSA Guidance Document on the risk assessment of plant protection products on bees Apis mellifera, Bombus spp. and solitary bees, 2013, mis à jour en 2014.(2) www.anses.fr/fr/system/files/PHYTO2013sa0234.pdf(3) doi:10.3390/insects10010020

POUR EN SAVOIR PLUS

www.anses.fr/fr/content/santé-des-abeilles

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