Diversité des symptômes causés par les punaises. 1. Stephanitis lauri (Tingidae) taches chlorotiques, face supérieure d'une feuille de laurier sauce. 2. Idem, souillures et exuvies, face inférieure. 3. Dégâts de punaises sur pomme. 4. Dégâts de punaises sur noisettes. 5. Larves de Nezara virudula, flétrissements sur aubergine. 6. Nesidiocoris tenuis, anneau nécrotique et déformation de l'apex. 7. Galles de Copium et un adulte (Tingidae) sur Teucrium. Photos : J.-C. Streito. 3. Station La Morinière. 4. R. Hamidi
Fig. 1 : Morphologie et cycle biologique d'un hétéroptère A. Morphologie générale d'un hétéroptère présentant les particularités physiques de ce groupe. Ici un Lygus sp. (Miridae). B. Cycle biologique. Les larves ressemblent à l'adulte en plus petit (métamorphose incomplète). Ici Nezara viridula (Pentatomidae).
Fig. 2 : Phylogénie simplifiée des hémiptères adaptée de Li et al. (2017) Les familles qui comprennent des espèces ayant une importance agronomique sont en rouge pour les phytophages, en vert pour les espèces prédatrices. Les punaises (sous-ordre des Heteroptera) commencent sous la ligne rouge, au-dessus pour mémoire les autres sous-ordres d'hémiptères. Toutes les familles d'hémiptères ne sont pas figurées, les familles des Piesmatidae et des Thaumastocoridae non incluses dans l'étude de Li et al. ont été ajoutées artificiellement.
Pourquoi un panorama sur les punaises ? Celles-ci étaient considérées jusqu'à récemment comme des ravageurs secondaires pouvant causer des dégâts épisodiquement et localement. Depuis une dizaine d'années, de nombreuses espèces de punaises émergent comme ravageurs de plantes cultivées causant des dégâts de plus en plus fréquents et importants.
Origine et diversité des hétéroptères
Des familles très différentes les unes des autres
Les punaises sont des insectes piqueurs-suceurs de l'ordre des hémiptères et du sous-ordre des hétéroptères. Elles ont en commun d'une part leur appareil buccal : important en agronomie car responsable de l'essentiel des dégâts causés aux plantes, et d'autre part des ailes antérieures constituées de deux parties, une coriace et une membraneuse à l'extrémité (Figure 1A page suivante). Ce sont des insectes à métamorphose incomplète dont les larves ressemblent à des adultes plus petits et sans ailes (Figure 1B). La liste des punaises de France est en constante évolution : on en découvre régulièrement de nouvelles, soit des espèces discrètes passées inaperçues jusqu'à présent, soit des espèces exotiques qui colonisent notre pays, « naturellement » ou à la suite d'introductions non intentionnelles liées aux activités humaines (échanges commerciaux, voyages, etc.). Dusoulier (2008) comptabilise environ 1 350 espèces pour la France, alors que plus de 44 000 espèces ont été décrites à travers le monde.
Les punaises ont des écologies très variées : elles ont colonisé tous les habitats de la planète, y compris les eaux douces. Leurs régimes alimentaires sont également variés, en général assez similaires aux stades adultes et larvaires. Des espèces sont phytophages et piquent les végétaux pour se nourrir, d'autres sont de redoutables prédateurs à leur échelle et enfin quelques espèces sont hématophages. Les phytophages et les prédatrices intéressent l'agriculture pouvant, suivant les espèces, soit causer des dégâts et donc des pertes économiques, ou être d'utiles auxiliaires. Enfin, un nombre non négligeable de punaises présentent un régime alimentaire mixte, à la fois végétal et animal ; nous les qualifions de zoophytophages.
Pas une, mais bien des problématiques punaises
L'arbre phylogénétique (Figure 2) illustre la diversité des punaises, mais pour donner une idée de la diversité de ce groupe immense et des différences biologiques qui existent d'une famille à l'autre, prenons un exemple plus connu en agronomie : les pucerons (une famille : Aphididae) et les cochenilles (plus de trente familles).
Pucerons et cochenilles appartiennent à l'ordre des hémiptères (comme les punaises), ils appartiennent au même sous-ordre des sternorhynques équivalent des hétéroptères. Cela signifie qu'une punaise du genre Lygus (Heteroptera, Miridae) est aussi différente d'une punaise du genre Nezara (Heteroptera, Pentatomidae) qu'un puceron (Sternorhyncha, Aphididae) est éloigné d'une cochenille farineuse (Sternorhyncha, Pseudococcidae).
Aucun praticien ne considèrerait un problème de puceron comme identique à un problème de cochenilles. C'est pourtant le raccourci qui est souvent fait lorsque la problématique « punaises » est abordée comme un problème unique. Cela revient à mélanger des pucerons et des cochenilles sous un même chapeau en pensant pouvoir les maîtriser de la même manière !
Les punaises phytophages : pas si nouvelles que ça en agriculture
Si les punaises phytophages font de plus en plus parler d'elles actuellement, leur présence sur les cultures est une vieille histoire avec des hauts, des bas... et à nouveau des hauts. En effet, déjà en 1961, L. Bonnemaison détaille ces ravageurs, les risques associés et les manières de les contrôler. Notamment, il liste :
- les punaises des céréales, et plus particulièrement Aelia acuminata (L., 1758), Carpocoris pudicus (Poda, 1761) ainsi que trois espèces d'Eurygaster, à savoir Eurygaster maura (L., 1758), E. austriaca (Schrank, 1776) et E. integriceps Puton, 1881 ; ces punaises sont pour la plupart citées de pays autres que la France, par exemple les Eurygaster spp. à l'Est et Aelia acuminata plutôt en Afrique du Nord ; toutefois, Bonnemaison fait référence à de fortes baisses de rendement sur blé dans l'est de la France à la fin des années 1930, principalement à cause d'Aelia acuminata ; il explique que par la suite, cette espèce a fortement régressé et n'a plus été dommageable, ce qui semble être toujours le cas ;
- Dolycoris baccarum (L., 1758) qui attaque autant les plantes ornementales, que les céréales, la pomme de terre, la betterave, la luzerne, le trèfle, le radis, le chou, le noisetier ou les arbres fruitiers ;
- Palomena prasina (L., 1761) et Nezara viridula (L., 1758), sur bouleau, noisetier, betterave, pomme de terre, tomate, tabac, haricot, melon, blé ;
- les Eurydema en général mais principalement Eurydema ventralis Kolenati, 1846 qui s'attaquent aux Brassicaceae ;
- Parapiesma quadratum (Fieber, 1844) (Piesmatidae), la punaise de la betterave, surtout nuisible en Allemagne, Pologne et Russie ;
- Stephanitis pyri (F., 1775), le tigre du poirier et Stephanitis rhododendri Horvath, 1905 le tigre du rhododendron ; deux Tingidae, le premier bien présent sur tout le territoire, le second rarissime si tant est qu'il soit encore présent (c'est une espèce du nord de l'Europe, signalée dans nombre d'ouvrages d'agronomie mais qui n'a sans doute quasiment jamais posé de problème dans l'Hexagone) ;
- des Miridae avec principalement Adelphocoris lineolatus (Goeze, 1798) (légumineuses), Closterotomus fulvomaculatus (De Geer, 1773), la punaise des poires pierreuses, Closterotomus norwegicus (Gmelin, 1790) sur pomme de terre, Lygocoris rugicollis (Fallén, 1807) sur pommier (bourgeons), Orthops campestris (L., 1758) (graines de carottes), Lygocoris pabulinus (L., 1761) (pomme de terre, betterave, fraisier, haricot, etc.), Lygus pratensis (L., 1758) (pommes de terre, betterave, choux, fèves, etc.), Lygus rugulipennis Poppius, 1911 (idem) ;
- Capsodes sulcatus (Fieber, 1861), également un Miridae, encore appelé la « grisette de la vigne », qui a provoqué des dégâts mémorables sur vigne, en 1888 ; c'est une des rares punaises et le seul miride à avoir véritablement un nom commun !
Aujourd'hui, une période de réémergence
Entre la demande sociétale actuelle qui souhaite des produits alimentaires plus sains, relayée par la pression des pouvoirs publics pour une réduction de l'usage des pesticides (plans Écophyto 1 puis 2), les stratégies de protection des cultures bas intrants, voire tout biologique, se développent. La couverture chimique diminuant, certains ravageurs toujours présents mais maintenus depuis de nombreuses années en dessous de leur seuil de non-nuisibilité peuvent s'exprimer et de nouveau avoir un impact sur les cultures. Les punaises en font partie et l'absence de pression importante durant les périodes précédentes n'a pas motivé la mise en place de stratégie de lutte alternative, notamment biologiques. Aujourd'hui, ces ravageurs secondaires sont en passe dans certains cas de devenir des ravageurs majeurs de certaines productions.
Le changement climatique étant à l'oeuvre, nous commençons à observer des espèces déjà présentes sur le territoire qui voient leur aire de distribution s'élargir vers le nord, par exemple Nezara viridula, une espèce d'origine tropicale et méditerranéenne dont on a observé des pullulations en Alsace ces derniers temps.
À la faveur des échanges mondiaux
Enfin, un dernier facteur d'émergence des punaises est l'augmentation et la mondialisation des activités humaines, notamment des échanges commerciaux, par lesquels de nombreuses espèces exotiques sont introduites et s'installent sur notre territoire.
Le nombre de ravageurs des cultures introduits chaque année de manière non intentionnelle en France est passé de 1,58 sur la période 1950-2000 à plus de sept actuellement (Martinez et al., 2014) et les punaises sont très bien représentées parmi les nouveaux arrivants.
L'exemple d'actualité le plus emblématique est la punaise diabolique Halyomorpha halys (Stål, 1855) provenant de la zone Chine, Corée, Japon, ou encore Leptoglossus occidentalis Heidemann, 1910, sur pins provenant d'Amérique du Nord.
D'autres punaises phytophages présentant un profil à risque pour les cultures ont déjà connu des séquences d'introduction et ont manifesté un caractère invasif hors de leurs aires d'origine ; elles pourraient arriver également sur notre territoire, par exemple Bagrada hilaris (Burmeister, 1835) ou encore Megacopta cribraria (F., 1798) (voir Encadré 2).
2 - Quelques punaises potentiellement invasives à nos frontières et à surveiller
Macchiademus diplopterus (Distant, 1903) (Blissidae), ravageur des céréales, notamment en Afrique du Sud, a été intercepté à plusieurs reprises dans des ports français.
Bagrada hilaris (Pentatomidae), originaire d'Afrique, d'Inde, etc., invasive aux États-Unis où elle cause de gros dégâts aux crucifères. Elle n'a pas encore été découverte en Europe à l'exception d'une petite île au sud de la Sicile.
Megacopta cribraria (Plataspidae) d'Asie, invasive en Amériques du Nord et du Sud sur soja, a été interceptée à plusieurs reprises en Europe s'en s'y être installée semble-t-il pour le moment.
Piezodorus guildinii, ravageur entre autres du soja aux États-Unis et en Amérique du Sud, d'où il est originaire. M. diplopterus, M. cribraria et P. guildinii ont déjà été interceptés aux frontières de la France.
Quatre exemples d'invasions possibles mais combien d'autres impossibles à prévoir ? La surveillance des marchandises et du territoire est importante pour éviter de nouvelles invasions.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Insectes piqueurs-suceurs de l'ordre des hémiptères, les punaises se caractérisent par leur grande diversité et des familles aussi différentes les unes des autres que le sont les pucerons des cochenilles.
RÉÉMERGENCE - En 2008, environ 1 350 espèces étaient comptabilisées en France. De nouvelles sont découvertes régulièrement sur notre territoire, discrètes passées inaperçues jusqu'à présent, ou exotiques colonisant notre pays. Depuis quelques années, les punaises phytophages font parler d'elles, profitant de la diminution de la couverture chimique, du réchauffement et de la mondialisation.
MOTS-CLÉS - Punaises, hétéroptères, hémiptères, phytophages, prédatrices, hématophages, couverture chimique, réchauffement climatique, mondialisation.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACTS : jean-claude.streito@inra.fr
alexandre.bout@inra.fr
OUVRAGES : McPherson, 2018, Invasive Stink Bugs and Related Species (Pentatomoidea), CRC Press, London, New York, Washington DC. 828 pages.
Schaefer & Panizzi, 2000, Heteroptera of Economic importance, CRC Press, London, New York, Washington DC. 828 pp.
BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article (quatre références) est disponible auprès de ses auteurs (contacts ci-dessus).