Fig. 1 : Répartition de la pyrale du buis en France selon la date d'arrivée dans chaque département (2013-2016) La pyrale du buis a colonisé 87 départements en huit ans. Source : Plante & Cité, décembre 2017.
Parasites potentiels de la pyrale du buis prélevés dans le cadre du projet Biopyr : 3. Stibeutes sp. (3 mm). 4. Meteorus pendulus (4,5 mm). 5. Compsilura concinnata (8 mm). 6. Amblyscelio striaticeps (2-3 mm).7. Itoplectis maculator (9 mm). Photos : F. Rocher - Inra UEFM Antibes - août 2017
Fig. 2 : Les sites échantillonnés en 2017 Les croix bleues indiquent les sites d'échantillonnage de la pyrale du buis dans chaque département de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Ain (01) : Contrevoz-Belley. Savoie (73) : Chambéry (col du Granier). Isère (38) : Gorges du Nan (Cognin-les-Gorges). Drôme (06) : Saint-Nazaire-en-Royan (Combe Laval). Ardèche (07) : Saint Péray et Saint-Julien-en-Saint-Alban.
La pyrale du buis Cydalima perspectalis (Walker, 1859) (Lepidoptera : Crambidae), papillon invasif originaire de l'est de l'Asie (Mally et Nuss, 2010), est un ravageur spécifique du buis (Marumayama et Shinkaji, 1993), maintenant largement répandu en France depuis 2008 (Feldtrauer et al., 2009). Initié en 2017, le projet Biopyr, porté par la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt Auvergne-Rhône-Alpes (Draaf AURA), a pour triple objectif :
- d'observer la réaction de l'entomofaune du buis face à l'arrivée de la pyrale ;
- de vérifier si la pyrale est consommée par des prédateurs ou parasitée ;
- éventuellement, de repérer des auxiliaires pour de la lutte biologique.
La pyrale du buis, un ravageur bien installé
Une expansion rapide
La prolificité élevée de la pyrale du buis couplée à sa capacité de dispersion importante (Nacambo, 2012) lui permettent de coloniser et de s'établir rapidement dans de nouveaux habitats. Elle a colonisé 87 départements en France en huit ans (Figure 1 p. 30). Les chenilles ravagent indistinctement les différentes espèces de buis plantées en parcs et jardins comme celles constitutives des buxaies naturelles européennes (Leuthardt et Baur, 2013). Ces populations de buis sont fréquentes à l'échelle de l'Europe, bien que parfois fragmentées (Di Domenico et al., 2012). Ainsi, pour l'instant, la pyrale n'est pas limitée par le manque de ressources. L'expansion de cet invasif semble principalement limitée par des facteurs climatiques (Nacambo et al., 2014). Selon ces prédictions, la majeure partie de l'Europe est susceptible d'être colonisée par la pyrale. Des milliers d'hectares de buis sont à présent défoliés et, d'année en année, l'infestation se propage comme une traînée de poudre, faisant craindre la disparition des buis et donc des changements importants dans les écosystèmes forestiers (Lopez-Vaamonde et al., 2010, Kenis et al., 2013).
Face à ces attaques, la question de la manière dont réagit le milieu naturel, et en particulier l'entomofaune, se pose. Des parasites vont-ils élargir leur spectre d'hôtes et les prédateurs celui de leurs proies ? Dans une étude récente sur les ennemis naturels de C. perspectalis au NO de la Suisse (Nacambo, 2012), 34 individus de la tachinaire Pseudoperichaeta nigrolineata (Walker) ont émergé des 5 144 chenilles collectées sur 19 sites entre mars 2011 et août 2012.
Faune auxiliaire
Premiers signes d'adaptation
La pyrale, par les défoliations massives de buis qu'elle cause, transforme l'habitat de l'entomofaune de cette plante de manière radicale ; ce qui peut être la source d'un déplacement des individus en raison de la raréfaction de la ressource alimentaire entraînant en cascade un déplacement des prédateurs et parasites à la recherche de proies et d'hôtes.
De même, les parasites et prédateurs généralistes peuvent devenir plus abondants sur le buis en raison de l'augmentation de la ressource alimentaire qu'est potentiellement la pyrale. En 2016, des premiers signes d'adaptation des auxiliaires et prédateurs de la pyrale du buis ont été observés, tels des oeufs de tachinaire sur chenille ou des pinsons et mésanges se nourrissant de chenilles.
Le projet Biopyr
C'est de l'hypothèse que des parasites et prédateurs généralistes et opportunistes vont intégrer la pyrale du buis dans leur panel d'hôtes et de proies, qu'est né en 2017 le projet Biopyr (« Recherche et inventaire d'agents potentiels de régulation biologique, liés à la pyrale du buis, en milieu naturel forestier en région Auvergne-Rhône-Alpes ») porté par la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt Auvergne-Rhône-Alpes (Draaf AURA).
La première année du projet, un focus a été réalisé sur la recherche de parasites des oeufs, larves et chrysalides de la pyrale qui pourraient s'être adaptés à ce ravageur depuis son introduction dans le milieu forestier en 2014.
En parallèle, les correspondants observateurs DSF (Département de la santé des forêts) des départements touchés réalisent un suivi continu afin de mieux appréhender la dynamique des populations de pyrale en milieu naturel et leur progression.
En 2018 et 2019, l'étude des parasites s'est poursuivie et elle est complétée par celle des prédateurs, et plus largement par l'entomofaune présente sur le buis. Une réflexion est menée en parallèle sur la possibilité d'utiliser les auxiliaires trouvés en tant qu'agents de lutte biologique.
Échantillonnage dans cinq départements
Méthode d'échantillonnage
Trois cents individus du ravageur sont prélevés de façon systématique sur un site pour chacun des cinq départements - Savoie (73), Ain (01), Isère (38), Drôme (26), Ardèche (07) - de la région AURA une fois par mois, d'avril à septembre (Figure 2 page suivante). Le choix des sites s'est porté sur ceux qui présentaient des signes d'attaque et étaient les plus anciennement attaqués (base de données Département santé des forêts), avec des écosystèmes variés. En cas de défoliation complète d'un site, un autre site est recherché aux alentours. Les boîtes sont transmises au laboratoire Biocontrôle Inra UEFM à Antibes, après un stockage en chambre climatique à Avignon (25 °C, 75 % HR).
Conditionnement des échantillons et système de codification
Pendant la tournée, les échantillons sont conditionnés en boîtes en plastique transparent dotées de trous d'aération finement grillagés. Du buis frais est ajouté au cours du transport pour maintenir les chenilles en vie. À chaque boîte correspond une fiche de notation indiquant : le nom du site, la date de collecte, les nombres de chenilles, chrysalides, papillons et pontes prélevés, les coordonnées GPS du prélèvement, les observations sur l'état du buis (pourcentage de défoliation, repousse...), la météo du jour, les observations sur la pyrale (stade, cas suspects, mortalité...), les observations de prédateurs.
Gestion des échantillons et suivi en laboratoire
Méthode de prélèvement
À Antibes, les échantillons sont stockés en laboratoire à 25 ± 3 °C, 70 ± 10 % HR, photopériode de 16 h de jour et 8 h de nuit. Du buis frais est ajouté au fur et à mesure de la consommation. Tous les jours, les parois et couvercles des boîtes sont minutieusement inspectés. Tout insecte sortant est récupéré en tube Eppendorf sur lequel est inscrit le code de la boîte d'origine et la date du jour. Les papillons qui émergent sont récupérés. Dans un tableau sont répertoriés le code de chaque boîte, la date du jour d'émergence et le nombre de papillons afin d'avoir une idée du pourcentage d'émergence. Tous les individus récupérés dans les boîtes sont conditionnés en alcool à 70 % et pris en photo sous loupe binoculaire (microscope VHX-2000). Les photos et échantillons sont ensuite envoyés pour détermination morphologique à des entomologistes de sociétés privées, de l'université de Rome ou du muséum de Londres.
Après détermination, une recherche bibliographique est menée sur chaque espèce afin de mieux connaître son régime alimentaire et confirmer ou non qu'il s'agit d'un parasite de lépidoptère, donc potentiellement de la pyrale du buis.
Bilan des premières collectes
Identification des parasites trouvés
Seul le cas des parasites de pyrale est développé dans cette étude. Le parasite le plus retrouvé (96 % des parasites trouvés) est la tachinaire Compsilura concinnata (Meigen, 1824) (Diptera : Tachinidae), qui représente 22 % des prélèvements. Les hyménoptères dont certains sont potentiellement des parasites de la pyrale du buis correspondent à 12 % des prélèvements : Meteorus pendulus (Muller, 1776) (Hymenoptera : Braconidae) et Itoplectis maculator (Fabricius, 1775) (Hymenoptera : Ichneumonidae) dans l'Ain ; Stibeutes sp. (Förtser, 1869) (Hymenoptera : Ichneumonidae) dans la Drôme ; parasitoïde oophage polyphage Amblyscelio striaticeps (Kieffer, 1913) (Hymenoptera : Platygastridae) dans l'Ardèche (photos 3 à 7).
La majorité des hyménoptères prélevés sont des parasites d'autres ravageurs du buis tels que des espèces gallicoles appartenant à la famille Cecidomyiidae (diptères), des diptères mineuses et des coléoptères phytophages. La présence de ce complexe de parasitoïdes est en accord avec la bibliographie réalisée sur les ravageurs potentiels du buis.
Taux de parasitisme en 2017
En fonction du département, les taux de parasitisme varient entre 1 et 8 % (Figures 3A et 3B page suivante). Ils sont majoritairement dus à C. concinnata. La Drôme et l'Isère sont les départements présentant les plus forts taux de parasitisme. Les prélèvements doivent se faire à partir de début mai jusqu'à la rentrée naturelle en diapause de la pyrale (courant septembre selon les climats).
Compsilura concinnata est présente dans tous les départements et durant toute la période de collecte. C'est dans la Drôme que plus de la moitié des tachinaires ont été récupérées et en Savoie qu'il y en a eu le moins (2 %). Les autres départements se partagent le reste des individus de la tachinaire (Figure 4 page suivante).
Prédateurs, phytophages et détritiphages
La campagne 2017 a montré que l'écosystème « buis » abrite une multitude d'espèces d'araignées, de fourmis et de forficules, quelques individus prédateurs d'organismes de type « puceron » ont aussi été trouvés, avec notamment la présence de syrphidés (diptères), de coccinelles (coléoptères) et de chrysopes (neuroptères) plus polyphages. L'écosystème « buis » abrite également une multitude d'espèces d'araignées, de fourmis et de forficules. Des cas de prédation des larves de pyrale du buis par la guêpe poliste (Polistes dominula, hyménoptère) ont été observés dans la région toulousaine. Les mésanges et chauve-souris comptent également parmi les prédateurs naturels de la pyrale du buis.
Par ailleurs, de nombreux individus collectés appartiennent à des espèces phytophages représentantes de l'ordre des hémiptères dont des Cicadellidae, Psyllidae et autres familles, mais aussi quelques coléoptères, orthoptères et diptères dont des Cecidomyiidae et des Nematocera. Enfin, les détritiphages de l'ordre des Psocoptera représentent la majorité des prélèvements.
Parasites indigènes peu nombreux
La tachinaire bien impliquée
Dans cette étude, seule l'implication réelle de la tachinaire C. concinnata dans la régulation de Cydalima perspectalis a pu être mise en évidence avec cependant des taux de parasitisme très faibles. Ces taux sont comparables à ceux des travaux de Nacambo (2012) qui a isolé une trentaine d'individus de la tachinaire Pseudopericha nigrolineata dans la région suisse de Bâle lors des débuts de l'introduction de la pyrale. Si des perspectives de lutte biologique peuvent être envisagées à l'aide de C. concinnata, le faible taux de parasitisme observé cette année et les risques potentiels non-cibles (la tachinaire étant un parasite généraliste de nombreuses espèces de lépidoptères) sont peu en sa faveur.
Un ravageur performant
Le faible nombre de parasites indigènes impliqués dans la régulation de C. perspectalis peut s'expliquer par la vitesse d'expansion de ce ravageur, son taux de reproduction élevé, sa résistance aux températures extrêmes et par la rapidité d'écroulement des populations de ce dernier à la suite des défoliations totales. C'est une des raisons du succès de l'installation de la pyrale, en plus de l'absence de son cortège d'ennemis naturels d'origine (Sih et al., 2010).
Le buis possède très peu de ravageurs indigènes (Rocher, 2017). L'impact de ces derniers est minime sur la défoliation, aussi la pyrale n'est pas en compétition pour la consommation des feuilles de buis. De même, il semble qu'un écosystème avec une biodiversité très riche est beaucoup plus résistant à l'invasion d'une nouvelle espèce qu'un écosystème pauvre en biodiversité. En effet, la présence de niches écologiques non occupées facilite l'installation de nouvelles espèces (Jeschke, 2014). La capacité des larves de C. perspectalis à stocker les alcaloïdes dans leur corps semble également un moyen de défense efficace contre ses ennemis.
Une adaptation de la faune auxiliaire incertaine
Le taux d'adoption par les indigènes est susceptible d'augmenter avec le temps et, dans certains cas, peut entraîner une réduction substantielle de la population du ravageur exotique (Kenis et al., 2017), comme dans le cas du lépidoptère Coleophora serratella originaire d'Europe, arrivé accidentellement en Amérique du Nord au XXe siècle (Cornell et Hawkins, 1993). Un insecte invasif serait susceptible d'être « adopté » par des ennemis naturels indigènes si le groupe auquel il appartient est attaqué par des généralistes dans son pays d'origine et s'il existe, dans le pays d'introduction, des insectes avec une taxonomie et une écologie similaires à celles de l'invasif (Kenis et al., 2017). D'après la littérature asiatique, C. perspectalis est régulée essentiellement par des ennemis naturels polyphages.
Toutefois, au stade de l'étude, il est encore difficile de prédire le potentiel d'adaptation des indigènes pour ce ravageur, en France, voire en Europe.
Ainsi, des équilibres biologiques, qui apparaîtront potentiellement, n'ont pas encore eu le temps de se faire (au moins dans les régions étudiées) pour limiter la propagation de la pyrale du buis. Une stabilisation des populations de pyrale, liée à une raréfaction de la ressource alimentaire, serait plus favorable à une installation de parasites et prédateurs indigènes.
En 2019, les collectes se poursuivent dans l'objectif de continuer à étudier la réaction du milieu naturel face aux attaques de pyrale. Une étude des prédateurs présents sur buis est envisagée avec notamment l'analyse moléculaire du contenu du tube digestif de ces insectes, suspectés d'avoir consommé la pyrale, en vue de vérifier leur potentiel de prédation.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Un des objectifs du projet Biopyr (2017-2019), financé par la Draaf Auvergne-Rhône-Alpes, est d'étudier l'entomofaune associée au buis après l'arrivée d'un intrant invasif, Cydalima perspectalis (Walker) (Lepidoptera : Crambidae).
Un inventaire des auxiliaires, qui parasitent ou consomment spontanément la pyrale du buis, est réalisé. Pour les parasites, des échantillons de larves, oeufs et chrysalides de pyrale du buis sont régulièrement collectés dans cinq départements de la région Auvergne-Rhône-Alpes entre mai et septembre.
Les insectes présents dans les boîtes de collecte et qui émergent de la pyrale sont récupérés, puis déterminés grâce à l'appui d'entomologistes systématiciens. Ce suivi permet de dresser un état actuel du système « buis » face aux attaques de la pyrale du buis.
RÉSULTATS - Malgré la toxicité de la pyrale du buis, due à l'accumulation des alcaloïdes dans les larves, des espèces indigènes s'adaptent à ce nouvel hôte et sont capables d'y réaliser un cycle de développement complet.
Parmi les agents potentiels de régulation de la pyrale du buis, l'étude a permis d'isoler la tachinaire Compsilura concinnata et quatre espèces d'hyménoptères. Le parasitisme de C. perspectalis reste cependant faible à ce jour.
MOTS-CLÉS - Cydalima perspectalis, pyrale du buis, Buxus, parasite, prédateur, forêt de buis.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACTS : elisabeth.tabone@inra.fr
jean-claude.martin@inra.fr
LIEN UTILE : https://www6.paca.inra.fr/entomologie_foret_med/Insectes-ravageurs-et-protection-durable/Aide-a-la-decision
BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article (22 références) est disponible après de ses auteurs (contacts ci-dessus).
REMERCIEMENTS
Ce travail a été financé dans par la Draaf Auvergne-Rhône-Alpes. Il a également été réalisé grâce au concours technique du Pôle Santé des forêts Auvergne-Rhône-Alpes.
Nous remercions MM. Pascale Rousse et Pierfilippo Cerretti pour leur travail patient et minutieux de détermination des hyménoptères et diptères collectés en Auvergne-Rhône-Alpes.