DOSSIER

Méditerranée : la biodiversité se dévoile en PBI

TATIANA DENEGRI*, ISABELLE CABEU** ET JACQUES FILLÂTRE** *Astredhor Méditerranée - Scradh. **Armeflhor - La Réunion. - Phytoma - n°725 - juin 2019 - page 31

La protection biologique intégrée favorise l'installation de nouveaux cortèges ravageurs/auxiliaires observés sous serre grâce à l'outil S@M.
 Photos : Astredhor Méditerranée - Scradh

Photos : Astredhor Méditerranée - Scradh

Fig. 1 : Inventaire des auxiliaires indigènes rencontrés lors du projet Otelho - Lutte aleurode

Fig. 1 : Inventaire des auxiliaires indigènes rencontrés lors du projet Otelho - Lutte aleurode

Fig. 2 : Lutte puceron

Fig. 2 : Lutte puceron

Fig. 3 : Lutte mineuse

Fig. 3 : Lutte mineuse

Fig. 4 : Lutte chenille

Fig. 4 : Lutte chenille

Fig. 5 : Acarien trétranyque

Fig. 5 : Acarien trétranyque

Fig. 6 : Divers bioagresseurs/biodiversité

Fig. 6 : Divers bioagresseurs/biodiversité

 4. Punaise aptère. > 5. Mante religieuse. > 6. Punaise diabolique adulte. > 7. Larve de punaise diabolique.  Photos : Astredhor Méditerranée - Scradh

4. Punaise aptère. > 5. Mante religieuse. > 6. Punaise diabolique adulte. > 7. Larve de punaise diabolique. Photos : Astredhor Méditerranée - Scradh

Fig. 7 : Récapitulatif en nombre d'espèces d'auxiliaires indigènes par site, rencontrés lors du projet Otelho

Fig. 7 : Récapitulatif en nombre d'espèces d'auxiliaires indigènes par site, rencontrés lors du projet Otelho

Dans le cadre du projet Otelho, trois sites de production hors-sol de gerbera fleur coupée ont été suivis de 2013 à 2018 à Hyères (Var), avec l'aide de l'outil S@M (voir article p 16). La conduite en matière de protection phytosanitaire est différente sur chacun d'entre eux (voir tableau p. 34). L'utilisation de l'OAD a permis de relever la biodiversité observée, dans le contexte méditerranéen du sud-est de la France.

Les nouveaux auxiliaires

Inventaire non exhaustif

Les Figures 1 à 6 (pages suivantes) présentent un inventaire des organismes auxiliaires (certains sont mentionnés même si leur impact sur bioagresseur est faible ou neutre) indigènes rencontrés lors du projet. Cette liste est loin d'être exhaustive et seules quelques espèces ont bénéficié d'une identification certaine (* à côté de l'espèce lorsque c'est le cas). Les niveaux de présence ne relevant pas de comptage sont donnés ici à titre indicatif. De même, la part de régime alimentaire ou de dépendance pour le cycle biologique serait à confirmer pour certains cas. Ces organismes sont classés en fonction des ravageurs d'importance agronomique contre lesquels ils peuvent agir.

Contre les aleurodes : quatre hyménoptères, un hétéroptère

Quatre hyménoptères parasitoïdes ont été identifiés uniquement sur site PBI+. Leur présence est directement liée à une forte pression d'aleurodes avec foyers de larves non supportables en entreprise. Le contrôle de l'aleurode est partiel mais non négligeable.

La présence de la punaise prédatrice Macrolophus est également propre au site PBI+ (photo 1). L'apport de nourriture (Entofood et Nutrimac) en essai dans la chapelle voisine a visiblement attiré quelques individus dans la serre. Si l'origine de ces derniers est incertaine (issus de lâchers dans une autre serre du site, ou d'une population locale indigène), toujours est-il que la punaise s'est sédentarisée dans les cultures de gerbera de la station. En effet, depuis son apparition en 2014, Macrolophus est systématiquement retrouvé, même après arrachage et vide sanitaire et ce, sans aucun apport de nourriture. La dernière campagne a été particulièrement marquante avec une installation immédiate dès la plantation.

Macrolophus, ami ou ennemi ?

Avec l'installation de Macrolophus, la population d'aleurodes présente dans la serre en PBI+ s'est vue largement diminuée jusqu'à éradication complète en fin de projet en 2018. De régime alimentaire varié, la punaise prédatrice peut également être utile contre les acariens tétranyques (qui intéressent surtout les larves), les chenilles, les pucerons et les thrips. Il semble que ces ravageurs soient contenus tant qu'ils sont en faible nombre. En conditions favorables, un accroissement accéléré des populations conduit à des foyers non maîtrisés.

L'activité phytophage de Macrolophus est connue sur gerbera. Dès que les aleurodes viennent à manquer, le risque de piqûres augmente, même en présence d'autres proies. Sans contrôle de la population, l'installation de la punaise en serre de gerbera peut avoir de lourdes répercussions. Les piqûres sur fleurs engendrent des déformations dépréciant la récolte. En cas extrême, les boutons floraux piqués à un stade très jeune avortent sans que cela soit visible avant plusieurs semaines et les pertes de rendement peuvent être importantes.

Des solutions pour vivre avec Macrolophus

À ce jour, Macrolophus n'est pas à conseiller sur gerbera. Il paraît pourtant regrettable de se priver d'un auxiliaire aussi performant dans la lutte contre l'aleurode, ravageur numéro un sur cette culture. Pour l'instant, la stratégie consiste à le laisser se développer jusqu'à l'apparition de dégâts, puis à diminuer la population par l'application de produits de biocontrôle à base de maltodextrine. Cette solution n'a pas donné de résultat satisfaisant car, à ce stade, la population est largement excédentaire et la détermination d'un seuil au-delà duquel l'auxiliaire devient ravageur reste à établir. Une solution plus séduisante, déjà pratiquée en culture de tomate, consiste à faire des transferts d'auxiliaires vers une autre espèce végétale présentant une affinité supérieure pour la punaise (travaux du Grab avec Calendula officinalis). La population ainsi « déménagée » pourrait trouver son utilité pour une autre culture.

Contre les pucerons

Les pucerons sont quasi inexistants en conventionnel car les traitements réguliers contre les aleurodes enrayent leur installation. L'apparition d'auxiliaires du puceron a généralement lieu après formation de foyers importants, un traitement chimique compatible s'avère souvent nécessaire. Syrphes et chrysopes adultes sont rencontrés sur tous les sites, quelquefois même en situation de faible pression du ravageur.

La cécidomyie Aphidoletes aphidimyza et la coccinelle Scymnus sp. sont rarement observées. Ces deux espèces ont une bonne capacité à nettoyer les foyers de pucerons. Du parasitisme par des espèces de genre Aphidius sp. a parfois été relevé sur le site PBI+. L'action de ces organismes complémente bien celle des prédateurs.

Contre les mineuses

La mouche prédatrice généraliste Coenosia attenuata est commune à tous les sites, même à PBI+ où la mineuse a désormais disparu. Elle semble tolérante aux traitements phytosanitaires habituellement utilisés en cultures de gerbera et a été retrouvée en abondance sur le site conventionnel(CONV) jusqu'à la pose de bandes jaunes engluées dans la culture. Des hyménoptères de genres Diglyphus et probablement Dacnusa ne sont visibles qu'en entreprise (PBI et CONV). Contrairement à Coenosia, une population dense de mineuses est indispensable aux parasitoïdes. Il est à noter que Dacnusa observé en abondance sur le site PBI n'a jamais été rencontré sur site CONV alors que Diglyphus présentait des taux de présence similaires. Une différence de sensibilité aux pesticides utilisés en conventionnel ou un facteur lié à l'environnement proche des serres peuvent expliquer ce constat.

Contre les chenilles

Des organismes parasitoïdes des chenilles pouvant soutenir la lutte contre ce ravageur sont observés exclusivement en PBI+. Leur entrée dans la serre se produit lorsque la pression du ravageur est très importante, ce seuil n'est jamais atteint en entreprise. L'action de parasitisme des organismes ici observés implique une plus ou moins forte spécificité hôte/parasitoïde. Ctenochares bicolorus est un ichneumonide originaire d'Afrique spécifique de la noctuelle Chrysodeixis. Si quelques individus isolés sont habituellement rencontrés, une population exceptionnellement dense a pu être observée en 2018.

Contre les acariens tétranyques

Ravageur n° 2 du gerbera, l'acarien tétranyque développe rapidement des résistances aux différents acarides. En conventionnel, ce ravageur génère un IFT moyen de cent par an. La larve de cécidomyie Feltiella acarisuga apparaît spontanément en cas de forte attaque. Elle est commune aux deux sites en PBI mais n'est jamais observée sur le site CONV, pourtant largement occupé par les acariens.

La présence de Stethorus sp. n'a été relevée qu'une fois en six ans sur un unique site. Prédatrice à tous les stades, cette coccinelle est très efficace en climat chaud et sec.

La présence de phytoséiides indigènes, relevée de façon exceptionnelle sur le site CONV, semble due à un transfert d'une culture voisine (jardin familial) vers la serre.

D'autres organismes de la biodiversité

Un coléoptère mycétophage, Corticaria sp., très commun à tous les sites, et une cécidomyie observée uniquement en PBI+ sont des consommateurs d'oïdium mais leur impact sur la régulation de la maladie est négligeable. Les deux espèces d'arachnides Anystis sp. et Ostearius melanopygius sont des prédateurs très polyphages s'attaquant à toutes sortes d'arthropodes de petite taille.

Une punaise aptère, Himacerus apterus, prédatrice d'autres punaises a été relevée de façon anecdotique.

Des collemboles sont régulièrement observés sur site PBI+. Lors de la dernière campagne, en 2018, ils sont retrouvés en abondance au coeur des premières fleurs. Longtemps considérés comme des insectes, ils forment désormais une classe d'arthropodes à part entière. Ils jouent un rôle essentiel dans la décomposition de la matière organique et contribuent à l'équilibre écologique des sols. Ce sont de bons marqueurs écotoxicologiques à l'instar de Folsomia candida qui a conduit à l'établissement de la norme ISO 11267 déterminant la qualité d'un sol. D'autres prédateurs sont ponctuellement observés : des mantes religieuses, plusieurs espèces d'araignées ou encore des oiseaux (bergeronnette) (photos 3, 4, 5). Des hyménoptères aux allures de guêpe, d'abeille ou d'ichneumon sont rencontrés régulièrement sur site PBI+. Ils peuvent être prédateurs, parasitoïdes ou pollinisateurs.

Des ravageurs émergents

Thrips setosus, polyphage

La présence de ce thrips du feuillage sur le site PBI+ est directement liée à une culture d'hortensia contaminée dans une serre attenante. Le ravageur ne s'est pas maintenu dans la culture de gerbera. Thrips setosus est une espèce très polyphage originaire d'Asie. Le premier signalement en Europe a eu lieu sur une culture d'hortensia aux Pays-Bas en 2014. Le potentiel de propagation de T. setosus dans la nature semble relativement limité, mais sa population peut croître de façon explosive sous serre. Il est également vecteur du virus TSWV. Ajouté à la liste d'alerte OEPP(1) en 2014, T. setosus en a été supprimé en 2018.

La punaise diabolique : Halyomorpha halys

Quelques individus (adultes et larves) ont été observés pour la première fois sur le site PBI+ en fin d'été 2018, mais aucun dégât notable n'a été signalé. Inscrite sur liste d'alerte OEPP de 2008 à 2013, la punaise Halyomorpha halys est répertoriée comme hautement polyphage et invasive (photos 6 et 7). Originaire d'Asie, elle est devenue très préoccupante aux États-Unis où elle n'a cessé de se développer depuis sa détection officielle en 2001.

Elle est apparue en France en 2012, et son premier signalement en Europe a eu lieu au Liechtenstein en 2004. Aucun dégât important n'est déploré à ce jour, mais l'année 2018 a enregistré des signalements records sur le territoire national et laisse craindre un risque phytosanitaire pour les années à venir.

Des ravageurs opportunistes qui réémergent avec la PBI

Cochenilles, tarsonèmes, thrips du feuillage et punaises

Les cochenilles sont inexistantes en conventionnel du fait des traitements réguliers contre l'aleurode. Les attaques sont récurrentes en PBI+ où sont observées des cochenilles à corps mou pseudococcines et à carapace lécanines. L'installation de ces ravageurs est lente mais durable. De la baisse, voire la suppression des acaricides découle la problématique tarsonème. Les deux sites en PBI ont connu des attaques de cet acarien pouvant être très sévères, le contrôle de celui-ci a pu mettre à mal les stratégies PBI mises en place. En plus de Thrips setosus, un autre thrips du feuillage s'est développé sur le site PBI+ en 2018. Il s'agit très certainement d'Hercinothrips femoralis, identifié sur une culture de tagette voisine. Différentes espèces sont ponctuellement retrouvées en cultures de gerbera : Liocoris tripustulatus, Lygus sp. et Nezara viridula. Connues en tant que ravageurs épisodiques, les punaises connaissent une période de réémergence. En plus des variations cycliques naturelles, la diminution d'usage d'insecticides à large spectre, le réchauffement climatique et l'intensification des échanges commerciaux peuvent expliquer la recrudescence des punaises(2). Les punaises phytophages sont d'autant plus préoccupantes que les solutions chimiques sont souvent inefficaces et les alternatives biologiques limitées.

Le rôle capital de l'épidémiosurveillance

La réduction d'usage des produits phytopharmaceutiques bouleverse l'écosystème serre en permettant le développement d'une faune indigène variée (Figure 7). Qu'il soit question de faire face à de nouveaux ravageurs ou de trouver des solutions agroécologiques, l'épidémiosurveillance tient un rôle capital. Le projet Otelho a notamment mis en évidence la nécessité d'avoir accès à une reconnaissance fiable des espèces, en partie rendue possible grâce à la collaboration avec d'autres organismes de recherche, tels que le Cirad, l'Anses et SupAgro Montpellier.

(1) Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes.(2) Voir « Oh, punaise ! Vous avez dit punaises ? », Phytoma n° 722., mars 2019, p. 49-56.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Le Scradh a effectué durant plusieurs années des relevés faunistiques en utilisant l'outil S@M, dans trois sites aux stratégies phytosanitaires différentes.

ÉTUDE - Otelho est un projet Dephy Expé visant le développement d'un OAD : S@M, destiné aux professionnels de la filière horticole. Basé sur des suivis épidémiologiques réguliers, Otelho a ainsi permis de réaliser un inventaire poussé des ravageurs et auxiliaires présents dans les cultures de gerbera, et les interactions qui en découlaient. La réduction d'usage des produits phytopharmaceutiques favorise le développement d'une faune indigène variée.

MOTS-CLÉS - Outil d'aide à la décision (OAD), auxiliaires, épidémiologie, protection biologique intégrée (PBI), Scradh, cultures sous serre, indicateur de fréquence de traitement (IFT).

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : tatiana.denegri@astredhor.fr

LIENS UTILES : https://gd.eppo.int/download/doc/1068_minids_HALYHA.pdf

https://passion-entomologie.fr/les-collemboles/

https://gd.eppo.int

BIBLIOGRAPHIE : - Analyse de risque phytosanitaire express Halyomorpha halys, avis de l'Anses, rapport d'expertise collective. Disponible sur : www.anses.fr/fr/system/files/SVEG2013sa0093Ra.pdf

- Connaître et reconnaître, Koppert M.H.Malais, W. J. Ravensberg, Edition Reed Business.

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