DOSSIER

Fleurs comestibles : miser sur la faune auxiliaire

SOPHIE DESCAMPS, SOLÈNE HENRY, AURÉLIE TOURLOURAT, LAURENT CAMBOURNAC, ROSANNA DIMITA ET SERGE GRAVEROL Astredhor Méditerranée Cream. - Phytoma - n°725 - juin 2019 - page 39

Un état des lieux des régulations à l'oeuvre sur les différentes cultures offre un préalable à une protection biologique.
 2. Anagyrus femelle.

2. Anagyrus femelle.

 3. Larves de syrphe, Scymnus spp. avec Aphidoletes spp.  Photos : P. Lebeaux

3. Larves de syrphe, Scymnus spp. avec Aphidoletes spp. Photos : P. Lebeaux

Fig. 1 : Niveaux de populations de ravageurs et auxiliaires sur Mertensia maritima

Fig. 1 : Niveaux de populations de ravageurs et auxiliaires sur Mertensia maritima

Fig. 2 : Niveaux de populations de ravageurs et auxiliaires sur Agastache rugosa en 2018

Fig. 2 : Niveaux de populations de ravageurs et auxiliaires sur Agastache rugosa en 2018

Fig. 3 : Évolution des populations d'aleurode et des auxiliaires Macrolophus, Eretmocerus et Delphastus sur Salvia elegans      Graphique en aires empilées des classes d'abondance (de 1 à 3) pour confronter les populations d'aleurodes et celles de ses auxiliaires.

Fig. 3 : Évolution des populations d'aleurode et des auxiliaires Macrolophus, Eretmocerus et Delphastus sur Salvia elegans Graphique en aires empilées des classes d'abondance (de 1 à 3) pour confronter les populations d'aleurodes et celles de ses auxiliaires.

Fig. 4 : Évolution des populations d'aleurode et des auxiliaires Macrolophus, Eretmocerus et Delphastus sur Salvia dorisiana

Fig. 4 : Évolution des populations d'aleurode et des auxiliaires Macrolophus, Eretmocerus et Delphastus sur Salvia dorisiana

 Agastache rugosa. Goût mentholé-réglisse. Photo : Cream

Agastache rugosa. Goût mentholé-réglisse. Photo : Cream

Fig. 5 : Niveaux de populations de ravageurs et auxiliaires sur Tagetes lemmonii

Fig. 5 : Niveaux de populations de ravageurs et auxiliaires sur Tagetes lemmonii

 5. La sauge Salvia dorisiana.  Photos : Cream

5. La sauge Salvia dorisiana. Photos : Cream

6. Tagetes lemmonii (Asteraceae).

6. Tagetes lemmonii (Asteraceae).

Depuis plus de dix ans, Astredhor Méditerranée Cream (Centre de recherche et d'expérimentations agricoles méditerranéen), station de recherche de la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes, mène des programmes d'expérimentations sur les fleurs comestibles : étude de leur comportement en conditions méditerranéennes, développement d'itinéraires techniques de protection biologique des cultures... Parallèlement, le Cream coopère depuis plusieurs années avec des chercheurs italiens. Les actions se traduisent par des projets permettant de dynamiser économiquement le territoire transfrontalier. C'est dans ce contexte que le programme européen Antea vise à organiser la filière émergente des fleurs comestibles.

Un partenariat transfrontalier

Le programme européen Interreg Alcotra V-France/Italie, Antea n° 1139 a été monté autour d'un partenariat multidisciplinaire avec des agronomes (Crea Of de Sanremo - chef de file, Cersaa d'Albenga, université de Turin et Cream), des chimistes et électroniciens (université de Gênes), l'Eplefpa d'Antibes pour l'enseignement et l'Université Savoie Mont Blanc-Locie pour la partie énergie. Il vise à appliquer des innovations technologiques capables d'optimiser chacun des aspects de la filière des fleurs comestibles : production, qualité (aspect visuel, propriétés nutritionnelles), sécurité d'utilisation, conditionnement, transport, conservation, transformation et commercialisation. Le projet, d'une durée de trois ans, a été lancé le 27 juillet 2017 au Crea Of de San Remo (Italie).

Un usage dès l'Antiquité

Rose et violette

Même si les capitules d'artichauts sont largement consommés au niveau mondial, pour beaucoup de gens, manger des fleurs peut être considéré comme une expérience extravagante. Cependant, l'utilisation de fleurs comestibles dans la nutrition humaine est ancienne et son usage culinaire varie d'une civilisation à l'autre.

Les fleurs comestibles étaient déjà utilisées dans l'Antiquité, comme exhausteurs de goût dans des plats sucrés et salés. La rose (Rosa spp.) est présente dans de nombreuses recettes de la Rome antique (purée, omelettes...) et continue tout au long du Moyen Âge en France, à parfumer les sauces(1). Elle était une matière première introduite dans l'Égypte ancienne. En Turquie, les loukoums à base de rose restent une confiserie typique. Au Moyen Âge, le souci des champs (Calendula officinalis) était incorporé dans les salades, la violette (Viola odorata) était aussi utilisée dans les sirops et les tisanes(2). La violette est toujours produite pour la confiserie et la parfumerie dans les Alpes-Maritimes, où elle demeure l'emblème de la ville de Tourrettes-sur-Loup. Les fleurs comestibles sont de plus en plus utilisées par les grands chefs qui revisitent leurs usages traditionnels.

Des propriétés nutritives

Minéraux et antioxydants

Tous les résultats obtenus à partir des recherches scientifiques indiquent explicitement la valeur nutritive élevée des fleurs comestibles, avec des effets bénéfiques sur notre santé. En plus d'enrichir les plats de couleurs, d'arômes et de saveurs, les fleurs comestibles sont riches en minéraux, vitamines (surtout A, C et E), antioxydants dont les caroténoïdes et flavonoïdes, protéines, acides aminés, lipides, hydrates de carbones, sucres, alcaloïdes. Ces nutriments sont concentrés différemment dans la fleur (pétale, nectar, pollen)(1)(3). Les résultats d'une étude sur douze fleurs comestibles montrent une composition en éléments minéraux supérieure à la plupart des fruits et légumes(4). Selon Benvenuti et al., le pouvoir antioxydant des fleurs comestibles comme les bégonias (Begonia spp.), les soucis, les oeillets d'Inde (Tagetes patula), le muflier (Antirrhinum majus) et les violettes et capucines (Tropaeolum majus) serait aussi très supérieur(5).

Objectif : zéro phyto

Suivi des populations

Le Cream travaille sur un itinéraire technique des cultures de fleurs comestibles sans utilisation de produit phytopharmaceutique ainsi que sur leur transformation, séchage, conservation, qualité gustative et la création d'un livre de recettes. Afin de développer cette filière émergente dans un contexte d'agroécologie, il est important de proposer des solutions alternatives de protection des cultures sans pesticide. Pour cela, il est nécessaire d'effectuer un suivi des bioagresseurs et auxiliaires afin d'adapter les méthodes de protection.

Le suivi des populations s'effectue par observation hebdomadaire d'un échantillon complet in situ puis d'un frappage sur feuille blanche d'une partie de la plante pour compléter la notation. La quantification se fait par classes d'abondances permettant d'optimiser le temps d'observation ; par exemple pour les phytoséïdes : faible (de un à deux individus), présence modérée (trois à dix individus) et abondance (supérieur à dix individus).

Le suivi sanitaire des cultures et la recherche de solutions alternatives à l'utilisation des produits phytosanitaires avec des agents de lutte biologique sont menés sur Tagetes lemmonii (goût fort d'agrume), Agastache rugosa, Agastache rugosa 'Alba' (goût réglisse/mentholé), Mertensia maritima (goût fort d'huître), Salvia dorisiana (goût fruité) et Salvia elegans (goût ananas).

Ravageurs et auxiliaires observés sur fleurs comestibles

Les ravageurs en cultures de fleurs comestibles causent les mêmes dégâts qu'en culture ornementale : baisse de rendement et aspect des fleurs dégradé (taches, trous, insectes...). De nombreux auxiliaires naturellement présents sont retrouvés sur les cultures et permettent de contrôler les populations des principaux ravageurs en dessous du seuil de nuisibilité correspondant à une présence abondante (classe 3) (voir tableau). Des lâchers d'auxiliaires (en vert dans le tableau) viennent compléter l'action de ces auxiliaires spontanés.

Régulation sur différentes cultures

Complémentarité auxiliaires spontanés/lâchers

Les cultures de fleurs comestibles sont conduites en pots de 3 litres dans une serre verre non chauffée. Dans une même serre, les niveaux de populations des ravageurs et des auxiliaires varient selon les espèces de fleurs. Une stratégie globale peut être mise en oeuvre sur toute la culture de fleurs comestibles, grâce à la présence d'auxiliaires indigènes. Cette faune, si elle est présente, permet de réguler naturellement les ravageurs, aidée en préventif par des lâchers d'auxiliaires sur toute la surface ainsi qu'en curatif positionnés sur les foyers de ravageurs.

Mertensia maritima

En 2017, la culture de Mertensia maritima a subi une attaque modérée (de trois à huit individus par plante) de cochenilles farineuses (Phenacoccus madeirensis). Celles-ci ont été régulées par les auxiliaires présents naturellement Anagyrus spp. (hyménoptère parasitoïde) et Cryptolaemus spp. (coléoptère) (Figure 1).

La culture a également été sujette à des attaques ponctuelles de pucerons qui ont été contrôlées en partie par des hyménoptères parasitoïdes de genre Aphidius, des larves de syrphes, Scymnus spp. et Aphidoletes spp. De faibles populations de thrips, aleurodes et lépidoptères ont également été enregistrées.

Agastache rugosa

Sur une production conduite en 2018, les thrips, dont les niveaux de pression sont faibles à modérés de juin à septembre, ont été régulés grâce à un lâcher d'Orius laevigatus. La présence spontanée d'Aeolothrips sp. est également à noter. Le maintien des aleurodes à un niveau faible (de un à trois adultes par plante) peut être expliqué par la présence de Macrolophus et d'hyménoptères parasitoïdes (Encarsia sp., Eretmocerus sp.) sur les cultures avoisinantes comme Salvia dorisiana et Salvia elegans (Figure 2).

Les observations sur la variété A. rugosa 'Alba' révèlent un niveau plus faible de ravageurs ainsi qu'une présence plus importante de phytoséiides que sur la variété A. rugosa.

Salvia elegans

En 2018, le principal ravageur rencontré sur sauge ananas est l'aleurode (Bemisia tabaci). Les populations ont été maintenues à un niveau faible par l'auxiliaire indigène Macrolophus pygmaeus puis par l'hyménoptère parasitoïde Eretmocerus spp. et Delphastus pusillus, coccinelle introduite dans la culture en juin 2018 (Figure 3).

Salvia dorisiana

Cette espèce de sauge est peu sensible aux attaques de ravageurs. Comme pour Salvia elegans, les aleurodes ont été contrôlés par Macrolophus pygmaeus. Delphastus pusillus s'est installé sur la culture à la suite du lâcher effectué en juin et Eretmocerus spp. est apparu en août avec le deuxième pic d'aleurodes (Figure 4). En plus de son intérêt comme fleur comestible, Salvia dorisiana peut aussi constituer une plante de service intéressante afin de favoriser l'installation de Macrolophus pygmaeus. Elle pourrait en effet servir dans des stratégies de lutte par conservation des auxiliaires sur des cultures horticoles, par exemple sur tomate dans le cadre de la lutte contre Tuta absoluta.

Tagetes lemmonii

Les thrips présents sur cette culture en 2018 ont épargné les fleurs mais provoqué des dégâts sur les feuilles (Figure 5), ce qui est dommageable car les feuilles sont aussi comestibles et peuvent être ajoutées au fond des barquettes de fleurs.

Transfert

Les producteurs de fleurs comestibles et herbes aromatiques possèdent des structures hétérogènes : des petites structures spécialisées dans les fleurs comestibles, conduites en agriculture biologique péri-urbaine et vente en circuits courts, au maraîcher qui se diversifie et distribue les fleurs comestibles dans toute l'Europe.

Les essais conduits à ce jour confirment la nécessité de mettre au point les itinéraires techniques sans produit phytopharmaceutique et d'assurer la valorisation auprès des professionnels, du grand public et des restaurateurs. Les formations délivrées depuis 2012 par le Cream démontrent l'intérêt des producteurs pour la production de fleurs comestibles. De nombreuses données restent à acquérir, tant au niveau agronomique que commercial.

(1) Mlcek J. et al., 2011, Fresh edible flowers of ornamental plants - A new source of nutraceutical foods, Trends in Food Science & Technology 22, 561-569.(2) Pires T. et al., 2017, Nutricional and chemical characterization of edible petals and corresponding infusions : Valorization as new food ingredients, Food Chemistry 220, 337-343.(3) Navarro-Gonzalez I. et al., 2015, Nutritional Composition and Antioxidant Capacity in Edible Flowers : Characterisation of Phenloc Compounds by HPLC-DAD-ESI/MS, International Journal of Molecular Sciences, 16, 805-822.(4) Rop O. et al., 2012, Edible Flowers, A New Promising Source of Mineral Elements in Human Nutrition, Molecules, 17, 6672-6683.[(5) Benvenuti S. et al., 2016, Antioxidant power, anthocyanin content and organoleptic performance of edible flowers, Scientia Horticulturae, 199, 170-177.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Dans le cadre du développement de la filière émergente des fleurs comestibles, les partenaires multidisciplinaires du programme Interreg Alcotra V-France/Italie, Antea (2017-2020) mènent des travaux d'optimisation de la production et protection des cultures, de recherches sur les propriétés nutritionnelles, de transformation et de conditionnement, ainsi que de communication et d'appui économique.

Pour accompagner les agriculteurs qui souhaitent produire des fleurs comestibles, il est nécessaire de proposer une stratégie de protection des cultures sans utilisation de produits phytopharmaceutiques de synthèse

Les méthodes alternatives, particulièrement la lutte biologique, sont indispensables pour réguler les bioagresseurs. Le suivi de la dynamique des populations est une première étape pour orienter le choix des méthodes de biocontrôle.

MOTS-CLÉS - Fleurs comestibles, auxiliaires indigènes, lutte biologique, programme européen, Salvia, Agastache, Tagetes, Mertensia, dynamiques de populations.

L'essentiel de l'offre

Phytoma - GFA 8, cité Paradis, 75493 Paris cedex 10 - Tél : 01 40 22 79 85