Une souche isolée de Venturia inaequalis remise à sporuler pour réaliser un test de germination. Photo : Anses
2. Traits phénotypiques mesurés lors de la réalisation des tests biologiques de résistances aux produits phytopharmaceutiques. 3. Test sur la germination. Trois spores germées et une spore non germée. Test en croissance mycélienne. Chacune des boîtes contient une concentration croissante (de gauche à droite et de haut en bas) en substance active, avec au centre de chaque boîte, un implant mycélien. Photos : Anses
Fig. 1 : Cartes, par substance active, de la répartition des prélèvements réalisés dans le cadre de la surveillance des résistances de Venturia inaequalis Les résultats sont cumulés par département et pour les onze années étudiées (entre 2007 et 2010, et 2012 et 2018). Chaque camembert représente la répartition des prélèvements avec des phénotypes (ou génotype pour le krésoxim-méthyl) sensibles (en bleu), suspects (en orange) ou résistants (en rouge). La surface des camemberts est proportionnelle aux nombres de prélèvements traités et le nombre exact de prélèvements est indiqué au centre de chaque camembert. Les zéro indiqués pour certains départements signalent des départements pour lesquels des prélèvements ont été reçus mais n'ont pas pu être analysés.
Dans un contexte général de réduction de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, il devient primordial de maintenir une efficacité optimale des traitements réalisés. Afin de surveiller et de détecter précocement les phénomènes de résistance aux produits phytopharmaceutiques chez Venturia inaequalis, l'agent de la tavelure du pommier, un suivi dans le cadre du plan de surveillance des résistances piloté par le ministère en charge de l'agriculture (Direction générale de l'alimentation, Sous-direction de la qualité, de la santé et de la protection des végétaux) a été mis en place depuis plusieurs années.
Une pression phytosanitaire élevée
Venturia inaequalis est un champignon ascomycète, responsable de la tavelure du pommier, problème majeur en arboriculture dans le monde et en France. Cette maladie affecte principalement la qualité des fruits, mais également leur taille, le développement des bourgeons fruitiers de l'année suivante et peut engendrer des défoliations précoces. La culture du pommier présente un des indicateurs de fréquence de traitement (IFT) les plus élevés : en 2015 en France, en agriculture conventionnelle, le nombre de traitements annuels est en moyenne d'environ 36,3, dont plus de 62 % sont destinés à la lutte contre les champignons phytopathogènes (données Agreste - Enquête pratiques culturales en arboriculture, 2015). Une telle pression de sélection exercée sur les populations de l'agent pathogène peut entraîner chez ce dernier une évolution des résistances aux produits de protection des plantes, avec à terme un impact sur l'efficacité des produits.
Plan de surveillance des résistances : matériels et méthodes
Des prélèvements dans des parcelles ciblées
Chaque année, dans le cadre du plan de surveillance des résistances, un choix des substances actives à étudier et un nombre de prélèvements par région sont planifiés pour l'année suivante. Les prélèvements sont réalisés dans les vergers au printemps par les correspondants du réseau de la surveillance biologique du territoire. Les parcelles sur lesquelles les prélèvements sont réalisés ne sont pas choisies aléatoirement : les parcelles prioritairement ciblées sont celles qui ont un historique de traitement avec la substance étudiée ou avec des suspicions de perte d'efficacité au verger. Entre trente et cinquante jeunes feuilles infectées sont choisies aléatoirement sur des rameaux indépendants dans chacune des parcelles échantillonnées. Ces feuilles sont ensuite expédiées au laboratoire par courrier.
Test biologique sur la germination
À réception des prélèvements, les lésions sporulantes sur les différentes feuilles provenant d'une même parcelle sont prélevées à l'aide d'un pinceau humidifié avec de l'eau stérile afin de récupérer les spores et d'en confectionner une suspension, ajustée à une concentration de 100 000 spores par ml. Cette solution-mère est ensuite utilisée pour la réalisation des tests biologiques.
Deux types de tests biologiques sont utilisés pour tester les différentes substances actives. Certaines d'entre elles vont inhiber ou empêcher la germination des spores. Le premier type de test est donc réalisé directement sur la population de spores issue de chaque prélèvement (photo 1) en mesurant le taux de germination ou la longueur moyenne des tubes germinatifs après une exposition à une gamme de doses croissantes de fongicide. La lecture s'effectue 48 heures après étalement de 250 µl de suspension-mère de spores sur milieux gélosés amendés avec une solution de fongicide. Elle consiste à évaluer le pourcentage de spores germées et/ou la taille moyenne du développement du tube germinatif (photos 2).
Test biologique sur la croissance mycélienne
Le second type de test consiste en la mesure de l'inhibition de la croissance mycélienne. Ce type de test est réalisé sur des cultures monospores. Pour réaliser ces isolements monospores, la suspension-mère de spores est diluée au dixième puis étalée sur un milieu gélosé de type « Malt-Agar » amendé avec un antibiotique (chloramphénicol) afin de limiter les contaminations bactériennes. Les spores qui germent sont ensuite repiquées individuellement sur un milieu PDA (« Potato Dextrose Agar »). Le taux de réussite de ce genre d'isolement est assez faible (moins de 15 % en moyenne). Lorsque l'isolement est réussi et après un développement suffisant de la culture mycélienne, des implants mycéliens d'un diamètre calibré de 8 mm de chacune des cultures monospores sont prélevés à la marge du mycélium en croissance active. Ils sont déposés au centre des boîtes de Petri sur milieu PDA amendé en fongicide à différentes doses. Les boîtes sont mises en incubation à 22 °C et à 16 h/8 h de photopériode. Après 42 jours, une mesure du diamètre moyen de la culture mycélienne est réalisée (photo 3). Les valeurs de cette notation sont exprimées en pourcentage de croissance par rapport à celles du témoin non traité (concentration du fongicide de 0 mg/l).
Substances actives testées et gamme de doses
Sept des principales familles de fongicides utilisées sur pommier ont été testées au cours de ces onze années : les inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHI) avec le boscalide, les inhibiteurs externes de la quinone (QoI-P) avec le krésoxim-méthyl, les inhibiteurs de la déméthylation (IDM) avec le tébuconazole, les anilinopyrimidines avec le cyprodinil, les phtalimides avec le captane, les guanidines avec la dodine et les quinones avec le dithianon.
Les gammes de dose utilisées pour les deux types de tests biologiques et pour toutes les substances actives testées sont identiques : 0 - 0,01 - 0,03 - 0,1 - 0,3 - 1 - 3 - 10 - 30 mg/l. Pour chacune des substances testées, des populations et/ou des souches de l'agent pathogène considérées comme des références sensibles ont été incluses dans les expérimentations, provenant soit de la Loire, soit de l'Isère. Ces références proviennent de vergers non traités et éloignés de plusieurs dizaines de kilomètres des zones de pomiculture traitées. Les différentes substances actives ont été testées sur des populations de spores, en mesurant les taux de germination ou la longueur moyenne du tube germinatif, à l'exception des tests pour la famille des IDM qui se font exclusivement sur isolement monospores en croissance mycélienne. Lorsqu'une nouvelle résistance est suspectée, le test est répété une fois. Si le test ne peut être répété ou s'il donne un résultat discordant, le prélèvement est considéré comme « suspect ». Un test réalisé en populations de spores peut également être vérifié par une analyse sur un isolement monospore en croissance mycélienne (c'est le cas notamment pour les tests sur la dodine).
Analyses des tests biologiques et facteur de résistance
Les données des courbes doses-réponses sont analysées par régression à l'aide du logiciel R et du package 'drc' (Ritz et al., 2015). Ces analyses permettent de déterminer une concentration minimale inhibitrice (CMI) dans le cas des analyses sur des prélèvements en populations de spores ou une concentration inhibitrice de 50 % (CI50) dans le cas des analyses sur des isolements monospores. Ces valeurs obtenues pour les prélèvements sont ensuite comparées aux populations et/ou aux souches de l'agent pathogène de référence sensible, ce qui permet de déterminer un facteur de résistance (FR). Si le FR est supérieur à 10, on considère que le prélèvement est résistant. Un FR supérieur à 100 est considéré comme une indication de résistance élevée.
Le test de biologie moléculaire
Les tests de biologie moléculaire ne peuvent être réalisés que si le mécanisme de résistance à la substance active est connu, et si le lien entre le génotype et le phénotype résistant a pu être confirmé. Dans le cadre des plans de surveillance chez V. inaequalis, seule une méthode pour la détection de la substitution G143A liée à la résistance aux QoI-P a été utilisée. À réception des prélèvements, trente lésions individuelles sont découpées et regroupées dans un tube. L'ADN est extrait et purifié avec un kit et une PCR allèle spécifique (Fontaine et al., 2009) est réalisée. Cette méthode ayant un seuil de détection de 1 %, la mutation responsable pourra être détectée si une seule des trente lésions porte la mutation.
Évolution des résistances de Venturia inaequalis
Les QoI-P et les IDM particulièrement concernées
Des résistances à plusieurs des familles de substances actives autorisées ont évolué dans les populations de V. inaequalis (voir tableau). Les familles des QoI-P et des IDM sont particulièrement concernées, avec une forte occurrence de populations détectées comme résistantes et des facteurs de résistance associés forts. De plus, les résistances à ces familles se retrouvent un peu partout sur le territoire français (Figure 1).
Les populations de V. inaequalis semblent également concernées par des dérives de sensibilité vis-à-vis du cyprodinil et de la dodine, mais dans une moindre mesure : les occurrences de prélèvements avec des phénotypes résistants sont relativement peu fréquentes (tableau et Figure 1) et les facteurs de résistance associés sont généralement faibles (10 < FR < 100).
Pour les SDHI et les phtalimides, de rares cas suspects (c'est-à-dire qui n'ont pu être confirmés par un second test) ont été détectés. Ces familles doivent donc être gardées sous surveillance pour les prochaines années afin de contrôler si la situation vis-à-vis des phénomènes de résistances n'évolue pas. Il est intéressant de constater que la population suspectée pour une résistance vis-à-vis des SDHI provenait de Savoie, un département proche géographiquement de l'Italie du Nord où des souches résistantes à cette famille de produits phytopharmaceutiques ont été signalées récemment (Toffolatti et al., 2016).
Enfin, la famille des quinones n'est pour l'instant pas concernée par des dérives de sensibilité. Il faut néanmoins tempérer cette affirmation étant donné le faible nombre total de prélèvements analysés à ce jour (tableau).
Les substances actives unisites menacées
Ces onze années de surveillance des résistances de V. inaequalis vis-à-vis des fongicides montrent que la plupart des substances actives unisites homologuées pour la culture des pommes peuvent être affectées par l'évolution de résistances. Il est important de noter qu'il est ici question de résistance en condition de laboratoire. Le lien de ces phénotypes avec des pertes potentielles d'efficacité observées au champ n'est pas direct et ne pourra être démontré que par des essais d'efficacité au champ en condition de résistance. Ces résultats appellent toutefois à la prudence et même lorsque le lien entre résistance au laboratoire et perte d'efficacité n'est pas démontré formellement, la détection de phénomènes de résistance au laboratoire est un signal d'alerte important.
Le nombre relativement faible de prélèvements sur onze ans reflète les difficultés de manipulation de V. inaequalis. Il est également important de noter que les prélèvements ne sont pas réalisés de manière aléatoire : le but du plan de surveillance est la détection précoce de l'évolution des phénomènes de résistance. Les parcelles avec un historique de traitements et/ou avec des problèmes potentiels d'efficacité aux substances actives enquêtées sont donc ciblées en priorité. Il n'est donc pas possible de généraliser à l'ensemble du territoire français les résultats obtenus, même si le niveau d'occurrence et les FR observés (c'est-à-dire le niveau de résistance) donnent des indices sur l'émergence de problèmes d'efficacité au verger potentiels ou à venir.
Limiter la pression de sélection
Que faire lorsqu'une résistance à une substance active est détectée ? Il n'y a pas de réponse simple à cette question : cela dépend à la fois de la fréquence de la résistance au sein du prélèvement, mais également du niveau de résistance de cette résistance.
Dans le cas des résistances vis-à-vis des QoI-P et des IDM, il est très fortement suspecté que celles-ci peuvent avoir un impact sur l'efficacité des traitements. C'est pourquoi un arrêt de l'utilisation de ces modes d'action peut être envisagé dans les parcelles concernées, au moins provisoirement. Pour les autres modes d'action moins fréquemment touchés, ou avec des niveaux de résistance plus faibles, la prudence s'impose, même si le lien avec une perte d'efficacité n'a pas été démontré. Dans ces cas-là, il est important de rester vigilant et de réduire autant que faire se peut le nombre d'applications des familles chimiques concernées. Cela permettra de limiter la pression de sélection et devrait ralentir l'évolution des populations de l'agent pathogène vers une fréquence ou des niveaux de résistance plus problématiques. Dans cette optique, l'éventail des méthodes de lutte doit être considéré, qu'il s'agisse de pratiques agronomiques, de lutte variétale ou de l'utilisation en alternance d'autres familles chimiques.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - L'agent de la tavelure, Venturia inaequalis, est l'un des principaux pathogènes sur le pommier. La maladie entraîne le plus grand nombre de traitements dans les vergers en conduite conventionnelle.
C'est pourquoi ce champignon ascomycète fait l'objet d'une surveillance de l'évolution des résistances aux principales substances actives autorisées au verger depuis de nombreuses années.
BILAN - Cet article propose un bilan des onze dernières années d'études réalisées sur l'évolution des résistances vis-à-vis des fongicides dans le cadre du plan de surveillance des résistances du dispositif national de la surveillance biologique du territoire (SBT).
MOTS-CLÉS - Tavelure du pommier, Venturia inaequalis, surveillance biologique du territoire (SBT), plan de surveillance, résistance, QoI-P, SDHI.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : benoit.barres@anses.fr
LIEN UTILE : pour aller plus loin sur les résistances aux pesticides https://www.r4p-inra.fr/fr/home/
- Ritz C., Baty F., Streibig J. C., Gerhard D., Dose-response analysis using R. PloS one., 2015, Dec 30;10(12):e0146021.
- Toffolatti S. L., Venturini G. & Bianco, P. A. (2016), First report of SDHI resistant strains of Venturia inaequalis from commercial orchards in Northern Italy, Plant Disease, 100(11), 2324.
REMERCIEMENTS
Nous tenons à remercier le réseau des Draaf-Sral et les organisations professionnelles impliqués dans la Surveillance biologique du territoire pour la réalisation des prélèvements. Laëtitia Caddoux et Séverine Fontaine ont réalisé les tests de biologie moléculaire pour la détection de la substitution G143A.