DOSSIER - Qualité des grains récoltés veiller, prévenir, lutter

Insectes des grains : biologie, monitoring, moyens de lutte

YANN CIESLA, Sitona AgroExpert - Saint-Médard-en-Jalles. - Phytoma - n°726 - septembre 2019 - page 26

La réussite d'une lutte intégrée contre les ravageurs des denrées stockées ne peut coïncider qu'avec une bonne connaissance des espèces impliquées.
 Photo : Y. Ciesla

Photo : Y. Ciesla

Fig. 1 : Stades composant le cycle d'un coléoptère et d'un lépidoptère, ravageurs des denrées stockées      Coléoptère Sitophilus oryzae, charançon du riz, et lépidoptère Plodia interpunctella, teigne des fruits secs. Source : Sitona AgroExpert.

Fig. 1 : Stades composant le cycle d'un coléoptère et d'un lépidoptère, ravageurs des denrées stockées Coléoptère Sitophilus oryzae, charançon du riz, et lépidoptère Plodia interpunctella, teigne des fruits secs. Source : Sitona AgroExpert.

Fig. 2 : Fréquence relative des différentes espèces d'insectes retrouvés après récolte dans les stocks de blé de 95 silos       Enquêtes nationales FranceAgriMer/Inra 2010-2011.

Fig. 2 : Fréquence relative des différentes espèces d'insectes retrouvés après récolte dans les stocks de blé de 95 silos Enquêtes nationales FranceAgriMer/Inra 2010-2011.

> 2. Piège à coléoptères en forme de pomme d'arrosoir. > 3. Piège sous forme de tube perforé.

> 2. Piège à coléoptères en forme de pomme d'arrosoir. > 3. Piège sous forme de tube perforé.

 Photos : Y. Ciesla

Photos : Y. Ciesla

> Infestation d'un lot de blé par le charançon du riz Sitophilus oryzae, présence de plusieurs milliers d'individus par kilogramme de grains. Photo : Y. Ciesla

> Infestation d'un lot de blé par le charançon du riz Sitophilus oryzae, présence de plusieurs milliers d'individus par kilogramme de grains. Photo : Y. Ciesla

Pendant très longtemps, la France a été un des grands pays producteurs de céréales à utiliser de façon massive et quasi systématique les insecticides de stockage rémanents (organo-phosphorés et pyréthrinoïdes). L'emploi de ces insecticides chimiques permet d'assurer une protection de plusieurs mois et bien qu'ils soient encore autorisés et couramment utilisés, leur utilisation tend à diminuer sous la demande croissante de la part des industries agroalimentaires d'absence de résidus dans les denrées brutes (céréales, légumineuses). De nouvelles voies de traitements s'ouvrent mais nécessitent une bonne connaissance des principales espèces d'insectes rencontrées au stockage.

Un contexte réglementaire plus strict

Atouts et inconvénients de la lutte chimique

Le développement de la chimie a permis, depuis plus de 60 ans, d'utiliser différents insecticides de « contact » (pyréthrinoïdes et organo-phosphorés) qui agissent sur le système nerveux de l'insecte, l'intoxication s'effectuant généralement lorsque l'insecte se déplace sur les grains traités ou dans une moindre mesure par ingestion. Mais les résidus laissés sur les grains, longtemps considérés comme un avantage en permettant une protection des grains pendant plusieurs mois, sont de moins en moins acceptés, notamment dans des filières engagées dans des chartes qualité (CRC, Label Rouge...).

La possibilité d'utiliser le dichlorvos (DDVP) jusqu'au 6 décembre 2008(1) comme traitement curatif en bout de chaîne permettait d'assurer l'absence d'insectes vivants à la vente. Certains organismes stockeurs ont développé le recours à la fumigation à la phosphine (PH3) afin de pouvoir désinsectiser sans résidus. La fumigation agit sur la respiration cellulaire des insectes, y compris sur les formes cachées, à condition de bien manager le traitement en respectant le temps d'exposition au gaz nécessaire (fonction de la température), et le maintien d'une concentration minimale en PH3(2). Une fumigation courte aura pour effet de tuer les insectes adultes, les larves et de laisser quelques oeufs ou nymphes en vie. Ce n'est pas un problème si le débouché commercial amène à transformer rapidement le grain (comme auparavant les traitements d'agréage réalisés à l'aide du DDVP). Même si cette technique tend à se développer de plus en plus, elle ne permet pas de résoudre la problématique du stockage des grains issus de l'agriculture biologique (AB), le PH3 n'étant pas autorisé en AB.

Disparition de substances actives, baisses de LMR

Depuis quelques années, plusieurs substances actives utilisées pour le traitement des céréales en post-récolte ont été interdites (dichlorvos en 2008), ou leur emploi restreint (malathion, usages limités uniquement dans les serres) au sein de l'Union européenne. Certaines limites maximales de résidus (LMR) ont été abaissées au point de rendre inutilisable l'emploi d'insecticides de contact sur certaines céréales (pyrimiphos-méthyl, chlorpyriphos-méthyl).

La perte de ces techniques de désinsectisation n'a pas été accompagnée en parallèle par le développement de solutions alternatives ayant le même spectre d'action, la même persistance et/ou la même efficacité, ce qui complexifie la tâche des organismes stockeurs dans la lutte contre les insectes des denrées stockées (photo 1, charançons des grains Sitophilus granarius). En effet, les moyens de lutte à disposition ne permettent pas de régler l'ensemble des problématiques liées au développement des insectes dans les stocks ; ils ne s'appliquent pas de la même façon dans tous les contextes : l'espèce à laquelle appartient l'insecte, le mode de stockage, le matériel qui équipe les silos, la température et la nature de la denrée sont autant de facteurs qui influent sur l'efficacité des mesures alternatives mises en oeuvre. Ces solutions impliquent de bien connaître le mode de vie et les caractéristiques propres à chaque espèce.

Quelques notions de biologie

Abaisser la température pour limiter le développement des insectes

Les insectes déprédateurs des stocks de grains appartiennent principalement à deux ordres : les coléoptères et les lépidoptères. Quelques particularités physiologiques propres aux insectes ont leur importance lorsqu'on cherche à mettre en place une stratégie de lutte. Par exemple, les insectes ne sont pas capables de réguler leur température et sont donc dépendants de la température de l'environnement, qui va jouer le rôle de métronome de leur activité. C'est pourquoi refroidir le grain, même si cela ne permet pas de réaliser une désinsectisation, va permettre de ralentir leur métabolisme et allonger, voire bloquer leur développement : à titre d'exemple, la durée d'un cycle d'insecte des denrées stockées (de l'oeuf à l'adulte) est d'environ 30 jours à 30 °C, 40-45 jours à 25 °C et plus de 2 mois à 20 °C. En dessous de 10 °C, le cycle est pratiquement interrompu en attendant une remontée des températures. Ceci est valable pour les coléoptères et les lépidoptères mentionnés dans cet article qui s'attaquent aux céréales.

Des cycles de développement différents

Les insectes respirent par des petits orifices situés le long de l'abdomen, appelés spiracles, ils peuvent à tout moment ouvrir (forte activité) ou fermer ces spiracles (manque d'oxygène par exemple) en fonction des besoins. Les insectes qui vivent dans le grain n'ont pas besoin de boire et trouvent suffisamment d'eau dans la nourriture qu'ils consomment, même si les grains sont très secs. Un cycle est décomposé en quatre stades qui se succèdent chronologiquement : oeufs, larves (coléoptères) ou chenilles (lépidoptères), nymphes (coléoptères) ou chrysalides (lépidoptères) puis adultes (Figure 1).

Leur durée de vie adulte est très variable (quelques jours pour les lépidoptères) à plusieurs années pour les triboliums. Les formes larvaires entraînent le plus de dégâts car elles passent la majeure partie de leur temps à se nourrir. Le vol, possible pour la plupart des espèces (hormis le charançon des grains et le tribolium brun), n'a souvent lieu que lorsque les températures environnantes sont élevées (30 °C) car il est très coûteux en énergie.

Bien connaître les ravageurs pour mieux lutter

Spécialisés, mycétophages ou polyphages

Plusieurs espèces d'insectes peuvent se retrouver sur les denrées récoltées. Il convient d'avoir quelques notions sur leur mode de vie afin d'appréhender au mieux la lutte. Certaines se développent sur céréales (céréales à paille, maïs, riz) avec la particularité de pouvoir infester l'intérieur d'un grain (ravageurs primaires). D'autres se nourrissent plutôt des poussières, brisures et débris associés au stockage (ravageurs secondaires). D'autres espèces sont « spécialisées ». Ainsi, bruches et légumineuses ont coévolué : à chaque culture correspond une espèce de bruche. Certains insectes sont opportunistes et indicateurs de mauvaises conditions de stockage (insectes mycétophages se nourrissant de moisissures sur graines oléagineuses), enfin d'autres seront polyphages et capables d'infester n'importe quel produit stocké (teignes des fruits secs sur tous types de produits d'origine végétale).

Les céréales sont clairement les denrées qui attirent et permettent le développement de la plus grande diversité d'insectes granivores, avec au total une petite dizaine d'espèces de coléoptères que l'on retrouve fréquemment dans les silos (verticaux ou à plat) ou stockages à la ferme (Figure 2).

Le nom vernaculaire des insectes porte souvent à confusion, il convient de se référer au nom latin. Par exemple, le charançon du riz Sitophilus oryzae se développe mieux sur céréales à paille, la teigne des fruits secs ne s'intéresse pas qu'aux fruits secs...

Espèces monovoltines : bien désinsectiser à la récolte

Comment s'y retrouver ? Tout d'abord, le produit sur lequel on retrouve l'insecte est le principal indicateur. Ainsi, les bruches se trouvent uniquement sur les légumineuses et chaque espèce est associée à une espèce végétale. La bruche du haricot (Acanthoscelides obtectus), la bruche de la lentille (Bruchus signaticornis) et la bruche du pois (Bruchus pisorum) sont des espèces différentes... Étant donné la complexité d'identification des bruches, le seul intérêt pour le stockeur est de savoir si l'espèce est monovoltine ou polyvoltine, ce qui signifie que la bruche peut effectuer une ou plusieurs générations par an. Dans ce dernier cas, l'insecte pourra pondre de nouveau sur le produit récolté, la première infestation ayant eu lieu au champ sur la culture en place lorsque les graines n'avaient pas encore atteint leur maturité. En France métropolitaine, seule la bruche du haricot est polyvoltine, donc seuls les haricots peuvent être réinfestés pendant le stockage. Pour les autres espèces, une fois le lot bien désinsectisé à la récolte (séchoir, fumigation), les graines peuvent être stockées sans trop de souci.

Oléagineux : pas de dégât direct sur graine

Sur oléagineux (colza, tournesol), aucun insecte n'est capable de percer ou d'infester une graine. Autrement dit, toutes les espèces associées à ces produits vont plutôt se nourrir et se développer en se nourrissant des impuretés, poussières et débris associés aux graines. Quelques triboliums ou insectes mycétophages sont parfois retrouvés sur le stockage, ces insectes peuvent être éliminés en partie par une action de nettoyage ou une fumigation à l'aide de générateurs de phosphine (PH3), seul insecticide autorisé sur oléagineux.

Agrégats : présence de Plodia

La teigne des fruits secs pose plus de problèmes à cause des soies tissées par les chenilles qui entraînent l'agrégation des graines, voire la couverture de la surface d'un tas. La présence de ces agrégats va permettre d'indiquer que l'infestation provient de Plodia interpunctella, seule espèce des denrées brutes à avoir ce comportement.

Ravageurs primaires : charançons et capucins

Certaines espèces, que l'on peut appeler ravageurs primaires, sont capables d'attaquer les grains sains, c'est-à-dire de percer les grains, grâce à leurs mandibules adaptées, afin de pouvoir y pondre ou de pouvoir les grignoter pour se nourrir. En France, trois espèces de charançons (Sitophilus granarius, S. oryzae et S. zeamais) et une espèce de capucin (Rhyzopertha dominica) sont présentes. Elles sont dites à formes cachées étant donné qu'une partie de leur cycle se développe à l'intérieur d'une même graine (oeufs, larves et nymphes pour les charançons ; larves et nymphes pour les capucins). Cette particularité rend impossible la désinsectisation complète d'un lot s'il n'est pas possible d'atteindre ces stades cachés. Différencier charançons et capucins permet, en cas de nécessité d'utiliser un insecticide de contact, de sélectionner la meilleure famille d'insecticide et d'optimiser ainsi l'efficacité. Le capucin est tolérant aux organophosphorés et très sensible aux pyréthrinoïdes, c'est l'inverse pour les charançons.

Une enquête (FranceAgriMer/Inra) menée en 2010-2011 montre que, dans les silos français, l'espèce la plus fréquemment rencontrée sur blé est le charançon du riz Sitophilus oryzae. Les femelles de cette espèce peuvent pondre presque dix oeufs par jour dans les conditions optimales et jusqu'à 300 au cours de leur vie (Hagstrum et Flinn, 1990).

Ravageurs secondaires : sur brisures et poussières

Les ravageurs secondaires se développent sur les grains stockés en se nourrissant des dégâts occasionnés par les ravageurs primaires (grains percés ou cassés) ou des poussières et débris associés aux grains : triboliums (deux espèces, T. castaneum et T. confusum), silvains (Oryzaephilus surinamensis) et Cryptolestes sp.

Une infestation après la récolter

Toutes ces espèces ne pondent pas au champ en milieu tempéré, l'infestation d'un lot de céréales intervient donc après la récolte (bennes de transport, fosse de réception, silos, circuits de manutention et de ventilation...) et seuls quelques individus suffisent pour développer une infestation importante.

Monitoring : peu d'éléments nouveaux

Les limites du piégeage au stockage

Le monitoring des insectes est essentiel dans la prévention d'infestations importantes dans les usines de transformation, l'industrie agroalimentaire ou chez les semenciers. En revanche, chez les organismes stockeurs, le suivi des insectes est peu développé pour plusieurs raisons.

Les pièges disponibles sur le marché sont des pièges passifs placés à la surface du grain (cône perforé en forme de pomme d'arrosoir) ou tubes perforés enfoncés dans le grain (photos 2 et 3). L'insecte qui circule à la surface des grains ou au niveau de la couche superficielle (30 cm) du stockage peut être capturé en tombant de façon aléatoire dans ce piège réservoir sans pouvoir en sortir. Au vu des quantités stockées, il est nécessaire de poser un nombre conséquent de pièges sur un stockage à plat pour avoir un bon quadrillage et une bonne représentation des populations d'insectes par rapport au volume surveillé. La pose et le relevé des pièges sont chronophages, et c'est parfois le manque de personnel qui bloque la mise en oeuvre du monitoring dans certaines structures. Sur des cellules verticales, le monitoring des coléoptères n'est pas performant car la pose de pièges de surface, outre les contraintes d'accessibilité, ne va donner qu'une information restreinte liée à une éventuelle infestation de surface et non pas une vision représentative du volume de grains stockés. Lors d'une infestation, certains insectes sont situés à la surface des grains (silvains, par exemple) ; en revanche d'autres espèces comme les charançons et les capucins peuvent se développer à n'importe quel endroit du silo, y compris au coeur de la masse de grains. Les pièges à phéromones sexuelles ne sont efficaces que pour le suivi de la teigne des fruits secs (Plodia interpunctella).

Silothermométrie : indication tardive

La « surveillance » des insectes est bien souvent cantonnée au suivi des températures du grain. La silothermométrie est nécessaire, mais ne permet de donner qu'une information tardive d'une éventuelle infestation d'insectes. Une élévation de la température, à la suite d'une infestation d'insectes, est liée à leur respiration qui entraîne une augmentation de l'humidité. Les conditions deviennent alors favorables au développement de moisissures et bactéries, ce qui crée un échauffement du grain.

Contrôles à la réception : limites de l'échantillonnage

Une solution universelle de monitoring précoce n'existe pas encore. Les contrôles à réception lors de la livraison de céréales effectués chez la plupart des organismes stockeurs ou usines de première transformation ne sont pas non plus parfaitement fiables. Les formes cachées des ravageurs primaires ne sont pas détectées et la taille de l'échantillon (au mieux quelques kilogrammes de grains) rapportée à la masse de grain livrée (par exemple 20 tonnes) ne permet de détecter qu'un niveau d'infestation élevé. Il paraît parfois exagéré de refuser la livraison d'un lot de grains lorsqu'un seul insecte vivant a été trouvé lors de l'échantillonnage mais cela se traduit généralement, en termes de probabilités, par un niveau d'infestation déjà élevé. Une étude canadienne publiée en 2014 (Jian et al., 2014) montre, via un modèle mathématique, que pour détecter une densité d'infestation inférieure à 0,5 insecte/kg de grain sur un lot de 2,7 tonnes, il faudrait prélever plusieurs dizaines d'échantillons de 2,5 kg pour détecter une infestation à répartition hétérogène... Le recours aux pièges reste donc une alternative avec toutes les contraintes et limites que cela représente.

La lutte alternative requiert une expertise pointue

Mesures prophylactiques : nettoyage et baisse de température

Une des meilleures mesures prophylactiques est le nettoyage des cellules, des circuits de ventilation et des équipements de transfert du grain (fosse réception, pieds d'élévateurs, transporteurs, vis...). La ventilation pour faire baisser la température du grain permet de minimiser le risque de développement à condition d'avoir l'offre climatique disponible (Barrier-Guillot et al., 2014). Mais cela ne suffit pas toujours et tous les stockages ne sont pas ventilables ou nettoyables pour des raisons de conception (accessibilité) ou de sécurité.

Combiner les solutions alternatives

La plupart des alternatives ne sont pas innovantes ou nouvelles mais tendent à trouver un marché pour remplacer la niche vacante liée à la baisse du nombre de solutions insecticides disponibles. Beaucoup de ces solutions alternatives sont efficaces en laboratoire mais ne sont pas ou peu applicables à grande échelle pour des raisons parfois techniques mais surtout économiques. Actuellement, le coût en conventionnel de la lutte insecticide rapporté à la tonne de céréales stockées est estimé entre 0,17 € et 1,19 € (Barrier-Guillot et al., 2014). Seule la combinaison de plusieurs moyens de lutte, principe de la lutte intégrée, peut permettre de remplir l'objectif de zéro insecte vivant à des coûts acceptables.

Aperçu des solutions alternatives actuelles

Anoxie

C'est le remplacement de l'atmosphère par de l'azote pour faire chuter le taux d'oxygène en dessous de 2 %. Cette technique peut se faire à petite échelle (conditionnement big bag avec plastique barrière à l'oxygène par exemple) mais n'est pas envisageable à grande échelle étant donné le faible niveau d'herméticité des silos français. Les temps de traitement, fonction de la température, sont très longs (plusieurs semaines).

Traitement au CO2

Le dioxyde de carbone est toxique pour l'insecte à des taux élevés (entre 60 et 90 %). Cette technique peut être envisagée à condition de pouvoir réinjecter du gaz facilement (automate) si nécessaire et pour des produits à haute valeur ajoutée. Pour l'instant, aucune formulation à base de cette substance active approuvée au niveau européen n'est homologuée en France.

Terre de diatomée

C'est une réelle solution alternative de désinsectisation, mais pour être efficace l'insecte doit se déplacer entre les grains, la température ne doit donc pas être trop basse si la volonté est de réaliser un traitement curatif (Ciesla et Guéry, 2013). Cette poudre de dioxyde de silice (SiO2) agit par abrasion de la cuticule des insectes et mort par déshydratation. Cette solution est applicable en AB et permet pour le stockage à la ferme de réaliser des traitements préventifs et curatifs.

Le coût d'un traitement rapporté à la tonne en conventionnel limite son utilisation, à l'environnement du stockage (gaines de ventilation), aux cellules vides et à la surface des stockages à plat et non à l'ensemble de la masse de grains. Un seul produit est homologué (Silicosec) sur les céréales et en traitements généraux des locaux, structures et matériels.

Huiles essentielles (eugénol, géraniol, thymol)

Elles peuvent laisser une odeur sur les grains : cela est problématique pour des denrées alimentaires. Il est difficile d'atteindre une mortalité totale sur coléoptères. Il n'y a pas de LMR fixées. Aucun produit n'est autorisé pour l'instant.

Lutte biologique à l'aide d'insectes parasitoïdes

Elle peut avoir un intérêt pour le stockage de semences (produits à hautes valeurs ajoutées) en entrepôt mais est inapplicable d'un point de vue technique (les parasitoïdes ne pénètrent pas au coeur de la masse de grains) ou économique (lâchers à intervalles réguliers tout au long de l'année) pour les stockages de céréales en silos. L'espèce Habrobracon hebetor est efficace sous certaines conditions contre les chenilles de la teigne des fruits secs (Plodia interpunctella) et l'espèce Lariophagus distinguendus parasite les larves de charançons (Sitophilus sp.).

Lutte physique par le froid

Elle nécessite de bien connaître le ravageur visé. Par exemple, les bruches sont capables de survivre à des températures négatives (-20 °C) plusieurs jours ; de plus, il faut atteindre cette température à coeur des grains, ce qui est très énergivore. D'autres insectes d'origine plutôt tropicale sont plus sensibles (capucins) mais il faut réussir à atteindre des températures inférieures à 5 °C et maintenir cette température plusieurs mois (Krépon, 2018). La ventilation réfrigérée permet de refroidir rapidement et dès la récolte un lot de grains et ainsi de bloquer le cycle de développement des insectes ; cette mesure prophylactique n'est cependant pas insecticide en cas d'infestation avérée (Mathie, 2019).

Traitements thermiques (chaleur)

Ils sont une bonne solution pour désinsectiser car au-delà d'une certaine température (entre 55 et 60 °C), aucun insecte ne résiste. Mais cette technique qui peut être utilisée via les séchoirs fait baisser la teneur en eau des grains et n'est pas forcément viable économiquement sur des lots conventionnels.

Passer le grain au nettoyeur-séparateur

Cela peut éventuellement éliminer une bonne partie des ravageurs secondaires, mais les insectes à formes cachées (charançons, capucins) vont poursuivre quotidiennement leurs émergences sitôt le nettoyage terminé.

Éviter les impasses

Avant de limiter l'utilisation des insecticides chimiques, il convient de prendre en compte les impasses techniques et économiques. Beaucoup de « solutions » peu académiques voient le jour : musique insecticide, ultrasons effaroucheurs d'insectes, poudres... ce qui traduit une réelle nécessité de trouver de nouveaux moyens de désinsectisation. Une lutte raisonnée implique de renforcer les compétences techniques des acteurs du marché. Réussir le pari de lutter efficacement contre les insectes avec des solutions économiquement viables nécessite de renforcer les actions de formation des opérateurs des métiers du grain, des applicateurs et de soutenir la recherche de solutions innovantes.

(1) Décision de la commission du 6 juin 2007 avec effet au plus tard le 6 décembre 2008.(2) L'hydrogène phosphoré est une molécule inorganique que l'on retrouve naturellement sur Terre (30 000 à 500 000 tonnes par an sont produites dans les milieux anaérobies).

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Les espèces adaptées aux denrées stockées ne cessent de se développer pour plusieurs raisons : réduction des pesticides, réchauffement climatique, augmentation des échanges commerciaux...

PROBLÉMATIQUE - Face à la disparition de solutions chimiques à large spectre d'action ou à forte rémanence, les organismes stockeurs doivent recourir à des moyens alternatifs. Ces derniers varient selon les situations (ravageur, culture, température de stockage, ventilation...) et nécessitent une connaissance de la biologie des insectes des denrées d'autant plus grande que les moyens de surveillance restent encore limités (piégeage, silothermométrie...). MOYENS DE LUTTE ALTERNATIFS - Cette connaissance permet d'adapter, voire de combiner les solutions à disposition, car aucune ne suffit à elle seule. Ainsi, le nettoyage des équipements et l'abaissement de température limitent les risques de développement, sans tuer les insectes présents. L'anoxie et le traitement au CO2 restent cantonnés aux denrées à forte valeur ajoutée. La terre de diatomée, les huiles essentielles, le traitement par la chaleur... offrent chacune des avantages et des contraintes techniques et/ou économiques.

MOTS-CLÉS - Denrées stockées, charançons, capucins, teignes, piégeage, ventilation, anoxie, traitement au CO2, terre de diatomée, huiles essentielles, silothermométrie, nettoyeur-séparateur.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT :

yann.ciesla@gmail.com

BIBLIOGRAPHIE : - Anses (2019), Exposition à la silice cristalline : des risques élevés pour la santé des travailleurs, mai 2019. www.anses.fr

- Barrier-Guillot B., Dauguet S., Ducom P., Leblanc M.P., Crépon K., Frérot E., Losser E., Bonnery A., Ciesla Y., Fleurat-Lessard F. (2014), Économie et innovation en protection raisonnée des céréales contre l'infestation par les insectes au stockage, Innovations agronomiques, 34, p. 67-82.

- Ciesla Y., Guéry B., Efficacy of diatomaceous earth against the rice weevil Sitophilus oryzae L. after a preventive treatment of wheat. Integrated Protection of Stored Products, IOBC/WPRS, Vol. 98, 1-4 July, 2013, Bordeaux, France, p. 183-191.

- Crépon K. (2018), Effet insecticide de la température : application dans un itinéraire de lutte intégrée, Colloque Arvalis Insectes des grains, 9 octobre 2018, Paris, France.

- Fuji J., Jayas D.S., White N.D.G. (2014), How many kilograms of grain per sample unit is big enough ? Part II - Simulation of sampling from grain mass with different insect densities and distribution patterns. Journal of stored products research, 56, p. 67-80.

- Hagstrum D.W., Flinn P.W. (1990), Simulations Comparing Insect Species Differences in Response to Wheat Storage Conditions and Management Practices, Journal of Economic Entomology, Vol 83, Issue 6, p. 2469-2475.

- Mathie M. (2019), Ventilation réfrigérée des grains stockés : halte aux idées reçues, Phytoma, 723, p. 34-38.

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