De nouveaux outils se révèlent prometteurs pour la protection des personnes et des animaux contre les chenilles urticantes. Les tests ont été conduits sur les processionnaires du pin et du chêne en 2018 et 2019.

Les chenilles processionnaires dites du pin ou du chêne sont connues pour leurs comportements grégaires, leurs déplacements en procession, les défoliations sur les arbres mais surtout pour les fortes nuisances occasionnées par les soies urticantes qu'elles larguent (photos 1 et 2). Ces dernières sont de véritables petits harpons toxiques qui pénètrent dans la peau, les yeux ou les voies respiratoires des hommes comme des animaux.

Les chenilles urticantes

Un risque de santé publique

Le mécanisme de défense par projection de soies urticantes est rare chez les lépidoptères. En dehors des processionnaires, seulement deux autres espèces sont aussi connues en France pour le risque santé publique : une au stade larvaire, les chenilles du bombyx cul brun et une autre au stade adulte, le papillon cendre présent en Guyane française(1). Pour la processionnaire du pin, le risque santé publique est important au moment des processions de nymphose au sol ou lorsqu'on coupe les nids d'hiver. Pour la processionnaire du chêne, les chenilles arrivées à maturité vont tisser un cocon directement sur le tronc, sans quitter l'arbre hôte. Les plaques de nymphose ainsi constituées de cocons et d'exuvies resteront sur les troncs. Elles seront vectrices pendant plusieurs années d'urtications causées par l'action des soies dispersées par le vent.

Tester le BtK en biocide

Face à la processionnaire du pin, la plus étudiée, la recherche a mis au point des stratégies alternatives de régulation qui peuvent être employées avec succès pour protéger les personnes contre cet insecte (Martin et al., 2017). Néanmoins, dans certaines conditions (observation tardive des nids, manque de personnel de terrain, hauteur des arbres, niveau d'attaque trop élevé...), l'usage des spécialités microbiologiques à base de Bacillus thuringiensis subsp. kurstaki BtK est nécessaire pour des raisons de santé publique. Dans le cas de la processionnaire du chêne, seul le BtK permet à ce jour une protection raisonnée. Or, depuis mai 2018, en France, aucune spécialité microbiologique à base de BtK avec la mention biocide n'a d'autorisation de mise sur le marché (AMM). C'est ainsi que l'expérimentation du Foray ES a été réalisée contre ces deux types de processionnaires pour pallier ce manque.

Une double expérimentation : biocide et drone

Des dépôts ciblés pour un moindre impact environnemental

Le Foray ES est un produit biocide microbiologique, à base de BtK en cours d'homologation en Allemagne. L'objectif de cette étude est d'en évaluer l'effet sur deux chenilles urticantes, les processionnaires du pin et du chêne, en largage par drone.

Le dépôt du BtK par drone s'effectue avec des stratégies adaptées à chaque espèce et aux configurations végétales :

- pour la processionnaire du pin, le dépôt est ciblé sur le pourtour des nids et sur le feuillage de proximité (+/- 4 m²) grâce à une caméra située sous le drone et l'écran déporté utilisé par le pilote. L'analyse d'image et la reconnaissance automatique des nids de chenilles processionnaires du pin pourront être expérimentées par la suite ;

- pour la processionnaire du chêne en forêt ou en bosquet, le dépôt est automatisé en lignes espacées de 3 mètres de largeur correspondant à la largeur de pulvérisation couverte. Dans le cas de chênes isolés au milieu d'autres essences, seuls les chênes font l'objet de l'intervention ciblée par BtK.

Ce dépôt ciblé du BtK (localisation sur nids ou arbres infestés) associé au bon calage de la date d'intervention a pour objectif de réduire davantage l'impact sur l'environnement. Dans le cas de la processionnaire du pin, le dépôt ciblé a lieu en période hivernale ou fin d'automne. À cette période, il y a une présence rare de lépidoptères au stade larvaire hors processionnaires. Pour la processionnaire du chêne, l'observation de la phénologie des chenilles (dès la fin de la période d'éclosion), autant que de la phénologie végétative (fin du stade allongement du feuillage), permet de cibler une courte période où le traitement est plus efficace (jeunes stades des insectes-cibles) avec peu d'autres lépidoptères au stade larvaire.

Des drones adaptés

L'usage intelligent du drone nécessite pour le pilote une grande technicité. L'appareil doit posséder un équipement adapté et être bien instrumenté. Le respect de la réglementation en vigueur (procédures, autorisations de vol et de dépôt de produit... ; voir encadré ci-dessous) fait aussi partie de la réussite de l'intervention.

La société Agrobio Tech partenaire du projet possède deux drones de type Agras MG. Ce sont des drones octocoptères de diagonale 1, 50 m avec une masse maximale de 24,8 kg, pouvant embarquer 10 litres de produit. Ils sont équipés de quatre buses avec un débit max. de 0,38 l/min, permettant d'obtenir des gouttelettes comprises entre 130 et 250 <03BC>m. Le modèle MG1 a été utilisé pour les dépôts ciblés sur les nids de processionnaires du pin. Pour les expérimentations sur processionnaires du chêne, la hauteur des arbres de 20 à 25 mètres a nécessité un drone plus performant et mieux instrumenté. Ainsi, la firme s'est équipée du modèle MG1P (photo 3) qui possède un module radar haute précision anticollision Lidar. Ce dernier permet le maintien du vol à une hauteur fixe par rapport au couvert végétal quelles que soient les variations de hauteur des arbres. L'automatisation du parcours est assurée par une application intégrée pilotant le dispositif RTK(2). L'application enregistre aussi les données de vol et de largage de produit pour une meilleure traçabilité.

Les interventions en cours d'essai

Sur processionnaire du pin

Pour la processionnaire du pin, l'expérimentation a été conduite dans les parcs départementaux de la Grande Corniche (Alpes-Maritimes) en période pré-hivernale (11-13 décembre 2018). À cette période, les nids d'hiver commencent à être formés et sont plus visibles. Le dépôt à vue sur le pourtour des nids en est facilité. Les nids de quatre parcelles de 4 hectares chacune, et infestées par la processionnaire du pin, ont ainsi été ciblés. Le drone Agras MG1 avec ses buses orientables à la perpendiculaire (photo 4) a permis de diriger les jets sur les nids lorsque ceux-ci étaient situés sur le flanc de l'arbre. Le Foray ES a été utilisé en dilution 0,25 l pour 0,75 l d'eau (soit 1 l de bouillie). Le vol est stationnaire au-dessus des nids pour un dépôt ciblé.

Sur processionnaire du chêne

Pour la processionnaire du chêne, l'expérimentation a été conduite en 2019 avec la ville de Guénange (Moselle) sur une lisière de 2,5 km de longueur et environ 40 m de largeur. Les conditions de phénologie tant de l'insecte que des arbres-hôtes ont permis de lancer l'intervention dès la semaine 19. Elle s'est déroulée sur deux semaines à cause de la pluviométrie en milieu de première semaine.

La réglementation impose au pilote de garder son drone en vue directe pendant tout le vol. Ainsi, pour pallier cette contrainte, du fait de la grande hauteur des arbres, la ville de Guénange a mis à disposition une nacelle élévatrice autoportée de 25 m. Cette nacelle a permis au pilote du drone de piloter à vue son appareil au-dessus de la canopée. Par mesure de sécurité, la firme a ajouté un assistant au pilote à partir du sol. Les deux restaient en contact par talkie-walkie (photo 5).

Le vol du drone Agras MG1B utilisé pour cette intervention a été automatisé pour une vitesse de 6 km/h, une largeur de dépôt de 3 m et une hauteur de vol de 5 m, quelle que soit la hauteur de la végétation (radar de hauteur). L'enregistrement du tracé (photo 6) permet une traçabilité par rapport à la zone traitée au Foray ES. Le Foray ES a été utilisé en dilution 0,25 l pour 0,75 l d'eau.

Évaluation des résultats

Sur processionnaire du pin

Deux modes d'évaluation de l'efficacité ont été utilisés en fonction du comportement de l'espèce-cible. Sur processionnaire du pin, le dénombrement est fait sur 50 nids par placette expérimentale de 4 ha, trois à quatre semaines après le dépôt du Foray ES. À cette période, sont notées les colonies mortes ou vivantes. Les nids vivants sont bien entretenus et soyeux, alors que dans les nids morts, les chenilles pendent et la soie est terne et dégradée (photo 7). Les résultats rapportés en pourcentage sont présentés dans la Figure 1. Ils montrent une forte réduction des populations, allant de 88 à 98 %. Les quelques cas d'échecs résultent de nids qui n'ont pas été observés, et par conséquent qui n'ont pas été traités, lors de l'intervention.

Processionnaire du chêne

Sur processionnaire du chêne, l'efficacité est évaluée par dénombrement des colonies vivantes et notation des dégâts sur les arbres. Deux relevés ont été réalisés un mois (J+28 et 29) et deux mois (J+63) après intervention. Cent arbres répartis sur l'ensemble de la lisière traitée et cent arbres en secteur non traité (témoin) ont été scrutés à l'aide de jumelles à partir du sol. À J+28, les chenilles avec quelques amas de soies étaient encore peu visibles. À J+63, les nids étaient bien constitués, certains faisaient la taille d'un ballon de rugby (code DSF). La précision des résultats est donc plus sûre lors de ce dernier relevé (Figure 2).

Les notations des chenilles mortes et des dégâts sur les chênes n'ont pas été effectuées à cause de la contrainte de hauteur. En comparant avec les secteurs non traités, l'efficacité du Foray ES en dépôt ciblé de BtK apparaît sans aucun conteste dès le premier relevé. En effet, aucun nid n'a été observé sur toute la lisière traitée, contre 17 et 28 pour cent arbres lors des relevés 1 et 2 (Figure 2).

Impact du Foray ES sur le milieu

Pas de dégâts collatéraux

Sur processionnaire du pin, la précision du dépôt a permis de réduire considérablement la quantité de Foray ES épandue, soit 29,75 % d'un traitement exhaustif (soit 1,19 litre en moyenne par hectare de produit pur contre 4 litres par hectare dans un traitement systématique de la parcelle).

Sur processionnaire du chêne, c'est le calage précis de la date d'intervention qui permet de réduire l'impact du BtK sur le milieu : dès le premier relevé, un mois après l'intervention, autant en lisière traitée que dans le témoin, de nombreuses chenilles de lépidoptères ont été observées ainsi que de nombreux autres insectes. Les chenilles du bombyx disparate Lymantria dispar ont été observées uniquement en zone témoin. En effet, le cycle étant très proche de celui de la processionnaire du chêne, les chenilles de ce ravageur des chênes ont dû également ingérer du Foray ES. Le coléoptère Silfe à quatre points, prédateur des chenilles processionnaires du pin, a été observé en grand nombre en secteur témoin, mais aussi traité (photos 10 à 16).

Un bilan positif

Réduction des intrants et préservation de la biodiversité

Le Foray ES utilisé habituellement à 4 litres de produit par hectare dilués dans 10 ou 12 litres d'eau est un excellent insecticide microbiologique biocide contre les chenilles urticantes, limitant ainsi les nuisances pour les personnes et les animaux. La dose moyenne de produit utilisé à l'hectare dans le cas du dépôt ciblé sur les nids pour la processionnaire du pin est extrêmement faible. Néanmoins, dans cette étude, la méthode ne permettait pas de calculer la dose effective déposée au mètre carré traitée. Le traitement ciblé, comme le traitement des lisières habitées ou fréquentées par le public, ainsi que le bon calage de l'intervention, permettent de réduire fortement l'impact sur le milieu :

- réduction des intrants grâce à l'usage précis et ciblé du drone par rapport à un traitement depuis le sol ou par rapport à un traitement exhaustif sur l'ensemble de la parcelle ;

- aucun dégât collatéral post-traitement avec le Foray ES sur la biodiversité entomologique. En effet, les larves de lépidoptères non-cibles sont bien présentes en lisière traitée 1 et 2 mois après intervention, sauf le bombyx disparate. La demande d'AMM du Foray ES en biocide contre les chenilles urticantes répond maintenant à une forte attente par les instances décisionnelles ou de santé, comme par les gestionnaires ou utilisateurs de la forêt.

Le drone, par sa précision de programmation et par ses automatismes de vol, apporte une réponse adaptée pour la protection des personnes contre le risque lié aux chenilles urticantes. Dans le cas d'arbres de grande hauteur, le dépôt de Foray ES au plus près de la végétation par le moyen du drone réduit fortement la dérive plus observée lors d'un traitement aérien type hélicoptère ou depuis le sol.

Une expertise biologique et une technicité drone nécessaires

Intervenir au printemps sur les chenilles processionnaires du chêne n'est pas sans risque sur les autres lépidoptères. Il est important de bien caller l'intervention dès la fin d'éclosion des chenilles-cibles afin de réduire l'impact sur les autres chenilles (un expert en entomologie est souhaitable). De même, l'usage du drone sur des grands arbres (+/- 25 m) ne peut se faire sans un travail préparatoire de terrain et avec un matériel pointu et instrumenté (technique Lidar, formation pilote, commande depuis une nacelle élévatrice, appui au sol...).

REMERCIEMENTS Les auteurs remercient les partenaires du projet et plus particulièrement le Conseil départemental des Alpes-Maritimes et la ville de Guénange pour leurs soutiens financier et matériel à cette étude.(1) Un avis de l'Anses sur les risques sanitaires et environnementaux liés aux stratégies de lutte en Guyane contre le « papillon cendre » (Hylesia metabus) est paru en 2011. https://www.anses.fr/fr/system/files/BIOC2011sa0213.pdf(2) Technique de positionnement par satellite en temps réel (Real Time Kinematic, ou RTK).