Environnement

Pesticides dans les eaux potables : distinguer les seuils

RONAN VIGOUROUX*, HÉLÈNE VERGONJEANNE**, SÉVERINE JEANNEAU*** ET ISABELLE DE PAEPE****, D'APRÈS UN ARTICLE RÉDIGÉ POUR LA 24E CONFÉRENCE DU COLUMA SUR LA LUTTE CONTRE LES MAUVAISES HERBES, ORGANISÉE PAR VÉGÉPHYL, À ORLÉANS, DU 3 AU 5 DÉCEMBRE *UIPP - Bo - Phytoma - n°729 - décembre 2019 - page 13

Différents seuils servent à estimer la qualité de l'eau destinée à la consommation humaine : limites de qualité technique avant/après traitement, limite sanitaire. Les seuils dépendent des métabolites considérés.
L'eau destinée à la consommation humaine (EDCH) est soumise à une réglementation stricte. Photo : Pixabay

L'eau destinée à la consommation humaine (EDCH) est soumise à une réglementation stricte. Photo : Pixabay

Fig. 1 : Évolution du nombre de pesticides et de métabolites de pesticides surveillés dans le cadre du contrôle sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine entre 2010 et 2015      Les substances pesticides sont issues de produits phytopharmaceutiques ou de produits biocides, encore homologués ou retirés de la vente. Source : Anses 2019.

Fig. 1 : Évolution du nombre de pesticides et de métabolites de pesticides surveillés dans le cadre du contrôle sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine entre 2010 et 2015 Les substances pesticides sont issues de produits phytopharmaceutiques ou de produits biocides, encore homologués ou retirés de la vente. Source : Anses 2019.

Fig. 2 : Distinction entre les métabolites pertinents et non pertinents dans le cadre des AMM des produits phyto      Deux types de métabolites sont différenciés. Source : Document guide DG Sanco/221/2000-rev.10, février 2003.

Fig. 2 : Distinction entre les métabolites pertinents et non pertinents dans le cadre des AMM des produits phyto Deux types de métabolites sont différenciés. Source : Document guide DG Sanco/221/2000-rev.10, février 2003.

Fig. 3 : Valeurs sanitaires pour l'eau de boisson calculées selon la méthode OMS avec médiane, boîte 25/75 percentiles, 10/90 percentiles et données aberrantes      Classes de substances : 1. Toutes les substances actives de la banque de données UE (375 substances). 2. Toutes les substances autorisées au moment de la publication dans l'UE (264 substances). 3. Toutes les substances autorisées dans l'UE « non toxiques » (195 substances). 4. Les 56 métabolites non pertinents étudiés issus de 35 substances actives. DJA issues de la banque UE http://ec.europa.eu/sanco_pesticides/public/index.cfm (12 septembre 2012). Source : Laabs et al., 2015.

Fig. 3 : Valeurs sanitaires pour l'eau de boisson calculées selon la méthode OMS avec médiane, boîte 25/75 percentiles, 10/90 percentiles et données aberrantes Classes de substances : 1. Toutes les substances actives de la banque de données UE (375 substances). 2. Toutes les substances autorisées au moment de la publication dans l'UE (264 substances). 3. Toutes les substances autorisées dans l'UE « non toxiques » (195 substances). 4. Les 56 métabolites non pertinents étudiés issus de 35 substances actives. DJA issues de la banque UE http://ec.europa.eu/sanco_pesticides/public/index.cfm (12 septembre 2012). Source : Laabs et al., 2015.

Fig. 4 : Schéma décisionnel proposé dans l'avis de l'Anses du 30 janvier 2019

Fig. 4 : Schéma décisionnel proposé dans l'avis de l'Anses du 30 janvier 2019

Les normes et limites s'appliquant aux métabolites non pertinents diffèrent selon que l'on considère le règlement 1107/2009 sur les produits phytopharmaceutiques (PPP), qui concerne les eaux souterraines, ou la directive 98/83/CE sur les eaux destinées à la consommation humaine (EDCH). Il existe des divergences entre les exigences européennes pour les eaux souterraines établies dans le cadre de la procédure d'homologation des produits de protection des plantes et les propositions actuelles au niveau français (Anses) quant aux seuils à établir pour les métabolites non pertinents dans les eaux potables. De même, il faut distinguer le seuil d'alerte (la limite de qualité réglementaire) et le seuil sanitaire (la valeur toxicologique : sans effet néfaste pour la santé).

Métabolites de produits phyto : approche règlementaire 1107/2009

Une dégradation des substances actives

Concernant leur comportement dans l'environnement, les substances actives des pesticides sont des molécules qui ont la propriété de se dégrader dans les sols ou dans les plantes par des processus physico-chimiques et biologiques. Les processus de dégradation - tels que les voies de transformation chimique ou les phénomènes d'adsorption et de désorption sur les composantes du sol - et les molécules intermédiaires formées sont décrits et évalués dans les dossiers d'homologation soumis aux autorités responsables de la délivrance des autorisations de mise sur le marché (AMM) des spécialités commerciales.

Métabolites pertinents et non pertinents

Au niveau européen, la DG Sanco de la Commission européenne a publié, en 2003, le document guide Sanco/221/2000 rev.10 qui établit la méthode scientifique permettant de distinguer les deux types de métabolites (Figure 2 page suivante) :

- les métabolites pertinents, actifs biologiquement et/ou présentant des caractéristiques toxicologiques proches de la substance active. Ils sont soumis aux mêmes règles EDCH et eaux souterraines que les substances pesticides « mères », soit 0,1 µg/l par substance active et sont cités dans la décision d'autorisation de la substance active publiée au Journal officiel de l'Union européenne ;

- les métabolites non pertinents, dont l'absence d'activité pesticide est démontrée et dont la toxicité est non significative, ou très réduite. Ils ne sont donc pas concernés par le même seuil réglementaire que les substances actives (0,1 µg/l), mais par un seuil de 10 µg/l au niveau de l'homologation.

Concentrations maximales dans les eaux souterraines

En Europe, la délivrance des AMM des produits phytosanitaires est régie par le règlement communautaire 1107/2009/EC. Ce règlement est accompagné d'un document guide, corpus de lignes directrices harmonisées décrivant les méthodes d'acquisition des données brutes et leur utilisation dans les scénarios d'évaluation définissant les conditions d'utilisation autorisées du produit phytosanitaire, telles que culture(s)-cible(s), dose maximale, type de traitement, période d'application. À la suite de l'application au champ, une dégradation rapide est exigée en vue d'éviter la persistance des substances actives et de leurs métabolites pertinents dans l'environnement. Les protocoles harmonisés au niveau européen comportent, d'une part, des mesures au laboratoire dans plusieurs types de sols et, d'autre part, des mesures au champ sous différents climats, dans différents sols et dans différentes situations de culture (variétés cultivées, pressions parasitaires). Les données brutes de dégradation alimentent ensuite des modélisations de transfert vers les eaux souterraines sur la base de neuf scénarios définis au niveau européen. Pour les métabolites pertinents, le seuil d'alerte est identique à celui des substances actives d'origine, soit au plus 0,1 µg/l, alors qu' il est de 10 µg/l pour les métabolites non pertinents.

Des seuils sanitaires sur la base du seuil de préoccupation toxicologique

Seuil de préoccupation toxicologique

Pour les eaux destinées à la boisson, les métabolites non pertinents pourraient être gérés comme toute autre substance organique, d'origine chimique ou naturelle, et donc chacun des métabolites devrait faire l'objet d'une évaluation toxicologique pour déterminer sa valeur sanitaire propre (individuelle) ; l'ingestion d'une eau contenant ce métabolite à une concentration inférieure ou égale à la valeur sanitaire n'entraîne, sur la base des critères toxicologiques retenus et en l'état actuel des connaissances, pas d'effet néfaste pour la santé. Cependant, pour des raisons de mise en oeuvre pratique par les gestionnaires de l'eau, l'association européenne de producteurs de produits phytosanitaires (ECPA) en 2015 a proposé d'utiliser l'approche dite du « seuil de préoccupation toxicologique » (TTC - threshold of toxicological concern) afin d'interpréter et gérer des données de surveillance des métabolites non pertinents, en se basant sur leur absence de propriétés pesticides et sur leur faible toxicité (Laabs et al., 2015).

La méthode TTC a été développée par des scientifiques dans les années 1970 et 1980. Elle est aujourd'hui utilisée par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) et l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Elle sert à évaluer de manière qualitative le risque toxicologique associé à des substances présentes en faible concentration dans le régime alimentaire et pour lesquelles les données toxicologiques sont insuffisantes ou inexistantes, mais disposant de données d'exposition. Elle permet de définir un seuil d'exposition en dessous duquel une quantité de substance est considérée comme étant sans risque pour le consommateur dans les conditions d'utilisation. Elle est basée sur l'analyse de 600 substances diverses non génotoxiques au profil toxicologique connu. Les substances ont ainsi été regroupées en trois classes selon leur structure chimique et une probabilité de toxicité similaire. Ce sont les classes de Cramer I, II et III. Les seuils d'exposition acceptables ont été calculés pour chaque classe en prenant un facteur de sécurité de 100. Ils sont respectivement de 1 800, 540 et 90 µg/personne et par jour (Tableau 1 p. 16).

Proposition d'un seuil par l'ECPA

La classe Cramer III qui répond au pire cas (substances les plus toxiques) a été retenue par l'ECPA pour définir un seuil qui pourrait s'appliquer à l'ensemble des métabolites non pertinents. L'OMS ayant établi en 2013 qu'un individu de 60 kg consomme en moyenne 2 litres d'eau par jour et que l'eau potable représente en moyenne 20 % de l'exposition alimentaire aux pesticides, l'ECPA arrive ainsi à proposer pour les métabolites non pertinents une valeur seuil de 9 µg/l. Afin de vérifier les marges de sécurité par rapport à cette approche TTC, l'ECPA a comparé les valeurs sanitaires calculées individuellement à partir des études de toxicité propres à 56 métabolites non pertinents issus de 35 substances actives au seuil de 9 µg/l. La valeur sanitaire spécifique pour chaque métabolite non pertinent étudié dans cette publication est clairement supérieure au seuil proposé de 9 µg/l (Figure 3). Pour les 56 métabolites, les valeurs sanitaires individuelles vont de 10,5 à 18 600 µg/l (5-percentile = 46,2 µg/l).

Contrôle sanitaire des eaux potables en France : approche réglementaire

Les seuils relatifs à la qualité des eaux

En France, l'arrêté du 11 janvier 2007 modifié relatif aux limites et références de qualité des eaux brutes et des eaux destinées à la consommation humaine précise que la limite individuelle de 0,1 µg/l par pesticide et celle de 0,5 µg/l pour la somme des pesticides s'appliquent « aux insecticides, herbicides, fongicides, nématicides, acaricides, algicides, rodenticides, produits antimoisissures organiques, produits apparentés (notamment les régulateurs de croissance) et leurs métabolites, produits de dégradation et de réaction pertinents ». Deux remarques s'imposent :

- ces seuils constituent une limite de qualité indépendante de la toxicité intrinsèque à chaque pesticide. Il convient de ne pas les confondre avec des normes sanitaires ayant un impact sur la santé ;

- ces seuils s'appliquent aux métabolites pertinents mais ne s'appliquent pas aux métabolites non pertinents.

La notion de pertinence est définie dans le cadre de la réglementation européenne liée aux AMM de produits phytopharmaceutiques mais n'est pas clairement définie en droit français, ce qui laisse place jusqu' à présent à une application restrictive des normes eaux potables à l'ensemble des métabolites, qu'ils soient pertinents ou non.

Du contrôle qualité au contrôle sanitaire

En cas de dépassement de la concentration de 0,1 µg/l, la réglementation française prévoit un dispositif de gestion de non-conformité basé sur la valeur sanitaire maximale (Vmax). Cette valeur établit la concentration à ne pas dépasser dans les eaux de boisson. Si la valeur mesurée est supérieure à la Vmax, l'eau est impropre à la consommation. Si la valeur mesurée est comprise entre le seuil et la Vmax, des mesures de remédiation (traitement et plans correctifs) sont mises en place. En principe, ces mesures de gestion ne sont utilisées que sur des périodes de temps limitées dans l'attente que les quantités mesurées reviennent en dessous des valeurs seuils de conformité.

Les analyses plus fréquentes de métabolites ont incité les autorités françaises à fixer des Vmax pour des métabolites. À ce jour, une vingtaine de métabolites bénéficient d'une Vmax rendant possible la gestion des non-conformités au niveau des ARS (Agences régionales de santé) (Tableau 2 page suivante).

Avis de l'Anses du 30 janvier 2019 : une nouvelle approche

Définition française de la pertinence d'un métabolite

À la suite de la saisine de la Direction générale de la santé n° 2015-SA-0252 du 9 décembre 2015, un avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) du 30 janvier a été publié le 11 avril 2019. Dans cet avis, la définition de la pertinence d'un métabolite est donnée comme suit : « Un métabolite de pesticide est évalué pertinent pour les eaux à destination de la consommation humaine s'il y a lieu de considérer qu'il pourrait engendrer (lui-même ou ses produits de transformation), un risque sanitaire inacceptable pour le consommateur. » L'Anses a proposé un arbre décisionnel unique permettant d'évaluer la pertinence des métabolites pour les EDCH applicable à tous les métabolites quantifiés dans les EDCH (Figure 4).

Cinq critères sont pris en compte :

- activité biologique ;

- potentiel génotoxique ;

- potentiel cancérogène et reprotoxique (effet avéré ou catégorie 1A/1B) ;

- potentiel perturbateur endocrinien ;

- transformation du métabolite dans les filières de traitement.

Pour établir un seuil maximum de présence dans les eaux à destination de la consommation humaine, le groupe de travail de l'Anses a utilisé la méthode TTC. Le seuil proposé est de 0,9 <03BC_6>g/l par métabolite non pertinent.

Analyse des différentes approches

Pour le calcul du seuil dans l'application de la méthode TTC, l'Anses a choisi la valeur la plus sécuritaire, soit 18 <03BC_7>g/j, correspondant à la classe de substances neurotoxiques (organophosphorés et carbamates) et base son calcul sur une consommation journalière de 2 litres d'eau et d'une contribution hydrique à l'exposition alimentaire totale de 10 % de la DJA.

Or dans une publication de 2011, l'OMS a considéré cette valeur de 10 % comme « excessivement conservatrice », et l'a ajustée à 20 %. Ces choix différents entre l'Anses et l'ECPA expliquent l'écart entre les seuils retenus, d'un facteur 10. Quoi qu'il en soit, comme pour le seuil de 0,1 <03BC_8>g/l concernant les substances actives et leurs métabolites pertinents, la proposition de seuil pour les métabolites non pertinents n'a donc pas de fondement sanitaire puisqu'elle ne prend pas en compte les valeurs sanitaires propres à chaque métabolite.

Si ce nouveau seuil de 0,9 µg/l est validé, il sera essentiel qu'il soit interprété comme un seuil d'alerte technique permettant la mise en place de plans correctifs et non pas comme un seuil au-delà duquel l'eau ne serait pas consommable. En cas de dépassement, il s'agira d'appliquer la procédure générale de gestion des non-conformités en utilisant la valeur sanitaire spécifique à chaque métabolite (Vmax). Préventivement, il est important de mettre en place des pratiques agricoles adaptées au contexte parcellaire pour limiter la mise en place de seuils d'alerte technique, donc de plans correctifs.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Au niveau européen, la définition de la pertinence des métabolites et les règles de décision associées ne sont pas encore uniformisées entre le règlement CE 1107/2009 (conditions d'autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques) et la directive 98/83/CE (qualité des eaux destinées à la consommation humaine [EDCH]). En France, le contrôle sanitaire des EDCH piloté par la Direction générale de la santé intègre progressivement les métabolites de pesticides dans ce contexte « incertain ».

PROBLÉMATIQUE - Des incohérences s'installent entre les seuils d'évaluation des risques définis au niveau européen, les limites de qualités EDCH et les valeurs sanitaires propres à chaque substance ou métabolite pour l'eau potable. De plus, la notion de pertinence doit être mieux connue afin de pouvoir distinguer les métabolites non pertinents (c'est-à-dire non actifs biologiquement et à toxicité « faible ») des métabolites pertinents (soumis au même seuil EDCH de 0,1 µg/l que les substances actives).

PERSPECTIVES - Cet article à visée pédagogique fait état des divergences de position entre différents textes réglementaires et leur interprétation. Dans tous les cas, il appartient aux autorités sanitaires de se positionner à la suite de l'avis de l'Anses du 30 janvier 2019.

MOTS-CLÉS - Métabolites, métabolites non pertinents, eau destinée à la consommation humaine (EDCH), eau potable, pesticides, produits phytopharmaceutiques.

Une surveillance renforcée de la qualité des eaux destinées à la consommation humaine

Depuis la directive eau potable 98/83/CE et avec l'amélioration rapide des capacités analytiques des laboratoires, différents programmes de surveillance des réseaux de l'eau destinée à la consommation humaine (EDCH) se sont mis en place.

En France, depuis 2015, les différents acteurs génèrent plus de 10 millions de données brutes annuelles sur les pesticides et leurs métabolites dans l'eau. Les données brutes sont interprétées en fonction des normes et des limites correspondant aux différents types et usages de l'eau : eau de captage (avant/après traitement), eau du robinet (amont/aval du réseau de distribution).

Chaque année, la Direction générale de la santé publie une synthèse annuelle sur la base des contrôles réalisés par les ARS. Le nombre de substances et de métabolites surveillés évolue régulièrement (Figure 1).

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : rvigouroux@uipp.net

BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article (12 références) est disponible auprès de ses auteurs (contact ci-dessus).

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