Adventices

Quand agroécologie rime avec nouvelles technologies

VALÉRIE VIDRIL, Phytoma. - Phytoma - n°731 - février 2020 - page 8

Le Columa, organisé en décembre dernier à Orléans, a permis de dresser le tableau sans concession des difficultés à venir de gestion des plantes adventices, tout en pointant les solutions en oeuvre ou en cours d'étude.
Jacques Gasquez, directeur de recherches honoraires de l'Inra, a présenté un exposé sur l'histoire du désherbage en grandes cultures. Photo : V. Bibard

Jacques Gasquez, directeur de recherches honoraires de l'Inra, a présenté un exposé sur l'histoire du désherbage en grandes cultures. Photo : V. Bibard

Des espèces préoccupantes pour la santé humaine. 2. Ambrosia trifida.      3. Ambrosia artemisiifolia.4. Plantule de Datura stramonium.      5. Fleur de Datura stramonium.  Photos : 2. B. Chauvel. 3, 4 et 5. Arvalis

Des espèces préoccupantes pour la santé humaine. 2. Ambrosia trifida. 3. Ambrosia artemisiifolia.4. Plantule de Datura stramonium. 5. Fleur de Datura stramonium. Photos : 2. B. Chauvel. 3, 4 et 5. Arvalis

Le thème de l'édition 2019 du Columa, seule conférence internationale en langue française dédiée aux adventices, s'accordait parfaitement au contexte : « Les nouvelles technologies au service de la gestion des adventices ». Alors que le nombre de solutions chimiques diminue, les recherches, tout comme les pratiques sur le terrain, se portent vers les alternatives. Qu'elles fassent appel à l'agronomie ou au biocontrôle, ces solutions ont pour point commun de pouvoir s'adosser à de nouveaux outils en plein essor (OAD) ou en cours de développement (robotisation, pulvérisation ciblée, etc.).

Une conférence en pleine transition

Organisée par Végéphyl, l'association pour la santé des végétaux, la conférence Columa a attiré quelque 290 participants issus de la recherche, du terrain (agriculteurs, conseillers, etc.) et des firmes début décembre à Orléans. Huit thématiques avaient été retenues : « Biologie et nuisibilité des plantes adventices », « Gestions des risques environnementaux liés à l'utilisation des herbicides », « Leviers et alternatives aux produits de protection des plantes », « Nouvelles technologies », « Produits et innovations », « Résistances des adventices aux herbicides », « Systèmes de culture » et « Agriculture tropicale ».

D'une manière générale, de nombreux exposés ont fait état de situations de blocage ou d'impasses. Certes, les recherches permettent d'envisager de nouvelles pistes pour gérer les mauvaises herbes dans les cultures. Mais les solutions proposées, toutes prometteuses qu'elles soient, nécessitent de modifier complètement l'itinéraire cultural (rotation, diversification, décalage des dates de semis...), d'investir (désherbage mécanique, thermique, nouvelles technologies...), si ce n'est pas de repenser toute une filière : quels débouchés pour les cultures de diversification ? Quels prix de vente pour compenser une perte de rendement ? Quelle baisse acceptée des seuils de qualité ? Quelle remise en cause des exigences sanitaires ? Les difficultés soulevées par le retrait des solutions chimiques de synthèse sont encore plus prégnantes pour les cultures tropicales.

De la difficulté de changer de modèle

À l'époque des « mauvaises » herbes

En introduction, Jacques Gasquez, directeur de recherches honoraires de l'Inra, et Marc Délos, de l'Académie d'agriculture de France, ont exposé une rapide histoire du désherbage en grandes cultures, rappelant les différentes techniques au fil du temps, de l'invention de la culture des céréales du Néolithique à nos jours : bâton fouisseur, houe préhistorique, charrue à versoir, jachère, outil tracté, chimie minérale « puis de synthèse de plus en plus élaborée, efficace, sélective de la plante cultivée ». Ces dernières solutions, aussi controversées soient-elles, ont permis de « faire disparaître les famines tout en faisant reculer le labour et ses conséquences sur l'érosion des sols ».

Marc Délos a rappelé que la nuisibilité des adventices ne se limite pas à des pertes de rendement mais qu'elle touche également la qualité sanitaire des cultures. Indirectement, les adventices peuvent aussi compliquer les opérations de récolte ou constituer des réservoirs de bioagresseurs.

Diminution des substances actives et impacts

Depuis 2009, le nombre de substances actives approuvées par l'Union européenne a considérablement diminué. En France, le doute sur l'impact sanitaire et environnemental de certains produits et la pression sociétale ont incité le gouvernement à prendre des mesures restrictives complémentaires. L'interdiction française de l'ensemble des usages à base de glyphosate d'ici fin 2022 oblige ainsi l'ensemble des filières à réaliser une évaluation technico-économique des différentes solutions alternatives afin de réadapter les systèmes et réajuster les pratiques à la nouvelle réglementation(1).

Le retrait d'autres molécules herbicides a d'ores et déjà mis en difficulté certaines productions, comme la culture conventionnelle de la carotte avec l'interdiction en 2018 du linuron suivi, en 2019, de l'interdiction de désinfecter le sol au métam-sodium.

La diminution des solutions chimiques a pour conséquence directe une augmentation du risque de sélection de résistance aux herbicides de certaines adventices, l'agriculteur n'ayant plus la possibilité d'alterner les modes d'action. De fait, les recommandations s'orientent vers la nécessité de combiner traitements et moyens de lutte alternatifs, comme le désherbage mécanique ou la rotation. L'alternance des moyens de lutte est conseillée de manière générale, tant la nature a la capacité à s'adapter : en sélectionnant des plantes à port ras au fil des tontes par exemple.

Le recours aux pratiques agronomiques pour gérer les adventices nécessite de connaître leur biologie afin de mieux caler les méthodes de lutte : conditions de germination, cycle de développement, dynamique d'infestation... Différentes interventions ont ainsi porté sur la caractérisation de la flore adventice de certains systèmes de culture, des suivis phénologiques, des études biologiques (Hypericum triquetrifolium, Glebionis coronaria), ou encore l'estimation du stock semencier.

Des espèces adventices préoccupantes

Outre une parfaite connaissance de la biologie des adventices, le suivi épidémiologique va s'avérer précieux pour limiter les invasions. Certaines flores s'avèrent difficiles à maîtriser selon les cultures, les solutions herbicides disponibles et les conditions climatiques, comme Cyperus esculentus, le vulpin des champs (Alopecurus myosuroides) désormais présent presque toute l'année, l'orobanche rameuse du tabac (Phelipanche ramosa) ou encore les rumex (Rumex crispus, Rumex obtusifolius). Certaines plantes présentent des risques pour la santé humaine, de manière directe comme le datura stramoine (Datura stramonium), ou les ambroisies (Ambrosia artemisiifolia et A. trifida). Les effets indirects sur la santé des plantes sont aussi pris en compte : maintien d'une hygrométrie importante favorable à l'oïdium en cultures de céréales ; relais de pathogènes (par exemple, le vulpin des champs hôte du piétin échaudage, du piétin verse ou de l'ergot du seigle) ; stress abiotique favorisant le développement des Aspergillus spp.

Une combinaison de leviers

Leviers agronomiques et autres alternatives

Les différents leviers agronomiques (faux-semis, décalage de semis, rotation, diversification, couverture du sol...) et physiques (travail du sol, paillage, désherbage manuel, mécanique ou thermique, vapeur, solarisation...) n'offrent pas individuellement de résultats équivalents au désherbage chimique en termes d'efficacité, de coût, voire de facilité de mise en oeuvre. Mais ils constituent autant d'outils complémentaires à un traitement chimique. Les couverts végétaux, en particulier, font l'objet de nombreuses études, avec des résultats contrastés et variables d'une parcelle à l'autre (selon les cultures, la profondeur de travail du sol, les conditions pédoclimatiques, les outils disponibles...). Ces résultats soulignent la complexité des interactions entre les adventices, le couvert et la culture. À eux seuls, les couverts ne permettent pas d'assurer une régulation complète des adventices.

Nouvelles technologies au service du désherbage

Une table ronde a réuni chercheurs, responsables de start-up et agriculteurs autour de la question « Comment les nouvelles technologies peuvent nous permettre de réduire les herbicides ? ». Une session spéciale a également permis d'en aborder les avancées.

Les outils d'aide à la décision sont d'autant plus précieux dans un contexte de réduction des intrants : pour supprimer un traitement préventif et diminuer l'IFT, pour positionner les interventions mécaniques tributaires des conditions climatiques, pour prévoir les levées d'adventices...

La reconnaissance d'image facilite l'identification des adventices à un stade précoce par l'agriculteur ou l'automatisation de la détection par la machine (pour un traitement localisé). La validité des modèles repose sur l'accumulation des données (base de connaissances) permettant l'apprentissage de l'outil.

De multiples innovations ou projets ont été abordés : la détection d'espèces par imagerie et capteur hyperspectral, un indicateur de la compétition adventice basé sur l'estimation de l'indice foliaire et la biomasse, une rampe permettant de ne traiter que le rang de culture et de biner l'interrang ensuite sur colza, la cartographie des « taches adventices » par drone, exploitée dans un second temps par le pulvérisateur au champ.

L'intelligence artificielle et la robotique ouvrent des perspectives en termes d'automatisation ; des solutions existent et fonctionnent. Il reste à les évaluer économiquement sur le terrain : quel débit de chantier, pour quelles surfaces, à quel coût ?

Innovations chimiques

Plusieurs substances actives herbicides ont été présentées lors de la session « Produits et innovations ». Gowan Crop Protection Ltd a réalisé le travail de développement en Europe du benzobicyclon (inhibiteur de l'HPPD, nouveau mode d'action pour les riziculteurs européens), sélectif du riz, positionné en prélevée. La demande d'incorporation de cette substance active sur la liste positive (Annex 1) a été déposée en 2019.

Le florpyrauxifène-benzyle (mode d'action de type auxinique - famille des arylpicolinates), de Corteva Agriscience, herbicide systémique de post-levée pour les rizières asséchées et semi-inondées, a été approuvé en Europe en juillet 2019.

Le bixlozone (inhibiteur de la DOXP synthase, famille des isoxazolidinones), développé par FMC, est applicable en prélevée, en post-levée précoce ou au moment du semis pour le contrôle de graminées et dicotylédones sur céréales et colza notamment. La demande d'approbation de la substance est en cours d'évaluation en Europe.

Corteva propose le produit GF-3885 (pas encore d'AMM en France), à base d'halauxyfène-méthyle (mode d'action auxinique - famille des arylpicolinates), pour lutter contre Ambrosia artemisiifolia en culture de tournesol ainsi que d'autres adventices difficiles à contrôler.

Le pyraflufène-éthyl (inhibiteur de l'enzyme Protox - famille des phénylpyrazoles) a été réinscrit sur la liste positive européenne des substances approuvées à compter du 1er avril 2016 pour une durée de quinze ans. Il agit par contact et n'a pas d'action systémique. Il est à la base de produits commercialisés en France pour le défanage de la pomme de terre, l'épamprage et le désherbage de la vigne. Il est en cours de demande d'autorisation (Philagro) pour d'autres usages herbicides.

Technologies et terrain au service de la transition agroécologique

Les solutions chimiques, de plus en plus rares, doivent désormais trouver leur place dans des itinéraires culturaux intégrant des leviers complémentaires de protection. Les enjeux consistent à assurer la durabilité de ces solutions en évitant l'apparition de résistances, éviter une hausse du nombre de semences dans le stock semencier du sol, limiter la propagation d'espèces envahissantes que favoriserait le changement climatique, sans transiger sur la qualité sanitaire (alcaloïdes de datura, mycotoxines, toxicité des fourrages, etc.). Ces leviers, y compris de nombreuses solutions de biocontrôle, dépendent fortement des conditions pédoclimatiques. C'est pourquoi les observations du terrain sont également une condition importante pour la création de combinaisons efficaces et adaptées, d'où l'intérêt d'approches mobilisant agriculteurs et chercheurs(2).

Tout comme pour l'emploi d'auxiliaires dans la lutte contre les ravageurs, une bonne connaissance des cycles de développement est essentielle pour la gestion des adventices. La modélisation, en rassemblant un maximum de données biologiques et climatiques, permet déjà de mieux positionner les interventions. L'intelligence artificielle et la robotique apporteront de nouvelles fonctionnalités, à moyen terme. Le recours à ces nouveaux outils de gestion sera d'autant plus nécessaire que le changement climatique risque de favoriser l'arrivée et le maintien en période hivernale de certaines adventices, voire des levées échelonnées tout au long de l'année d'espèces jusque-là saisonnières.

Les leviers existent pour passer d'un désherbage conventionnel à une gestion bas-intrants. Les changements qu'ils impliquent ne sont pas seulement d'ordre technique, mais aussi économique et humain. L'enquête sur la perception des adventices (HP2E/Arvalis) présentée lors du Columa illustre par exemple l'importance du facteur « risque » (hausse du stock semencier...) dans la prise de décision de désherbage. Quant à considérer les bénéfices des adventices (sources de pollen, refuges pour les auxiliaires, biodiversité, couverture de sol...), le sujet sera-t-il abordé à la prochaine édition, en 2022 ?

(1) Voir « Faisabilité et efficacité des alternatives du glyphosate en cultures assolées », Phytoma n° 729, p. 20 à 25.(2) Voir « Gestion des rumex en grandes cultures biologiques », Phytoma n° 729, p. 26 à 30.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La 24e conférence du Columa s'est déroulée du 3 au 5 décembre 2019 à Orléans. Durant ces Journées internationales sur la lutte contre les mauvaises herbes, communications orales et posters se sont succédé - au total 86 communications -, offrant à l'assemblée un aperçu des avancées de la recherche sur la protection vis-à-vis des adventices. La 25e édition se déroulera en décembre 2022.

CONFÉRENCE - Bien qu'en baisse, la participation (près de 290 personnes) souligne l'intérêt actuel pour une thématique qui ne manquera pas de soulever de nombreuses interrogations dans les mois à venir : la gestion des adventices. En effet, après quarante ans de pratiques culturales basées sur les solutions chimiques - en particulier le glyphosate - comment s'en passer aujourd'hui ?

MOTS-CLÉS - Columa, adventices, Végéphyl, nouvelles technologies, herbicides, glyphosate, service écosystémique, outil d'aide à la décision, OAD, robotisation.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : v.vidril@gfa.fr

LIEN UTILE : www.vegephyl.fr

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