DOSSIER

Cultures spécialisées : installer des plantes couvre-sol (2e partie)

PERRINE DUBOIS* (FILIÈRE VITICULTURE), MAËL FILY** (FILIÈRE PPAMC), JÉRÔME LAMBION***, LUCIE KOCH*** ET AMBROISE LAHU*** (FILIÈRE MARAÎCHAGE) *ATV49, Association technique viticole - Angers. **Iteipmai, Institut technique des plantes à parfum, aromatiqu - Phytoma - n°734 - mai 2020 - page 35

Après l'horticulture et l'arboriculture (première partie), voici un aperçu des résultats d'essais menés par les filières viticulture, PPAMC et maraîchage sur la couverture du sol, notamment dans le cadre du projet PlacoHB.
Thymus longicaulis sur le cavaillon après trois années d'installation. Photo : P. Dubois - ATV49

Thymus longicaulis sur le cavaillon après trois années d'installation. Photo : P. Dubois - ATV49

Fig. 1 : Distribution du temps de désherbage de la menthe en minutes par modalité de couvert en 2019

Fig. 1 : Distribution du temps de désherbage de la menthe en minutes par modalité de couvert en 2019

Mesure de hauteur de végétation le 7 juillet 2019 en culture de menthe poivrée avec couvert de microtrèfle sur le site de l'Iteipmai à Chemillé. Photo : Iteipmai

Mesure de hauteur de végétation le 7 juillet 2019 en culture de menthe poivrée avec couvert de microtrèfle sur le site de l'Iteipmai à Chemillé. Photo : Iteipmai

3. Plantes couvre-sol en bordure intérieure de tunnel de production d'aubergines Photos : Grab

3. Plantes couvre-sol en bordure intérieure de tunnel de production d'aubergines Photos : Grab

4. et 5. Achillée millefeuille et tanaisie le 18 avril 2019

4. et 5. Achillée millefeuille et tanaisie le 18 avril 2019

6. Colonie de Dysaphis centaureae sur centaurée jacée.

6. Colonie de Dysaphis centaureae sur centaurée jacée.

Fig. 2 : Nombre moyen d'auxiliaires échantillonnés par plante de chaque espèce (moyenne de cinq aspirations du 11 mars au 15 juillet 2019

Fig. 2 : Nombre moyen d'auxiliaires échantillonnés par plante de chaque espèce (moyenne de cinq aspirations du 11 mars au 15 juillet 2019

Fig. 3 : Temps de désherbage (sur 6 mètres linéaires) pour les onze espèces de couvre-sols testées au pied des bâches Station Grab, Avignon. La mauve ne s'est pas maintenue en 2019.

Fig. 3 : Temps de désherbage (sur 6 mètres linéaires) pour les onze espèces de couvre-sols testées au pied des bâches Station Grab, Avignon. La mauve ne s'est pas maintenue en 2019.

La gestion des adventices sur le rang et en interrang par les couvre-sols a été expérimentée en viticulture et en en PPAMC. En filière maraîchage, des essais ont aussi été menés à l'intérieur des structures de production pour l'entretien du pied des bâches et se sont intéressés à l'aspect biodiversité fonctionnelle.

Viticulture : maîtriser les adventices sur les cavaillons

Une alternative au désherbage mécanique du rang

Dans un souci de préserver la qualité des eaux de surface et souterraine, les vignerons sont à la recherche d'alternatives au désherbage chimique. Aujourd'hui, la seule technique efficace pour la maîtrise de l'herbe sur les cavaillons, la bande de terre sous les ceps, est le désherbage mécanique. Cette pratique comporte des inconvénients en termes de bilan carbone et de tassement des sols. De plus, elle nécessite des investissements importants en temps, en outils et en carburant.

Une piste de travail propose de couvrir le rang soit avec un couvert végétal, soit avec un paillage de résidus végétaux. Dans ce contexte, l'ATV 49 a testé deux types de paillages : paille de blé et paille de miscanthus, et huit espèces végétales pérennes qui ont été sélectionnées selon les critères suivants : faible développement en hauteur pour un entretien minimal, rapide et fort pouvoir de recouvrement pour empêcher le développement des autres adventices, et une concurrence limitée en eau et en azote vis-à-vis de la vigne. Les légumineuses ont été écartées pour éviter les minéralisations d'azote non contrôlées. Les espèces sont testées de façon individuelle, et non en mélange, de façon à identifier leurs caractéristiques propres et leur impact sur la vigne.

Une disparition du couvert au fil du temps, une concurrence à surveiller

Quatre espèces ont été implantées en 2011, le sédum, la saponaire des rochers (Saponaria ocymoides), le plantain corne-de-cerf (Plantago coronopus) et la piloselle (Pilosella officinarum). Pour les trois premières, la technique de l'hydroseeding (ensemencement hydraulique) a été testée et a donné de bons résultats. Ce dispositif est un peu lourd à mettre en place sur de petites parcelles d'expérimentation mais peut montrer un intérêt en conditions réelles.

Dans un premier temps, deux surfaces d'implantation ont été testées : sur la totalité (rang et interrang) et uniquement sur le cavaillon avec interrang nu. Les modalités enherbées en totalité ont été abandonnées à partir du deuxième printemps car les vignes manifestaient des symptômes alarmants de stress. Toutes les espèces implantées en 2013, hormis le sédum, ont dépassé les 60 % de taux de recouvrement, mais elles ont fini par disparaître, envahies par les adventices, à partir de 2018. Une concurrence significative de l'enherbement localisé sous le cavaillon, et ce pour toutes les espèces testées, a été mise en évidence en 2017. En 2019, seul l'indicateur azote assimilable était significativement inférieur comparativement au témoin. Aucune différence significative n'a été observée en 2018.

Quatre autres espèces ont été testées à partir de 2016 : Thymus polytrichus, T. longicaulis, Phuopsis stylosa et Veronica cantiana. Elles ont été plantées manuellement, sous forme de mini-mottes.

Le thym longicaule et le Phuopsis ont eu des taux de recouvrement supérieurs à 70 % avec peu d'adventices présentes sur les placettes. En 2019, la concurrence exercée par ces espèces a commencé à se faire sentir avec des intensités chlorophylliennes, des teneurs en azote assimilable des moûts et des poids de bois de taille inférieurs au témoin. Pour le moment, la quantité et la qualité du raisin ne sont pas touchées.

Paillages de blé et de miscanthus

En ce qui concerne les paillages, le miscanthus est très efficace pour contrôler les adventices malgré quelques liserons qui poussent au travers. Il se montre résistant à la dégradation pendant au moins trois ans. Aucune différence significative n'a été mise en évidence comparée au témoin.

La paille de blé est aussi efficace pour le contrôle des adventices à condition qu'elle ait été bien débarrassée des graines lors de la moisson, sinon les repousses doivent être gérées par broyage. Le paillage de blé est moins pérenne que celui du miscanthus. Sa dégradation varie en fonction de la taille du brin ; en paille entière, il faut renouveler le paillage tous les 18 à 24 mois, tandis qu'avec de la paille broyée, il est nécessaire de repailler dans l'année. Au niveau des mesures, aucune différence significative n'a été mise en évidence par rapport au témoin, mais, en tendance, la vigueur des ceps semblait chuter dans les modalités paillées.

Fait notable en 2018, le rendement de la modalité paille a été deux fois plus élevé que celui de la modalité miscanthus et celui du témoin. Ceci est corrélé à l'intensité de mildiou qui était significativement plus faible que celle des autres modalités, y compris le paillage de miscanthuse, ce qui exclut l'hypothèse que le paillage pourrait constituerait un barrage physique aux projections des spores. Ces observations n'ont pas été confirmées en 2019 en raison de la faible pression du mildiou.

PPAMC : le microtrèfle blanc à l'essai dans la menthe

Un itinéraire technique contraignant

La culture de la menthe en plein champ impose des contraintes fortes dans le choix des espèces couvre-sol et dans le choix de leur installation : formation d'un tapis de rhizomes peu favorable au semis des couvre-sols et deux coupes annuelles rases rendant difficile l'absence du couvre-sol dans la récolte.

Quatre espèces couvre-sol ont été testées en 2018 et 2019 dans une culture de menthe poivrée (Mentha x piperita) conduite conformément aux pratiques de l'agriculture biologique. Trois espèces annuelles (moutarde blanche Sinapis alba 'Polarka', sorgho fourrager Sorghum sudanense et trèfle souterrain Trifolium subterraneum 'Dalkeith') n'ont pas fonctionné du fait des contraintes liées à l'itinéraire technique de la menthe et à la pression exercée par les adventices et les repousses de menthe.

Le microtrèfle blanc (Trifolium repens 'Aberace') semé à la volée en septembre 2018 après la seconde récolte de la menthe a, quant à lui, donné des résultats très satisfaisants. Les analyses statistiques (trois répétitions par modalité) montrent que, comparé au témoin constitué de menthe sans couvre-sol et entretenu manuellement, le microtrèfle a permis d'obtenir un rendement similaire (en moyenne 8,3 t/ha de parties aériennes fraîches pour le témoin et 10,3 t/ha pour le microtrèfle) et de diminuer le temps de désherbage manuel de 83 % (pour 75 minutes de désherbage passées en moyenne dans les microparcelles de la culture témoin, seulement 13 minutes en moyenne étaient nécessaires dans les microparcelles des cultures avec microtrèfle) (Figure 1, photo 2).

Après une faible croissance automnale, le microtrèfle s'est allongé au printemps au fur et à mesure de la croissance de la menthe jusqu'à une hauteur pouvant atteindre 50 cm. Au début de l'été, lorsque la menthe a continué sa croissance, le trèfle a fini par être étouffé et sa hauteur a chuté à 20/30 cm. La hauteur de coupe, habituellement située à 10-15 cm, a été adaptée.

Attention aux maladies foliaires

L'itinéraire technique de ce binôme menthe/microtrèfle doit néanmoins être amélioré pour optimiser et améliorer le rendement. En effet, l'augmentation de la densité foliaire liée à la présence du microtrèfle a favorisé l'apparition de maladies foliaires, provoquant le dessèchement des feuilles atteintes et la défoliation de la moitié basse de la menthe (voire les deux tiers). Une irrigation maîtrisée, favorisant la croissance de la menthe, accompagnée d'une protection fongique sont des pistes pour améliorer le rendement.

À noter également que dans une des trois répétitions, où la menthe était moins poussante, des touffes de microtrèfle n'ont pas été étouffées par la menthe et se sont maintenues à une hauteur d'environ 40 cm, montrant ainsi que la cohabitation ne semble possible que si la culture est bien installée.

Maraîchage biologique : des bandes fleuries

Onze espèces sélectionnées

En agriculture biologique, les producteurs sont demandeurs d'alternatives au désherbage mécanique, fastidieux et gros consommateur de main-d'oeuvre. L'essai du Grab réalisé entre 2017 et 2019 en maraîchage a eu pour double objectif de mieux gérer l'enherbement au pied des bâches à l'intérieur des abris et d'optimiser la régulation naturelle des ravageurs. Les espèces sélectionnées sont des vivaces censées favoriser la présence d'auxiliaires contre les pucerons et avoir un comportement intéressant vis-à-vis des adventices, grâce à une occupation maximale de la surface du sol. Onze espèces ont ainsi été plantées au pied des bâches plastique à l'intérieur de tunnels plastique non chauffés, sur la station du Grab à Avignon (sol limono-argileux calcaire). Les mottes ont été espacées de 20 cm et un goutte-à-goutte mis en place le temps de l'installation des jeunes plants. Chaque espèce était plantée sur six mètres linéaires. Les observations ont ensuite consisté à suivre l'implantation des espèces plantées, à quantifier leur compétitivité vis-à-vis des adventices et à vérifier que les espèces plantées pouvaient bien constituer une source d'auxiliaires indigènes (voir tableau).

Vitesse d'implantation, pérennité et auxiliaires

Il apparaît que toutes les espèces n'ont pas la même vitesse d'implantation ; la deuxième année d'observation des mêmes parcelles s'est avérée indispensable pour évaluer leur implantation sur le « long terme ». Les espèces les plus performantes (absinthe Artemisia absinthium, achillée millefeuille Achillea millefolium, centaurée jacée Centaurea jacea, lotier corniculé Lotus corniculatus, marguerite Leucanthemum vulgare, tanaisie Tanacetum vulgare) occupent plus de 95 % de la surface du sol sur 30 cm de large : les adventices sont donc « étouffées » et le temps de désherbage manuel diminué.

Des espèces comme la centaurée jacée, la marguerite, l'achillée, le lotier semblent pouvoir à la fois contrôler efficacement les adventices et attirer un grand nombre d'auxiliaires. La marguerite présente toutefois des hampes florales hautes (1 mètre) qui peuvent se coucher et ainsi gêner la circulation dans les allées de l'abri. Ces espèces ont permis, par leur nectar et leur pollen, de fournir de la nourriture aux adultes de chrysopes, de micro-hyménoptères, de syrphes. Les auxiliaires ont aussi pu y trouver des proies de substitution. On trouve par exemple sur la centaurée jacée un puceron spécifique (Dysaphis centaureae) non dommageable pour les cultures, mais pouvant servir de proies aux prédateurs de pucerons.

D'autres espèces comme l'absinthe, la tanaisie sont intéressantes comme couvre-sol, moins en tant que refuge pour les auxiliaires indigènes. Elles aussi présentent des hampes florales qui peuvent s'avérer gênantes.

La pâquerette Bellis perennis et le souci Calendula officinalis hébergent respectivement des populations très intéressantes d'auxiliaires spécifiques des pucerons et de punaise prédatrice Macrolophus, mais leur couverture du sol et leur maintien en deuxième année ne sont pas satisfaisants.

La couverture assurée par la mauve Malva sylvestris, l'alysse Lobularia maritima et le sainfoin Onobrychis viciifolia est très insuffisante. La mauve ne s'est pas maintenue en deuxième année et n'a pu être observée en 2019. L'alysse, qui avait attiré de nombreux auxiliaires en 2018 (des syrphes notamment), a présenté des résultats décevants en 2019. Enfin, très peu d'auxiliaires ont été retrouvés sur mauve (en 2018) et sainfoin (Figure 2).

Cet essai permet de mettre en évidence la double fonctionnalité des bandes fleuries : couvre-sol et zone refuge pour les auxiliaires indigènes. Planter de telles bandes fleuries nécessite cependant un temps de travail important à l'implantation, et un coût pour les plants. D'autres études sont nécessaires afin de vérifier que le bénéfice en termes d'économies de main-d'oeuvre de désherbage compense les coûts d'implantation (Figure 3). Quoi qu'il en soit, le pied des bâches peut désormais être considéré comme une zone à potentiel plus qu'une zone à problèmes.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : tom.hebbinckuys@astredhor.fr

olivier.yzebe@astredhor.fr

maxime.jacquot@grab.fr

sophiejoy.ondet@grab.fr

jerome.lambion@grab.fr

perrine.dubois@pl.chambagri.fr

mael.fily@iteipmai.fr

LIEN UTILE : https://wiki.itab-lab.fr/PlacoHB/?Page Principale

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