Outre ses effets allergisants, l'ambroisie à feuilles d'armoise occasionne des pertes de rendement en grandes cultures. Photo : Observatoire des ambroisies
Fig. 2 : Vecteurs d'introduction de l'ambroisie sur les parcelles, selon les répondants % = pourcentage de répondants ayant estimé ce vecteur comme étant la source d'introduction.
Fig. 3 : Mesures préventives utilisées contre l'ambroisie par les répondants % = pourcentage de répondants utilisant cette méthode.
Fig. 4 : Méthodes de lutte contre l'ambroisie utilisées par les répondants, classées en trois catégories (mécaniques, chimiques et pratiques culturales) % = pourcentage de répondants utilisant cette technique.
Ambroisie poussant entre les chaumes de céréales en Isère (2018). Photo : Observatoire des ambroisies
Fig. 5 : Estimation de l'efficacité des méthodes selon les répondants au questionnaire Exemple de lecture : pour la troisième boîte à moustache, la moyenne des réponses représentée par la petite croix est de 3,2. 50 % des répondants ont donné des valeurs entre 2 et 4 mais les réponses s'étalent de 1 (peu efficace) à 5 (très efficace).
Dans le milieu agricole, les ambroisies, désormais célèbres adventices au pollen allergisant, se retrouvent essentiellement dans les cultures de printemps et engendrent un certain nombre d'impacts. L'Observatoire des ambroisies (OA)-Fredon France a réalisé en 2019 un recueil(1) d'expériences de gestion de l'ambroisie à feuilles d'armoise en contexte agricole. Celui-ci est basé sur les résultats d'une enquête envoyée à des professionnels du monde agricole sur tout le territoire et sur des témoignages recueillis lors d'entretiens téléphoniques. Le document donne ainsi un état des lieux de la prise en compte de l'ambroisie par la filière.
Impacts sanitaires et économiques des ambroisies
Les ambroisies sont des plantes exotiques envahissantes allergisantes et allergènes(2). Elles présentent une importante capacité de dispersion et de colonisation. Dans le milieu agricole, les deux espèces d'ambroisie annuelles présentées plus loin se retrouvent essentiellement dans les cultures de printemps type tournesol, pois, sorgho, soja, maïs, etc. du fait de leur cycle de vie qui coïncide avec celui de ces cultures. Le présent article traite de l'ambroisie à feuilles d'armoise (Ambrosia artemisiifolia L.) et le terme « ambroisie » sera utilisé dans la suite du document pour désigner cette seule espèce. Une autre espèce d'ambroisie problématique dans les cultures en France, l'ambroisie trifide (A. trifida L.), présente un risque phytosanitaire inacceptable selon une expertise de l'Anses en 2017(3) : « D'un point de vue agricole, les parcelles contaminées [d'ambroisie trifide]subissent très rapidement un impact qui peut se traduire jusqu'à une perte totale de la récolte et des coûts supplémentaires de gestion de la parcelle. » En septembre 2019, le conseil de l'Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes (OEPP) a d'ailleurs approuvé son addition sur la liste OEPP A2 des organismes nuisibles déjà présents dans la région recommandés pour réglementation en tant qu'organismes de quarantaine.
Pour l'ambroisie à feuilles d'armoise, les impacts en grandes cultures varient avec la densité des plantes, le type de culture et l'efficacité des méthodes de gestion utilisées. Par exemple, sur tournesol, la perte de rendement observée est de l'ordre de 3 q/ha par tranche de dix ambroisies au m2 ; elle peut atteindre jusqu'aux deux tiers de la récolte(4). À mettre en comparaison avec le rendement moyen de tournesol qui s'établit à 22 q/ha en 2019(5). Au-delà des pertes de récolte, la gestion de l'ambroisie entraîne des manques à gagner(6). Ainsi, les coûts estimés du tri des graines lié à l'ambroisie peuvent représenter une partie non négligeable du prix de vente final (exemple : un quart du prix de vente final sur un millet a été utilisé pour trier la récolte pour un des agriculteurs interrogés), l'incinération de lots non conformes peut monter à 30 € par tonne, la gestion annuelle de l'ambroisie en agriculture conventionnelle est estimée à un surcoût de 50 €/ha, alors qu'en agriculture biologique, le coût de gestion mécanique représente près de 200 €/ha.
Des répondants concernés et plutôt renseignés
De l'ambroisie présente chez deux tiers des enquêtés
Plus de cent réponses (109) ont pu être collectées et analysées sur une période de trois mois pendant la saison de l'ambroisie. L'enquête en ligne a été menée en France métropolitaine (Figure 1), avec pour public-cible des agriculteurs concernés ou non par la présence d'ambroisie. Il est probable que ce sont majoritairement les premiers qui ont répondu au questionnaire. Soixante-cinq pour cent des répondants ont déclaré avoir de l'ambroisie sur leurs terres, avec en moyenne une parcelle sur trois touchée. Le questionnaire a été largement diffusé dans les Bulletins de santé du végétal (BSV) grandes cultures et vignes, qui sont logiquement les principales filières représentées (respectivement 53 % et 34 % des répondants). L'enquête a également été diffusée dans les réseaux des Fredon, des chambres d'agriculture et via les moyens de communication de l'Observatoire des ambroisies. La part importante de viticulteurs, inattendue, indique que cette filière est probablement plus concernée par l'ambroisie qu'on pourrait le croire. La présence d'ambroisie y est toutefois moins fréquente qu'en grandes cultures. Quatre-vingt-cinq pour cent des répondants pratiquent une agriculture conventionnelle, tandis que 15 % des répondants pratiquent l'agriculture biologique.
En grandes cultures, une majorité des exploitants en agriculture conventionnelle (86 %) signalent la présence d'ambroisie, contre 50 % en agriculture biologique. Pour la viticulture, 52 % des viticulteurs en agriculture conventionnelle ont de l'ambroisie sur leurs terres, contre 29 % en agriculture biologique. L'ambroisie a tendance à être moins présente en agriculture biologique. Aucun moyen de rattrapage n'existant en agriculture biologique sur les cultures de printemps, l'accent est probablement mis sur la prévention et la détection précoce de l'ambroisie afin de pouvoir la gérer avant la grenaison.
Niveau de connaissance et de formation
Le niveau moyen de connaissance estimé de l'ambroisie (compris entre 1 et 5) est de 2,93. Les agriculteurs situés sur les zones les plus infestées ont en moyenne une meilleure connaissance de la problématique. Le besoin de formation reste présent, même en zone infestée, et près d'un répondant sur cinq estime en avoir besoin. Sur la totalité des enquêtés, la majorité (85 %) déclarent n'avoir jamais suivi de formation relative à l'ambroisie, dont la moitié estiment ne pas en avoir besoin.
Allergies
Six pour cent des répondants ont déclaré être allergiques au pollen d'ambroisie, tandis que 44 % ne savaient pas s'ils l'étaient. L'Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes (ARS-ARA) avait estimé dans son rapport en 2018(7) que près de 10 % de la population d'ARA était allergique au pollen de cette adventice. Ce pourcentage particulièrement bas observé dans notre étude peut s'expliquer par le fait que le questionnaire était national contrairement à l'étude portée par l'ARS-ARA et par la grande part d'enquêtés ne sachant pas s'ils sont allergiques.
En progression sur un tiers des parcelles infestées
Vecteurs en milieu agricole
Selon les répondants, la principale source d'introduction de l'ambroisie sur leurs parcelles est la moissonneuse-batteuse (26 % des répondants) dans lesquelles les graines peuvent se loger. Ce résultat coïncide avec le résultat de l'enquête menée par Fanny Lorré en 2018(8). Le deuxième vecteur principal est la contamination par le champ voisin (24 %). Le matériel agricole arrive en troisième position (22 %). D'autres vecteurs d'introduction sont aussi possibles mais restent moins fréquents que ceux mentionnés précédemment (Figure 2).
Évolution de l'ambroisie
Pour plus de la moitié des parcelles mentionnées (58 %), l'ambroisie est présente sur moins de 10 % de la parcelle.
Pour la moitié des parcelles dans lesquelles l'ambroisie est signalée comme présente, elle est en augmentation chaque année. Pour 34 % des parcelles, la population reste stable et pour 16 % elle diminue.
Un dixième des répondants mentionnent avoir déjà abandonné une culture à cause de la problématique ambroisie, illustrant la difficulté de gestion de l'adventice. Toutefois, 25 % disent avoir déjà réussi à s'en débarrasser sur une ou plusieurs parcelles : la lutte n'est donc pas vaine.
Des méthodes de gestion préventives et surtout curatives
Méthodes préventives
La gestion préventive de l'ambroisie passe par la surveillance des parcelles sur la période de présence de la plante avant qu'elle ne soit en stade fleur (d'avril à juillet). D'autres mesures sont citées (Figure 3). Un quart des répondants ne pratiquent aucune mesure de prévention contre l'adventice.
Méthodes mécaniques
Les pratiques mécaniques ne sont pas les méthodes les plus utilisées pour lutter contre l'ambroisie, seuls 66 % des répondants en font usage dans ce contexte. Les pratiques mécaniques les plus utilisées en grandes cultures sont le binage et le sarclage (62 %), l'arrachage manuel (45 %), suivies du fauchage en bord de champ (41 %). Les viticulteurs utilisent le plus souvent le fauchage en bord de champ ou en interrang (46 %), et le binage ou le sarclage (31 %).
Méthodes chimiques
Les méthodes chimiques sont les plus fréquentes, avec un taux d'utilisation de 84 % par les répondants en conventionnel. L'herbicide le plus utilisé est le glyphosate (80 % ; gestion de l'interculture) (Figure 4). L'imazamox est le deuxième herbicide le plus utilisé (32 %) pendant la période de culture sur tournesol et soja. Certains de ces herbicides sont combinés avec des variétés tolérantes aux herbicides (VrTH). Pour lutter chimiquement contre l'ambroisie, les viticulteurs en conventionnel enquêtés utilisent à 100 % du glyphosate.
En grandes cultures conventionnelles, le plus utilisé est aussi le glyphosate (73 %), mais de nombreux autres herbicides sont utilisés, parfois en mélange, comme l'imazamox (43 %).
Pratiques culturales
Concernant les pratiques culturales, en grandes cultures, le déchaumage de la culture précédente (83 %) et les couverts d'interculture (50 %) sont les plus utilisés pour détruire les ambroisies qui ont déjà levé. Le déchaumage est souvent couplé au faux semis pour augmenter son efficacité et le couvert est utile pour empêcher l'ambroisie de se développer. En viticulture, la principale pratique est d'entretenir un couvert permanent ou semi-permanent (57 %) : l'ambroisie étant une mauvaise compétitrice, son développement peut être altéré par le couvert.
Évaluation des méthodes
Une estimation (subjective) de l'efficacité de ces mesures de 1 (peu efficace) à 5 (très efficace) a été demandée aux répondants (Figure 5). Il est possible d'observer une tendance à juger les méthodes mécaniques « peu efficaces » dans la lutte contre l'ambroisie avec un score moyen de 2,1. Les pratiques culturales et les méthodes préventives ont tendance à être jugées « moyennes », avec un score moyen de 3,2 et 3,0 respectivement ; tandis que les méthodes chimiques ont tendance à être jugées « efficaces » avec un score moyen de 3,6.
Les entretiens téléphoniques
Des témoignages de professionnels
Dix témoignages ont été recueillis auprès de différents professionnels du milieu agricole. Une coopérative en Charente s'est vu refuser un lot de graines destiné à l'oisellerie en Belgique car contenant trop d'akènes(9) d'ambroisie. La même expérience a failli se reproduire avec un négoce en Loir-et-Cher, dont le chargement possédait une quantité de graines d'ambroisie qui dépassait de deux fois la norme acceptée.
Dans un troisième témoignage, un responsable qualité sécurité au sein d'une coopérative explique comment sont triées les graines et comment sont détruites les freintes (déchets du triage). Il explique notamment que le coût de la prestation pour l'incinération peut monter à 30 € par tonne.
Suivent ensuite les points de vue d'un conseiller agricole en Nouvelle-Aquitaine qui voit les populations d'ambroisie augmenter sur son territoire puis d'un viticulteur dans le Rhône qui s'inquiète de la survenue de cette nouvelle problématique dans ses vignes. Deux agriculteurs en conventionnel, un agriculteur en bio et un agriculteur mixant ces deux types d'agriculture expliquent ensuite leur façon de prendre en compte la plante sur leurs terrains respectifs. Pour certains d'entre eux, la réussite dans la gestion de l'adventice est possible sous réserve d'être attentif, de mettre en place une gestion préventive (capacité d'identification, nettoyage des engins agricoles, etc.) et d'observer les bonnes pratiques de gestion de la plante en cas de présence. Enfin, un agriculteur et élu dans la Sarthe explique comment il gère la problématique sur sa commune et sensibilise les autres agriculteurs.
Au-delà de l'enquête qui permettait de collecter des données quantitatives concernant la gestion de l'ambroisie, ces témoignages donnent un aperçu du ressenti des acteurs vis-à-vis de la problématique ambroisie et ont permis d'identifier et de mettre en lumière des situations spécifiques liées à la présence de la plante.
De la théorie à la pratique sur le terrain...
En agriculture, les méthodes de gestion de l'ambroisie existantes sont déjà bien identifiées(10). Cependant, le questionnaire et les entretiens ont permis de mettre en lumière les pratiques effectivement appliquées sur le terrain. Il apparaît que les plus utilisées sont la lutte chimique à base de glyphosate, le déchaumage, et le binage ou le sarclage. Les herbicides sont encore largement utilisés. Ce fait est important à considérer d'une part au regard de l'apparition de résistances aux herbicides chez l'ambroisie(11) (voir les articles suivants dans ce dossier), et d'autre part de l'interdiction pressentie de certaines molécules. Le rôle important des machines agricoles dans la dispersion des graines d'ambroisie est de nouveau mis en évidence et doit constituer un point de vigilance de la part des acteurs concernés.
Les viticulteurs s'avèrent eux aussi touchés par la problématique des ambroisies (31 % des viticulteurs sondés ont déjà eu de l'ambroisie sur leur parcelle). Ce résultat inattendu permettra d'orienter la stratégie nationale de gestion des ambroisies en intégrant ce nouveau paramètre.
Les agriculteurs ont des difficultés pour gérer l'ambroisie, tandis que d'autres s'en sortent bien : la gestion nécessite une approche au cas par cas. Par ailleurs, la lutte doit être collective, tous les acteurs (collectivités, agriculteurs, particuliers, référents territoriaux, etc.) doivent être impliqués pour obtenir des résultats probants.
(1) Le recueil a été élaboré par l'équipe de l'OA et notamment par Aël Sevault dans le cadre d'un stage de master 2, de Lisa Le Levier, sous la responsabilité et avec l'aide de Marilou Mottet.(2) www.anses.fr/fr/content/ambroisie-et-allergies(3) Avis Anses du 10 juillet 2017 relatif à la réalisation d'une analyse de risque portant sur l'ambroisie trifide et pour l'élaboration de recommandation de gestion. https://www.anses.fr/fr/system/files/SANTVEG2016SA0090Ra.pdf(4) Chollet D., 2012, Impact économique de l'ambroisie sur le milieu agricole. Présentation orale, Colloque européen Ambrosia 2012.(5) Source : communiqué de presse Terres Inovia « Bilan de la récolte de tournesol 2019 ». https://www.terresinovia.fr/-/un-bilan-de-recolte-tournesol-2019-positif-malgre-le-contexte-climatique(6) Sevault A., Le Levier L., Mottet M., Observatoire des ambroisies-Fredon France, 2019, Recueil d'expériences de gestion de l'ambroisie en contexte agricole, 21 p.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Dans le milieu agricole, les ambroisies se retrouvent essentiellement dans les cultures de printemps du fait de leur cycle de vie qui coïncide avec celui de ces cultures. Les impacts agricoles sont globalement la perte partielle à totale de la récolte, le déclassement de la récolte ou la réfaction du prix (non-conformité au seuil de tolérance des graines), des charges supplémentaires de désherbage et de travail du sol, la gestion à long terme conséquente d'un stock semencier et, in fine, la dépréciation de la valeur du terrain en raison de la contamination par les graines.
ENQUÊTE - En collaboration avec différents acteurs du monde agricole, Fredon France, à travers sa mission d'Observatoire des ambroisies, a réalisé en 2019 un recueil d'expériences de gestion de l'ambroisie en contexte agricole. Celui-ci a été construit à partir des résultats d'un sondage diffusé en ligne à une centaine d'agriculteurs sur tout le territoire, et d'entretiens téléphoniques.
RÉSULTATS - Les deux tiers des répondants, parmi lesquels des viticulteurs, déclarent avoir de l'ambroisie sur leurs parcelles. Pour un tiers d'entre eux, l'adventice est en expansion. Et un quart d'entre eux sont déjà parvenus à s'en débarrasser. La moissonneuse-batteuse est citée comme l'une des principales sources d'introduction. Un quart des agriculteurs concernés ne mettent pas en place de mesures préventives, et la lutte chimique est la principale méthode curative utilisée.
MOTS-CLÉS - Ambroisie à feuilles d'armoise, Ambrosia artemisiifolia L., gestion en contexte agricole, viticulture, désherbage, recueil d'expériences, enquête.
Un recueil d'expériences
La première partie du recueil réalisé en 2019 par l'Observatoire des ambroisies présente les résultats du sondage réalisé auprès d'une centaine d'agriculteurs et donne une idée générale de la gestion effective de l'ambroisie à feuilles d'armoise en France (voir ci-dessous). Les pratiques les plus utilisées par les gestionnaires de terrain sont notamment présentées selon le type d'agriculture (conventionnel et biologique).
La seconde partie, plus « qualitative », présente le témoignage d'une dizaine de professionnels du milieu agricole recueillis via des interviews téléphoniques. On y retrouve par exemple le point de vue d'un viticulteur, d'un agriculteur maire ou d'un technicien de la qualité des semences dans une coopérative. Ces expériences donnent des visions différentes de la gestion de l'ambroisie en agriculture à travers des contraintes distinctes.
https://tinyurl.com/yag4dn6o
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT :
observatoire.ambroisie@fredon-france.org
BIBLIOGRAPHIE : voir notes.