DOSSIER - Résistances variétales

L'amélioration génétique pour une viticulture durable

DIDIER MERDINOGLU ET CHRISTOPHE SCHNEIDER, UMR Santé de la vigne et qualité du vin- Inrae Grand-Est - Colmar. - Phytoma - n°737 - octobre 2020 - page 28

La recherche de variétés de vigne résistantes n'a pas cessé de se développer depuis l'introduction de l'oïdium et du mildiou au XIXe siècle et s'est accélérée en 2000 avec le programme Inra-ResDur.
 Photos : C. Schneider

Photos : C. Schneider

Semis en sélection précoce.

Semis en sélection précoce.

 Photos : D. Merdinoglu

Photos : D. Merdinoglu

 Sélection précoce : élevage palissé des vignes en serre.  4. Sélection intermédiaire : évaluation expérimentale au vignoble.

Sélection précoce : élevage palissé des vignes en serre. 4. Sélection intermédiaire : évaluation expérimentale au vignoble.

Fig. 1 : Les trois vagues de croisements (Inra-ResDur 1, 2 et 3) mobilisant trois sources naturelles de résistance au mildiou et à l'oïdium entre 2000 et 2014      JKI = Julius Kuhn Institut (Allemagne) ; WBI = Weinbau Institut (Allemagne).

Fig. 1 : Les trois vagues de croisements (Inra-ResDur 1, 2 et 3) mobilisant trois sources naturelles de résistance au mildiou et à l'oïdium entre 2000 et 2014 JKI = Julius Kuhn Institut (Allemagne) ; WBI = Weinbau Institut (Allemagne).

Fig. 2 : Les trois étapes de la sélection des descendants associant résistance, caractères agronomiques et oenologiques      IFV = Institut français de la vigne et du vin.

Fig. 2 : Les trois étapes de la sélection des descendants associant résistance, caractères agronomiques et oenologiques IFV = Institut français de la vigne et du vin.

Fig. 3 : Sélection assistée par marqueurs vs sélection phénotypique de la résistance au mildiou      L'utilisation de marqueurs moléculaires associés aux gènes Rpv1 et Rpv3 permet de distinguer, parmi les descendants d'un croisement, les plantes porteuses des deux gènes (en vert foncé) des plantes ne portant que Rpv1 (en vert clair) alors que l'observation des niveaux de résistance n'autorise pas cette distinction.

Fig. 3 : Sélection assistée par marqueurs vs sélection phénotypique de la résistance au mildiou L'utilisation de marqueurs moléculaires associés aux gènes Rpv1 et Rpv3 permet de distinguer, parmi les descendants d'un croisement, les plantes porteuses des deux gènes (en vert foncé) des plantes ne portant que Rpv1 (en vert clair) alors que l'observation des niveaux de résistance n'autorise pas cette distinction.

Fig. 4 : Principales caractéristiques des quatre variétés inscrites issues des croisements Inra-ResDur1 associant deux facteurs de résistance au mildiou (Rpv1, Rpv3) et deux à l'oïdium (Run1, Ren3)

Fig. 4 : Principales caractéristiques des quatre variétés inscrites issues des croisements Inra-ResDur1 associant deux facteurs de résistance au mildiou (Rpv1, Rpv3) et deux à l'oïdium (Run1, Ren3)

La viticulture européenne telle que nous la connaissons a été en grande partie façonnée par les crises sanitaires majeures dont l'origine remonte à la seconde moitié du XIXe siècle. En même temps que le soufre et le cuivre, l'innovation variétale offrait des voies de protection vis-à-vis de l'oïdium et du mildiou...

Des crises sanitaires qui ont façonné la viticulture actuelle

L'oïdium, dont l'agent responsable est le champignon ascomycète Erysiphe necator, constitue chez la vigne le premier cas d'introduction d'une maladie d'origine nord-américaine en Europe. Cet événement est attribué à l'importation de variétés de Vitis labrusca destinées aux jardins botaniques. Observé pour la première fois en Angleterre en 1845, puis en France aux environs de Paris en 1847, l'oïdium s'est étendu rapidement aux régions viticoles françaises, puis à de nombreux pays en Europe et dans le pourtour méditerranéen, provoquant des dégâts alarmants (Galet, 1977).

Pour tenter de répondre à la crise sanitaire causée par l'oïdium, de nombreuses importations de vignes américaines résistantes ont eu lieu entre 1856 et 1862. Ce contexte a été propice à l'introduction accidentelle de nouveaux parasites et maladies portés par le matériel végétal. C'est ainsi que le puceron radicicole Daktulosphaira vitifoliae responsable du phylloxéra, dont la présence en France est attestée en 1868, a été vraisemblablement introduit avec la variété 'Isabelle'. Cette invasion a conduit à l'arrachage d'environ 2,5 millions d'hectares de vigne (Galet 1988).

Par la suite, l'importation de matériel végétal américain destiné à lutter contre l'oïdium et le phylloxéra a été à l'origine de l'introduction en Europe de Plasmopara viticola, l'oomycète responsable du mildiou. Identifié durant l'été 1878 dans le sud de la France, le mildiou s'est répandu dès 1880 dans toute l'Europe viticole puis a gagné l'Afrique, l'Amérique du Sud, l'Asie et, enfin, l'Océanie, alliant rapidité d'extension et puissance de destruction. Un dernier fléau venu des États-Unis, d'un effet moins retentissant que les trois précédents, s'est également abattu sur l'Europe viticole en cette fin de XIXe siècle : le black rot causé par l'ascomycète Guignardia bidwellii. Découvert dans l'Hérault en 1885, on ne sait pas comment ce champignon est parvenu en France (Galet, 1977).

L'amélioration génétique, un acteur clé au XXe siècle

Des porte-greffes résistants au phylloxéra

Devant la découverte brutale de ces parasites et maladies jusqu'alors inconnus en Europe, et l'ampleur des dommages tant économiques que sociaux occasionnés, la profession viticole, aidée par les scientifiques et les pouvoirs publics, fut dans l'obligation de révolutionner ses pratiques. La lutte chimique et la lutte génétique constituèrent les deux principales options explorées, même si des méthodes prophylactiques, culturales ou biologiques ont pu être considérées selon les cas. Le recours au greffage de cépages traditionnels sur des porte-greffes dont les racines sont résistantes à D. vitifoliae s'est imposé comme la stratégie la plus efficace pour combattre le phylloxéra. Les variétés de porte-greffes sont constituées soit de sélections au sein de vignes américaines naturellement résistantes au phylloxéra comme par exemple, 'Riparia Gloire de Montpellier' ou 'Rupestris du Lot', soit d'hybrides interspécifiques. Ces derniers sont issus de croisements plus ou moins complexes entre espèces américaines dont les principales sont Vitis riparia, V. rupestris et V. berlandieri ou entre espèces américaines et V. vinifera, l'espèce cultivée à laquelle appartiennent tous les cépages traditionnels. Des centaines de porte-greffes furent ainsi créés par des hybrideurs très productifs, tels Couderc, Ganzin, Millardet, Paulsen, Richter, Ruggeri, Teleki ou Vidal et les plus adaptés d'entre eux permirent de reconstituer progressivement le vignoble français.

Chimie et hybrides contre oïdium et mildiou

En revanche, la découverte de la toxicité du soufre sur E. necator en 1850 et des sels de cuivre sur P. viticola en 1885 donna un avantage certain à la lutte chimique pour contrôler les infections d'oïdium et de mildiou. Une minorité de propriétaires mit ses espoirs dans la génétique, à travers la création de variétés dont les parties aériennes seraient résistantes au mildiou et à l'oïdium, alors que leur système racinaire réprimerait le phylloxéra. Ces obtentions, que l'on appela « hybrides producteurs directs », furent, là encore, créées en grand nombre, essentiellement durant la première moitié du XXe siècle, par des hybrideurs très créatifs, à l'image de Seibel qui affichait 1 086 variétés dans son catalogue de 1925 ! Mais, parmi les plus célèbres obtenteurs, il y eut aussi Baco, Couderc, Kulhmann, Oberlin, Seyve-Villard, J. Seyve ou Vidal, ayant respectivement créé le 'Baco Blanc', le 'Couderc Noir', le 'Léon Millot', le 'Oberlin Noir', le 'Seyval', le 'Chambourcin' ou le 'Vidal Blanc'. Si les arômes grossiers ou la teneur élevée en méthanol des vins que produisaient certains hybrides pouvaient être des raisons objectives à leur rejet, le manque de produits chimiques et de main-d'oeuvre durant les guerres, les années à attaques de mildiou dévastatrices ou encore les coûts de production faibles ont été autant d'éléments favorables à l'extension de la culture des hybrides qui atteignit, à son apogée à la fin des années 1950, 400 000 ha selon l'estimation de Galet (1988), soit près du tiers du vignoble français d'alors. Cependant, les règlements nationaux et communautaires successifs relatifs aux classements des variétés établis notamment à partir de 1955 vont porter un coup fatal au développement des hybrides, les écartant de la catégorie des cépages « recommandés », voire obligeant à leur arrachage.

Différentes sources de résistance

En France, les choix réglementaires ont entraîné un arrêt brutal de l'activité des hybrideurs. Les hybrides résistants n'ont plus suscité aucun intérêt chez les professionnels. Ce n'est qu'au cours des années 1970 que l'Inra (aujourd'hui Inrae) va reprendre une activité de création variétale, notamment à travers les travaux de J.-P. Doazan et d'A. Bouquet. Ce dernier exploitera une source de résistance au mildiou et à l'oïdium, à savoir l'espèce subtropicale originaire de Floride V. rotundifolia, jamais utilisée auparavant en Europe et particulièrement efficace. Les ressources qu'il produira constitueront un des socles du futur programme Inra-ResDur qui sera engagé en 2000 à l'Inra de Colmar.

En revanche, l'Allemagne et les pays viticoles d'Europe de l'Est n'ont pas cessé leur effort de sélection. Ils ont exploité les obtentions des hybrideurs français basées sur le matériel américain et créé également de nouvelles variétés utilisant une source de résistance d'origine est-asiatique, l'espèce V. amurensis poussant dans les régions de climat subarctique de l'Extrême-Orient. Ainsi, à l'orée du XXIe siècle, ces pays européens, et notamment l'Allemagne, ont acquis une avance indiscutable qu'il devenait impératif de rattraper au niveau français pour pouvoir proposer à la filière viticole nationale une gamme de variétés résistantes adaptées à ses territoires.

La génétique pour une viticulture durable

Un levier pour diminuer les intrants

Au cours du XXe siècle, le recours quasi exclusif et massif aux fongicides s'est finalement imposé pour protéger les vignobles contre les maladies des parties aériennes les plus menaçantes que sont le mildiou et l'oïdium. En France, la viticulture représente moins de 3 % de la surface agricole utile mais consomme aujourd'hui environ un quart des fongicides destinés à l'agriculture. La situation n'est guère différente dans l'ensemble de l'Europe où la viticulture utilise 33 % de la quantité totale de substances actives fongicides (hors soufre inorganique) (Muthmann, 2007). De ce fait, une contrainte majeure pèse sur le monde viticole : réduire l'usage des fongicides et, ainsi, limiter leur impact négatif sur l'environnement, le revenu des viticulteurs et l'image de marque de la viticulture.

Malgré la déconvenue des hybrides producteurs directs, due à la fois à leurs défauts oenologiques et aux réglementations mises en place, la création de variétés de vigne résistantes reste la voie majeure pour répondre à cet enjeu de réduction des intrants. Afin d'augmenter les chances d'un succès rapide, les programmes de sélection doivent s'appuyer sur des fondements scientifiques solides, notamment en ce qui concerne les bases génétiques des sources de résistance utilisées.

Identifier des facteurs de résistance

Les recherches développées à la fin du XXe et au début du XXIe siècle ont permis de compléter l'inventaire des sources de résistance et de connaître le déterminisme génétique de certaines d'entre elles. À ce jour, 28 facteurs de résistance ont été identifiés pour le mildiou (et nommés Rpv) et douze pour l'oïdium (et nommés Run ou Ren)(1). Ils confèrent, pour la plupart, une résistance intermédiaire et quelques-uns apportent une résistance complète. Sur le plan moléculaire, la majorité d'entre eux sont situés dans des régions génomiques riches en gènes de résistance de la famille dite NBS-LRR, appelés gènes R. L'action des gènes R intervient dans une interaction particulière avec l'agent pathogène, appelée « gène pour gène », dans laquelle le produit d'un gène R de la plante reconnaît spécifiquement un facteur de l'agent pathogène codé par un gène appelé d'avirulence (Avr). S'ensuit une cascade de réponses de défense. Ce mécanisme offre à la plante une protection très efficace mais constitue également une faiblesse, car ce type de résistance peut être assez facilement surmonté par une souche de l'agent pathogène : une mutation permet à la souche d'évoluer et d'échapper à la reconnaissance par la plante, devenant ainsi une souche virulente. Chez la vigne, un premier cas de contournement du facteur de résistance au mildiou Rpv3 par une souche de P. viticola virulente a été décrit en Europe (Peressotti et al., 2010). De manière similaire, le contournement du gène de résistance à l'oïdium Run1 a été décrit aux États-Unis (Feechan et al., 2013).

Si les gènes de résistance disponibles paraissent plutôt nombreux, ils constituent néanmoins un patrimoine à protéger, leur efficacité, et donc leur utilité étant, comme nous l'observons, soumises aux risques d'évolution des populations de pathogènes. Par ailleurs, beaucoup ne sont pas utilisables pour la création variétale, généralement, à cause de leur résistance conférée trop faible, ou encore, n'étant pas aujourd'hui disponibles dans un fond génétique cultivé. Concrètement, pour la création variétale européenne, seuls quatre facteurs de résistance sont actuellement disponibles vis-à-vis du mildiou (Rpv1, Rpv3, Rpv10 et Rpv12) et trois pour l'oïdium (Run1, Ren1 et Ren3). Il apparaît donc essentiel de préserver ce patrimoine commun à travers une utilisation et un déploiement dans les variétés, puis des systèmes de culture adaptés, guidés par les principes d'une gestion durable. Sur le plan génétique, ces principes mettent notamment en oeuvre l'association, dans une même obtention, de plusieurs facteurs de résistance vis-à-vis d'un pathogène donné. Cette stratégie est appelée pyramidage de gènes de résistance.

Inra-ResDur : un programme en plusieurs étapes

Efficacité et durabilité

C'est sur ce principe central de pyramidage que le programme Inra-ResDur a été engagé en 2000. L'idéotype à atteindre devait répondre aux objectifs suivants :

- présenter une résistance élevée aux deux maladies majeures, mildiou et oïdium ;

- montrer une résistance au moins intermédiaire aux maladies considérées secondaires, en particulier le black rot, risquant d'émerger à la suite de la quasi-suppression envisagée des traitements phytosanitaires destinés à contrôler le mildiou et l'oïdium ;

- présenter des résistances non seulement efficaces mais aussi durables, ce point étant particulièrement important pour une culture pérenne comme la vigne ;

- afficher une composition de la baie compatible avec la production de vins de haute qualité, dans un contexte de changement climatique, condition essentielle pour assurer un avenir commercial aux futures variétés.

Afin de maximiser les chances de succès, la stratégie adoptée a principalement reposé sur :

- l'association par hybridation de plusieurs sources de résistance, afin d'obtenir des résistances à fort potentiel de durabilité, peu susceptibles d'être contournées ;

- l'utilisation de géniteurs possédant majoritairement un fond génétique cultivé, afin de limiter l'introduction de caractères agronomiques et technologiques défavorables pouvant provenir des espèces sauvages ;

- la mise en oeuvre d'un schéma de sélection associant sélection assistée par marqueurs pour la résistance et expérimentation multi-locale pour les caractères agro-oenologiques, assurant à la fois rapidité et précision de l'évaluation des variétés candidates.

Croisements successifs

Trois vagues de croisements, nommées Inra-ResDur 1, 2 et 3, mobilisant trois sources naturelles de résistance au mildiou et à l'oïdium, V. rotundifolia, des Vitis d'origine américaine et V. amurensis, ont été réalisés entre 2000 et 2014, en partie dans le cadre de collaborations avec respectivement le Julius Kuhn Institut (Allemagne), le Weinbau Institut (Allemagne) et l'Agroscope (Suisse) (Schneider et al., 2019) (Figure 1). Ces partenaires ont été choisis, entre autres, parce qu'ils possédaient des sources de résistance introgressées complémentaires au matériel issu de V. rotundifolia développé à l'Inra par A. Bouquet.

Sélection parmi la descendance

Une fois réalisé le croisement entre deux parents choisis pour leurs caractéristiques complémentaires, la sélection des individus de la descendance répondant le mieux aux objectifs fixés est réalisée en trois étapes successives (Figure 2) visant à optimiser la vitesse et la précision avec laquelle s'opère le choix :

• La sélection précoce (photos 1 et 2 p. 28). Elle a pour objectif de sélectionner parmi les descendants les individus affichant le pyramidage de gènes de résistance au mildiou et à l'oïdium souhaité. Elle est réalisée par sélection assistée par marqueur (SAM). Après une phase d'analyse génétique préalable, des marqueurs moléculaires sont associés à chaque gène de résistance, ce qui va permettre de les suivre facilement par analyse de l'ADN (génotypage) dans les descendants. Cette étape permet également, grâce à un élevage palissé des vignes en serre (photo 3 p. 29), de produire les greffons pour la confection des plants nécessaires à l'étape suivante.

• La sélection intermédiaire (photo 4 p. 29). Elle a pour objectif une première évaluation expérimentale au vignoble des obtentions. Chaque descendant retenu en sélection précoce est multiplié pour donner des plants greffés qui sont ensuite plantés dans un réseau de petites parcelles expérimentales (4-5 pieds/variété) sur deux à quatre sites. En l'absence de traitement phytosanitaire, leur résistance aux maladies (essentiellement au mildiou et à l'oïdium, mais également aux maladies secondaires) est évaluée en conditions de contamination naturelle, ainsi que leurs aptitudes culturales mais aussi oenologiques, grâce à une évaluation sensorielle de la qualité des vins produits à partir de chaque micro-parcelle. Seules les meilleures obtentions sont retenues pour l'étape suivante.

• La sélection finale. Elle a pour objectif une évaluation approfondie au vignoble des meilleures obtentions retenues en sélection intermédiaire. Ici, un plus grand nombre d'individus (90 pieds) de chaque variété candidate est testé sur deux sites expérimentaux, dans un réseau conduit en partenariat avec l'Institut français de la vigne et du vin (IFV). De nouveau, ce sont leurs aptitudes culturales et oenologiques et leur niveau de résistance aux maladies qui sont évalués. Ce dispositif sert à produire les données de valeur agronomique, technologique et environnementale (VATE) nécessaires à la présentation à l'inscription au Catalogue (CTPS) des meilleures obtentions.

Une sélection en quinze ans au lieu de vingt-cinq

Dans ce schéma, à partir de 1 000 pépins semés, un taux de germination de 50 % permet d'obtenir 500 plantules destinées à la sélection précoce. Environ 50 variétés candidates seront retenues pour la sélection intermédiaire puis dix pour la sélection finale (VATE). Ce processus de sélection développé dans le cadre d'Inra-ResDur, constitue un progrès important en soi qui permet de présenter à l'inscription une variété en 15 ans seulement, alors que 25 ans étaient encore la norme à la fin des années 1990. Deux points sont essentiels dans l'amélioration de la vitesse mais aussi de la précision de la sélection.

En premier lieu, la SAM permet d'économiser un temps et un espace considérables dans l'étape de sélection précoce. Cette technique autorise le tri des populations de sélection deux mois après le semis des pépins et l'élimination, dès ce stade, de tous les individus qui ne portent pas les gènes de résistance souhaités. Un tel tri précoce permet en général d'éliminer de l'ordre de 7/8 des individus à un stade où il ne faut que 1 m2 de tablette en serre pour cultiver 100 individus. De plus, comparée à une sélection uniquement basée sur le phénotype, elle permet de distinguer des individus pouvant afficher le même niveau de résistance mais une composition en gènes de résistance différente et, ainsi, constitue un outil de choix pour construire des variétés ayant un fort potentiel de durabilité (Figure 3). En effet, dans certains cas, les plantes porteuses de deux ou trois facteurs de résistance sont phénotypiquement indiscernables de celles qui ne portent qu'un seul gène de résistance, par exemple, lorsque ce gène unique confère à lui seul une résistance totale. Mais selon les principes déterminant la durabilité de la résistance, les plantes combinant plusieurs facteurs de résistance auront une résistance potentiellement plus durable, qui sera valorisée par la mise en place d'itinéraires culturaux adaptés.

En second lieu, la mise en place de réseaux d'évaluation, tant pour la sélection intermédiaire que pour la sélection finale, contribue également à accélérer le processus, tout en sécurisant l'évaluation des caractères culturaux et oenologiques. Ces réseaux ont pu être constitués, d'une part, grâce aux unités expérimentales Inrae, pour la sélection intermédiaire et, d'autre part, grâce au réseau des partenaires régionaux (chambres d'agriculture, interprofessions, Sicarex...) coordonné par l'IFV, pour la sélection finale.

Les premiers résultats du programme

La sélection finale est achevée pour la série Inra-ResDur1 associant deux facteurs de résistance au mildiou (Rpv1, Rpv3) et deux à l'oïdium (Run1, Ren3). Quatre variétés, 'Artaban', 'Floreal', 'Vidoc' et 'Voltis' (Figure 4), ont été inscrites au Catalogue officiel des variétés et commencent à être déployées en France. Jusqu'à présent, les demandes de plants excèdent les capacités de production : plus de 300 ha sont plantés avec une progression prévue de 250 ha par an. Les premiers vins commerciaux sont déjà diffusés(2) et les quatre variétés ont été récompensées par un Sival d'Or en 2019 dans la catégorie Innovation variétale.

La sélection finale est bien engagée pour la série Inra-ResDur2 associant deux facteurs de résistance au mildiou (Rpv1, Rpv10) et deux à l'oïdium (Run1, Ren3.2), avec 36 obtentions retenues et installées dans le réseau national VATE. Les premières inscriptions au Catalogue sont prévues en 2021. L'étape de sélection finale a démarré en 2018 pour la série Inra-ResDur3 associant trois facteurs de résistance au mildiou (Rpv1, Rpv3, Rpv10) et trois à l'oïdium (Run1, Ren3, Ren3.2), avec 35 variétés candidates. Les premières inscriptions au Catalogue sont prévues en 2024.

Le bilan global du programme Inra-ResDur est, à ce jour, de 50 croisements différents réalisés, 20 000 pépins obtenus, quatre variétés inscrites et 71 variétés en sélection finale, dont 51 déposées pour l'inscription.

Les variétés Inra-ResDur produisent des vins de qualité jugée comparable aux cépages témoins de référence, comme le 'Chardonnay' ou le 'Merlot' (Schneider et al., 2014) ; par ailleurs, elles permettent une réduction de l'indice de fréquence de traitements (IFT) totale de 80 à 96 % par rapport aux pratiques viticoles de référence (Delière et al., 2017 ; Schneider et al., 2016). 'Artaban', 'Floreal', 'Vidoc' et 'Voltis' permettent, ainsi, d'établir la preuve du concept de variété de vigne associant haute qualité oenologique et faible exigence en intrants phytosanitaires. Elles représentent une innovation de rupture tant en termes de stratégie de sélection que de pratique viticole.

Innover pour diversifier les facteurs de résistance

Une nouvelle famille de gènes

Outre les approches ayant permis le développement du programme Inra-ResDur, de nouvelles stratégies visant à diversifier les types de facteurs de résistance utilisés pour contrôler le mildiou et l'oïdium sont désormais disponibles et méritent d'être explorées pour renforcer la durabilité de la résistance.Jusqu'à présent, le pyramidage des gènes de résistance a essentiellement conduit à combiner des gènes de résistance dominants appartenant à l'une des familles canoniques de gènes R. Cependant, la combinaison de gènes agissant à travers des mécanismes différents est une solution pour augmenter le potentiel de durabilité des variétés résistantes. Des gènes dits « de sensibilité », dont la perte de fonction confère une résistance et dont l'action est très différente de celles des gènes R, ont déjà été identifiés dans d'autres espèces végétales. Le criblage dans la diversité naturelle des espèces de Vitis de mutations non fonctionnelles pour de tels gènes constitue donc une stratégie alternative intéressante à explorer pour diversifier la gamme de gènes de résistance disponibles pour la sélection de la vigne.

Les gènes R reconnaissent les facteurs codés par l'agent pathogène, appelés gènes d'avirulence (Avr), et déclenchent des réponses de défense. La plupart des protéines Avr des oomycètes (groupe dont fait partie le mildiou de la vigne) connues à ce jour évoluent rapidement. En conséquence, beaucoup des gènes de résistance déployés individuellement contre les oomycètes ont été contournés par des pathogènes qui échappent à leur reconnaissance. Sur la base de ces concepts, nous cherchons à utiliser les composants les plus conservés du répertoire des gènes effecteurs des oomycètes comme moyen d'identifier des résistances potentiellement durables.

Une résistance quantitative grâce à la sélection génomique

Dans le cadre du programme Inra-ResDur, il a été démontré que la SAM était très efficace pour sélectionner des résistances basées sur des gènes majeurs. Néanmoins, l'observation du matériel en sélection suggère que des facteurs de résistance mineurs, à effets faibles mais significatifs, peuvent renforcer la protection conférée par les gènes majeurs et, potentiellement, améliorer leur durabilité. Ce type de résistance quantitative est caractérisée par une architecture génétique diffuse et complexe, semblable à celle des traits agronomiques tels que le rendement. La sélection génomique est une approche basée sur des modèles mathématiques visant à prédire la valeur génétique des individus pour un caractère ou un ensemble de caractères en utilisant des marqueurs moléculaires répartis de façon dense sur l'ensemble du génome. Elle est idéale pour les traits à l'architecture génétique complexe contrôlée par de nombreux petits effets et, donc, adaptée à la sélection des résistances quantitatives. C'est une voie qui mérite d'être explorée pour mieux exploiter les facteurs à effet faible et, ainsi, arriver à les associer aux facteurs de résistance majeurs afin de construire des variétés présentant une résistance potentiellement plus durable.

Partenariat, diversification et nouveaux traits

Afin de valoriser et de transférer le savoir-faire et les ressources acquis dans le cadre du programme Inra-ResDur, plusieurs partenariats ont été mis en place avec l'IFV pour créer des variétés résistantes à typicité régionale, sous la maîtrise d'ouvrage des interprofessions des régions viticoles françaises, parmi lesquelles, celles du Cognac (BNIC), de Champagne (CIVC), de Bourgogne (BIBV), du Bordelais (CIVB), de Provence et du Languedoc (CIVP et CIVL), d'Alsace (CIVA), de la vallée du Rhône (Inter Rhône), de la vallée de la Loire (InterLoire) et du Sud-Ouest.

Élargir l'offre en gènes de résistance disponibles pour la sélection et ainsi permettre de construire de nouvelles combinaisons à la fois plus efficaces en termes de protection et plus durables restera un objectif important afin de continuer à contrôler sur la durée le mildiou et l'oïdium, mais aussi le black rot, maladie considérée comme secondaire qui émerge en l'absence de traitements phytosanitaires antimildiou ou anti-oïdium. C'est pourquoi la recherche, l'introgression et le pyramidage de nouvelles résistances se poursuivront. Par ailleurs, un travail de fond devra être poursuivi pour espérer identifier des résistances aux autres pathologies graves de la vigne que sont les maladies de dégénérescence (fongiques ou virales), la flavescence dorée (due à un phytoplasme) ou la maladie de Pierce (due à la bactérie Xylella fastidiosa).

Les idéotypes recherchés dans le cadre des nouveaux programmes régionaux vont être de plus en plus complexes et devront répondre simultanément à plusieurs objectifs (résistances durables à plusieurs pathogènes, composition de la baie adaptée à la production de vins de haute qualité, potentiel agronomique adapté aux objectifs de production, adaptation au changement climatique, distinction des produits entre terroirs ou marchés). Pour répondre aux besoins d'une viticulture plurielle, il est crucial de développer une méthodologie permettant d'exploiter des données de nature variée (génome, transcriptome, métabolome, variables phénotypiques de différentes natures). Les objectifs sont :

- d'identifier les traits les plus pertinents pour prédire la valeur génétique des descendants au regard de leurs aptitudes culturales et oenologiques ;

- d'optimiser la combinaison de traits à intégrer dans le processus de sélection, compte tenu des contraintes fortes en termes de complexité d'idéotype face aux effectifs relativement faibles des descendances.

Cette question sera abordée à l'aide d'approches de biologie intégrative et de sélection génomique avec pour but de développer une méthodologie novatrice visant à raccourcir et optimiser le processus de sélection. Il s'agira, notamment, de s'affranchir de l'étape de sélection intermédiaire pour ramener le processus à une durée de neuf ans, et d'introduire une sélection multicritère permettant de pondérer et de hiérarchiser les critères en fonction des situations et des objectifs propres à chaque région.

(1) https://tinyurl.com/y2scf7zu(2) https://comptoirdelacite.com/120-vidoc

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La seconde moitié du XIXe siècle est marquée par l'introduction dans les vignobles français de parasites et maladies : l'oïdium, le phylloxéra, le mildiou. L'amélioration génétique et la chimie ont permis à la viticulture de faire face à ces crises sanitaires. La diminution des solutions phytopharmaceutiques incite à renforcer l'innovation variétale.

ÉTUDES - Le programme d'innovation variétale Inra-ResDur entamé en 2000 permet d'assembler plusieurs facteurs de résistance dans de nouvelles variétés, afin d'assurer une protection fiable mais aussi durable vis-à-vis d'Erysiphe necator et de Plasmopara viticola.

RÉSULTATS - Le bilan global du programme est de 50 croisements différents réalisés, quatre variétés inscrites et 71 variétés en sélection finale, dont 51 déposées pour l'inscription. La recherche se poursuit pour trouver de nouvelles sources de résistance et accélérer les délais de sélection.

MOTS-CLÉS - Viticulture, résistance, croisements, sélection, marqueurs, oïdium, mildiou.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : didier.merdinoglu@inrae.fr

LIEN UTILE : https://www6.colmar.inrae.fr/svqv/Presentation2

BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article est disponible auprès de ses auteurs (contact ci-dessus).

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