Le terme nielle, dérivé du latin nigella (qui tire vers le noir), désignait un symptôme dans les grains récoltés qui recouvrait plusieurs causes : la carie (Tilletia spp), le charbon (Ustilago spp) mais aussi la présence de graines de nielle (Agrostemma githago) et l'anguillule des blés niellés (Anguina tritici). Tous produisaient des grains noirâtres de 3 à 4 mm de diamètre qui corrompaient la récolte. De nos jours, la nielle ne désigne plus que A. githago, plante messicole, adventice des céréales. Sa graine noire est considérée comme toxique. Elle fait l'objet d'une norme de certification (maximum une graine pour 500 g de semences de céréales à paille). Cet article n'aborde que les maladies du grain (carie et charbon).
Au XVIIIe siècle, le blé étant la base de l'alimentation, trouver des solutions à ces affections était une priorité nationale. Ce fléau a donné lieu à de nombreux travaux. En 1751, l'Académie des Belles Lettres, Sciences et Arts de Bordeaux donnait pour sujet du prix à remettre : « La cause qui corrompt les grains dans les épis & qui les noircit ; avec les moyens de prévenir ces accidents. » À lire les mémoires proposés, on mesure les progrès accomplis pour aboutir à la situation actuelle. Aujourd'hui, la carie et les charbons sont connus et la protection de semences pour empêcher leurs dégâts est largement employée.
Rosée et pleine lune
Les savoirs antiques qui faisaient référence au XVIIe siècle attribuaient les maladies des plantes à la putréfaction du liquide qui se rassemble à la surface des végétaux. Pour la nielle, l'idée prévalait qu'elle était causée par la rosée, la pluie fine ou le brouillard activés par les rayons du soleil auxquels on ajoutait volontiers des considérations astronomiques telles que « par une nuit de pleine lune » ou « tombés de la voie lactée ». Une des solutions, au moins depuis Olivier de Serres (1539-1619), consistait à passer une corde dans les blés pour les secouer et « se protéger des bruynes ou fortes rozées du printemps » qui font que « l'espi du blé s'en noircit de pourriture ». Il était aussi couramment admis que les grains corrompus produisaient une plante nouvelle, différente du blé, désignée par ustilago (brûlé).
Grace à de nombreuses observations et au savoir empirique des paysans, le XVIIIe siècle va bousculer ces idées au travers de débats savants. Deux mémoires sur la nielle des blés publiés en 1751 donnent deux avis opposés : « L'un regardant la nielle comme un mal intérieur et contagieux dans le bled, l'autre la considérant comme un mal extérieur et qui ne se communique point. » Le premier mémoire attribue la nielle à des facteurs physiques liés au climat et au sol qui conduisent à des défauts physiologiques dans le blé et une mauvaise circulation de la sève : « Le suc qui dans les plantes et toutes leurs parties circule par de petits conduits imperceptibles est arrêté par la difformité du grain [...], le suc d'un grain ayant été interrompu dans son mouvement circulaire contracte un autre mouvement intrinsèque qui en supposant surtout qu'il survienne de la chaleur & de l'humidité du dehors y cause d'abord de la fermentation & ensuite de la putréfaction, dont les degrés plus ou moins grands se manifestent par la noirceur, par la puanteur. » Si les dégâts sur les grains étaient malheureusement bien connus, les dénominations ont longtemps engendré une confusion entre le charbon et la carie : « Les Cultivateurs ont donné à cette maladie différents noms ; ils l'appellent nielle, noir, pourriture, carboucle, bosse, cloque, rouille, charbon. »
Qualité des semences
Au XVIIIe siècle, des agronomes observant les pratiques des agriculteurs confirment l'importance de la qualité de la semence qui ne doit pas être tachée ou mouchetée. Depuis longtemps, les agriculteurs avaient remarqué que les grains mouchetés contaminaient les autres grains qui produisaient des plantes donnant des épis malades. Dès le XVIe siècle, le choix des semences et leur préparation par trempage dans différentes solutions à base de chaux, de sel de mer, d'arsenic, d'alun ou même de mercure, faisaient partie des pratiques. Henri Louis Duhamel du Monceau (1700-1782) rapporte ainsi qu'« il est néanmoins probable que ces précautions ne sont pas entièrement inutiles ; puisque nos fermiers remarquent que, quand ils sèment du blé qui n'est pas chotté [...], ils sont plus sujets à produire du charbonné que les autres. »
Il faudra la clarification de Mathieu Tillet (1714-1791) pour que soient distingués le charbon et la carie (appelée aussi blé noir). « C'est mal à propos que l'on a confondu la carie avec le charbon proprement dit, qui affecte indistinctement tous les graminées ainsi que d'autres végétaux et dont la poussière sèche et inodore ne paroît pas jusqu'à présent contagieuse. » Des paysans de la région de Caux rejetteront le rôle des brouillards après le constat que tous leurs champs ayant subi les mêmes brouillards, certains blés pourtant mitoyens seront niellés et d'autres non. En 1752, M. Tillet rassemble les savoirs paysans, ses observations et ses expériences dans sa « Dissertation » qui remportera le prix de l'Académie de Bordeaux en 1754. Dans cet ouvrage, il retient que la carie est issue d'un « venin », « poison » ou « virus » qui se transmet des grains infectés aux grains sains et confirme la méthode de traitement des semences à base de chaux.
La nielle des blés a fait naître les prémices de la phytopathologie, du contrôle de la qualité des semences, et de leur traitement dont nous connaissons l'importance aujourd'hui.