1. Symptômes de piétin-verse du blé. Il en résulte souvent une verse des plantes. Photos : 1. Clinique des plantes - Corder ASBL 2. F. Le Driant - Flore Alpes
L'originalité de la variété de blé tendre 'Renan' (Triticum aestivum) et de ses descendants (par exemple 'Hendrix' et 'Skerzzo'), largement utilisés en agriculture biologique, est d'avoir hérité la résistance à une maladie, le piétin-verse, d'une graminée sauvage, Aegilops ventricosa, avec laquelle le blé tendre ne se croise pas ou difficilement dans la nature (Gallais, 2013, 2015). Comment cette variété a-t-elle été obtenue et peut-elle être considérée comme un organisme génétiquement modifié (OGM) ?
Une méthode d'obtention complexe
Utilisation d'une espèce « pont », doublement chromosomique et sélection
Le transfert, chez le blé tendre, de la résistance au piétin-verse a été réalisé par l'intermédiaire d'une espèce, le blé dur (Triticum persicum), se croisant avec les deux espèces Triticum aestivum et Aegilops ventricosa (Maïa, 1967) : c'est pourquoi on parle d'espèce « pont ». Il y a d'abord eu croisement d'A. ventricosa avec le blé dur, puis traitement à la colchicine de l'hybride interspécifique obtenu pour doubler son nombre de chromosomes afin de restaurer sa fertilité, et ensuite croisement de cet hybride avec le blé tendre suivi de plusieurs cycles de recroisements avec le blé tendre et sélection pour maintenir la résistance au piétin-verse. Le résultat est l'obtention d'un géniteur blé tendre, résistant au piétin-verse, à l'origine de la variété 'Renan'.
Un transfert de gènes très peu probable dans la nature et des mécanismes différents
Ce transfert direct de gènes d'Aegilops ventricosa au blé tendre aurait-il pu se produire dans la nature ? Nicole Maïa (1967), chercheuse de l'Inra à l'origine du géniteur blé tendre, ancêtre de 'Renan', précise que « le croisement direct entre Aegilops ventricosa et le blé tendre n'étant pas réalisable, il est nécessaire de passer par l'intermédiaire d'un blé tétraploïde ». Dès 1944, Sears, célèbre cytogénéticien des céréales, avait souligné la stérilité du croisement. Cependant, ce croisement a été obtenu par certains auteurs (Zhao et Kimber, 1984) ; sa réussite dépend sans doute des géniteurs utilisés mais elle ne supprime rien au fait que la variété 'Renan' a bien été obtenue d'une manière qui ne s'effectue pas naturellement, contrairement à ce qu'expriment Jahier et Rolland (2020).
En effet, l'utilisation du doublement chromosomique par traitement à la colchicine de l'hybride entre le blé dur et Aegilops ventricosa conduit à une nouvelle espèce. On sait aujourd'hui que la plupart des nouvelles espèces issues d'hybridation interspécifique dans la nature l'ont été par un autre processus, peu fréquent, à savoir l'union de gamètes (pollens, ovules) à nombre double de chromosomes produits par les espèces parentales (Ramsey et Schemske, 1998). Le processus d'obtention de l'hybride entre le blé dur et Aegilops ventricosa n'est donc probablement pas équivalent à ce qui se serait passé dans la nature. Par ailleurs, quel que soit son mode d'obtention, l'espèce synthétique résultant de l'hybridation blé dur x Aegilops ventricosa, utilisée comme intermédiaire, n'a jamais été observée dans la nature.
À partir de cette espèce synthétique, le transfert de la résistance au piétin-verse au blé tendre a demandé plusieurs générations de recroisement avec celui-ci. Le résultat est le transfert dans le génome du blé tendre de plusieurs gènes d'une espèce avec laquelle il ne se croise pas naturellement ou difficilement, ce qui aurait pu être obtenu plus rapidement et de façon plus précise par transgenèse.
D'autres exemples de modifications génétiques non naturelles
Le blé 'Renan' n'est pas le seul exemple de variétés de plantes cultivées obtenues par des modifications de leur génome faisant appel à des méthodes non naturelles (Jahier, 1982, 2010). Ainsi, chez certaines variétés européennes de blé, un long segment d'un chromosome de leur génome est remplacé par un segment d'un chromosome du seigle. D'autres modifications de ce type ont été réalisées récemment et sont peut-être exploitées par les sélectionneurs (Jahier, 2010). Un autre exemple : on a transféré chez le blé tendre la résistance à la rouille jaune d'Aegilops comosa par irradiation aux rayons X après hybridation avec le blé tendre et doublement chromosomique (pour provoquer des recombinaisons entre chromosomes qui, normalement, ne se recombinent pas entre eux), et recroisement avec le blé.
Les nouvelles espèces obtenues par croisement entre espèces assez éloignées peuvent être aussi considérées, toujours d'un point de vue génétique, comme des organismes génétiquement modifiés. Ainsi, le triticale, nouvelle céréale des années 1980, résulte de l'hybridation entre le blé tendre au début, puis le blé dur, et le seigle. De même, le tritordeum, nouvelle céréale plus récente, résulte du croisement du blé dur avec l'orge du Chili. Dans ces deux cas, on a fait appel au croisement interspécifique suivi du doublement du nombre chromosomique par traitement à la colchicine. Ces espèces synthétiques conduisant à des associations nouvelles de gènes, voire apportant de nouveaux gènes, présentent sans doute plus de risques d'apparition de nouveaux effets génétiques que l'introduction d'un seul gène dans un génome par transgenèse.
Un autre exemple est celui des plantes obtenues par doublement chromosomique ou par le croisement de ces plantes avec leurs homologues diploïdes qui conduit à des plantes stériles, comme dans le cas de la pastèque sans pépins, très appréciée par le consommateur. Il n'y a dans ces cas ni introduction de nouveaux gènes, ni mutation génique, mais les effets de dosage(1) génique modifient fortement la régulation des gènes et entraînent des caractères nouveaux (par exemple des feuilles plus longues, des tiges moins ramifiées, etc.) qui justifient l'utilisation du doublement chromosomique en amélioration des plantes, notamment chez les graminées fourragères, comme source de nouvelle variabilité génétique (Gallais, 2013).
Point de vue génétique et définition réglementaire d'un OGM
Les OGM définis par la directive européenne 2001/18/UE
Sur le plan génétique, compte tenu de son mode d'obtention, la variété 'Renan' peut être considérée comme un organisme génétiquement modifié (Gallais, 2015 ; Gallais et Ricroch, 2006).
Sur le plan réglementaire en revanche, comme le souligne l'article de Prat (Prat, 2019), 'Renan' n'est pas un OGM relevant de la directive européenne 2001/18/UE, à la différence des plantes transgéniques. Cette réglementation précise qu'un OGM est « un organisme, à l'exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d'une manière qui ne s'effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle » (voir encadré). Elle prévoit des exclusions et des exemptions selon les techniques utilisées, et celles utilisées pour 'Renan' (croisement interspécifique et doublement chromosomique) sont exclues car considérées comme des techniques « traditionnelles » (Efsa, 2012 ; SAM, 2017).
Des méthodes de modification du génome à la définition d'un OGM
La définition d'un organisme génétiquement modifié donnée par la directive européenne 2001/18 se base sur les techniques utilisées : la modification a-t-elle été réalisée d'une manière qui ne s'effectue pas naturellement ? Le problème est de savoir où s'arrête le naturel et où commence l'artificiel. De nombreuses biotechnologies, de la transgenèse aux techniques d'édition du génome, non autorisées en France, voire en Europe, ne font que reproduire des mécanismes qui se passent dans la nature (voir articles p. 11 et 41). Fondamentalement, il n'y a pas de différence entre le passage par une espèce intermédiaire, comme pour la création de 'Renan', pour transférer à une espèce un gène d'une autre espèce sexuellement incompatible, et le transfert plus direct d'un gène par transgenèse ; l'espèce intermédiaire est l'équivalent du vecteur de transfert du transgène.
Sur le plan génétique, la terminologie « OGM » recouvre tout organisme dont le patrimoine génétique a été obtenu ou modifié d'une manière qui ne s'effectue pas naturellement, notamment par le transfert de gènes d'une espèce à une autre ou par la modification des gènes ou de leur expression. En englobant dans le patrimoine génétique les génomes nucléaire, mitochondrial et chloroplastique, il s'agit là d'une définition d'un OGM qui peut inclure l'utilisation des différents types d'outils pour créer une nouvelle variabilité génétique, y compris la création de nouvelles espèces.
Quelles modifications génétiques réglementer ?
Avec la mise au point des nouveaux outils de l'édition du génome, la directive européenne 2001/18, notamment la liste des techniques conduisant à des OGM réglementés, devrait être revue pour tenir compte des connaissances actuelles. Ainsi, réglementairement, la mutagenèse aléatoire, induite par certaines substances ou des rayonnements ionisants, n'est pas considérée comme conduisant à des OGM réglementés car elle fait partie des techniques « traditionnelles » de sélection (employée couramment avant 2001). En revanche, la mutagenèse dirigée, plus précise, permise par les techniques modernes d'édition du génome, est considérée comme conduisant à des OGM réglementés (décision de la Cour européenne de justice dans son arrêt du 25/7/2018). Or, du point de vue génétique, il n'y a aucune différence entre les mutations géniques obtenues par les méthodes « traditionnelles » et les méthodes modernes de mutagenèse ; celles-ci permettent surtout d'être plus précis et d'obtenir plus rapidement la mutation. Il faudrait plus de cohérence dans la distinction de ce qui est réglementé et de ce qui ne l'est pas.
(1) On parle d'effet de dosage d'un gène lorsque son effet dépend du nombre de copies de ce gène : ainsi chez une plante autotétraploïde (avec quatre fois le génome de base) un gène A n'aura pas nécessairement le même effet, selon qu'il y a une dose de A (Aaaa), deux doses (AAaa), trois doses (AAAa) et quatre doses (AAAA).
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Les progrès scientifiques offrent des moyens de plus en plus ciblés d'obtention de nouvelles variétés, qui s'ajoutent à l'ensemble des techniques traditionnelles d'amélioration variétale. La directive européenne 2001/18 (voir article p. xx) définit les organismes génétiquement modifiés (OGM) en considérant les moyens d'obtention utilisés (voir article p. xx). D'un point de vue génétique, de nombreuses obtentions variétales peuvent être considérées comme des OGM (y compris toutes celles définies réglementairement).
MODIFICATIONS GÉNÉTIQUES ET RÉGLEMENTATION - Ainsi, les variétés de blé tendre 'Renan' et ses descendants ont reçu, par des méthodes sophistiquées de croisements interspécifiques qui ne se produisent pas dans la nature, le gène de la résistance au piétin-verse d'une graminée sauvage. Du point de vue génétique, il s'agit bien d'un OGM. De ce même point de vue, peuvent être considérées comme des OGM les espèces synthétiques, obtenues par croisement de deux espèces non interfertiles, comme le triticale et le tritordeum, ou encore les plantes obtenues par modification du niveau de ploïdie qui affecte la régulation des gènes. Ces modifications génétiques importantes sont exclues de la directive européenne 2001/18.
MOTS-CLÉS - Organisme génétiquement modifié (OGM), réglementation, génétique, piétin-verse.
Une définition des OGM selon la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001
« Organisme génétiquement modifié (OGM) » : un organisme, à l'exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d'une manière qui ne s'effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle. Aux fins de la présente définition :
a) la modification génétique se fait au moins par l'utilisation des techniques énumérées à l'annexe IA, première partie ;
b) les techniques énumérées à l'annexe IA, deuxième partie, ne sont pas considérées comme entraînant une modification génétique. »
Ainsi, la réglementation distingue des techniques entraînant des modifications génétiques (par exemple des techniques impliquant une incorporation de matériel génétique exogène ou des techniques de fusion cellulaire lorsqu'elle n'est pas mise en oeuvre de façon naturelle) de celles qui ne sont pas considérées comme entraînant une modification génétique (fécondation in vitro, conjugaison, transduction, transformation, induction polyploïde).
À noter que dans les considérations en préambule à la directive, le point 17 est ainsi formulé : « La présente directive ne devrait pas s'appliquer aux organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps. » Les croisements interspécifiques entrent dans ces techniques.
Par ailleurs, certaines méthodes de modification génétique (donc conduisant à des OGM au sens réglementaire du terme) sont malgré tout exclues du champ d'application de la directive : la mutagenèse (au sens de la mutagénèse aléatoire) ; la fusion cellulaire (y compris la fusion de protoplastes) de cellules végétales d'organismes qui peuvent échanger du matériel génétique par des méthodes de sélection traditionnelles.
https://tinyurl.com/r98cnz0z
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : andre.gallais@inrae.fr
BIBLIOGRAPHIE : - Cour européenne de Justice, arrêt du 25/07/2018, https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2018-07/cp180111fr.pdf
- Efsa, 2012. Panel on Genetically Modified Organisms (GMO), Scientific opinion addressing the safety assessment of plants developed through cisgenesis and intragenesis, Efsa Journal, 10(2):2561, p. 7-8. doi:10.2903/j.efsa.2012.2561.
- Gallais A., 2013. De la domestication à la transgénèse, Évolution des outils pour l'amélioration des plantes, Éditions Quae, p. 91-92.
- Gallais A., 2015. La principale variété de blé « bio » serait-elle génétiquement modifiée ? Science et Pseudo-Sciences n° 313, juillet 2015.
- Gallais A., Ricroch A., 2006. Plantes transgéniques : faits et enjeux, Éditions Quae, p. 46-47.
- Jahier J., 1982. Utilisation d'hybrides interspécifiques dans l'amélioration du blé, Le Sélectionneur français n° 30, p. 5-12.
- Jahier J., 2010. Évaluation et exploitation de translocations blé-seigle dans le blé tendre, Colloque FSOV, 8 janvier 2010.
- Jahier J., Rolland B., 2020. À l'origine du blé tendre Renan, une obtention sans mystère, https://revue-sesame-inrae.fr/a-lorigine-du-ble-tendre-renan-une-obtention-sans-mystere/
- Maïa N., 1967, Obtention de blés tendres résistants au piétin-verse par croisements interspécifiques blés x Aegilops. C.R. Acad. Agr. Fr. n° 53, p. 149-154.
- Prat F., 2019. OGM ou pas ? Le point sur le blé Renan, Inf'OGM du 26 mars 2019.
- Ramsey J., Schemske DW., 1998. Pathways, mechanisms and rates of polyploid formation in flowering plants, Annu. Rev. Ecol. Evol. Syst. 29: 467-501.
- SAM (Scientific Advice Mechanism), 2017. New Techniques in Agricultural Biotechnology. https://doi.org/10.2777/17902, https://ec.europa.eu/info/publications/new-techniques-agricultural-biotechnology_en
- Sears ER, 1944. The amphidiploids Aegilops cylindrica x Triticum durum and Aegilops ventricosa x T. durum and their hybrids with T. aestivum, J. Agric. Res. 68, p. 135-144.
- Zhao YH, Kimber G., 1984. New hybrids with D genome wheat relatives, Genetics 106, p. 509-515.