DOSSIER - Médiateurs chimiques Un levier du biocontrôle

Confusion sexuelle : vingt ans d'innovations en vergers

AUDE COLETTE ET SÉBASTIEN BIGA, Sumi Agro France SAS - Phytoma - n°744 - mai 2021 - page 21

Méthode de protection bien connue des arboriculteurs français, la confusion sexuelle a su évoluer pour s'adapter aux pratiques agricoles. Retour sur vingt années d'innovations.
Diffuseur de phéromones Ginko, contre le carpocapse des pommes et des poires. Photo : Sumi Agro

Diffuseur de phéromones Ginko, contre le carpocapse des pommes et des poires. Photo : Sumi Agro

Fig. 1 : Nombre de diffuseurs de phéromones homologués sur vergers en France à partir des années 2000       Années 2000 : peu de spécialités disponibles, découverte et apprivoisement de la méthode.      Années 2010 : accélération du développement de la méthode, qui se caractérise par un nombre grandissant de spécialités homologuées.       Source : registre des AMM de l'Anses.

Fig. 1 : Nombre de diffuseurs de phéromones homologués sur vergers en France à partir des années 2000 Années 2000 : peu de spécialités disponibles, découverte et apprivoisement de la méthode. Années 2010 : accélération du développement de la méthode, qui se caractérise par un nombre grandissant de spécialités homologuées. Source : registre des AMM de l'Anses.

2. Larve de tordeuse de la pelure (stade arpenteuse).

2. Larve de tordeuse de la pelure (stade arpenteuse).

3. Tordeuse de la pelure et les dégâts occasionnés. Photos : Sumi Agro

3. Tordeuse de la pelure et les dégâts occasionnés. Photos : Sumi Agro

4. Larve de carpocapse dans une bande piège.

4. Larve de carpocapse dans une bande piège.

Déployée à grande échelle dans les vergers français à la fin des années 1990, la confusion sexuelle protège une grande partie des cultures fruitières (photo 1). Du premier diffuseur mis en marché à aujourd'hui, de nombreuses évolutions ont été apportées à cette méthode de biocontrôle pour mieux satisfaire les arboriculteurs.

Tout part des phéromones

Des médiateurs chimiques intraspécifiques

Les phéromones sont des médiateurs chimiques bien connus depuis des décennies. Ils sont vecteurs de messages entre individus d'une même espèce. Le monde animal en compte de nombreuses, avec diverses fonctions. Certaines délivrent des messages d'alarme, d'agrégation, de piste (notamment chez les insectes sociaux) ou de marquage des territoires (principalement chez les mammifères). En protection des cultures, les phéromones les plus communément utilisées sont les phéromones sexuelles. C'est sur elles que repose la méthode de confusion sexuelle pour lutter contre les lépidoptères ravageurs.

La découverte des phéromones sexuelles

Dès la fin des années 1960, les connaissances en chimie ont permis de découvrir et identifier les phéromones sexuelles des principaux lépidoptères ravageurs (Roelofs et al., 1969, 1971). Mais c'est la synthèse de ces molécules qui constituait la première étape avant de développer la technique de confusion sexuelle (Gaston et al., 1967). Celle-ci consiste à empêcher l'accouplement des adultes en diffusant des phéromones sexuelles dans l'atmosphère, de sorte que les mâles ne puissent plus localiser les femelles. Les premières expérimentations de diffuseurs passifs ont été menées dans les années 1980.

Années 2000 : apprivoiser la méthode

Sur deux ravageurs principaux

Le premier diffuseur passif de phéromones a été homologué en France en 1989 pour contrôler la tordeuse orientale du pêcher. Cependant, ce n'est que dans les années 2000 que la confusion s'est largement développée, notamment grâce à l'homologation de diffuseurs destinés à lutter contre le carpocapse des pommes et des poires, premier ravageur dans les vergers de fruits à pépins. À cette époque, les diffuseurs disponibles contrôlaient un seul ravageur. Les exploitations en agriculture biologique furent les premières à adopter cette méthode de protection innovante, en partie à cause du nombre réduit de solutions disponibles.

Un accompagnement technique pour assurer la réussite de la méthode

Pour faire accepter cette méthode par les arboriculteurs, un accompagnement technique important a été nécessaire. L'introduction de la confusion sexuelle oblige à repenser la protection globale du verger. En effet, cette méthode est strictement préventive, très spécifique et permet de diminuer la population du ou des ravageurs contrôlés sur le long terme.

Pour en assurer une bonne efficacité, deux principaux facteurs entrent en compte : la qualité du diffuseur de phéromones, et la rigueur lors de la pose. Les diffuseurs doivent être répartis de manière homogène dans le verger et les bordures doivent être renforcées. Les conseils des techniciens sont précieux pour établir un plan de pose fiable. Concernant les diffuseurs, au début des années 2000, seuls des diffuseurs à micro-capillaires étaient homologués contre le carpocapse des pommes et des poires. Cette technologie permet une diffusion régulière des phéromones tout au long de la saison, quelles que soient les conditions météorologiques. Une seule pose au printemps permet de protéger le verger efficacement durant plusieurs mois.

Une diminution des insecticides, un nouvel équilibre du verger

Bien que la confusion sexuelle n'ait pas vocation à remplacer totalement les traitements insecticides foliaires, elle permet d'en diminuer le recours de manière significative. De plus, cette méthode étant très spécifique, elle permet de préserver la faune auxiliaire. Dans les vergers protégés par confusion sexuelle, on observe une plus grande diversité de la faune auxiliaire, notamment les acariens prédateurs. Ces derniers régulent les populations d'acariens phytophages, nuisibles aux arbres fruitiers.

Cependant, certains traitements insecticides destinés à contrôler le carpocapse avaient également une efficacité contre la tordeuse orientale ou les tordeuses de la pelure (photos 2 et 3). Dans certaines situations, à la suite des diminutions du nombre de traitements, une résurgence de ces ravageurs secondaires a pu être observée (Biga et al., 2017).

Années 2010 : les nouvelles générations de diffuseurs

Nouvelles technologies de diffuseurs

Si les années 2000 ont permis d'installer les fondements de cette technique, les années 2010 marquent une accélération dans le développement de la confusion sexuelle et des technologies de diffuseurs disponibles.

Le marché des diffuseurs mono-ravageur a énormément évolué durant cette décennie. Les facteurs qui influencent la bonne efficacité de la confusion sexuelle et les attentes des arboriculteurs sont mieux connus et ont permis de développer de nouvelles technologies de diffuseurs, comme par exemple Ginko Ring, un diffuseur de plus grande taille permettant d'allier efficacité et temps de pose réduit. Cette diversité permet de s'adapter à différentes typologies de parcelles, notamment en terme de surface. Une évolution majeure réside également dans la praticité de mise en oeuvre. Une des attentes des arboriculteurs est la diminution du temps de pose. Selon la typologie de la parcelle, le type de diffuseur et la méthode de pose (à pied ou sur une plateforme), le temps de pose peut osciller de 30 minutes à 3 heures par hectare. La réduction du temps de pose s'accompagne généralement d'une réduction du nombre de diffuseurs par hectare. Une réduction trop importante du nombre de points de diffusion peut tout de même compromettre l'efficacité. En effet, le premier critère pour une performance optimale est une couverture homogène du verger et une diffusion régulière.

Des diffuseurs multi-ravageurs

Face aux résurgences observées de ravageurs secondaires, le premier diffuseur multi-ravageurs est homologué en 2011. Destiné aux vergers de pommiers, il permet, en une seule pose, de contrôler le carpocapse des pommes et des poires (photo 4) (Cydia pomonella), ainsi que la tordeuse orientale du pêcher (Grapholita molesta) et la petite tordeuse des fruits (Grapholita lobarzewskii). Cette innovation permet de gagner du temps sur la pose et d'accroître l'intérêt de la méthode. D'autres diffuseurs multi-ravageurs ont été développés par la suite. Sur fruits à pépins, la phéromone sexuelle du carpocapse est associée à celles des tordeuses de la pelure Adoxophyes orana, Pandemis heparana, Archips podana et Argyrotaenia ljungiana. Des diffuseurs permettant de contrôler en même temps la tordeuse orientale du pêcher et la petite mineuse Anarsia lineatella arrivent également sur le marché.

La difficulté à développer des diffuseurs multi-ravageurs réside dans le maintien de la cinétique de diffusion des phéromones, qui n'ont pas toutes la même structure moléculaire. Dans ce cas, la qualité du diffuseur est primordiale pour garantir un relargage régulier et homogène de tous les composés phéromonaux durant toute la saison.

Grâce à cette connaissance des mécanismes, la confusion sexuelle a pu être ouverte à de nouveaux ravageurs, y compris des espèces qui ont un cycle bisannuel. Ainsi, certains diffuseurs permettent de contrôler la zeuzère du poirier (Zeuzera pyrina) ou encore la sésie du pommier (Synanthedon myopaeformis).

Des défis restent à relever

En vingt ans, des innovations qui ont permis à la méthode de s'installer

La confusion sexuelle est devenue la base de la protection contre les lépidoptères ravageurs en vergers. Elle permet de freiner les dynamiques de population, tout en prévenant l'apparition des résistances. En vingt années d'utilisation en France, aucune résistance ou adaptation à la confusion sexuelle n'a été observée. Elle est aujourd'hui employée sur environ 75 % des surfaces françaises de pommier et environ 35 % des surfaces de fruits à noyau (Figure 1).

Nouveaux ravageurs et facilité de pose : les deux attentes majeures

La première attente des arboriculteurs concerne le développement de nouveaux diffuseurs multi-ravageurs ou l'ouverture de la méthode à de nouvelles familles de ravageurs, telles que les diptères ou les punaises. L'aspect confort de pose est également important, tout en garantissant des performances de haut niveau. Pour répondre à ces enjeux, certaines sociétés, comme Agri.Builders, développent des systèmes de pose par drone. Cette technique facilite grandement l'installation des diffuseurs, et permet notamment de rendre plus accessible la confusion sexuelle sur vergers de noyer et châtaignier, dont les canopées sont hautes et denses.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La confusion sexuelle est une méthode de gestion des populations de lépidoptères ravageurs largement répandue en verger. Solution de biocontrôle et utilisable en agriculture biologique, elle est employée sur près de 75 % des surfaces françaises de pommier et environ 35 % des surfaces de fruitiers à noyau.

RÉTROSPECTIVE - La découverte et l'identification des phéromones sexuelles des principaux lépidoptères ravageurs datent de la fin des années 1960, suivies par les premières expérimentations de diffuseurs passifs dans les années 1980. En 1989, le premier diffuseur de phéromones est homologué pour contrôler la tordeuse orientale du pêcher. Dans les années 2000, la confusion se développe plus largement, avec une accélération dans les années 2010, grâce notamment à de nouvelles technologies comme le premier diffuseur multi-ravageurs homologué en 2011.

MOTS-CLÉS - Confusion sexuelle, phéromone, carpocapse des pommes et des poires, tordeuse orientale du pêcher, tordeuse de la pelure, zeuzère du poirier, sésie du pommier.

Diffusion de phéromones : mode d'emploi

À ce jour, différentes technologies de diffusion de phéromones sont disponibles sur le marché :

• Diffuseurs à imprégnation,

• Diffuseurs à réservoir,

• Diffuseurs à micro-capillaires,

• Diffuseurs aérosols.

Les conditions de réussite pour la confusion sexuelle :

• La parcelle doit être de forme compacte, d'une surface minimale de 2 hectares (variable selon le diffuseur). La population du ravageur ciblé doit être modérée au cours des années précédentes (moins de 2 % de fruits touchés à la précédente récolte).

• L'environnement de la parcelle doit être pris en compte. Les zones éclairées, de stockage, les plantes hôtes sauvages ou les vergers abandonnés peuvent représenter des foyers potentiels.

• Le choix du diffuseur est primordial. Le nombre de points de diffusion doit permettre une couverture homogène en tout point du verger. Le diffuseur doit permettre de relarguer les phéromones de manière constante et suffisante durant toute la période des vols, indépendamment des conditions météorologiques. La qualité des composés phéromonaux est importante et doit être le plus proche possible du mélange naturel.

• La pose doit être effectuée avant le vol du ravageur ciblé, et en quinconce, de manière à couvrir le verger de manière homogène. Le renforcement des bordures est indispensable et doit prendre en compte l'environnement proche et le ou les vents dominants.

• Le suivi durant la saison permet de s'assurer du bon fonctionnement de la confusion sexuelle et permet de positionner les traitements insecticides d'appui, si nécessaire. Il peut être réalisé grâce à des pièges munis de capsules dites « combo », associant phéromones et kairomones. À la fin de chaque génération, il est également recommandé d'effectuer un comptage des dégâts sur un échantillon de 500 à 1 000 fruits.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : aude.colette@sumiagro.com

LIEN UTILE : https://www.agri.builders/index.html

BIBLIOGRAPHIE : - Roelofs W., Comeau A., Hill A., Miliceiv G., 1971. Sex Attractant of the Codling Moth: Characterization with Electroantennogram Technique. Science, Vol. 174, Issue 4006.

- Roelofs W., Comeu A., Selle R., 1969. Sex Pheromone of the Oriental Fruit Moth. Nature 224, p. 723.

- Gaston L. K., Shorey H. H., Saario C. A., 1967. Insect population control by the use of pheromones to inhibit orientation between the sexes. Nature 213, p. 1155.

- Biga S., Barthet C., Kleinhans J.L., 2017. Confusion sexuelle en arboriculture et gestion des résurgences de certaines espèce de lépidoptères. Association française de potection des plantes (AFPP), 6e Conférence sur les moyens alternatifs de protection pour une production intégrée, CABI 20173254532.

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