5. Auréole de trous formés par les morsures liées au passage de la larve sur la jeune palme d'un Trachycarpus fortunei. Photos : R. Hamidi
Fig. 1 : Morphologie de Paysandisia archon Les androconies ou pinceaux localisés sur les parties distales des pattes intermédiaires de Paysandisia archon. Ces « pinceaux » serviraient à étaler et diffuser la phéromone sexuelle. Source : Frérot et al., 2012.
Fig. 2 : Attraction des femelles par une cage contenant des mâles non visibles de l'extérieur Les femelles arrivent à toute allure, tournent autour de la cage en faisant des vols stationnaires, mais en l'absence d'un feedback de la part des mâles, elles finissent par aller ailleurs.
Originaire d'Amérique du Sud, Paysandisia archon (Burmeister, 1879) connaît une progression impressionnante dans son aire d'invasion, allant jusqu'à compromettre la présence des palmiers dans certaines localités balnéaires. Contrairement à ce que l'on pensait, le papillon utilise des médiateurs chimiques pour communiquer avec les congénères et pour retrouver sa plante-hôte. Ces récentes découvertes (Frérot et al., 2013 ; Hamidi et al., 2020) ouvrent la voie à de nouvelles perspectives de biocontrôle du ravageur.
Paysandisia : morphologie et dégâts
Reconnaître le papillon
Paysandisia archon (Lepidoptera : Castniidae) est un papillon imposant qui ne présente pas de dimorphisme sexuel hormis la taille : les femelles ont une envergure de 10 cm et les mâles sont un peu plus petits (8 cm) (photos 1 et 2). Si, au repos, P. archon ressemble à un papillon de nuit, avec un port des ailes en toit et une couleur gris sombre (photo 2), lorsque l'insecte vole, il dévoile une paire d'ailes postérieures de couleur orange vif, dont les motifs noirs et blancs sont remarquables (photo 1).
Un ravageur en pleine expansion
En une vingtaine d'années, P. archon a colonisé une bonne partie de la rive nord de la Méditerranée (Muñoz-Adalia et Colinas, 2020 ; Sarto i Monteys et Aguilar, 2005). L'insecte a probablement été introduit à la suite de l'importation des palmiers Butia yatay ou Thrithrinax campestris originaires d'Argentine ou d'Uruguay (Rodríguez-Ramírez et al., 2020). Dans son aire d'introduction, sur le pourtour nord de la Méditerranée, le papillon se développe facilement sur les palmiers d'ornement, du palmier des Canaries (Phoenix canariensis) au palmier chinois très largement répandu en France (Trachycarpus fortunei) en passant par le palmier endémique de la Méditerranée, Chamaerops humilis. En Uruguay et en Argentine, les mêmes palmiers d'ornement présentent des attaques récentes, faisant de lui un ravageur émergent dans son aire d'origine (Rodríguez-Ramírez et al., 2020).
Les dégâts
La larve, dont la taille au dernier stade de développement est impressionnante, se nourrit à l'intérieur du palmier et vit comme un foreur, discrète au début de l'infestation (photo 3). Plusieurs symptômes permettent cependant d'identifier la présence du ravageur dans le palmier : l'existence de sciures brunâtres (déjections de la larve) et des exuvies rougeâtres des chrysalides sortant des rachis des palmes sont caractéristiques de la présence de l'insecte et de l'attaque du palmier (photo 4).
Les feuilles perforées par le passage des larves sur la flèche naissante forment des découpages facilement reconnaissables à distance (photo 5). Les dégâts occasionnés principalement sur l'apex du palmier provoquent la chute des palmes et peu à peu la mort du palmier (Hamidi et Frérot, 2016 ; Kontodimas et al., 2017).
Un papillon atypique
Un papillon de nuit... qui vole le jour
La période d'activité de l'adulte s'étend de mai à août. Le reste de l'année, l'insecte est sous forme de larve, dévorant le coeur du palmier. Le papillon est atypique dans la mesure où il présente les caractéristiques morphologiques des hétérocères (ailes en toit et antennes filiformes) mais se comporte comme un papillon de jour en étant actif de jour aux périodes les plus ensoleillées. Les systématiciens ont eu beaucoup de difficultés à classer les Castniidae qui constituent actuellement une famille au sein de la super-famille des Sesioideae.
Des mâles séducteurs
Chez les lépidoptères nocturnes, ce sont généralement les femelles qui émettent les phéromones sexuelles qui attirent les mâles à distance. Chez P. archon, bien que les femelles sortent souvent leur ovipositeur, aucune glande n'a été mise en évidence malgré des études histologiques poussées (Riolo et al., 2014). De nombreuses extractions d'ovipositeurs de femelle n'ont jamais permis identifier des composés phéromonaux (B. Frérot, résultats non publiés). Les observations comportementales de couples lâchés dans de grandes cages démontrent que ce sont les femelles qui s'approchent des mâles, et non l'inverse (Delle-Vedove et al., 2014 ; Riolo et al., 2014). Chez certains lépidoptères, les mâles émettent à proximité des femelles un signal chimique produit au niveau de structures spécialisées ou androconies. Ce sont des phéromones sexuelles qui interviennent à courte distance, lors de la parade nuptiale et participent à la sélection du mâle par la femelle (Birch, 1970 ; Zagatti, 1981). L'observation du comportement des P. archon a très vite mis en évidence un comportement très particulier chez les mâles, qui frottent leurs pattes médianes sur les supports où ils se posent (Ollivier et al., 2006).
Des pinceaux aux pattes
Le Cerf (1936) avait décrit chez toutes les espèces de Castniidae une particularité morphologique sur les pattes médianes, au niveau de l'extrémité des tarses ; une structure qui se révèle être une structure androconiale(1) (Figure 1).
Dans la nature, les mâles sont souvent perchés à quelques mètres d'un palmier sur des feuilles de végétaux ou autres supports. Ils passent une bonne partie de leur temps, aux heures les plus chaudes, à frotter leurs pattes intermédiaires sur le substrat. Ce comportement dit de « grattage » a été décrit pour la première fois en 2006 (Ollivier et Frérot, 2006) et est à ce jour la seule description chez les Castniidae. Quero et ses collaborateurs (2017) ont démontré que, lors de ce comportement, la phéromone est déposée sur le substrat par contact entre la structure androconiale et le substrat. La phéromone est ainsi déposée sur les différents types de supports où se posent les mâles : feuilles de yucca, de palmier et même objets du mobilier urbain.
La phéromone sexuelle chez les mâles
Les pattes médianes des mâles contiennent une grande quantité d'une substance phéromonale : le (E,Z)-2,13-octadecadienol (Frérot et al., 2013). Ce type de molécule a déjà été identifié chez des femelles de lépidoptère appartenant à la super-famille des Sesioideae et notamment chez la zeuzère (Frerot et al., 1986). Récemment, le composé a été identifié chez les mâles du castnide de la canne à sucre, Telchin licus. Cet insecte possède, comme tous les Castniidae, des androconies sur les pattes intermédiaires (Triana et al., 2020). Chez P. archon, le composé est présent dès le lendemain de l'émergence, en grande quantité, de l'ordre du microgramme (Quero et al., 2017), alors que chez les femelles de lépidoptère nocturne l'échelle est de l'ordre du nanogramme.
Pour expliquer le rôle de ce comportement de grattage des mâles et de la phéromone, des tests ont été réalisés à la fois sous serre et sur le terrain. Ils ont clairement démontré que les mâles pouvaient attirer les femelles vierges sur de longues distances et que la vision n'intervenait pas dans ce comportement (Hamidi et Frérot, 2020). Les mâles encagés, qu'ils soient visibles ou non, attirent les femelles (Figure 2 page suivante). Ce comportement corrobore les tests d'électro-antennographie, qui montraient que les antennes des femelles répondaient bien à la phéromone (Delle-Vedove, 2011).
Le rôle du composé phéromonal a fait l'objet de plusieurs spéculations. On a longtemps pensé qu'il jouait le rôle de phéromone aphrodisiaque et que la vision était le principal sens utilisé pour retrouver le partenaire. En réalité, les femelles sont attirées à longue distance par la phéromone déposée par le mâle. La vision n'a pas de rôle dans cette phase, mais joue probablement un rôle lors de la parade nuptiale. Le composé déclenche des réponses électrophysiologiques au niveau des antennes chez les deux sexes avec une réponse plus forte chez les femelles. D'ailleurs, Ruschioni et ses collaborateurs ont montré que les antennes des femelles portaient plus de sensilles olfactives que celles des mâles (Ruschioni et al., 2015).
Comportement sexuel : le mâle suit la femelle
Si les femelles sont bien attirées par la phéromone, peu d'entre elles se posent à proximité de la source. En effet, dans la nature, à l'approche de la femelle, le mâle décolle et suit les femelles vers un site d'accouplement. Les papillons s'engouffrent alors dans des buissons tels que le laurier rose ou de l'herbe de la Pampa pour s'accoupler. Ce comportement obligera à changer de paradigme dans la conception du piège.
Le rôle des odeurs des palmiers dans la ponte
Localisation et reconnaissance de la plante-hôte
Dans la nature, les femelles vierges volent en réalisant des zigzags de grande amplitude et se posent rarement sur les palmiers, à moins qu'elles ne soient suivies d'un mâle. Les observations sur le terrain ou en tunnel de vol montrent clairement que le statut physiologique des femelles a un impact sur leurs comportements de vol. Les femelles vierges atterrissent sur les palmes et les femelles fécondées se posent directement sur le stipe des palmiers. Si on laisse les femelles sur le stipe, elles pondent rapidement après l'atterrissage. Le comportement de ponte de P. archon a été décrit et implique une évaluation du substrat avec l'ovipositeur et les antennes (Frérot et al., 2017 ; Hamidi et Frérot, 2016). Lorsque la femelle a jugé que le site est optimal pour la ponte, celle-ci insère son long ovipositeur de 2 centimètres entre les fibres et y glisse un oeuf puis plusieurs (photo 6). Ensuite, elle se remet à marcher sur une dizaine de centimètres en réalisant de nouveau le même comportement à l'aide des antennes et de l'ovipositeur.
Les odeurs émises par la couronne du palmier sont impliquées dans la localisation et la reconnaissance de la plante-hôte pour la ponte. Lors de tests en tunnel de vol, les femelles accouplées se posent préférentiellement sur le palmier, qu'il soit visible ou non (Delle-Vedove, 2011). À l'atterrissage, la femelle oriente ses antennes vers le substrat, réalisant au passage de nombreux comportements de brossage à l'aide des tarses des pattes antérieures. Ce comportement est interprété chez les lépidoptères comme un signe de perception olfactive (B. Frérot, comm. pers.).
Un attractif de type kairomone
Le comportement de préoviposition montre clairement une attraction de la femelle fécondée par la plante et plus particulièrement par la partie supérieure (Hamidi et Frérot, 2016).
Partant du fait que tous les palmiers sont colonisés par l'insecte, nous avons entrepris la collecte des composés organiques émis par les couronnes de différentes espèces de palmiers. L'idée était de rechercher et d'identifier une kairomone commune à toutes les espèces. Les prélèvements des odeurs de la couronne ont été effectués pendant la période de ponte des femelles de Paysandisia, qui se situe entre 14 h et 17 h, au moyen de fibres SPME(2) étalonnées.
Un palmier, ça a quelle odeur pour un papillon ?
À l'aide de capteur SPME, les odeurs présentes à la base des rachis ont été prélevées sur les trois espèces les plus communes en France (photo 7) : Washingtonia filifera, Trachycarpus fortunei et Phoenix canariensis. L'analyse par GC/MS (chromatographe en phase gazeuses associé à un spectromètre de masse) a permis d'identifier 22 composés. Chaque espèce de palmier possède sa propre signature chimique alors que plus de 70 % des composés sont communs (voir tableau page suivante).
Une analyse en ascendance hiérarchique montre que le profil chimique de P. canariensis se distingue des profils de W. filifera et de T. fortunei, qui sont assez proches. Ces résultats corroborent la position phylogénétique de ces trois espèces (Asmussen et al., 2006). P. canariensis est sans aucun doute le palmier le plus attaqué du sud de la France. Des tests de terrain ont été conduits dans des zones très fortement infestées par Paysandisia : le parc Cravero au Pradet, le jardin Braudel à La Seyne-sur-Mer, à Hyères-les-Palmiers (Var), pendant la fenêtre de ponte de l'insecte, de 14 h à 17 h. Plusieurs mélanges contenant des composés candidats, dont le 2-phénoxyéthanol et le benzaldéhyde, ont été testés. Il s'agit de composés présents en grande quantité et dont les proportions sont liées à l'espèce de palmier. Aucune attraction n'a été observée dans les ratios utilisés. De nouvelles formulations sont en cours.
Et si on repoussait les papillons ?
L'inhibition de l'attraction est une des pistes intéressantes dans le cadre de la lutte par médiateurs chimiques. Empêcher l'insecte de localiser la plante-hôte par l'émission d'odeurs qui inhiberaient le comportement de localisation à longue distance et/ou d'acceptation au contact de la plante reste une piste à étudier.
L'alpha-pinène et le méthyl-salicylate présents sous forme de traces dans les odeurs émises par les couronnes des palmiers ont été décrits comme inhibiteurs de l'attraction à fortes doses, chez Rhynchophorus ferrugineus (Guarino et al., 2015), autre ravageur des palmiers introduit en Europe (Hamidi et al., 2013 ; Rochat et al., 2017). La capacité répulsive des deux molécules ainsi que de l'essence de térébenthine (riche en alpha-pinène) a été testée en plaçant quinze diffuseurs fortement chargés autour de la couronne de T. fortunei (photo 8). Ces couronnes avaient été nettoyées et tous les oeufs enlevés. Deux jours après, le contrôle des emplacements montrait des nouvelles pontes et démontrait l'inefficacité des deux composés à inhiber la ponte.
Perspectives
Paysandisia archon est un papillon original. Le mâle attire les femelles par le biais d'une phéromone produite par les pattes médianes et déposée lors d'un comportement très particulier. Les médiateurs chimiques jouent un rôle clé dans le cycle de vie de ce papillon exotique, que ce soit pour la rencontre des sexes ou pour la ponte (Figure 3). Cette originalité et la beauté de ce papillon ne doivent pas cacher l'hécatombe provoquée chez la quasi-totalité des espèces de palmiers du sud de la France et au-delà. L'utilisation de la phéromone semble difficile dans l'état actuel des connaissances, du fait du faible taux d'atterrissage qu'elle induit. Des espoirs reposent sur l'attraction des femelles fécondées par les kairomones émises par la plante, et sur d'autres recherches effectuées dans les domaines du biocontrôle, à la fois au niveau des structures publiques et privées.
(1) Chez les lépidoptères, l'androconie est une structure glandulaire associée à des structures cuticulaires qui assurent la diffusion des molécules produites par la glande. Les sécrétions androconiales interviennent dans le comportement sexuel.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Originaire d'Amérique du Sud et introduit sur le territoire au début des années 2000, Paysandisia archon continue sa progression en provoquant une hécatombe sur la quasi-totalité des espèces de palmiers du sud de la France et au-delà. Et ce, malgré les moyens de lutte disponibles, tels que les micro- et macro-organismes entomopathogènes.
ÉTUDE - Les médiateurs chimiques jouent un rôle clé dans le cycle de vie de ce papillon exotique que ce soit pour la rencontre des sexes ou pour la ponte.
Ainsi, le mâle attire les femelles par le biais d'une phéromone produite par les pattes médianes, qui est déposée lors d'un comportement très particulier. Quant aux femelles, une fois accouplées, elles sont attirées par des composés volatils émis par la couronne des plantes-hôtes, chaque espèce de palmier ayant une signature chimique différente.
PERSPECTIVES - L'utilisation de l'attractif à base de phéromone, visant les femelles, serait une première étape conditionnée par le développement d'un piège efficace et adapté au comportement de l'insecte. Des espoirs reposent également sur le développement d'un leurre mimant l'odeur d'un palmier.
MOTS-CLÉS - Paysandisia archon, papillon palmivore, palmiers, phéromone, kairomone, piège, médiateurs chimiques, biocontrôle.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACTS : rhamidi.anpn@unicoque.com
brigitte.frerot@yahoo.fr
REMERCIEMENTS
Les auteurs remercient : Centina Pinier pour l'analyse des odeurs de palmiers, Jessica Montens et Pierre Serin pour les tests en tunnel de vol et Pierre-Alexis Bernard (PalmDoc) pour la collecte du matériel et le nettoyage des pontes.
L'étude a été financée par le projet Palm Protect (European Community's Seventh Framework, No. FP7 KBBE 2011-5-289566) et en partie par le projet Semiotrap piloté par les ministères de la Transition écologique et solidaire, de l'Agriculture et de l'Alimentation, des Solidarités et de la Santé, et de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, avec l'appui financier de l'Office français de la biodiversité, dans le cadre de l'APR « Mise au point de solutions alternatives aux produits phytosanitaires dans les jardins espaces végétalisés et infrastructures (Jevi) » grâce aux crédits issus de la redevance pour pollutions diffuses attribués au financement du plan Écophyto 2+.