Évaluation en cage insectproof de l'effet répulsif de l'huile essentielle de thym par diffusion passive sur verveine. Photo : Astredhor Sud-Ouest
Fig. 1 : Pourcentage et nombre d'adultes de Frankliniella occidentalis comptabilisés lors des tests de répulsion en boîte de Petri selon la méthode de la zone préférentielle de McDonald à 60 minutes n = 300. 10 individus/30 répétitions. Test du 2.*p moins que 0,05. ** p moins que 0,01. ***p moins que 0,001.
Fig. 2 : Préférence d'oviposition (% d'oeufs) selon le traitement *p moins que 0,05. **p moins que 0,01. ***p moins que 0 ; 001.
Les thysanoptères, avec plus de 5 500 espèces, sont des ravageurs mondialement présents (Mound, 2002). Parmi eux, le thrips californien, Frankliniella occidentalis (Pergrande, 1895) (Thysanoptera : Thripidae) est une des espèces les plus nuisibles en agriculture (Kirk et Terry, 2003 ; Cloyd, 2009). L'objectif du projet Healthi, acronyme pour « Huiles Essentielles comme Alternative à la Lutte contre le THrIps » est d'évaluer le pouvoir répulsif d'huiles essentielles (thym, origan et gaulthérie) sur les adultes du thrips F. occidentalis. L'idée est d'intégrer les connaissances en écologie chimique sur cet insecte pour développer à terme une stratégie stimulo-dissuasive afin d'inclure un nouveau levier pour le producteur dans la gestion de ce ravageur.
À la recherche de solutions de biocontrôle
Le thrips californien et la communication chimique
Les attributs biologiques de Frankliniella occidentalis tels que sa polyphagie (Mouden et al., 2017), sa fécondité élevée (Van Rijn et al., 1995), sa morphologie (Reitz, 2009), sa résistance aux insecticides (Reitz, 2009) et sa capacité à transmettre certains virus (Trichilo et Leight, 1988 ; Kirk et Terry, 2003) rendent difficile la protection des cultures vis-à-vis de ce ravageur. Pour obtenir une efficacité optimale, la lutte doit se concentrer sur l'adulte, stade prédominant du cycle biologique (Deligeorgidis et al., 2006).
Parmi les techniques de biocontrôle, le recours aux médiateurs chimiques vise à altérer le paysage olfactif des adultes pour qu'ils trouvent un autre site de ponte ou d'alimentation. Ces sémiochimiques peuvent être utilisés dans diverses stratégies de contrôle comprenant le monitoring, le piégeage de masse, la confusion sexuelle, ou encore le « push-pull » également appelé stratégie de détournement stimulo-dissuasive (Pyke et al., 1987 ; Pickett et al., 1997). Ces molécules connaissent un vrai succès dans le contrôle de certains ravageurs (Witzgall, 2010). Cependant, les études sur l'application de telles substances dans la lutte contre le thrips restent peu nombreuses (Koschier, 2007).
La communication chimique est utilisée chez les insectes afin d'interagir avec leur environnement pour assurer leur survie. Cette communication est permise via l'émission par la plante de composés organiques volatils (COV). Les thrips n'échappent pas à cette règle (Schoonhoven et al., 2005). Même s'ils sont polyphages, des études ont montré qu'ils étaient attirés par certaines couleurs (Teulon et al., 1999), certaines formes (Mainili et Lim, 2010, 2011) et certains COV (Mainali et Lim, 2011 ; Cao et al., 2018). L'étape de localisation de l'hôte par le thrips est régie par la perception de ces COV, qui forment une plume d'odeur autour de la plante (Beyaert et Hilker, 2014). La réponse comportementale qui s'ensuit varie en fonction de l'identité des molécules perçues mais également de leurs proportions (Koschier et al., 2000). La perception d'odeur spécifique peut également permettre au thrips de discriminer les hôtes inappropriés et ainsi les éviter (Heard, 2000).
Les huiles essentielles : de l'attraction à la dissuasion
Les huiles essentielles (HE) peuvent être utilisées pour modifier le comportement d'orientation et de sélection de plante-hôte par le thrips (Koschier, 2008). Elles possèdent un large spectre d'activités biologiques en tant qu'attractif (Regnault-Roger, 1997), anti-appétant (Akhtar et Isman, 2004), neurotoxique (Kostyukovsky et al., 2002), répulsif (Trongtokit et al., 2005) ou encore dissuasif de ponte (Abbasipour et al., 2011). Pour autant, elles ne sont pas inoffensives et leur utilisation peut entraîner un effet toxique sur la plante comme sur l'homme. De nombreuses études ont démontré que F. occidentalis répondait à des odeurs spécifiques. Il peut être attiré, par exemple, par les odeurs émises par le chou tandis que celles émises par l'ail le repousse (Cao et al., 2014). Plusieurs molécules se révèlent attractives pour le thrips F. occidentalis telles que le géraniol, l'eugénol (Teulon et al., 1993b) ou encore le nérol (Koschier et al., 2000). En culture ornementale, l'attraction de F. occidentalis pour les chrysanthèmes est liée à l'émission d'un COV, le (E)-<03B2>-farnesène (Pow et al., 1998). Les fleurs de verveine (Verbena x hybrida) émettent, quant à elles, un oxyde de linalol, le (3S,6S)-tétrahydro-2,2,6-triméthyl-6-vinyl-2H-pyran-3-ol, attractif pour le ravageur (Pow et al., 1998). Par ailleurs, des produits sont déjà commercialisés à base de phéromones d'agrégation ((S)-néryl-2-méthylbutanoate) (Hamilton et al., 2005 ; Kirk, 2017) ou de kairomones (méthylisonicotinate) (Muvea et al., 2014 ; Broughton et Harrison, 2012). L'ajout de ces molécules sémiochimiques à des panneaux englués chromatiques permet une augmentation de la capture des thrips adultes (Muvea et al., 2014).
Chez le thrips, peu d'études ont été effectuées à l'heure actuelle pour déterminer d'éventuels répulsifs. Seulement quelques composés ont été répertoriés, comme le carvacrol, le thymol, le méthyl salicylate et le méthyl jasmonate (Koschier et al., 2000 ; Sedy et Koschier 2003 ; Koschier et al., 2007 ; Allsopp et al., 2014 ; Egger et Koschier, 2014) ainsi que quelques HE comme celles de gaulthérie, d'origan, de sarriette et de thym (Picard et al., 2012).
Projet Healthi : évaluation du pouvoir répulsif de trois HE
Dans le cadre du projet Healthi, porté entre 2018 et 2020 par Astredhor Sud-Ouest, trois HE issues de plantes cultivées en agriculture biologique ont été caractérisées et leurs propriétés répulsives vis-à-vis du thrips étudiées : thym à thymol (Thymus zygis, lamiacées ; 6 % carvacrol, 47 % thymol) ; gaulthérie odorante (Gaultheria fragrantissima, éricacées ; 99 % méthyl salicylate) ; origan compact (Origanum compactum, lamiacées ; 43 % carvacrol, 15 % thymol). Deux produits ont été utilisés comme référence : le thymol comme répulsif et le nérol comme attractif. Un élevage du thrips F. occidentalis a été mis en place en cage insectproof sur plantes de verveine Verbena x hybrida 'Endurascape Magenta' (Voltz), choisie pour sa forte sensibilité vis-à-vis du thrips. Les analyses statistiques ont été réalisées avec RStudio (version 1.2.1335) à un seuil significatif <03B1> de 5 %(1).
Évaluation de l'effet répulsif et dissuasif des HE
Méthode : les préférences des thrips en boîte
L'effet répulsif des HE à l'égard des adultes de F. occidentalis a été évalué en utilisant la méthode de la zone préférentielle en boîte de Petri (McDonald et al., 1970). Des solutions d'HE à 1 % et 0,1 % (thym, origan ou gaulthérie) et de thymol ont été réalisées dans de l'éthanol 96 % (1 : 10 par volume) complété par l'ajout de Triton X-100 à 0,05 % (Fischer). Des disques de papier Whatman sont coupés en deux parties égales. Une partie du disque est pulvérisée par un dépôt uniforme de 400 µl des solutions à tester. L'autre partie du disque est traitée avec une solution contrôle (éthanol +Triton X-100 à 0,05 %). Une combinaison témoin/témoin est également effectuée. Après un temps d'évaporation de 15 minutes, les deux moitiés de disques sont disposées dans une boîte de Petri (diam. 9 cm). Dix thrips adultes (non sexés) sont placés au centre des disques à l'aide d'un pinceau fin. Les boîtes de Petri sont refermées par un tulle insectproof 150 µm. Le dénombrement visuel des individus sur chaque partie du disque est réalisé à 5, 30 et 60 minutes après la mise en place du test. Ce test est répété trente fois pour chaque solution préparée.
Screening des HE au laboratoire : thymol, thym et gaulthérie en tête
Les résultats de l'évaluation de l'effet répulsif des produits en boîte de Petri montrent une distribution plus importante des adultes F. occidentalis sur la partie témoin que sur la partie traitée et ce, quelle que soit la concentration et le produit testés (2, p moins que 0,05) (Figure 1). Les quatre produits appliqués à 1 % ont un effet hautement significatif sur la distribution des individus (2, p moins que 0,001). Seule, la modalité témoin-témoin ne montre pas d'effet dans la distribution spatiale.
La comparaison des pouvoirs répulsifs (PR) (Mc Donald,1970) ne montre aucun effet du temps d'exposition des individus aux produits. Cependant, des différences significatives entre les PR sont observées en fonction des produits et de leur concentration pour un temps d'exposition donné. Le thymol dosé à 1 % est le produit qui est significativement le plus répulsif avec un PR moyen de 81,7 %, permettant de le caractériser comme un produit très répulsif. Les PR des HE de gaulthérie (60,7 %) et de thym (61,5 %) dosées à 1 % sont eux associés à une classe considérée comme répulsive ; tandis que l'HE d'origan paraît être la moins efficace (PR = 53,1 %).
Importance de la composition et de la concentration en COV
Le thrips répond négativement à la présence des trois HE (les plus répulsives étant celles de thym et de gaulthérie) ainsi qu'au thymol aux deux concentrations. Un effet dose est observé. Davidson et al. (2008) ont démontré que la réponse de F. occidentalis était dose-dépendante dans des essais en olfactomètre en Y. Pour les HE de thym et d'origan, deux terpènes ressortent majoritairement, le thymol et le carvacrol, deux COV déjà répertoriés comme répulsifs (Koschier, 2008). L'HE de G. fragrantissima comprend plus de 99 % de salicylate de méthyle, dont l'effet répulsif a été démontré en olfactomètre de Petterson (Chermenskaya et al., 2001). Le pourvoir répulsif du thymol pur (PR 81,8 %) plus important que celui de l'HE de T. zygis peut s'expliquer par la composition du bouquet olfactif plus complexe de cette dernière : le cinéol et le géraniol répertoriés en tant que molécules attractives pour F. occidentalis (Koschier et al., 2000) entrent aussi dans la composition de cette HE, bien qu'à faible dose (0,07 % et 0,05 % respectivement). Ainsi, la bioactivité des HE sur les ravageurs dépend de la concentration ainsi que du ratio des COV présents. Certaines molécules, même à faible concentration, peuvent induire des effets (Nerio et al., 2009). Le thymol est intéressant à exploiter en tant que répulsif contre F. occidentalis étant donné sa pureté.
Effet des HE sur la préférence de ponte
Détermination par le test de choix en boîte de Petri
La méthode de Picard et al. (2012) est utilisée pour mesurer la préférence d'oviposition. Dans ce test, deux disques foliaires de verveine sont découpés (diam. 1,6 cm) : un disque est imbibé de 400 µl de solution diluée et l'autre disque est imbibé de la solution témoin, comme précédemment. Seules les deux HE les plus répulsives du premier test sont évaluées, soit l'HE de thym à thymol et l'HE de gaulthérie. Après 15 min de séchage, les disques sont déposés en boîte de Petri par paire (témoin/traité) sur un gel d'agarose à 1 %. Une femelle de thrips, âgée de trois jours, est déposée au centre de la boîte refermée par un tulle insectproof pendant 24 heures. La préférence d'oviposition est évaluée par le nombre d'oeufs pondus sur chaque feuille. Dix répétitions sont effectuées pour chaque solution.
Évaluation sur plantes en cage
Trois plantes de verveine disposant chacune de dix feuilles sont mises en place dans une cage insectproof. Deux HE sont testées (thym et gaulthérie) en parallèle d'une cage témoin non traité. L'HE est apportée par diffusion passive à raison de 1,5 ml de produit pur disposé dans un Eppendorf. Dix femelles, sexées sous loupe binoculaire, sont introduites dans chaque cage. Le nombre d'oeufs est comptabilisé cinq jours après l'inoculation du ravageur. Ce test est répété douze fois. À chaque modalité d'HE est associée une modalité témoin pour avoir les mêmes conditions climatiques.
Résultats : une diminution du nombre d'oeufs
Les tests de choix en boîte de Petri sur feuille de verveine montrent qu'une application d'HE à 1 % de G. fragrantissima et de T. zygis dissuadent F. occidentalis de déposer ses oeufs sur les feuilles traitées par ces produits (Figure 2 p. 34). Lorsque les feuilles sont traitées avec une concentration de 0,1 % d'HE, aucun effet significatif n'est observé démontrant un effet dose dépendant, comme précédemment. À l'échelle de la cage, l'application de l'HE de T. zygis diminue significativement le nombre de piqûres d'oviposition de 75 % en comparaison d'un témoin non traité et l'HE de G. fragrantissima de 74 % (Figure 3 p. 35). Aucune différence dans le nombre de piqûres d'oviposition n'a été décelée entre les deux HE.
L'importance de la concentration confirmée
L'effet dissuasif de ponte de l'HE de G. fragrantissima et de l'HE de T. zygis est confirmé à 1 % mais pas à 0,1 %. La propriété dissuasive de ponte du salicylate de méthyle appliqué à 1 % sur disques foliaires de concombre en test de non-choix a déjà été démontrée par Koschier et al (2007). Sedy et Koschier (2003) ont montré que le thymol réduisait l'oviposition du ravageur sur feuilles de haricot à 1 % mais pas à 0,1 %. La concentration des odeurs est donc importante dans la répulsion ou bien l'attraction de F. occidentalis (Koschier et al., 2000 et 2003).
Plutôt que d'utiliser l'HE en pulvérisation sur la feuille comme pour les tests en boîte, une diffusion passive de l'HE comme dans les tests en cage est possible, permettant ainsi d'éviter une éventuelle phytotoxicité sur le feuillage de la plante. En effet, l'application de thymol, de carvacrol et de salicylate de méthyle à 10 et 5 % sur des fleurs de pruniers peut occasionner des brûlures (Allsopp et al., 2014).
Effet répulsif sur plantes en serre
Évaluation de l'effet répulsif sur plantes en serre
Les tests en micro-parcelle sont réalisés dans trois serres indépendantes de 100 m². À chaque compartiment correspond une modalité : HE (modalité « répulsif »), nérol (modalité « attractif ») ou eau (modalité « témoin »). Dans chaque compartiment, deux réplicas sont mis en place à chaque répétition. Ce test est répété trois fois dans le temps en changeant les modalités de compartiment. Chaque réplica correspond à une table de culture (4,27 × 1,78 m). La source de COV est déposée en position centrale dans un tube Eppendorf ouvert contenant 1,5 ml de solution pure selon un mode de diffusion passive (Davidson et al., 2009 ; Teulon et al., 2007). De part et d'autre, à 60 cm de la source, deux rangées de quatorze plantes de verveine sont déposées symétriquement. L'infestation des thrips est réalisée de manière naturelle, avant l'introduction des plantes dans le système expérimental (pas de différence statistiquement significative de la présence de thrips à la mise en place). Sept panneaux englués jaunes (Bug Scan 15 × 20 cm, Biobest) sont positionnés au sein du dispositif : un panneau central au niveau de la source d'odeur (P7) à 60 cm des plantes et donc de l'inoculum, deux panneaux situés de part et d'autre à 40 cm de la source d'odeur (P3, P4), et quatre panneaux situés par paire aux deux extrémités des tables à 160 cm de cette dernière (P1, P2, P5, P6) (Figure 4, photo 2). Le nombre de thrips adultes piégés sur panneau englué est comptabilisé après sept jours.
Une diminution du nombre de thrips piégés dans les modalités HE
Au sein de la modalité témoin, la position des panneaux n'a aucun effet sur la répartition des thrips. La comparaison des modalités entre elles indique un nombre plus important de thrips piégés sur le panneau source dans la modalité attractive 'nérol' que sur le témoin ; et moins importante dans la modalité HE de thym (Figure 5). Pour le nérol, les différences ne sont pas statistiquement significatives sur les autres panneaux. Pour l'HE de thym, la diminution du nombre de piégeages est significativement différente sur les panneaux centraux (P3 et P4) mais pas pour les panneaux extérieurs (P1, P2, P5 et P6). La diffusion de l'HE de G. fragrantissima engendre une diminution du nombre de thrips comptabilisés, quelle que soit la position du panneau.
Par ailleurs, aucune différence significative n'est observée entre les différents panneaux d'une même modalité. Enfin, le nombre de thrips comptabilisés sur le panneau source (P7) est significativement moins important dans la modalité d'HE de T. zygis que celui de la modalité d'HE de G. fragrantissima.
Importance du mode diffusion des COV
Le potentiel des COV pour modifier l'environnement olfactif du thrips a été mis en évidence dans les expérimentations sous serre bien que l'interprétation des résultats de piégeage sur panneaux englués soit plus complexe. En effet, la plume d'odeur diffusée se compose de gradient dont la concentration est difficile à évaluer. Comme aucune différence de piégeage au sein d'une même modalité n'a été détectée, la plume d'odeur semble ici couvrir la micro-parcelle (7,6 m²). Ainsi, la diffusion du COV peut impacter la capture des thrips sur les panneaux voisins ne disposant pas de l'odeur en raison de l'accumulation de cette dernière au sein de la serre autour des pièges non leurrés (Teulon et al., 1993, 2007).
L'application d'HE de T. zygis au sein de la parcelle engendre une diminution de piégeage des adultes sur le panneau source et sur les panneaux centraux, soulignant l'efficacité de cette HE en tant que répulsif. Au sein de la même modalité, on aurait pu s'attendre à plus de thrips piégés sur les panneaux extérieurs qu'intérieurs. Cette hypothèse n'a pas été validée. Cette HE a hypothétiquement diffusé dans tout le volume de la serre.
L'HE de G. fragrantissima présente un effet répulsif, inférieur à l'effet de l'HE de thym. Cependant, les deux HE n'ont pas été testées sur la même échelle temporelle, avec des températures plus importantes et de l'ordre de 30 °C pour les essais avec l'HE gaulthérie. Cette température excessive a pu avoir un impact sur la diffusion de l'HE, mais aussi le comportement du ravageur. Bien que les HE possèdent des propriétés biologiques prometteuses dans la protection des cultures, leur volatilité et leur insolubilité dans l'eau affectent aussi leur application (Moretti et al., 2002). Certains COV peuvent s'évaporer plus rapidement que d'autres, leur faisant perdre leur efficacité, notamment lorsqu'ils sont exposés à la chaleur (Heuskin et al., 2011).
Le potentiel des HE est donc fortement dépendant de la manière dont elles sont appliquées. Les travaux de Picard et al. (2012) ont démontré que l'incorporation de certains polymères tels que la méthyle cellulose ou l'alginate, souvent utilisés dans les processus d'encapsulation, augmentait l'effet répulsif. Ajoutés aux solutions d'HE de Thymus serpyllum et de Satureja montana, ils induisent une meilleure efficacité répulsive vis-à-vis de F. occidentalis. D'après Nielsen et al. (2019), les COV contenus dans les HE doivent être disposés dans un système de diffusion modulant leur libération pour optimiser le temps de répulsion. Le taux de libération des molécules volatiles est donc essentiel pour que leur propriété biologique fonctionne à long terme dans une stratégie de lutte.
Perspectives : vers une stratégie « push-pull »
Cette étude souligne le potentiel du recours aux huiles essentielles comme composés sémiochimiques afin de modifier le comportement de l'adulte de F. occidentalis en interférant dans son paysage olfactif. Les différents tests ont permis d'identifier l'huile essentielle de thym à thymol comme un bon candidat en tant que stimulus répulsif, utilisée en pulvérisation à 1 % et en diffusion passive. À terme, ce produit pourrait devenir la composante répulsive d'une stratégie « stimulo-dissuasive », en repoussant le ravageur à l'extérieur de la culture d'intérêt. Combinée à l'utilisation d'une composante attractive positionnée sur panneau englué, comme le méthyl isonicotinate, elle pourrait renforcer l'efficacité du piégeage des adultes comme c'est le cas avec l'HE Origanum majorana sur Thrips tabaci en culture de poireau (Van Tol et al., 2007).
Les résultats de l'HE de gaulthérie, moins significatifs à l'échelle de la serre, montrent que le mécanisme de diffusion de l'odeur est un point sensible qui impacte fortement ce type de stratégie. Ainsi en 2020, dernière année du projet, les travaux se sont orientés sur la manière la plus appropriée d'utiliser une HE en menant une réflexion sur la distance et le mode de diffusion à préconiser. En diffusion passive, dans un tube au milieu de la culture, l'HE de thym est moins efficace que si on utilise un nébulisateur à froid, 30 min deux fois/jour. Une mesure de captation de l'odeur diffusée a été réalisée dans une serre à partir de fibre SPME (collaboration équipe PSH-Inrae Avignon). La diffusion de l'HE n'y est pas homogène dans l'espace évalué et l'effet obtenu est plus une dispersion des adultes de thrips, sans empêcher les dégâts du ravageur sur la plante. L'utilisation du produit doit encore être affinée pour apporter une stratégie clé en main et des essais complémentaires doivent être mis en oeuvre pour associer les deux composantes (méthyl isonicotinate et HE de thym) dans une stratégie push-pull.
(1) Pour plus de renseignements sur les analyses statistiques réalisées (2, Kruskall-Wallis, Nemenyi, Poisson, Tukey), contacter l'auteur ou la rédaction.
RÉSUMÉ
ÉTUDE - Les composés organiques volatils (COV) émis par les plantes sont des indices déterminants dans l'orientation du thrips Frankliniella occidentalis. Cette étude cherche à modifier l'environnement olfactif de l'adulte à l'aide de composés aromatiques contenus dans les huiles essentielles.
RÉSULTATS - Des essais conduits en laboratoire, en cage et en serre, ont permis d'évaluer les propriétés biologiques d'huile essentielle de Thymus zygis, Gaultheria fragrantissima et d'Origanum compactum à 1 et 0,1 %. Ils ont mis en évidence le pouvoir répulsif des huiles essentielles de T. zygis et G. fragrantissima (61,5 % et 60,7 % respectivement).
Leur application pure par diffusion passive dans des cages entraine une diminution de 75 % de l'activité de ponte. Enfin, sous serre, leur propriété répulsive provoque une diminution du piégeage des adultes sur le panneau source d'odeur : 81 % avec l'huile essentielle de T. zygis et 33 % avec l'huile essentielle de G. fragrantissima. Le thymol est le composé le plus prometteur pour son effet répulsif contre le ravageur.
MOTS-CLÉS - Thrips, Frankliniella occidentalis, huiles essentielles, thym, gaulthérie, sémiochimie, répulsif, composés organiques volatils.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : emilie.maugin@astredhor.fr
BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article (40 références) est disponible auprès de ses auteurs (contact ci-dessus).
REMERCIEMENTS
Les auteurs remercient Anne-Marie Cortesero, professeur à l'université de Rennes 1, UMR Inrae 1349- Institut de génétique, environnement et protection des plantes (IGEPP), pour ses conseils sur les protocoles des essais et les échanges lors des comités de pilotage du projet. Le programme Healthi est réalisé avec le concours financier provenant du CasDar (France AgriMer).