Parcelle d'essai de cerisier en hors-sol avec des groseilliers comme plantes-réservoirs. Photo : A. Ferre
Fig. 1 : Infestation en puceron Myzus cerasi sur cerisier selon la modalité (avec plante-réservoir groseillier ou non) (essai 2017)
Fig. 2 : Évolution de la pression en puceron sur cerisier (essai 2018) et hypothèses explicatives de chaque séquence (S) En haut : les plantes-réservoirs (PR) attirent plus les auxiliaires que la culture. Elles détournent les auxiliaires. En bas : les PR sont saturées en auxiliaires, elles n'en piègent plus et le surplus migre dans la culture (illustrations : Louise Lerault).
Astredhor Loire-Bretagne (station d'Angers) étudie différentes catégories de plantes de service, parmi lesquelles les plantes-réservoirs. Également appelées plantes-relais, elles doivent permettre d'augmenter les populations d'auxiliaires, en offrant une source de nourriture alternative. Elles ont rarement apporté satisfaction lors des essais menés par la station. Ces échecs illustrent la difficulté à comprendre et prévoir ce système.
Des essais de plantes-réservoirs peu concluants
La station Arexhor Pays de la Loire a testé de 2011 à 2018 plusieurs plantes-réservoirs (PR) en culture de concombre sous tunnel, en pépinière, en culture de cerisier hors-sol en extérieur (photo) et en culture de poinsettia (tableau page suivante, Figure 1 p. 19 et Figure 2 p. 20). Sur neuf essais, les plantes-réservoirs ont soit aggravé la situation (45 % des cas) pendant la durée de culture (deux fois), ou en début de culture (deux fois) suivi d'une absence d'effet ou d'une amélioration de la situation, soit elles n'ont eu aucun effet (55 % des cas).
Ce taux d'échec indique bien une défaillance de la méthode, surtout en comparaison avec les taux d'échec à la station pour les autres types de plantes de service (1/7 pour les essais plantes-pièges, 1/5 pour les plantes fleuries).
Les causes possibles des échecs
Une plante plus attractive que la culture
Le système utilisant des plantes-réservoirs, complexe, fait intervenir des ravageurs polyphages et des ravageurs spécifiques, des auxiliaires généralistes et des auxiliaires spécialisés, ainsi que les ennemis naturels des auxiliaires (en particulier les parasitoïdes secondaires). La conception et l'interprétation de tels dispositifs sont difficiles et aisément touchées par les biais cognitifs (voir encadré page suivante). Il est probable que le biais d'a priori soit fortement à l'oeuvre dans les travaux sur les plantes-réservoirs.
Le fonctionnement intuitif et communément admis du système plantes-réservoirs est le suivant :
- la PR attire des ravageurs spécifiques ;
- des auxiliaires polyphages et spontanés s'installent sur la PR et s'y reproduisent ;
- lorsque les ravageurs arrivent sur la culture, les auxiliaires migrent de la PR vers la culture ;
- ces auxiliaires se reproduisent dans la culture et y contrôlent les ravageurs ;
- lorsque les proies sont insuffisantes dans la culture, les auxiliaires retournent sur la PR.
Selon ce modèle, une PR efficace est une plante qui attire et maintient un maximum d'auxiliaires. Ce critère d'abondance en auxiliaires conditionne souvent le choix des espèces utilisées comme PR.
Cependant, cette conception du système est incomplète. En effet, ce scénario suppose que les auxiliaires ont pour objectif de contrôler les ravageurs de la culture et rester sur la parcelle. Ce n'est pas le cas, ils cherchent simplement à se nourrir et se reproduire, et vont là où leur nourriture préférentielle les attire. Si elle se situe sur la PR, ils délaisseront la culture, même en présence d'une autre source alimentaire (en l'occurrence, le ravageur de la culture). Les auxiliaires ne quitteront la PR qu'une fois les réserves de nourriture épuisées ou si le nombre d'auxiliaires sur la PR devient trop important. Ainsi, choisir une plante hyper-attractive pour les auxiliaires n'est pas un gage de succès. Cette PR a de fortes chances d'être plus attractive que la culture et d'en détourner les auxiliaires au profit des bioagresseurs. Une erreur de jugement (liée à notre a priori sur le fonctionnement des PR) serait alors de considérer que l'absence de résultat de la PR serait due à une insuffisance d'auxiliaires dans la parcelle. Les actions correctives courantes consistent ainsi à augmenter le nombre de PR ou installer une espèce encore plus attractive, aggravant le problème au lieu de le résoudre. Dans cette situation, deux postures sont possibles : la remise en cause de l'hypothèse de fonctionnement des PR ; ou la recherche d'un événement extérieur expliquant les résultats négatifs (des conditions climatiques exceptionnelles, par exemple), cet argument étant par ailleurs rarement invoqué pour expliquer des résultats positifs (encadré)...
Une plante attirant des auxiliaires trop spécifiques
Des ravageurs fortement spécifiques sur une PR attireront plutôt des auxiliaires spécifiques. C'est particulièrement le cas pour les parasitoïdes. Ainsi, des graminées sont souvent installées comme plantes-relais en vue de maintenir les parasitoïdes du puceron. Sur ces graminées, plusieurs espèces de pucerons spécifiques existent, dont Rhopalosiphum padi, parasité par les micro-guêpes Aphidius colemani et Aphidius matricariae, mais surtout Aphidius rhopalosiphi qui parasite les Rhopalosiphum et Sitobion. Si cette dernière est présente sur les PR et qu'une autre espèce parasitoïde (par exemple A. colemani) est présente dans la culture, les PR et la culture fonctionnent alors en vases clos : il est possible d'observer de nombreuses momies sur la céréale implantée (parasitisme de R. padi par A. rhopalosiphi) et aucune augmentation du nombre de momies dans la culture, A. rhopalosiphi ne parasitant pas l'espèce de puceron y sévissant. Il est donc primordial de faire identifier les parasitoïdes présents dans la culture et sur les PR pour interpréter correctement les résultats. L'utilisation du groseillier comme PR offre un autre exemple. Avant de savoir identifier les parasitoïdes de pucerons, la station Arexhor PL a utilisé cette plante pendant trois ans pour maintenir les parasitoïdes, coccinelles et cécidomyies en pépinière hors-sol. Le système a semblé fonctionner pour les cécidomyies mais a toujours été un échec pour les parasitoïdes : le puceron présent sur groseillier, Cryptomyzus ribis, n'est parasité que par Aphidius ribis qui lui-même ne parasite aucun autre puceron. Il est très abondant sur groseillier mais il ne migrera jamais dans la culture.
Une plante attirant les ennemis naturels des auxiliaires
Le système de PR, en favorisant des populations d'auxiliaires continues et importantes, peut attirer leurs ennemis naturels dans la parcelle. Ce phénomène a été observé à la station lors de l'emploi des tanaisies comme plantes-réservoirs. 100 % des momies récoltées sur tanaisie pour identification avaient été parasitées par un parasitoïde secondaire (majoritairement Phaenoglyphis sp.). En même temps et au même endroit, des asclépias testés comme PR présentaient un taux d'hyperparasitisme de 60 %. L'espèce majoritaire était également différente, il s'agissait de Pachyneuron sp.
Clés pour des plantes-réservoirs fonctionnelles
Les quelques exemples présentés illustrent combien le système de PR est complexe à concevoir et à gérer. Par ailleurs, l'hypothèse intuitive de fonctionnement citée en début d'article nécessite d'être révisée.
En premier lieu, il est nécessaire de prendre en compte l'attractivité relative PR-culture pour les auxiliaires généralistes ciblés. Pour qu'ils migrent spontanément de la PR vers la culture, le ravageur dans cette dernière doit être plus appétant que le ravageur spécifique installé sur la PR. Il faut donc sélectionner des espèces de PR accueillant une importante population d'un ravageur spécifique proche de celui de la culture mais attirant peu d'auxiliaires, contrairement à la pratique actuelle consistant à choisir les plantes qui accueillent un ravageur spécifique et beaucoup d'auxiliaires.
Une conséquence est que l'objectif initial d'augmenter fortement le réservoir d'auxiliaires par leur reproduction sur la PR avant l'arrivée du ravageur de la culture sera difficilement atteignable.
Par ailleurs, les parasitoïdes de pucerons spécifiques sont souvent eux-mêmes spécifiques (exemple : Aphidius rosae sur Macrosiphum rosae sur rosier, Aphidius salicis sur Cavariella spp. sur Apiaceae, Aphidius ribis sur Cryptomyzus ribis sur groseillier, etc.).
Ainsi, utiliser un système de PR pour parasitoïdes implique de bien analyser les relations trophiques entre les ravageurs et les parasitoïdes, l'étude concluant souvent à un usage inadapté. Des plantes-réservoirs pour les prédateurs, en général plus polyphages, seront préférées.
Enfin, les auxiliaires prédateurs ciblés (coccinelles, cécidomyies, syrphes, etc.) sont souvent des auxiliaires spécifiques de foyer qui ne se reproduisent que sur des concentrations de ravageurs. Ainsi, même si de nombreux auxiliaires colonisent les PR, ils ne se développeront dans la culture que lorsque le stade « foyer » sera atteint ; leur action interviendra trop tard dans le cas de ravageurs causant des dégâts en tout début d'infestation. Dans cette situation, il faudra compter sur les auxiliaires généralistes (punaises mirides, araignées, forficules, etc.). Les PR peuvent alors permettre une meilleure couverture du champ par les auxiliaires pour que tous les foyers naissants soient colonisés rapidement, limitant au mieux le pic d'infestation.
Une meilleure compréhension de la méthode
Une définition et un fonctionnement précisés
Au vu des éléments présentés, il est possible de préciser la définition d'une plante-réservoir : une espèce végétale qui héberge un ravageur spécifique qui est moins attrayant pour les auxiliaires que le ravageur ciblé de la culture. La PR permet essentiellement une meilleure prospection des auxiliaires au sein de la parcelle, sans forcément favoriser leur nombre par leur reproduction. Les effets sur l'agroécosystème seraient une réduction de l'intensité des pics de pullulation.
Quant au fonctionnement intuitif proposé plus haut, il pourrait être révisé ainsi :
- les PR attirent un ravageur spécifique moins appétant pour les auxiliaires que le ravageur de la culture ;
- en l'absence de proie dans la culture, les auxiliaires polyphages sont attirés par les PR permettant une présence plus soutenue dans la parcelle ; la reproduction sur la PR est faible, voire absente ;
- lorsque le ravageur de la culture arrive, les auxiliaires, qui le préfèrent, vont aller dans la culture pour le consommer entraînant une réduction de l'intensité de l'attaque.
Dans le cas où la PR est plus attractive que la culture, alors le fonctionnement est le suivant :
1. la PR attire un ravageur spécifique plus appétant pour les auxiliaires que le ravageur de la culture ;
2. les auxiliaires, même en présence de proies dans la culture, s'installent préférentiellement sur la PR ;
3. la culture héberge alors moins d'auxiliaires, la pression de prédation et de parasitisme diminue et le ravageur de la culture se développe plus vite (effet négatif) ;
4. après un certain temps, l'abondance d'auxiliaires sur la PR provoque leur départ, leur prospection dans la culture, l'augmentation de la pression en prédation et l'éradication des foyers plus rapidement que dans une parcelle sans PR.
Ce mécanisme peut se répéter plusieurs fois avec l'arrivée successive de différents types d'auxiliaires. Ainsi, les effets négatifs et positifs des étapes 3 et 4 peuvent s'ajouter ou s'annuler.
Concordance des hypothèses avec les résultats d'essais
Le fonctionnement proposé ci-dessus concorde avec les effets observés dans les essais cerisier. En 2017 (Figure 1), la modalité PR (groseillier) était significativement plus atteinte en début de saison (au moment de l'arrivée des coccinelles) : l'explication serait que le ravageur présent sur la PR, davantage appétent, détournerait les auxiliaires de la culture. Puis il semble que l'éradication ait été plus rapide : elle serait due au renvoi des auxiliaires dans la culture par effet de saturation des PR. En 2018 (Figure 2), la succession d'effets significativement négatifs et positifs corrélée avec l'évolution des populations d'auxiliaires observée sur les PR et les cerisiers peut s'expliquer par le même phénomène, avec une action d'abord sur les syrphes puis sur les coccinelles.
Pour les essais où aucun effet n'a été observé par manque de migration des auxiliaires, le résultat peut s'expliquer par une appétence très faible pour le ravageur de la culture. Il y a donc peu d'auxilaires dans la culture, y compris dans la modalité témoin. Dans les deux modalités, les ravageurs se développent donc vite. L'absence d'une meilleure régulation peut aussi s'expliquer par une faible durée d'essai ou par un arrêt précoce des notations.
Concernant l'essai en pépinière hors-sol où un fort effet négatif a été observé en début de culture, l'hypothèse émise à l'époque était que la présence d'un puceron polyphage sur tanaisie avait favorisé sa présence dans la culture. En reprenant les données, il semble, sans pouvoir en être sûr, que la tanaisie ait aussi joué le rôle de piège à auxiliaires en début de saison.
Ainsi, le système de plante-réservoir est délicat à appréhender. Il est primordial de prendre en compte les biais cognitifs dans la conception et la compréhension des systèmes pour éviter les contre-sens et effets négatifs. De nouveaux travaux de terrains devront être menés pour tester l'hypothèse explicative et quantifier la performance d'un système basé sur le nouveau paradigme de PR proposé dans cet article.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Les plantes-réservoirs (PR) sont des plantes accueillant un ravageur spécifique qui attire et maintient des auxiliaires généralistes qui peuvent alors s'attaquer au ravageur de la culture.
Elles constituent une catégorie de plantes de service, servant de relais pour les auxiliaires. Elles offrent toutefois des résultats souvent imprévus et les échecs sont nombreux.
ÉTUDE - Sur la base de ses différentes expérimentations, la station Arexhor-Pays de la Loire explique les contraintes de cette méthode et propose quelques règles pour en minimiser les risques.
REVERS - Une plante hyper-attractive pour les auxiliaires risque de détourner ceux de la culture, diminuant le taux de prédation/parasitisme au profit des bioagresseurs : le dispositif entre en concurrence avec le service attendu dans la parcelle. Par ailleurs, si la PR attire des auxiliaires trop spécifiques, ces derniers ne se déploieront pas dans la culture. Enfin, les PR peuvent attirer les ennemis naturels des auxiliaires.
RÉSULTATS - Pour éviter les revers des plantes-réservoirs, il est préférable de sélectionner celles accueillant les auxiliaires polyphages pour lesquels le ravageur spécifique de la PR est peu attrayant. Un tel système PR ne permettra pas d'augmenter préventivement les populations d'auxiliaires dans la parcelle, mais pourra favoriser leur prospection et donc une action plus précoce.
MOTS-CLÉS - Plantes-réservoirs, plantes-relais, auxiliaires, biais cognitifs.
Les biais cognitifs
Les biais cognitifs sont des erreurs innées de raisonnement pendant le traitement d'une information ou pendant la construction d'un enchaînement logique. Ces biais sont redoutables pour un expérimentateur ou un chercheur, car ils induisent des manques dans les protocoles ou des erreurs d'interprétation. La méthode scientifique (faire varier un seul facteur à la fois, toutes les modalités dans les mêmes conditions, répétition des essais, etc.) permet, pour une part, de contrer ces biais. Néanmoins, lorsque l'étude s'effectue en milieu ouvert avec des leviers qui interagissent avec l'environnement des parcelles, les chaînes de causalité entre l'action (modalité) et le résultat peuvent être complexes et parfois contre-intuitives. La méthode scientifique classique peut alors ne pas suffire. Il est important de connaître les biais cognitifs qui peuvent influencer un protocole ou une analyse. La méthode scientifique hypothético-déductive permet d'instaurer des garde-fous.
Les biais les plus courants et les plus dévastateurs pour un expérimentateur sont : le biais de confusion (considérer un résultat comme la cause d'une action alors qu'il n'y a pas de lien entre les deux ou qu'ils sont tous les deux l'effet d'une même cause non identifiée), l'illusion de corrélation (confondre une corrélation et une causalité), le biais de confirmation (prendre en compte les éléments qui confortent notre hypothèse, nos a priori, et rejeter les autres), le biais de représentativité (prendre un événement isolé pour une généralité), le biais de contrôle (penser que ce sont nos actions qui expliquent le résultat), le biais d'autocomplaisance (être à l'origine des réussites et rejeter les échecs sur des événements extérieurs) et l'illusion de savoir (se fier à des croyances erronées, exemple : la biodiversité est forcément bénéfique).
Globalement, tous ces biais pourraient être regroupés dans un biais d'a priori qui consisterait à choisir des modalités et des objets de notation qui ne peuvent que valider l'a priori, et à n'interpréter les résultats que dans le sens de l'a priori en attribuant les réussites à la modalité testée et en invoquant des causes extérieures pour expliquer les échecs.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : Alain.ferre@astredhor.fr