Les échos du terrain

Ne pas oublier le feu bactérien

PAR JULIE PRADAL-MEIZEL, LUCIE BONNARDOT ET ÉRIC ALLARD, chambre d'agriculture des Hautes-Alpes - Phytoma - n°749 - décembre 2021 - page 10

Les arboriculteurs sont désemparés : alors que la bactérie Xylella fastidiosa est sous le feu des projecteurs, une autre bactérie arrivée en France il y a 50 ans et tout aussi insidieuse, Erwinia amylovora, continue de contaminer les vergers français.
1. Mortalité du PG M9 sur pommier. 2. Feu bactérien sur poirier.  Photos : J. Pradal - CA05

1. Mortalité du PG M9 sur pommier. 2. Feu bactérien sur poirier. Photos : J. Pradal - CA05

Erwinia amylovora pénètre dans les arbres par les fleurs, les jeunes pousses et les plaies, et provoque la nécrose des fruits, des branches et du tronc. Sa dissémination s'effectue par le vent, la pluie, les oiseaux, les abeilles et autres insectes pollinisateurs à partir des plantes-hôtes (aubépines, pyracanthas, cognassiers, cotoneasters entre autres) à proximité de vergers. Ce qui n'empêche pas des zones contaminées de côtoyer des zones saines : les connaissances manquent pour expliquer certains phénomènes. Largement disséminée en Europe, la bactérie est devenue depuis fin 2019 un « organisme réglementaire non de quarantaine » (ORNQ).

Une année 2021 atypique

Des six dernières années, 2021 a connu les plus faibles attaques de feu bactérien. En effet, le gel du printemps a empêché la contamination primaire au moment de la floraison. Seuls l'Espagne et le Portugal ont eu des conditions printanières douces propices à l'explosion de la maladie. Toute l'Europe subit la pression du pathogène. Dans les deux départements alpins Alpes-de-Haute-Provence et Hautes-Alpes, en 2018, près de 20 hectares de verger ont été arrachés et près de 120 ha de vergers étaient assainis.

« À supposer que le prochain printemps 2022 soit chaud et humide sur la floraison, les dégâts risquent d'être sévères dans les vergers français », avertit Éric Allard, conseiller en arboriculture de la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes.

Aucun moyen de lutte vraiment efficace

Lorsque les dégâts dépassent un certain seuil, le producteur n'a pas d'autre choix que d'arracher sa plantation. Le feu bactérien donne droit à une indemnisation dans le cadre du Fond national agricole de mutualisation sanitaire et environnemental (FMSE), mais celle-ci n'est pas à la hauteur des pertes occasionnées et son versement tardif (2-3 ans après l'arrachage et l'assainissement) ne permet pas d'éviter les difficultés financières de l'exploitation. Ces conditions n'incitent pas à déclarer la présence des symptômes quand ils se manifestent. Or, sans signalements, non seulement la maladie se dissémine faute de mesures, mais aussi il est difficile d'argumenter auprès de l'administration pour l'obtention d'une dérogation, à défaut d'homologation, pour des produits de traitement préventif autorisés hors frontières. Ainsi, une solution est autorisée en Suisse, Allemagne, Autriche et Canada contre le feu bactérien : il s'agit du produit, utilisable en AB, Blossom Protect à base du champignon Aureobasidium pullulans associé au Buffer Protect à base d'acide citrique(1) ; mais en France, ce dernier (Buffer Protect) n'est pas homologué. Une dérogation 120 jours a été obtenue chaque année. En revanche, en 2019, elle n'avait pas été délivrée dans les temps, c'est-à-dire en mars (après la floraison).

Après contamination, seul l'assainissement est possible : les parties infectées sont coupées entre 10 cm et 1 mètre au-delà du dernier signe visible de la maladie, elles sont brûlées et les outils sont désinfectés.

Il n'existe pas de produits curatifs pour lutter contre la bactérie (les antibiotiques autorisés en Amérique du Nord sont interdits en Europe), présente sur le territoire depuis 1972. En 2018, un dossier CasDar « Cessez le feu » porté par la chambre régionale d'agriculture Paca avec le soutien d'Inrae et de l'Association nationale pommes poires (ANPP) aurait pu mobiliser la recherche sur le sujet, mais il n'a pas été retenu.

Des « nouvelles » variétés sensibles cultivées

La tavelure, l'oïdium et les pucerons étant des bioagresseurs nécessitant de nombreux traitements, la recherche s'est focalisée sur la sélection de variétés résistantes/tolérantes à ces bioagresseurs, afin de favoriser une baisse des intrants. Il s'avère que certaines variétés sélectionnées comme 'Story Inored' sont très sensibles au feu bactérien. D'autres variétés de pommes comme 'Pink Lady', 'Gala', 'Daliclass', 'Reine des Reinettes'... sont également extrêmement sensibles au feu bactérien, tout comme le porte-greffe M9 et ses clones. Il en va de même pour des variétés de poires, avec 'Passe-Crassane', 'Martin Sec' et 'Conférence', 'Rocha', 'Alexandrine', qui sont particulièrement sensibles à la bactérie.

« Les dégâts provoqués par la maladie méritent une mobilisation de tous les acteurs pour expérimenter et évaluer de nouvelles solutions, en lien avec des scientifiques français et étrangers, en particulier pour développer de nouvelles variétés et porte-greffes résistants ou tolérantes au feu bactérien. Des essais de terrain démonstratifs sont nécessaires afin d'acquérir quelques données techniques sur la propagation de la maladie », précise Éric Allard.

(1) L'acide citrique permet d'abaisser le pH autour de la fleur aux alentours de 4, ce qui a pour effet d'empêcher le développement d'Erwinia amylovora. Le champignon agit comme antagoniste naturel de la bactérie.

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