DOSSIER - Vertébrés nuisibles Nouvelles approches

Dégâts d'oiseaux à la levée : vers un changement de méthode ?

CHRISTOPHE SAUSSE(1), CORENTIN BARBU(2), MICHEL BERTRAND(2) ET JEAN-BAPTISTE THIBORD(3) (1) Terres Inovia - Thiverval Grignon. (2) UMR Agronomie Inrae, AgroParisTech, Université Paris-Saclay. (3)Arvalis Institut du Végétal - Montardon - Phytoma - n°754 - mai 2022 - page 35

Malgré les enjeux importants en cultures de tournesol et de maïs, la prévention des dégâts de corvidés et colombidés sur les parcelles demeure aléatoire. De nouvelles pistes sont à l'étude à l'échelle des territoires.
Au contraire des dégâts sur tiges (photo 1), les dégâts sur cotylédons (photo 2) ne sont pas fatals.

Au contraire des dégâts sur tiges (photo 1), les dégâts sur cotylédons (photo 2) ne sont pas fatals.

 Photos : 1. M. Bertrand - Inrae 2. Terres Inovia

Photos : 1. M. Bertrand - Inrae 2. Terres Inovia

Fig. 1 : Enquêtes "dégâts d'oiseaux sur tournesol" Gers et Deux-Sèvres 2018 à 2020       Nombre de parcelles : 206. Sont comptés comme détruits les plants levés dont la tige est sectionnée.

Fig. 1 : Enquêtes "dégâts d'oiseaux sur tournesol" Gers et Deux-Sèvres 2018 à 2020 Nombre de parcelles : 206. Sont comptés comme détruits les plants levés dont la tige est sectionnée.

Fig. 2 : Pourcentages de plants attaqués et peuplements viables obtenus avec deux produits commerciaux à allégation répulsive en plein à la levée sur 31 parcelles en 2016 dans deux bassins en Occitanie et Poitou-Charentes (bandes de 1 000 m² non répétées)       Lettre : test post-hoc sur modèle incluant parcelles et régions en effets aléatoires.

Fig. 2 : Pourcentages de plants attaqués et peuplements viables obtenus avec deux produits commerciaux à allégation répulsive en plein à la levée sur 31 parcelles en 2016 dans deux bassins en Occitanie et Poitou-Charentes (bandes de 1 000 m² non répétées) Lettre : test post-hoc sur modèle incluant parcelles et régions en effets aléatoires.

Fig. 3 : Protection du maïs vis-à-vis des corvidés avec un produit à base de zirame appliqué au cours de la période de sensibilité aux attaques      L'intérêt de la protection dépend du niveau des attaques. Synthèse de onze essais réalisés par Arvalis (2011-2016).

Fig. 3 : Protection du maïs vis-à-vis des corvidés avec un produit à base de zirame appliqué au cours de la période de sensibilité aux attaques L'intérêt de la protection dépend du niveau des attaques. Synthèse de onze essais réalisés par Arvalis (2011-2016).

Fig. 4 : Les affres de la prévention des dégâts d'oiseaux à la parcelle

Fig. 4 : Les affres de la prévention des dégâts d'oiseaux à la parcelle

3. Pigeon ramier sur culture de tournesol. 4. Des pertes en pieds importantes.

3. Pigeon ramier sur culture de tournesol. 4. Des pertes en pieds importantes.

 Photos : Terres Inovia

Photos : Terres Inovia

Les producteurs de maïs et de tournesol sont nombreux à rapporter des dégâts en début de cycle de la culture. Ces derniers sont occasionnés par les colombidés, pigeon ramier et pigeon biset féral, peu après la levée du tournesol tandis que les corvidés, corneilles noires, corbeaux freux et choucas des tours peuvent s'attaquer aux cultures de maïs dès le semis et jusqu'au stade 6-8 feuilles. Cet article fait le point sur les enjeux, l'insuffisance des méthodes de prévention actuelles et les stratégies à l'étude.

Des enjeux importants

Quelques chiffres

La quantification des dégâts est importante pour estimer les moyens qui seront nécessaires à la prévention, y compris les investissements de long terme pour la recherche et le développement. Cette tâche est ardue et nécessite des moyens qui ne peuvent être obtenus qu'après avoir donné les preuves, bien entendu chiffrées, que l'enjeu le justifie ! Les enquêtes déclaratives sont utiles pour attester des attaques et les caractériser, mais elles ne permettent pas d'établir des fréquences d'attaques ni des niveaux de pertes au niveau territorial. Les oiseaux ne sont actuellement pas pris en compte dans les dispositifs d'épidémiosurveillance. Des enquêtes en parcelles de tournesol réalisées entre 2018 et 2020 ont toutefois permis d'établir une distribution des dégâts (Sausse et al., 2021). 9,7 % des parcelles connaissent un taux de plants levés détruits supérieur à 20 % avec possibilité de pertes de rendement sévères (Figure 1). Ce chiffre est cohérent avec le taux de 7,5 % de parcelles resemées au niveau national en 2015 (source : UFS - Union française des semenciers).

Concernant le maïs, 7,5 % des surfaces de maïs sont potentiellement exposées à un risque d'attaques par les oiseaux (Expertise collective d'Arvalis, Thibord et al., 2017). En tenant compte de l'incidence des attaques sur le rendement de la culture et de la fréquence interannuelle des attaques, les corvidés se placent en moyenne au troisième rang des ravageurs les plus nuisibles au niveau national. Les disparités sont cependant fortes au niveau du territoire. Dans beaucoup de régions où les corvidés sont abondants et les surfaces de maïs plus limitées, les dégâts d'oiseaux sont la première préoccupation des maïsiculteurs.

Une caractéristique remarquable des dégâts d'oiseaux est leur distribution à queue lourde (Figure 1) : les parcelles attaquées le sont lourdement, sans qu'il soit possible de prédire leur localisation. Comme aucune méthode ne permet à ce jour de prévenir les dégâts efficacement, les producteurs connaissent une situation particulièrement stressante au moment des semis. Certains n'hésitent pas à abandonner les cultures qu'ils jugent à risque comme l'ont montré des enquêtes en Beauce Gâtinais (Abid, 2019). Les oiseaux sont de fait un déterminant de la diversité des cultures et en particulier de la possibilité de cultiver des têtes de rotation. Ils ont par conséquent un impact indirect, mais difficile à évaluer, sur la gestion des systèmes de cultures, y compris les pratiques de traitement, ce qui peut entraîner des conséquences sur leurs performances environnementales.

Une tendance préoccupante

Concernant le tournesol, les dégâts à la levée ont pris de l'importance lors des deux dernières décennies, alors que le XXe siècle était surtout marqué par des dégâts à maturité. Plusieurs hypothèses peuvent être émises :

- la suppression de certaines substances actives insecticides et antilimaces (dont des carbamates connus pour leur effet répulsif sur les oiseaux) ;

- l'augmentation des populations de pigeons ramiers attestée au niveau européen ;

- des changements globaux affectants les paysages et le climat.

Aucune étude n'a été pour le moment menée pour trier parmi ces facteurs. Il est peu probable que le problème se résolve de lui-même, alors que peu de recherches sont menées sur ce sujet.

L'augmentation des dégâts de corvidés sur maïs est également bien visible depuis vingt ans, période au cours de laquelle la disponibilité des solutions corvifuges appliquées en protection des semences a fortement diminué. L'évolution des dégâts n'est cependant pas régulière : elle varie fortement d'une région à l'autre et dépend des conditions climatiques autour de la période des semis.

Panorama des méthodes de prévention

Des évaluations qui impliquent des dispositifs en grand

À l'exclusion des méthodes de destruction des « espèces susceptibles d'occasionner des dégâts » encadrées par la réglementation (voir p. 16), les méthodes de prévention sont principalement de deux types : l'effarouchement des oiseaux et l'utilisation de produits répulsifs.

Le développement et l'évaluation de ces méthodes sont rendus difficiles par les processus biologiques à l'oeuvre. Il s'agit de tirer parti d'effets à distance sur des espèces extrêmement mobiles et capables de s'adapter. L'effet d'une méthode dépendra des alternatives offertes aux oiseaux, c'est-à-dire du contexte paysager, et du temps qu'ils mettront pour déjouer le stratagème. Pour ces raisons, les tests en réseaux de parcelles entières, ou en larges bandes, sont complémentaires, voire plus adaptés que les essais randomisés en micro-parcelles en fonction du mode d'action évalué. Le problème est d'autant plus ardu que les propositions d'innovation sont nombreuses, empiriques, davantage basées sur des raisonnements analogiques « anthropocentrés » que sur des connaissances validées scientifiquement. Les agriculteurs eux-mêmes testent souvent des solutions venant d'une intuition ou d'une observation ponctuelle. Le filtrage préalable par la bibliographie puis la volière expérimentale avant les tests au champ reste rare et ne constitue pas non plus une garantie de réussite. Ce type d'approche progressive peut montrer une diminution et une variation des effets quand on passe de la volière à l'essai en bandes puis à la parcelle entière.

L'exemple des répulsifs

Par exemple, le test de deux répulsifs appliqués en plein réalisé sur un réseau de 31 parcelles de tournesol exposées à des attaques de pigeons en 2016 a montré un effet répulsif pour l'un d'eux (Figure 2), mais de faible amplitude, variable et sans conséquence sur le peuplement final.

Quelques tests ont été réalisés pour la protection du maïs vis-à-vis des corvidés avec des produits appliqués en plein au cours de la période de sensibilité aux attaques, mais aucune solution évaluée ne s'est avérée satisfaisante à ce jour. En traitement de semences, le seul produit autorisé sur maïs (produit commercial : Korit 420 FS à base de zirame) présente une efficacité partielle mais insuffisante en cas de forte pression (Figure 3).

Leviers agronomiques : peu de résultats probants pour le moment

L'utilisation de couverts pour camoufler les levées peut avoir une certaine efficacité. Toutefois, les tests réalisés depuis 2016 sur tournesol avec de l'orge ou de la féverole semés en mars montrent que la destruction du couvert doit être réalisée au plus tard au semis du tournesol pour éviter une concurrence préjudiciable à la culture. Cette stratégie - également évaluée sur maïs contre les dégâts de corvidés - présente à ce jour des bénéfices techniques trop faibles au regard des risques qu'elle peut engendrer à cause de la concurrence du couvert sur la culture. D'autres techniques mises en oeuvre sur tournesol comme les engrais starter, l'effacement des lignes de semis et un semis plus profond, n'ont pas montré la preuve de leur efficacité ou bien peuvent avoir des effets contre-productifs. Respecter les fondamentaux d'un semis réussi (sol suffisamment réchauffé, lit de semence, réglage et conduite du semis, gestion des limaces...) reste bien entendu obligatoire pour minimiser l'impact des dégâts d'oiseaux.

Concernant la culture du maïs, un semis plus profond et un rappuyage correct de la ligne de semis permettront de ralentir les déprédations et donc de limiter les dégâts. Cependant, modifier les conditions de semis peut entraîner des conséquences agronomiques néfastes sur la culture dans certains types de sol ou dans certaines conditions climatiques. L'ajustement des conditions de semis ne peut donc pas être généralisé partout et chaque année.

Vers de nouvelles approches

Les approches centrées sur la parcelle se heurtent aux problèmes du déplacement des oiseaux et de leur adaptation (Figure 4). Les discussions entre chercheurs et acteurs de terrain convergent sur la nécessité de combiner des solutions à effets partiels en raisonnant au niveau du paysage (Sausse et al., 2021, pour une synthèse internationale sur les dégâts d'oiseaux à la levée).

Dans le cadre d'une stratégie push-pull, on pourra ainsi rechercher la petite différence qui fera basculer les oiseaux d'une culture protégée (répulsif, effaroucheur) vers des alternatives (bande d'agrainage, voire parcelle sacrifiée). Au niveau tactique, l'efficacité des répulsifs et effarouchement peut être améliorée par une aversion conditionnée grâce à laquelle les oiseaux associent différents signaux, visuels, sonores et olfactifs, à un danger. Mais cela suppose la conception d'aires d'apprentissage préalables au semis.

À l'échelle du territoire, il est envisageable de provoquer une dilution des dégâts en concentrant les cultures dans le temps, par une synchronisation des semis, et dans l'espace, en augmentant localement les surfaces, pour faire en sorte que la capacité de consommation quotidienne des oiseaux soit largement dépassée par ce qui est offert sur les parcelles. Cela ne garantit pas la sécurité de toutes les parcelles mais pourrait diminuer l'impact sur l'ensemble du territoire. Une gestion des habitats et des aménagements favorables aux rapaces capables de chasser les espèces cibles, ou du moins de les inquiéter, est aussi possible.

Enfin, la question d'une gestion adaptative des populations(1) peut légitimement se poser pour les espèces en forte expansion, mais cela ne peut se concevoir qu'à très large échelle sur le temps long, avec une implication collective dont celle des pouvoirs publics.

Ces stratégies passent par de meilleures connaissances en écologie et éthologie. Un point important est de savoir comment les oiseaux sélectionnent les ressources alimentaires au niveau du paysage et au sein des parcelles. Dans le domaine de l'écologie spatiale, l'originalité du cas agricole tient à son caractère dynamique. La ressource cultivée évolue au cours de la campagne culturale, ainsi que les demandes des oiseaux selon leur phénologie et l'offre de nourriture des espaces non cultivés. Cela ouvre la possibilité de jouer sur le calendrier des opérations de prévention et de semis.

Un autre axe d'innovation est l'utilisation de technologies numériques. La mutualisation des retours d'expérience dans une large gamme de situations peut être facilitée par des outils de collecte de données participative. L'intelligence artificielle offre la possibilité de déjouer certains comportements des oiseaux (encadré ci-dessous). Les technologies sont aujourd'hui matures pour envisager le couplage de ces algorithmes avec des drones volants ou terrestres. Comme pour les stratégies territoriales, ces possibilités doivent tirer parti de connaissances amont sur le comportement des oiseaux.

Une mutualisation nécessaire

Les dégâts d'oiseaux sont un sujet idéal pour appliquer les concepts de l'agroécologie. Si l'absence de fonds scientifique est pour le moment pénalisant, un changement d'ambiance est perceptible. Par exemple, l'importance du sujet et son caractère polémique ont amené les pouvoirs publics à commander à une équipe d'écologues une étude sur le cas choucas en Bretagne (Chambon et Dugravot, 2022 ; voir article p. 39-44). Cette étude illustre la mobilisation des concepts et méthodes de l'écologie (domaine vital, recherche optimale de nourriture, utilisation de la télémétrie, etc.) pour comprendre les déterminants des dégâts. Ces efforts doivent être poursuivis et appliqué à d'autres cas afin que les agronomes se saisissent des résultats pour imaginer de nouvelles stratégies. Des initiatives en France (projet ANR Lido sur la gestion territoriale ; étude de l'OFB sur les corvidés ; travaux de l'institut AgroSup Dijon sur l'aversion conditionnée) et en Suisse (démarrage d'une thèse d'Agroscope sur les corvidés) augurent de nouvelles perspectives. Reste à pérenniser ces initiatives pour consolider un nouveau champ disciplinaire apte à drainer des ressources au même titre que les autres domaines de la protection des cultures.

(1) Selon l'OFB, « la gestion adaptative des espèces et de leurs prélèvements est basée sur une réglementation définie en fonction d'objectifs croisés avec les données annuelles, traduites en modèles démographiques » (source : https://professionnels.ofb.fr/).

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Les dégâts d'oiseaux à la levée du tournesol et du maïs amputent largement la marge des producteurs et peuvent modifier leurs choix d'assolement.

L'absence de solution efficiente et d'investissements en recherche et développement offre pour le moment assez peu d'espoir.

PANORAMA - Les méthodes de protection actuelles ont une efficacité faible et variable. Le développement de nouvelles solutions se heurte aux dimensions auxquelles s'expriment les processus biologiques à contrecarrer. Les réflexions s'orientent aujourd'hui vers la combinaison de leviers à effets partiels dans le cadre d'une gestion coordonnée sur les territoires. Rien ne sera possible sans recherche en écologie et en éthologie appliquée au contexte agricole. Le contexte semble favorable à la mise en oeuvre de tels programmes.

MOTS-CLÉS - Oiseaux, corvidés, colombidés, tournesol, maïs.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : c.sausse@terresinovia.fr

BIBLIOGRAPHIE : - Abid S., 2019. Évaluation et déterminants des dégâts provoqués aux grandes cultures par les oiseaux déprédateurs. Mémoire de M2 IBE, Université Paris-Est Créteil, 34 p + annexes.

- Chambon R., Dugravot S., 2022. Acquisition de connaissances sur l'écologie du Choucas des tours (Corvus monedula) en région Bretagne. Université de Rennes 1 - Unité Borea, 106 p.

- Sausse C., Baux A., Bertrand M., Bonnaud E., Canavelli S., Destrez A., Zuil S., 2021a. Contemporary challenges and opportunities for the management of bird damage at field crop establishment. Crop Protection, n° 148, 105736.

- Sausse C., Chevalot A., Lévy M., 2021b. Hungry birds are a major threat for sunflower seedlings in France. Crop Protection, n° 148, 105712.

- Thibord J.-B., 2017. Évaluation de la nuisibilité des ravageurs du maïs en France. Ciraa, Conférence internationale sur les ravageurs et auxiliaires en agriculture, Montpellier, Association française de protection des plantes (AFPP).

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