Sur le métier

Johanna Villenave-Chasset, entomologiste des champs

PAR CHANTAL URVOY - Phytoma - n°754 - mai 2022 - page 52

D'avril à octobre, Johanna Villenave-Chasset traque les ravageurs mais également leurs auxiliaires chez les producteurs de grandes cultures, les arboriculteurs, viticulteurs, horticulteurs et pépiniéristes. Objectif : les aider à favoriser le développement des auxiliaires pour réduire l'usage des insecticides. Un des moyens est d'introduire des espèces à fleurs dans les parcelles pour qu'ils se nourrissent et se reproduisent.
 Photo : C. Urvoy

Photo : C. Urvoy

C'est grâce à un stage entre sa maîtrise en biologie et son DEA en environnement que Johanna Villenave-Chasset met un pied en entomologie. « Ayant réalisé des relevés de névroptères, j'ai été référencée comme spécialiste de cette famille, se souvient-elle. Agrocampus Ouest souhaitant en savoir plus (comment favoriser les différentes espèces de névroptères, ce dont elles ont besoin pour se développer, connaître leurs déplacements...), j'ai réalisé une thèse sur ce sujet alors peu exploré. » Sa thèse terminée, ses compétences intéressent beaucoup, mais pas pour un temps plein. « J'ai donc créé Flor'Insectes, en janvier 2007. Mes clients sont des structures qui ont besoin de conseil et de formation en entomologie : coopératives, négoces, chambres d'agriculture, firmes phyto-sanitaires, groupements de producteurs... »

Lutter contre les pucerons

Basée en Normandie, Johanna travaille sur toute la France, avec l'appui d'un entomologiste dans le Sud, et sur tous types de productions. La problématique la plus récurrente, notamment en grandes cultures, est la lutte contre les pucerons. En colza, on retrouve également la grosse altise, faute d'insecticides efficaces. En maraîchage, ce sont principalement les thrips, les pucerons (puceron noir de la fève, puceron vert du pêcher...), et les chenilles de tordeuses et de noctuelles. « Dans la majorité des cas, l'objectif final est de réduire l'usage des produits phytosanitaires. Selon les objectifs et le budget du client, l'accompagnement peut être ponctuel ou durer une à plusieurs années. »

Semer des fleurs

Ainsi, depuis six ans, Johanna Villenave-Chasset aide une dizaine d'arboriculteurs en Anjou à supprimer les insecticides après floraison en misant sur les auxiliaires : des Aphidius par exemple pour les pucerons cendrés, les larves de chrysopes ou des punaises prédatrices pour le psylle du poirier. « Je les ai d'abord formés sur les besoins de ces auxiliaires (du pollen pour se reproduire) et l'intérêt de certaines espèces (féverole, luzerne, vesce) qui hébergent des parasitoïdes. » Différents mélanges d'espèces sont ainsi semés dans les vergers et des haies sont plantées avant implantation de jeunes arbres. Les arboriculteurs ont réussi à attirer une grande diversité d'insectes dans leurs vergers ; les bioagresseurs ont ainsi plus de mal à s'installer. « Je les rencontre cinq fois par an pour réaliser des comptages de ravageurs et d'auxiliaires. En 2020, année à pucerons, les parcelles aménagées n'ont pas eu besoin d'insecticides après floraison. Aujourd'hui ces producteurs préfèrent semer une espèce à fleurs pour les auxiliaires plutôt que de traiter. C'est plus motivant ! »

Des audits ponctuels

Elle a également travaillé pendant trois ans avec un groupe Dephy de neuf horticulteurs et pépiniéristes. Sous serre, des plantes (alysse, ortie, noisetier, charme, tabac sylvestre...) ont été introduites en jardinière pour lutter contre les thrips, les chenilles de la tordeuse de l'oeillet et les acariens. Elle est également sollicitée par l'Astredhor Seine-Manche pour réaliser des audits chez des horticulteurs produisant en plein champ ou sous serre. « Une demi-journée à une journée de relevés d'insectes me permet de voir si la biodiversité est correcte ou au contraire insuffisante. »

Remplacer les néonicotinoïdes

Après les problèmes importants de jaunisse en 2020, l'ITB(1) a contacté l'entomologiste pour lutter contre les pucerons transmettant cette virose en favorisant les auxiliaires (syrphes, chrysopes, coccinelles, Aphidius colemani, Orius...). Un groupe d'agriculteurs motivés pour réaliser des aménagements et cultiver des betteraves sans néonicotinoïdes a été constitué. « J'ai formé les techniciens de l'ITB et des sucreries pour qu'ils puissent réaliser des comptages d'insectes sur ces exploitations volontaires. » Les bande intra-parcellaires de trois mètres de large constituées de mélanges de plantes à fleurs (féverole, luzerne, fleurs sauvages par exemple) sont les aménagements les plus efficaces. « Un certain nombre de mélanges ont été semés à l'automne 2020 et en 2021. Nous sommes dans l'attente d'une année à pucerons pour vérifier leur efficacité. »

Une demande qui explose

D'avril à octobre, Johanna Villenave-Chasset est sur le terrain. Elle identifie les ravageurs des cultures sur place et emporte les auxiliaires dans de l'alcool pour une détermination ultérieure sous loupe binoculaire « car leur identification est plus complexe ». De novembre à mars, elle analyse les données récoltées sur le terrain et présente les résultats à ses clients et le plan d'actions pour la future campagne. Si, au démarrage, l'entomologiste travaillait plutôt pour des structures de recherche, depuis quelques années, elle accompagne de plus en plus d'agriculteurs. « La demande a explosé, surtout depuis 2019, avec l'arrêt de certaines matières actives. Il y a vraiment une prise de conscience de l'intérêt de la biodiversité par les producteurs ! »

Autre demande qui s'amplifie depuis 2019 : des audits commandés par des prestataires de services (en analyses de sol par exemple) qui veulent compléter leur offre. « Je suis également de plus en plus sollicitée pour former des techniciens ou des groupes d'agriculteurs et cela va s'amplifier. Vu l'explosion de la demande à tous points de vue, j'envisage de recruter quelqu'un prochainement », conclut Johanna Villenave-Chasset.

(1) Institut technique de la betterave.

BIO EXPRESS

JOHANNA VILLENAVE-CHASSET

2001. Stage volontaire en entomologie (relevés de névroptères) à l'Ablette angevine, à Angers (Maine-et-Loire).

2002. DEA en environnement à l'université d'Orléans (Loiret).

2006. Doctorat en biologie des organismes à l'université d'Angers.

2007. Création de Flor'Insectes à Oherville (Seine-Maritime).

L'essentiel de l'offre

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