DOSSIER - Les bioagresseurs souterrains sous les projecteurs

Évaluer et prévoir le risque limace en grandes cultures

ANDRÉ CHABERT(1), PIERRE TAUPIN(2), JOSÉPHINE PEIGNE(3), FRANÇOIS BRUN(4), SÉBASTIEN GERVOIS(5), CÉLINE ROBERT(5), XAVIER CREBASSA(6), MARION PUYSSERVERT(6), CORINNE LAJOIE(7), PASCAL BOULIN(8), JEAN-BAPTISTE THIBORD(9), ELMINA MOTTIN(10) ET MARYVONNE CHA - Phytoma - n°714 - mai 2018 - page 22

Le projet « Resolim » vise à mieux comprendre l'impact des pratiques agricoles et des facteurs environnementaux concernant les limaces nuisibles aux cultures.
 Photo : A. Chabert

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 Photos : A. Chabert

Photos : A. Chabert

Fig. 1 : Limaces et dégâts       Relation, sur blé, entre le nombre de limaces et l'intensité d'attaque (le pourcentage de plantes attaquées).

Fig. 1 : Limaces et dégâts Relation, sur blé, entre le nombre de limaces et l'intensité d'attaque (le pourcentage de plantes attaquées).

Fig. 2 : Les deux saisons des limaces      Évolution de la biomasse en mg des limaces et de la variabilité associée sur le réseau de parcelles du projet Resolim 2013-2015 (l'unité du graphique est la masse alcoolique : masse de limaces conservées dans l'alcool, essuyées puis pesées).

Fig. 2 : Les deux saisons des limaces Évolution de la biomasse en mg des limaces et de la variabilité associée sur le réseau de parcelles du projet Resolim 2013-2015 (l'unité du graphique est la masse alcoolique : masse de limaces conservées dans l'alcool, essuyées puis pesées).

Fig. 3 : Deux phénotypes visualisés      Température de congélation (Tc) des limaces Deroceras reticulatum, selon la masse pondérale individuelle (A) ou la masse pondérale moyenne (B) ; les deux phénotypes, High (Tc > -5 °C) et Low (Tc  -5 °C).

Fig. 3 : Deux phénotypes visualisés Température de congélation (Tc) des limaces Deroceras reticulatum, selon la masse pondérale individuelle (A) ou la masse pondérale moyenne (B) ; les deux phénotypes, High (Tc > -5 °C) et Low (Tc -5 °C).

 Photo : A. Chabert

Photo : A. Chabert

Les limaces grises et noires voient leurs populations fluctuer d'une année à l'autre. En année favorable comme 2013, le risque de destruction des semis de colza, tournesol, maïs et céréales à paille (orge, blé...) devient si fort que les traitements molluscicides couvrent plus de 4 millions d'hectares. Les agriculteurs peinent à estimer techniquement ce risque d'attaque car les limaces sont difficiles à détecter au champ et leurs traits de vie restent mal connus.

Situation de départ

Prévoir les risques : une nécessité

Évaluer le risque limace représente un enjeu considérable face à la demande du plan Écophyto de limiter le nombre de traitements et aux impératifs de productivité des exploitations. Ainsi, le projet CasDAR Resolim « Évaluation et prévision du risque lié aux populations de limaces nuisibles aux grandes cultures : constitution d'un réseau expérimental permettant de comprendre l'impact des pratiques agricoles et des facteurs environnementaux » a été construit pour pallier le déficit de la recherche nationale sur un sujet qui n'avait pas été traité en profondeur depuis des années.

Il s'est inscrit dans l'axe 5 du plan Écophyto. L'objectif principal a été d'améliorer l'évaluation et la prévision des risques liés aux limaces. Ceci exige des informations pertinentes, mises à jour et suffisamment précises pour évaluer les niveaux de risques à trois échelles : parcelle, exploitation, région.

Des modèles à améliorer

Parmi les modèles disponibles jusqu'alors, un modèle Acta, utilisé depuis 1999 avec une société privée, est depuis 2013 régulièrement employé dans le cadre du réseau d'observation en grandes cultures vigicultures pour la rédaction des BSV (Bulletins de santé des végétaux) (Siné et al., 2010). Il décrit les périodes favorables à l'activité des limaces. D'autres modèles climatiques existent au Royaume-Uni (Choi et al., 2004, 2006 ; Willis et al., 2006, 2008) mais aucun n'avait été testé en France.

Ces modèles demandaient à être améliorés à partir d'une meilleure connaissance des réponses des limaces aux conditions thermiques et hydriques.

Le projet CasDAR Resolim a été lancé dans l'objectif de fournir, par différentes voies de recherche, de nouvelles connaissances destinées à l'analyse et l'amélioration de ces modèles.

Un projet en trois actions

Le projet a été structuré en trois actions visant des sous-objectifs à rassembler pour répondre à l'objectif principal de mieux appréhender l'évolution actuelle des populations de limaces et le risque associé.

Action 1 : capitaliser les connaissances et méta-analyses

L'objectif de cette action était de rassembler le maximum de connaissances et de données pour optimiser les études (de terrain et laboratoire) et les évaluations de modèles mises en oeuvre dans le cadre des actions 2 et 3.

Action 2 : évaluer l'influence des divers facteurs dans le cadre d'un réseau expérimental

Il s'agissait d'étudier l'effet des pratiques agricoles et des facteurs environnementaux sur les populations de limaces. Les objectifs étaient :

- de caractériser et quantifier les effets du travail du sol, des pratiques agricoles, de la faune auxiliaire, des cultures et du climat sur le développement des limaces ;

- d'évaluer la nuisibilité des limaces à partir d'une base de données d'essais rassemblant de nombreuses études ;

- d'étudier les réponses des limaces au sein du réseau expérimental en suivant l'évolution de la structure des populations de limaces en parcelles cultivées, et déterminer l'influence des facteurs trophiques (cultures en place et intermédiaires) ;

- d'étudier au laboratoire la thermobiologie et la composition des limaces en métabolites primaires afin d'acquérir des données sur les traits de vie des limaces impossibles à obtenir sur le terrain.

Action 3 : concevoir des outils d'aide à la décision

Les deux principaux objectifs ont été :

- utiliser les modèles existants et les comparer avec nos données expérimentales ;

- envisager des voies d'amélioration des modèles via les méthodes d'évaluation multicritère et la conception d'un modèle dynamique des populations.

Trois ans de travaux

Piégeages dans 82 parcelles

Le projet Resolim s'est basé sur un réseau d'observation de limaces de 82 parcelles réparties dans les principales zones de grandes cultures au sein de vingt départements (Ain, Aisne, Ardennes, Calvados, Cher, Côte-d'Or, Gers, Ille-et-Vilaine, Indre-et-Loire, Isère, Lot-et-Garonne, Meurthe-et-Moselle, Oise, Orne, Rhône, Seine-Maritime, Somme, Vendée, Yonne, Essonne) et portant les principales grandes cultures : (nombre de parcelles/années, culture : 23, blé ; 26, colza ; 13, maïs ; 5, orge de printemps ; 1, orge d'hiver ; 6, soja ; 1, trèfle ; 1, betterave ; 3, féverole ; 2, prairie ; 1, tournesol). Ces suivis représentent un total de 843 données de piégeage.

Dans 21 parcelles dites « biologie », le développement des générations de limaces a été suivi durant deux ans. Dans 61 parcelles dites « nuisibilité », l'activité/densité de limaces a été évaluée durant la période de sensibilité des cultures aux attaques.

Chaque parcelle « biologie » a fait l'objet d'un piégeage hebdomadaire de limaces en période d'activité via douze pièges type Inra (Hommay, 1995). Chaque parcelle « nuisibilité » l'a fait autour du semis avec six pièges. Les limaces issues de cinq parcelles « biologie » ont été prélevées mensuellement pour les études de laboratoire.

Analyses au laboratoire et sur un outil informatique

Le réseau a fourni des limaces à l'université de Rennes 1 (UMR 6553 EcoBio) afin de réaliser des études de thermobiologie basées sur les travaux de Bale (1985), Cook (2004) et Ansart et al. (2014), ainsi que des analyses biochimiques des tissus de limaces à partir des méthodologies utilisées par Storey et al., 2007 et Nicolai et al., 2011. Nous avons essentiellement étudié les données sur la limace grise (Deroceras reticulatum), espèce la plus fréquente. Les données des limaces noires (Arion hortensis et A. distinctus selon Welter-Schultes, 2012), plus rares, n'ont été que partiellement analysées.

Pour l'analyse de données, nous nous sommes basés sur un projet enveloppe/recherche Acta 1995/1997 : un suivi de quarante trois parcelles avec 640 piégeages avait permis de créer un premier modèle de prévision du risque limace.

Pour la modélisation, nous avons réalisé une analyse fonctionnelle de dix modèles. Nous en avons identifié deux suffisamment renseignés, utilisables avec les données météorologiques disponibles et correspondant aux objectifs du projet : les modèles de Chabert et al. (1999) et de Choi et al. (2004). Ils ont été programmés sous R et comparés aux données de terrain (données météorologiques de chaque date et chaque site de tous les lieux d'observation du réseau de piégeage).

Par ailleurs, il a été décidé de construire des méthodes d'évaluations multicritères utilisant le système DEXi (Bohanec et al., 2008, Aubertot et al., 2013) afin de réaliser un outil d'évaluation a priori d'un système de culture et de son environnement proche vis-à-vis du risque limace (Brun et al., 2014).

Une enquête agriculteurs

Début 2014, nous avons réalisé plus de 600 enquêtes agriculteurs sur leur perception de la nuisibilité des limaces et sur les stratégies de protection mises en place.

Par ailleurs, nous avons pu extraire des données de piégeage de limaces du réseau de surveillance biologique du territoire (SBT). Sans pouvoir être présentées ici, ces données ont largement corroboré et enrichi les résultats obtenus.

Résultats de l'action 1 : capitaliser les connaissances

Deux synthèses réalisées

Dans une approche de type « méta-analyse », nous avons rassemblé la documentation sur différents critères d'intérêt. Plus de 280 articles sont rassemblés sous le logiciel en ligne Zotero. Cette analyse des données de la bibliographie a permis de réaliser :

- une synthèse sur les méthodes de piégeage afin d'établir les modes opératoires des essais du projet et du réseau de piégeage ; l'analyse fine de vingt-deux publications internationales (articles scientifiques ou ouvrages généralistes) a permis de réaliser les protocoles d'expérimentation pour le suivi des parcelles « nuisibilité » et « biologie » du réseau via l'analyse d'informations sur les pièges (choix, durée de mise en place, délai de collecte, répartition sur les parcelles) ;

- une synthèse sur les effets des pratiques agricoles sur les populations de limaces ; les données quantitatives sont extraites des articles, analysées, et des variables intermédiaires sont calculées pour rassembler les données et les formuler afin qu'elles soient faciles à renseigner par les utilisateurs ; cela nous a permis de rassembler les informations sur l'effet de l'ensemble des pratiques agronomiques et d'avoir une idée de la gamme de variations selon les contextes ; ces éléments ont été rassemblés dans l'outil DEXi_limaces présenté dans l'action 3.

Par ailleurs, nous avons rassemblé de nombreuses informations complémentaires via l'analyse de la bibliographie, la mise en place d'essais analytiques, la réalisation d'enquêtes auprès d'agriculteurs et l'analyse de réseaux d'observation dont le nôtre. Leurs compilations et comparaisons ont permis de renseigner :

- les caractéristiques des traits de vie des limaces en parcelles de grandes cultures ;

- l'influence des facteurs environnementaux, notamment microclimatiques ;

- celle de la présence de la faune auxiliaire.

Action 2 : les résultats de terrain

Pratiques agricoles et faune auxiliaire

Dans la littérature scientifique, nous avons recensé 25 essais de type « analytique » de 1994 à 2004 concernant les effets du travail du sol sur les limaces. Il apparaît en moyenne sur ces études des populations de limaces cinq fois plus importantes en semis direct qu'en labour et trois fois plus importantes en semis direct qu'en travail superficiel.

Cet effet des pratiques semble être moins important sur le réseau d'observation Resolim. Certaines données du réseau d'observations du SBT sont elles aussi de plus faible ampleur. Ainsi, en parcelles non labourées, il y a 1,6 fois plus de limaces qu'en labour. Le déchaumage a un effet positif : les parcelles déchaumées ont 2,3 fois moins de limaces que celles non déchaumées. Les parcelles ont 1,4 fois plus de limaces en semis direct qu'en semis traditionnel. Dans les parcelles limoneuses, il y a eu 1,25 fois plus de limaces que dans celles plus argileuses.

La comparaison de systèmes de cultures réalisée à Boigneville montre une relation entre le nombre de limaces et de carabes capturés. Les captures de carabes sont deux fois plus importantes là où celles de limaces sont environ 3,5 fois plus faibles.

Nuisibilité des limaces et règles de décision associées

À partir de 2015, il a été constitué une base de données d'essais « nuisibilité » à partir des études Resolim, celles du projet Acta 1995/1997 et des essais d'instituts techniques et de firmes phytosanitaires. Deux cent cinquante observations de dégâts de limaces ont été répertoriées sur diverses cultures : blé (111), colza (76), tournesol (22), maïs (16), orge (19), autres (6).

Sur colza, l'analyse indique que, pour une même densité de piégeage, le taux de pertes est très variable. De 0 à 2 limaces par mètre carré, les pertes vont de 0 à 100 %, avec une médiane de 12 %. Pour les piégeages supérieurs à 2 limaces par mètre carré, les médianes dépassent 30 %.

En culture de blé (Figure 1), les dégâts augmentent fortement à partir d'un effectif de vingt limaces au mètre carré. Néanmoins, une grande variabilité rend difficile l'établissement d'un seuil de nuisibilité. L'hétérogénéité peut provenir de nombreux facteurs : travail du sol, précédent, stade de la culture, type de sol et conditions climatiques à différents stades. Une nouvelle analyse de ces données serait nécessaire à la lumière d'un nouveau développement de la modélisation tenant compte du climat lors des piégeages et de ses effets sur les dégâts.

Grâce à ces études, la gamme de variabilités des piégeages et de l'expression des dégâts est maintenant connue dans un large éventail de situations. Les données rassemblées pourront être valorisées dans le volet modélisation d'un nouveau projet de recherche.

Mesure des réponses des limaces au sein du réseau « biologie »

L'objectif de cette action était de suivre l'évolution de la structure des populations de limaces dans les parcelles cultivées et de déterminer l'influence des facteurs trophiques.

Le projet Resolim nous a permis de reformuler les données du réseau de piégeage de 1995-1997 et de décrire le cycle de vie de la limace grise. Ainsi, à l'époque des semis de colza, les jeunes limaces restent de petite taille durant un mois, puis leur croissance s'accélère. Les individus de cette génération « automnale » restent présents jusqu'en mars suivant, quand une nouvelle génération « printanière » apparaît dans le colza pour se développer jusqu'en juillet.

Dans notre réseau de piégeage (Figure 2), nous retrouvons les deux pics de développement de printemps et d'automne correspondant aux deux générations de limaces. À noter : les limaces sont nettement plus grosses en automne, ce sera relié aux analyses des métabolites primaires présentées plus loin indiquant une phase de reproduction active. Néanmoins, la variabilité est assez importante et les jeunes stades peuvent être rencontrés pendant de longues périodes, suggérant que les éclosions s'étalent sur la saison.

Des données de diverses parcelles ont permis de calculer la vitesse de croissance pondérale des limaces. Celle-ci va de 2 à 7 mg par jour durant la période de développement automnal du colza. Cette forte variabilité serait due à des facteurs exogènes tels que les conditions climatiques régionales de l'année et la quantité de végétation disponible.

Analyse des facteurs trophiques : les cultures en place

Sur le réseau Resolim, on observe 2,5 limaces par piège sur les parcelles de blé et 3 limaces par piège sur celles de colza. Les deux cultures sont donc aussi favorables à la présence des limaces l'une que l'autre. On trouve nettement moins de limaces sur maïs. La tendance est la même lors de l'analyse du maximum de captures. En revanche, le blé étant moins appétant que le colza, les limaces le détruisent moins vite.

Dans les suivis de pièges effectués dans le cadre du BSV, les effectifs capturés varient dans la même gamme que dans notre réseau (de 0,6 à 2,8 limaces par piège). Dans les suivis effectués dans le cadre de la SBT, les captures de limaces grises en parcelle de blé à l'automne sont nettement plus importantes si le précédent est une culture d'hiver.

Ainsi, toutes ces données fournissent des tendances similaires en termes de présence des limaces dans les cultures. Le développement des limaces semble moins favorisé par la végétation des cultures de printemps vu leur moindre capacité à couvrir le sol, la moindre appétence des plantes et l'assèchement du sol en profondeur l'été.

Effet des cultures intermédiaires

Un essai spécifique a permis d'étudier la sensibilité de plusieurs cultures aux attaques de limaces. Des limaces ont été introduites dans des cages placées à l'extérieur quinze jours après le semis des cultures (3-4 feuilles des plantes) et les dégâts occasionnés ont été suivis sur trois semaines. Cet essai a été présenté dans Phytoma en mai 2016(1).

Rappelons que les espèces les plus appétentes sont le colza, le trèfle et la phacélie (dans des essais où la phacélie était plus développée, elle n'a pas été détruite aussi facilement). La moutarde blanche a été très peu attaquée. Les limaces ont pris davantage de poids sur le trèfle que dans les autres modalités. Ce dernier résultat suggère que le choix d'engrais vert moins appétant permettrait de réduire le risque de développement des populations de limaces.

En complément de ces données, nos enquêtes auprès d'agriculteurs indiquent que, après une interculture sur sol nu mais présentant des repousses, les dégâts rencontrés sur la culture suivante tendent à augmenter. Ainsi, comme la végétation implantée, les repousses peuvent constituer un abri et une alimentation pour les limaces.

Résultats de laboratoire

Thermobiologie

Bien que D. reticulatum soit un ravageur cosmopolite, ses réponses physiologiques aux contraintes environnementales ont été peu étudiées (Cook 2004 ; Rollo 1991 ; Mottin et al., 2014, 2015). Nous avons voulu évaluer la capacité de résistance et la thermotolérance au froid chez la limace grise selon son stade de développement, afin de contribuer à optimiser la prévision des risques limace sur le terrain. La température de congélation des individus a été utilisée comme marqueur de leur condition physiologique.

Cinq sites ont fait l'objet de récoltes par piégeage, Agen - Anthé (Lot-et-Garonne), Ivoy-le-Pré (Cher), Crézancy (Aisne), Toussieu (Rhône) et Doignies - Mons (Nord) au cours des deux saisons, automnale (septembre, octobre, novembre 2013) et printanière (mai, juin, juillet 2014). Connaissant les masses pondérales et les températures de congélation (Tc) par individu, par mois et par population, nous avons cherché à expliquer la dichotomie des Tc en deux sous-populations par le site d'origine et par la masse pondérale.

La mesure de la Tc nous a permis de mettre à jour deux phénotypes d'après la moyenne globale de Tc située à -5,04 °C, le phénotype « low » à Tc inférieure à -5 °C et le phénotype « high » à Tc supérieure à -5 °C. Le premier domine au printemps, durant lequel les limaces pèsent en moyenne 500 mg. Le second domine à l'automne quand les limaces atteignent une masse fraîche de 1 g en moyenne (Figure 3).

Nous avons considéré que la distribution en deux phénotypes de la Tc pourrait s'expliquer par une covariable, la masse fraîche des individus, et deux facteurs :

- le facteur site ;

- le facteur saisonnier, ici les mois de prélèvement à l'automne ou au printemps.

La covariable masse fraîche est corrélée à la Tc, les limaces les plus grosses de fin d'automne, reproductrices, étant les moins tolérantes au gel. Leur volume d'eau plus élevé favorise la formation de cristaux de glace (Storey, 1997 ; Ansart et Vernon, 2003 ; Slotsbo et al., 2011). Les limaces de fin d'automne sont donc plus fragiles face au gel, mais elles atteignent la maturité sexuelle à différents moments de la saison selon le site géographique.

Les résultats de l'étude de la survie aux températures « chaudes » montrent l'impact de la température et de l'humidité relative de l'air sur la limace grise. Les limaces ne survivent pas plus de 24 h à une température de 32 °C. À cette température, la perte en eau corporelle atteint et dépasse 30 % pour un taux d'humidité compris entre 20 % et 70 %, ce qui confirme les travaux de Rollo (1991). Les dérèglements climatiques actuels avec leurs pics de chaleur devraient donc affecter les populations de limace grise (recrutement de nouveau-nés en fin d'été).

Métabolites primaires et résistance aux stress thermiques

Des composés glucidiques et protéiques peuvent s'accumuler dans les tissus des limaces en réponse à un stress thermique. Sachant que la présence de ces composés dépend de l'alimentation, une approche biochimique permet de savoir si, selon la culture pratiquée, la culture intermédiaire installée et d'autres facteurs agronomiques, la limace D. reticulatum peut manifester une plus faible résistance aux stress thermiques au cours de son cycle de vie. Résister à un stress représente un coût énergétique d'autant plus important que la région sera soumise à des variations climatiques saisonnières contrastées. Ce coût pourra se répercuter sur la survie puis les capacités de reproduction de l'individu.

Nous avons analysé la composition en divers composés des limaces des cinq sites, à l'automne 2013 puis au printemps 2014. Les composés identifiés sont des sucres (galactose, arabinose, glucose, mannose) composants notamment des polysaccharides du mucus lors de l'accouplement, des substrats énergétiques du cycle de Krebs (fumarate, succinate, malate), des acides aminés et de l'ornithine, de la putrescine et de la spermidine indicateurs de croissance tissulaire, ou encore de la trehalose, caractéristique de réponse au stress thermique et de la mise en place d'une respiration anaérobie (voies du succinate et du lactate).

Les limaces d'automne et de printemps/été présentent des profils en métabolites qui illustrent clairement leur état physiologique : phase de croissance, phase de reproduction, réponse à un stress.

Nous avons mis en évidence pour la première fois que la limace grise Deroceras reticulatum présentait deux phénotypes physiologiques au stade juvénile (masse pondérale <2264_7> 300 mg) où les individus en croissance sont soit partiellement tolérants au gel (Tc = -6,1 ± 0,6 °C), soit gèlent à des températures faiblement négatives (Tc = -3,3 ± 0,5 °C).

Lorsque les individus acquièrent la maturité sexuelle, l'accumulation de composés glucidiques en vue de la reproduction représente une dépense énergétique forte obtenue au détriment de leur tolérance au froid. Les limaces adultes sont d'autant moins tolérantes au gel qu'elles ont une forte masse pondérale (<2265> 500 mg), ce qui est le cas des limaces d'automne. Ces résultats novateurs soulignent l'existence d'un compromis (trade-off) entre capacité de reproduction et capacité de tolérance au gel.

Les changements de caractéristiques physiologiques des limaces lors de baisses de température et lors des phases d'entrée en reproduction peuvent expliquer certains comportements au champ ayant des effets déterminants sur la dynamique de population. Les températures minimales et maximales et humidités létales que peuvent supporter les limaces sont maintenant nettement caractérisées.

Action 3 : conception d'outils d'aide à la décision (OAD)

Dix modèles « épluchés » à la lumière des résultats des actions 1 et 2

Une analyse comparative de dix modèles existants a été réalisée pour élaborer un modèle conceptuel intégrant les connaissances existantes de l'action 1 et les connaissances acquises dans le cadre de Resolim. Les modèles ont été classés selon les estimations qu'ils proposent d'effectuer :

- impact du système de production végétal sur l'effectif de la population de limaces : Chabert et al., 2014, Chabert et al., 2016 a et b ;

- dynamique de la population de limaces en fonction des conditions climatiques mais aussi du couvert en place : Shirley et al., 2001 ; Choi et al., 2004 ; Choi et al., 2006 ; Willis et al., 2006 ; Schley et Bees, 2002 ; Schley et Bees, 2003 a et b ; Bees et al., 2006 ;

- activité de la population de limaces en fonction des seules conditions climatiques : Young et Port, 1989 ; Young et al., 1993 ; Young et al., 1991 a et b ; Chabert et al., 1999.

Deux approches sélectionnées

Sur la base de cette typologie, deux approches complémentaires ont été sélectionnées :

- l'évaluation multicritère du risque limace à partir des descriptions des systèmes de culture, permettant de prendre a priori des décisions stratégiques sur leur gestion ;

- le développement de modèles d'évolution de l'activité ou de la densité des populations de limaces, de risques de disséminations ou d'attaques en vue d'une évaluation du risque ; l'évaluation sera tactique si elle vise la décision de traitements, ou stratégique si elle est faite à l'échelle pluriannuelle.

Méthode d'évaluation multicritère

Les éléments bibliographiques de l'action 1 ont été rassemblés pour construire un outil d'évaluation multicritère DEXi_limace destiné à évaluer a priori le risque limace à l'échelle parcellaire. Les données d'entrée décrivent le système de culture de la parcelle et son environnement proche : chaque élément pouvant influencer la population des limaces a été identifié et caractérisé.

Les critères de base de description des parcelles sont classés entre eux du point de vue de l'agriculteur de « très défavorables » à « très favorables ». Ce classement s'effectue selon l'impact positif ou négatif du critère sur le risque limace. Les critères de base sont agrégés à l'aide de tableaux de contingence pour constituer des critères « agrégés », eux-mêmes pouvant s'agréger entre eux.

Ces éléments rassemblés dans le logiciel DEXi ont ensuite été pondérés entre eux d'après la bibliographie ou à dire d'experts. Des tests de sensibilité de l'arbre ont été effectués pour équilibrer l'influence des facteurs entre eux.

Pour environ vingt systèmes de culture, l'outil a distingué ceux étant connus comme les plus favorables aux limaces. Dans des tests de comparaison effectués avec les parcelles de notre réseau, les classements obtenus ont été souvent pertinents. Le schéma provisoire publié dans Phytoma (Chabert & al., 2014) a été adopté définitivement.

Cet outil compare des systèmes de culture mais reste encore trop généraliste. Pour l'adapter à des échelles locales, il faudrait revoir une partie de la formalisation et ajouter ou modifier certains critères.

Un des intérêts majeurs de cet outil est de rassembler les connaissances éparses. Il est conçu pour l'animation d'ateliers de conception de nouveaux systèmes de culture. Il est ainsi possible d'explorer rapidement le champ des possibles en évaluant les effets de la mise en oeuvre de telle ou telle pratique.

Nouvelles voies d'amélioration

Pour calculer des corrélations entre l'activité des limaces à l'automne et les conditions météorologiques, l'activité est caractérisée par le nombre de limaces par piège sur les captures réalisées dans le cadre de Resolim durant les automnes 2013 et 2014.

Sur chaque site d'étude, les captures sont mises en relation avec les données locales : moyennes des températures minimales et maximales et précipitations mesurées à la station la plus proche sur les quatre derniers jours avant le piégeage (voir tableau).

Lorsque les températures sont plus basses que les températures optimales d'activité des limaces (entre 12 et 15 °C), les captures augmentent si les températures progressent (pente positive avec T °C). Lorsque les températures sont plus élevées que les températures optimales, les captures augmentent si les températures décroissent (pente négative avec T °C). Ce travail permet de revoir les équations liées à la température du modèle.

Lorsque les précipitations sont importantes, l'activité augmente avec elles. Si les précipitations sont moins fortes, aucune corrélation n'a été mise en évidence.

Ces éléments varient dans le même sens que ceux inclus dans le modèle Acta utilisé dans le cadre de la SBT, mais de nombreux paramètres pourront être révisés à la lumière de ces données. Ces dernières pourraient être associées aux nouvelles données issues des travaux d'écophysiologie réalisés dans le cadre de Resolim. Elles concernent principalement les températures minimales et maximales de survie des limaces et la caractérisation de leurs périodes de croissance pondérale et de reproduction.

Utilisation des modèles et perspectives d'améliorations

Le modèle de Choi et al. (2006) permet le suivi des populations de limaces sans relation avec les dégâts. Le modèle Acta permet de déterminer le risque d'attaque des limaces en fonction des années. Ces deux modèles, basés uniquement sur des critères climatiques, ne peuvent fournir de conseil à la parcelle. Ils ont été construits pour décrire l'évolution des populations, et leur utilisation comme modèle prédictif reste à optimiser. Pour améliorer la qualité de la prédiction du risque d'attaque de limaces à l'aide de ces modèles couplés aux nouvelles données issues de Resolim, on pourrait envisager d'associer un modèle conceptuel avec une note de risque parcellaire basée sur :

- la gestion agronomique de la parcelle (travail du sol, culture en place, précédent...) et le contexte pédologique ; la note de risque pourrait être attribuée à l'aide d'un modèle type DEXi_limaces ;

- des piégeages sur la parcelle donnant une indication sur l'évolution des populations.

Coupler les modèles avec les observations de la SBT

Durant le projet, nous avons comparé, dans quelques cas, diverses variables issues des observations avec le modèle climatique Acta utilisé dans le cadre de la SBT. Ces approches nous ont permis de mettre en évidence quelques tendances caractérisant l'influence du climat sur les populations de limaces en général.

Les apports des observations réalisées dans le cadre de la SBT sont très intéressants. À grande échelle, cela permettra de caractériser les années et saisons favorables aux limaces et comparer les données de piégeages avec les modèles afin d'ajuster ces derniers au mieux. À plus petite échelle, les analyses individuelles des parcelles à l'aide de données complémentaires climatiques et agronomiques peuvent informer à propos de l'effet de ces facteurs sur la dynamique des populations de ce ravageur.

Construire un modèle dynamique des populations

L'étude de la croissance pondérale des limaces dans une série de parcelles « biologie » a permis de quantifier la vitesse de développement des limaces en culture de blé et de colza. Ces données couplées à des hypothèses sur le nombre d'oeufs produits par individu sont une voie pour estimer l'effectif de la génération suivante.

Resolim a permis d'inventorier de nombreuses données sur la biologie des limaces dont l'assemblage permettrait de construire un modèle. Cela pourra se faire dans un futur projet incluant davantage de développement de modèle. Ainsi, des travaux en cours dans le cadre du projet Casdar Arena visent à évaluer la prédation des limaces par les carabes.

Conclusion et enseignements

Ce projet a été réalisé en années favorables à l'activité des limaces. Lors des périodes été/automne 2013 et hiver/printemps 2015, la succession des générations a été très rapide et influencée par les couverts des parcelles suivies. Ces observations n'avaient pas été possibles lors du projet réalisé de 1995 à 1997, ce qui interpellait sur les traits de vie des limaces en grandes cultures, notamment en terme de succession des générations.

Les analyses de suivis expérimentaux apportent des données quantitatives relatives aux descriptions des traits de vie de la limace grise (Deroceras reticulatum) dans les conditions du territoire métropolitain français. Elles permettent de réaliser des simulations des générations printanière et automnale. Les données comparées aux modèles existants fournissent de nombreuses informations sur l'ampleur de variabilité de la structure de la population à ces deux périodes et sur plusieurs années.

Ces travaux ont permis de quantifier les effets des types de sol et des pratiques (choix de cultures et intercultures, travail du sol) sur les limaces et d'intégrer ces connaissances dans l'outil d'évaluation multicritère DEXi_limaces (Chabert et al., 2014).

Ainsi, ce projet :

- a apporté des précisions pour le calcul des paramètres à inclure dans les modèles utilisables par des outils de prévision de l'impact des facteurs agronomiques et météorologiques ; leur assemblage pour construire un modèle conceptuel de dynamique des populations reste à faire en vue de tester puis diffuser des outils de prévision opérationnels, tenant compte des interactions entre facteurs agronomiques et environnementaux ;

- a permis de relancer la recherche en écophysiologie sur un sujet en suspens depuis les années 1990 ; les informations acquises contribueront sûrement à la phase d'assemblage des données nécessaires à la construction d'un modèle conceptuel puis ensuite au développement des outils ;

- est un exemple d'écologie fonctionnelle sur un cas concret d'un ravageur des grandes cultures bénéficiant d'une flexibilité phénotypique durant son développement et dont les traits de vie sont régulés par les facteurs agronomiques et climatiques ; un caractère de généricité applicable à d'autres bioagresseurs émane de cette étude.

(1) Voir « Limaces dommageables aux cultures : biologie et nuisibilité », d'A. Chabert et al., Phytoma n° 694, mai 2016, p. 24 à 27.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - En grandes cultures, les attaques de limaces occasionnent des dommages importants sur les semences et les plantules.

Ces dégâts sont irréguliers et amplifiés lors de conditions climatiques favorables aux limaces et, en cas de mise en oeuvre de pratiques culturales réduisant l'intensité du travail du sol, ils se montrent jusqu'à présent difficiles à anticiper.

TRAVAIL - Le concept Resolim, réseau conséquent d'observations de plus de 80 parcelles et d'essais avec différents systèmes de cultures, a fourni de nombreuses données qui ont été mises en regard avec les résultats d'autres études et la bibliographie. Des limaces extraites de ce réseau ont fait l'objet d'études au laboratoire permettant de préciser leur thermotolérance et leur composition biochimique au cours de leur croissance.

RÉSULTATS - L'analyse de l'ensemble des données apporte des précisions concernant : la nuisibilité des limaces, leurs traits de vie dans les champs cultivés au cours des saisons, les effets des différentes pratiques agricoles, de la faune auxiliaire et des conditions météorologiques.

Ce projet, rassemblant de nombreux partenaires, a contribué à la construction d'un outil d'évaluation multicritère du risque limace et d'un modèle conceptuel de dynamique des populations de limaces tenant compte des facteurs climatiques. Leur développement informatique reste une étape à réaliser.

MOTS-CLÉS - Limaces, thermobiologie, systèmes de culture, modélisation, traits de vie, Resolim.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : andre.chabert@acta.asso.fr

BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article (34 références) est disponible auprès de ses auteurs (contact ci-dessus).

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