DOSSIER - Bonnes pratiques Gérer les résistances

Prévenir et gérer les résistances aux produits phyto

RÉSEAU DE RÉFLEXION ET DE RECHERCHES SUR LES RÉSISTANCES AUX PESTICIDES (R4P) : BENOÎT BARRÈS(1), MARIE-FRANCE CORIO-COSTET(2), DANIÈLE DEBIEU(3), CHRISTOPHE DÉLYE(4), SABINE FILLINGER(3), BERTRAND GAUFFRE(5), MOURAD HANNACHI(6), JACQUES GROSMAN(7), GAËLL - Phytoma - n°733 - avril 2020 - page 15

Pour limiter la diffusion de bioagresseurs résistants aux pratiques de contrôle, deux principes sont à retenir : diversité et efficacité des pratiques.
Visite d'un essai maladies sur blé en Picardie (juin 2019). Les différentes stratégies d'utilisation des fongicides synthétiques et de biocontrôle sont évaluées pour leur efficacité et leur capacité à ralentir l'évolution des résistances des Zymoseptoria tritici. Photo : A.-S. Walker - Inrae Bioger

Visite d'un essai maladies sur blé en Picardie (juin 2019). Les différentes stratégies d'utilisation des fongicides synthétiques et de biocontrôle sont évaluées pour leur efficacité et leur capacité à ralentir l'évolution des résistances des Zymoseptoria tritici. Photo : A.-S. Walker - Inrae Bioger

Fig. 1 : Dynamique de la sélection de la résistance aux PPP dans les populations de bioagresseurs, et intérêt de la prévention et de la gestion des résistances      La trajectoire jaune est celle de la sélection d'une résistance à un PPP utilisé de manière systématique (exemple : utilisation récurrente comme seul moyen de contrôle du bioagresseur). La trajectoire verte est celle de la sélection d'une résistance à un PPP utilisé en combinaison avec d'autres pratiques de contrôle et/ou en appliquant des stratégies antirésistance (voir plus loin dans cet article).

Fig. 1 : Dynamique de la sélection de la résistance aux PPP dans les populations de bioagresseurs, et intérêt de la prévention et de la gestion des résistances La trajectoire jaune est celle de la sélection d'une résistance à un PPP utilisé de manière systématique (exemple : utilisation récurrente comme seul moyen de contrôle du bioagresseur). La trajectoire verte est celle de la sélection d'une résistance à un PPP utilisé en combinaison avec d'autres pratiques de contrôle et/ou en appliquant des stratégies antirésistance (voir plus loin dans cet article).

Fig. 2 : Deux dynamiques de sélection de résistance aux PPP chez les bioagresseurs : directe et progressive

Fig. 2 : Deux dynamiques de sélection de résistance aux PPP chez les bioagresseurs : directe et progressive

Fig. 3 : Facteurs à prendre en compte pour évaluer le risque de résistance d'un bioagresseur à un PPP

Fig. 3 : Facteurs à prendre en compte pour évaluer le risque de résistance d'un bioagresseur à un PPP

Fig. 4 : Stratégies de déploiement des PPP pour préserver leur efficacité dans la durée      Les lettres A et B correspondent à la dose efficace de PPP de modes d'action différents, tous deux efficaces vis-à-vis du bioagresseur ciblé ; a est une dose réduite par rapport à la dose efficace (cette stratégie concerne principalement les pathogènes pour lesquels la RNLC n'est pas attendue).      Sources : Walker A.-S. (2018), « Comment prévenir et gérer la résistance aux fongicides ? », Phytoma n° 719, p. 28-33 ; Délye C. (2013), « Adventices : tour d'horizon des résistances », Phytoma n° 669, p. 24-29.

Fig. 4 : Stratégies de déploiement des PPP pour préserver leur efficacité dans la durée Les lettres A et B correspondent à la dose efficace de PPP de modes d'action différents, tous deux efficaces vis-à-vis du bioagresseur ciblé ; a est une dose réduite par rapport à la dose efficace (cette stratégie concerne principalement les pathogènes pour lesquels la RNLC n'est pas attendue). Sources : Walker A.-S. (2018), « Comment prévenir et gérer la résistance aux fongicides ? », Phytoma n° 719, p. 28-33 ; Délye C. (2013), « Adventices : tour d'horizon des résistances », Phytoma n° 669, p. 24-29.

Comme l'illustrent les différents exemples décrits dans ce dossier, de nombreux cas de résistance aux produits de protection des plantes (PPP) sont maintenant bien documentés(1). La sélection de génotypes de bioagresseurs résistants constitue un effet non intentionnel de l'utilisation des PPP et leur suivi fait l'objet d'un plan de surveillance spécifique dans le cadre de la surveillance biologique du territoire (SBT). Quelques principes de gestion permettent de préserver l'efficacité des produits.

L'efficacité des produits phyto, une ressource à préserver

Afin d'améliorer le suivi des résistances, les nouveaux cas doivent faire l'objet d'une déclaration sur le portail de la phytopharmacovigilance de l'Anses(2). Cette surveillance est un prérequis indispensable pour gérer le risque de résistances aux PPP et, in fine, réduire les applications des PPP devenus moins efficaces à cause de ce phénomène. La gestion des résistances aux PPP constitue un enjeu agronomique majeur car les modes d'action des PPP représentent une ressource limitée. Ceci pour plusieurs raisons :

- qu'ils soient d'origine synthétique ou naturelle, la mise sur le marché de nouveaux PPP représente des investissements de recherche et de développement lourds. En outre, leur commercialisation est soumise à des réglementations nationales et européennes drastiques visant à protéger la santé humaine et l'environnement ;

- en cas de résistance, l'arrêt transitoire de l'utilisation d'un PPP n'entraîne un retour rapide à la sensibilité que dans le cas où la résistance est associée à un « coût » physiologique, ce qui est plutôt rare. En général, ce coût est nul : la « valeur sélective » des génotypes résistants en l'absence de PPP est équivalente à celle des génotypes sensibles, et les génotypes résistants sont aussi compétitifs au champ ; de plus, lorsque la décision est prise d'arrêter l'emploi d'un PPP à cause de la résistance, les fréquences de génotypes résistants sont généralement trop élevées pour espérer les « purger » par dérive génétique, en particulier pour les bioagresseurs présentant de grandes tailles de populations.

Les dynamiques des résistances

La résistance est sélectionnée au fil des générations

La résistance en pratique à un PPP survient lorsque les génotypes de bioagresseur résistants présents dans une population atteignent une fréquence suffisante pour que le PPP correctement appliqué n'ait pas une efficacité suffisante pour préserver la qualité et la quantité de la récolte (Figure 1). Pour les pathogènes, ce seuil de fréquence est atteint d'autant plus rapidement que les facteurs de résistance associés au phénotype résistant sont élevés. Lorsque des populations de bioagresseurs sont traitées avec un PPP, celui-ci exerce une pression de sélection (il agit comme un filtre) : il favorise les génotypes résistants (qui survivent car ils sont adaptés), au détriment des génotypes sensibles (qui sont tués). Mécaniquement, la fréquence des génotypes résistants augmente donc au fil des générations, et ce d'autant plus rapidement qu'un seul PPP (ou un seul mode d'action de PPP) est utilisé fréquemment et à de larges échelles géographiques.

Sélection de la résistance : directe ou progressive

Deux dynamiques d'évolution de la résistance peuvent être observées dans les populations. La sélection peut être directe : un génotype résistant augmente en fréquence et envahit rapidement les populations. On parle alors de résistance qualitative, ou disruptive (Figure 2). Ce type de résistance possède en général un déterminisme monogénique. Le plus souvent, il s'agit d'une mutation affectant le gène codant pour la cible du PPP (résistance liée à la cible(3) ou RLC, un seul mode d'action est concerné) (exemple : QoI* chez les champignons, inhibiteurs de l'ALS* chez les adventices, spinosines* chez certains thrips)(*voir encadré ci-dessus). Il existe également des cas de résistance non liée à la cible ou RNLC monogéniques (exemple : résistance multidrogue chez Zymoseptoria tritici ; certaines résistances aux auxiniques chez les adventices ; détoxication d'organophosphorés via la mutation de l'enzyme estérase chez la mouche verte Lucilia cuprina...).

Par contraste, la sélection peut aussi être progressive : saison après saison, les génotypes sensibles sont remplacés progressivement par des génotypes de plus en plus résistants (Figure 2). On parle alors de résistance quantitative (ou progressive). Cette dynamique correspond en général à la mise en place d'une résistance polygénique, c'est-à-dire à l'accumulation de plusieurs mécanismes de résistance dans les génotypes résistants, génération après génération (par exemple : accumulation de gènes « mineurs » de détoxication à effets additifs). Cette accumulation conduit à une augmentation des facteurs de résistance et, potentiellement, à un élargissement du spectre de résistance croisée. La résistance quantitative peut parfois être monogénique (accumulation de mutations dans le gène de la cible du PPP entraînant une résistance accrue ; exemple : IDM* chez Z. tritici, inhibiteurs de l'ALS* ou glyphosate chez les adventices, pyréthrinoïdes chez les insectes).

Reproduction sexuée, combinaison, dissociation

Dans le cas où plusieurs mécanismes contribuent à une résistance, la reproduction sexuée du bioagresseur lui permet de combiner rapidement ces mécanismes au sein d'un même génotype. À l'inverse, des combinaisons de résistance avantageuses peuvent être dissociées lorsque les génotypes résistants se croisent avec des génotypes sensibles. La fréquence respective des génotypes résistants et sensibles est un facteur important en jeu dans cet équilibre entre combinaison et dissociation : plus les génotypes résistants sont fréquents, plus la combinaison de mécanismes est facile et rapide. De ce fait, arrêter de traiter alors que la fréquence des génotypes résistants est faible favorise la dissociation, et donc ralentit la sélection de résistances. Enfin, certains bioagresseurs possèdent une reproduction asexuée (ravageurs ou pathogènes) ou autogame (adventices) qui permet de multiplier à l'identique des génotypes possédant des associations complexes de mécanismes de résistance. La caractérisation des dynamiques spatio-temporelles de résistance constitue donc un prérequis important à leur gestion, car les leviers qui pourront être exploités pour gérer au cas par cas les différentes situations ne seront pas les mêmes.

Peut-on prédire la résistance ?

Intérêt d'une détection précoce

Au moment de la mise sur le marché d'un nouveau mode d'action ou d'un nouveau PPP, la fréquence des génotypes résistants est très faible et le plus souvent indétectable. La probabilité de détection des individus résistants dépend de leur fréquence dans les populations, et donc de l'intensité et de la précision des actions de surveillance qui sont mises en place. La détection des premiers génotypes résistants (Figure 1) permet la caractérisation de leur phénotype (incluant le facteur de résistance et le spectre de résistance) puis l'élucidation du ou des mécanismes de résistance en cause (RLC ou RLNC), et enfin la recherche des modifications du génome induisant la résistance afin de développer des outils de diagnostic rapides. Ceci permet d'adapter en connaissance de cause les stratégies de gestion de la résistance, mais aussi et surtout les stratégies de prévention. Une détection précoce de la résistance permettra non seulement de limiter les pertes d'efficacité en pratique, mais aussi de préconiser les mesures les plus adaptées pour ralentir la sélection du ou des premiers génotypes résistants identifiés.

Mesures de précaution

Dans l'attente d'une première détection de la résistance, des mesures de précaution sont souvent conseillées de manière préventive (en particulier, limitations d'emploi). Il peut être aussi efficace de tenter de prédire les caractéristiques de la résistance d'un bioagresseur donné à un PPP donné. Cette prédiction est souvent plus facile lorsque des cas de résistance sont déjà connus dans d'autres régions du monde et/ou chez d'autres bioagresseurs. De même, une nouvelle substance active ayant un mode d'action déjà utilisé au champ et ayant sélectionné une résistance sera souvent (attention, pas toujours) concernée par une résistance croisée avec les PPP de même mode d'action déjà homologués. La prédiction est en revanche plus complexe dans le cas de modes d'action nouveaux, et en particulier ceux dont on ne connaît pas précisément la variabilité de la cible ou les voies métaboliques de dégradation. En effet, des mécanismes de résistance non liée à la cible déjà sélectionnés dans les populations de bioagresseurs peuvent conférer une résistance à un nouveau PPP/mode d'action.

Approche expérimentale et évaluation du risque

Des approches d'évolution expérimentale peuvent être utilisées pour tenter de prédire le type de génotype résistant qui sera sélectionné au champ. L'évolution expérimentale consiste à exposer une population/un individu sauvage de l'espèce de bioagresseur au PPP pendant plusieurs générations, afin de sélectionner des génotypes résistants qu'il sera possible de caractériser ensuite. Selon la nature du bioagresseur, cette évolution accélérée peut s'effectuer in vitro à partir d'une souche ou d'une population sensible (micro-organismes), ou en conditions semi-naturelles (élevage, serre...) à partir de populations du champ (insectes, adventices).

Outre la connaissance de la génétique de la résistance (mécanisme, dynamique, dominance...), d'autres facteurs sont importants à prendre en compte pour évaluer le risque de résistance (Figure 3) :

- le risque intrinsèque associé au PPP ; celui-ci est lié à son mode d'action, sa rémanence (c'est-à-dire la durée de l'exposition qu'il génère à une dose donnée) ou encore au type de résistance qu'il sélectionne (RLC ou RNLC) ;

- les capacités d'adaptation du bioagresseur et sa niche écologique (la variabilité de son génome, ses capacités de reproduction et de dissémination, son abondance dans les parcelles agricoles, la fraction de sa population globale potentiellement exposée au PPP) ;

- l'utilisation pratique du PPP, particulièrement l'intensité et l'ampleur spatio-temporelle de son application.

La combinaison de ces différents facteurs permet d'évaluer un risque de sélection de résistance pour le PPP. Cette analyse par facteur de risque est par exemple reprise dans les matrices de prédiction du risque produites par le Frac ou le HRAC, mais également de manière plus fiable dans un modèle simple de prédiction des émergences de résistance aux fongicides(4).

Réduire le risque de résistance en diversifiant les leviers

Diversifier les pratiques de contrôle des bioagresseurs

La prévention (retarder l'émergence) et la gestion (ralentir la sélection et la diffusion) des résistances reposent sur un principe simple : maximiser l'hétérogénéité des pressions de sélection appliquées sur les populations de bioagresseurs. Autrement dit, il s'agit de diversifier le plus possible les pratiques et les leviers de contrôle pour rendre la pression de sélection exercée « imprévisible » pour les bioagresseurs afin de « compliquer » au maximum leur adaptation. Rappelons ici que la résistance constitue la réponse adaptative des bioagresseurs à la sélection exercée par les pratiques de contrôle, quelles qu'elles soient : il est donc illusoire de vouloir empêcher son évolution tant que les pratiques de contrôle seront utilisées.

L'unique solution pour ne pas sélectionner de génotypes résistants à un PPP consiste à ne pas utiliser ce PPP pour ne pas exercer de pression de sélection ! D'un point de vue plus pratique, l'idée est de réduire le nombre d'applications de ce PPP (et de ceux ayant le même mode d'action) en les substituant par d'autres moyens de lutte dans le cadre d'une stratégie de contrôle intégrée. Cette substitution dépend évidemment de la disponibilité et de l'efficacité des solutions alternatives, qui diffèrent selon les catégories de bioagresseurs.

Employer des leviers alternatifs et les combiner

Contre les adventices, il s'agit essentiellement des techniques culturales (travail du sol, désherbage mécanique), ainsi que de la nature des cultures (plutôt que d'implanter des rotations culturales immuables, penser « succession » de cultures, à définir en fonction de l'état malherbologique des parcelles).

Côté maladies, la gestion des résidus de culture et des repousses par les rotations et les techniques culturales constituent souvent une bonne option. La gestion du microclimat de la plante (sous abri ; par des techniques de taille et la maîtrise de la vigueur des plantes) permet en général des conditions d'aération qui défavorisent le développement des agents pathogènes. Des solutions de biocontrôle à base de micro-organismes sont également de plus en plus développées. Enfin, avec l'essor de la génomique et l'identification facilitée des déterminants de la résistance des plantes à leurs agresseurs, la sélection variétale a énormément progressé pour permettre la mise en marché de cultivars tolérants, voire résistants aux maladies.

Concernant la gestion des insectes, les options sont encore plus variées, avec le développement de la lutte physique (par exemple : filets anti-insectes), la lutte génétique (variétés tolérantes) et surtout la disponibilité de préparations microbiennes (virus, champignons) insecticides, d'auxiliaires prédateurs ou parasites des insectes phytophages, de médiateurs chimiques et autres attracticides.

D'une manière générale, la mise en place d'une diversité de méthodes de lutte permet globalement de diminuer la pression de sélection exercée individuellement non seulement par les PPP, mais plus généralement par chaque méthode de lutte mise en oeuvre, et donc d'augmenter la durabilité de l'ensemble de ces méthodes. En effet, les PPP ne sont pas les seules techniques de lutte concernées par la résistance. Des exemples d'adaptation des bioagresseurs à des variétés résistantes, des préparations microbiennes, des substances actives d'origine naturelle et mêmes des techniques de lutte physique ou culturales sont maintenant connus. N'utiliser les PPP qu'en dernier recours permet d'en préserver l'efficacité dans la durée mais laisse surtout la possibilité de diversifier la pression de sélection en déployant des méthodes de lutte variées et combinées.

Utiliser les produits phyto en stratège !

Lorsque l'application de PPP est nécessaire, il est indispensable de maintenir la diversité de la pression de sélection en adoptant des stratégies optimisant le déploiement des modes d'action dans l'espace et dans le temps (Figure 4). L'idée est ici de « casser la monotonie » de la pression de sélection en évitant d'appliquer un même PPP/mode d'action de manière continue, à de larges échelles spatio-temporelles, et dans des conditions d'efficacité « limites ». Il va de soi que les stratégies visant à prévenir et gérer les résistances ne doivent idéalement inclure que des substances actives aux modes d'action différents, non concernées par la résistance, appliquées à leur dose efficace contre le bioagresseur visé et, si les données sont disponibles, ne présentant pas de résistance croisée entre elles.

Stratégie d'alternance : diversifier les modes d'action dans le temps

La stratégie de l'alternance (ou « rotation ») consiste à créer une hétérogénéité temporelle, en exposant les générations successives du bioagresseur à des modes d'action différents. Le pas de l'alternance doit être raisonné selon le temps de génération du bioagresseur visé et de la rémanence (durée d'exposition) du PPP : des générations successives doivent être contrôlées par des modes d'action différents. Dans de bonnes conditions, l'alternance peut en outre permettre de profiter d'un éventuel coût associé à la résistance (s'il existe !) pour réduire la fréquence des génotypes résistants entre deux applications. Cette stratégie est particulièrement bien adaptée aux cultures pérennes, où les programmes comprennent en général de multiples applications. L'alternance peut également se concevoir de manière interannuelle pour des cultures annuelles.

Stratégie de mosaïque : diversifier les modes d'action dans l'espace

La stratégie de mosaïque consiste à générer une hétérogénéité dans l'espace, en appliquant des modes d'action différents entre parcelles ou petites régions, au sein d'un territoire. Elle peut également inclure des zones-refuges non traitées, constituant un réservoir d'individus sensibles. La mosaïque permet de profiter de la dispersion des descendants des individus résistants à un mode d'action pour les tuer avec un autre mode d'action. Cette stratégie doit être optimisée en fonction des capacités de dispersion du bioagresseur visé. Elle permet également de profiter des coûts éventuels associés à la résistance. Cette stratégie est encore peu utilisée ; elle pourrait cependant être particulièrement efficace contre des bioagresseurs présentant de fortes capacités de dispersion. Pour être efficace, cette stratégie nécessite une gestion concertée et collective de la résistance sur un territoire donné (voir article p. 32).

Stratégie d'association : mélanger des modes d'action différents

La stratégie d'association (ou de mélange) repose sur l'application d'une pression de sélection directement hétérogène. Il s'agit de contrôler au même moment et au même endroit un bioagresseur avec au moins deux modes d'action différents, la sélection d'une résistance multiple étant très fortement moins probable que celle d'une résistance simple.

Cette stratégie suppose néanmoins que les PPP associés dans le mélange ne soient pas concernés par un même mécanisme de résistance (résistance croisée), et soient associés chacun à leur dose efficace contre le bioagresseur visé. Les mélanges ne répondant pas à ces conditions ne constituent pas une stratégie durable de gestion de la résistance. À noter : certaines associations entre substances actives de même mode d'action ou ne visant pas les mêmes bioagresseurs peuvent permettre d'élargir le spectre d'efficacité (la gamme d'espèces de bioagresseurs contrôlées) mais n'ont pas d'intérêt pour gérer le risque de résistance. Les mélanges sont soumis en France à une réglementation spécifique (arrêté du 12 juin 2015(5)), tenant compte des risques toxicologiques de chaque partenaire.

Stratégie de modulation des doses : prudence

Enfin, la stratégie de modulation de dose consiste à réduire la dose d'une substance active (par exemple, dans un mélange). Cette stratégie est adaptée aux situations où la RLC (résistance par modification de cible) constitue le mécanisme unique attendu, soit principalement chez les champignons phytopathogènes pour lesquels de nombreuses études montrent que la diminution de dose permet de ralentir la sélection de résistances qualitatives, en diminuant l'intensité de la sélection. En revanche, cette stratégie est à proscrire chez les adventices et les ravageurs, chez qui elle peut au contraire faciliter la sélection de mécanismes de RNLC, fréquemment observés chez ces organismes, et ainsi permettre la mise en place insidieuse de ces résistances complexes à gérer sur le long terme, et pouvant concerner de manière imprévisible une grande diversité de modes d'action. Dans ces cas, l'utilisation de la dose efficace est à préférer, de même que pour les quelques cas où la RNLC est décrite chez les champignons phytopathogènes.

Dans la pratique, ces différentes stratégies peuvent être combinées, à l'échelle de la parcelle et au long de la saison culturale. À l'échelle territoriale, elles peuvent faire l'objet de stratégies collectives, à raisonner de manière pluriannuelle.

Et la gestion de la résistance ?

Une fois maîtrisée la prévention, les principes de la gestion de la résistance sont simples à acquérir : ce sont rigoureusement les mêmes. La seule différence entre prévention de la résistance et gestion de la résistance est que, dans le cas de la gestion, toutes les options PPP ne sont plus disponibles...

Prévention et gestion : deux principes à retenir

Deux principes fondamentaux...

En conclusion, la prévention et la gestion de la résistance aux PPP reposent sur deux principes fondamentaux :

• La diversité des pratiques de contrôle, avec l'objectif de combiner différentes méthodes de lutte (prophylaxie, mise à profit des régulations naturelles, pratiques non chimiques, et PPP en dernier recours), en tenant compte de leur disponibilité, de leur efficacité contre le ou les bioagresseurs visés et de leur pertinence face à la situation à gérer. Cette diversité est à raisonner sur de larges échelles de temps (en intra- et inter-annuel, au fil des rotations, en particulier pour les bioagresseurs à courte durée de génération et/ou présents dans plusieurs cultures successives) et d'espace. Il est en effet ici nécessaire de dépasser l'échelle de la parcelle, et de considérer celle du paysage, en particulier pour les bioagresseurs à forte capacité de dispersion. La diversité est également un maître-mot lors du déploiement des PPP, qui doit se faire en adoptant la stratégie la plus adaptée aux facteurs de risque (Figure 3) évalués pour le système culture/bioagresseur/PPP considéré. Enfin, il est nécessaire de prendre en compte le statut des résistances déjà présentes dans les populations de bioagresseurs visées. La détection précoce et le suivi de la résistance en temps réel, ainsi que la communication qui peut en être faite, sont donc particulièrement importants pour une utilisation raisonnée et efficiente des PPP.

• L'efficacité du contrôle, avec l'objectif d'empêcher la sélection des génotypes résistants les plus préjudiciables lorsqu'ils sont encore en faible fréquence dans les populations. Il est crucial de traiter en optimisant les conditions d'application (outre la maîtrise technique et une météorologie adéquate, le stade de développement du bioagresseur est important), avec éventuellement l'appui d'outils d'aide à la décision (par exemple : http://sam.sophia.inra.fr). Dans le cas des adventices, une efficacité maximale (application correcte de la dose efficace sur les adventices ciblées) est la clé pour éviter la sélection « progressive » de mécanismes de RNLC qui peuvent concerner des substances avec des modes d'action différents. Pour les insectes, il est important de préserver la faune auxiliaire qui a un fort potentiel régulateur des ravageurs tant résistants que sensibles, donc augmenter les doses est fortement déconseillé. En revanche, comme pour les herbicides, diminuer les doses en dessous du seuil d'efficacité va conduire à la sélection progressive de résistances multigéniques. Il convient donc d'utiliser la dose efficace. Pour les champignons, la diminution de la dose peut être envisagée mais elle doit être absolument raisonnée par rapport au mécanisme de résistance attendu. La pratique du fractionnement peut également être à risque car elle augmente fortement l'exposition des populations au cours de la saison culturale, et donc potentiellement la sélection des résistances. Cette pratique est très réglementée, et tous les PPP ne sont pas fractionnables. Quand elle est autorisée, il est impératif d'effectuer toutes les applications en suivant les recommandations (en particulier, stade de développement du bioagresseur et intervalle entre deux applications).

Un raisonnement au cas par cas

Il n'existe pas de stratégie générique ou idéale. Le raisonnement de la gestion durable de l'efficacité des PPP doit être envisagé au cas par cas, en fonction de la situation agronomique et sanitaire de la parcelle considérée. La complexité de la prévention et de la gestion des résistances réside dans le fait qu'il faut considérer des échelles de temps longues (accepter de perdre un peu régulièrement pour gagner de la durabilité sur le long terme), et des échelles spatiales larges (accepter de perdre localement, mais y gagner à l'échelle du paysage/du bassin agricole). Ceci est malheureusement peu compatible avec la réalité économique actuelle des systèmes de production agricoles. La prise en compte des phénomènes de résistance nécessite également des actions bien en amont de l'émergence des premiers cas.

Pour ces raisons, tous les acteurs des filières doivent se sentir concernés, quel que soit leur niveau d'intervention. En effet, rien n'empêche actuellement un acteur de favoriser la surutilisation d'un PPP au point de sélectionner des résistances et de le rendre moins efficace, et par là même d'empêcher les autres acteurs de l'utiliser avec sa pleine efficacité. En cela, le stock de modes d'action efficaces constitue un bien commun, dont la pérennité dépend de la mise en place d'une gestion collective, aux échelles territoriales. Ceci passe par une communication transparente autour de la résistance (statut, mécanismes, stratégies de gestion) entre tous les acteurs des filières.

(1) Pour la France : www.r4p-inra.fr/fr/statut-des-resistances-en-france(2) ) Signalement à effectuer sur le site www.anses.fr https://tinyurl.com/uq6ekbj(3) Voir la description des mécanismes de résistance liés à la cible (RLC) ou non liés à la cible (RLNC) : R4P (2018), « Une classification unifiée des produits de protection des plantes », Phytoma n° 716, p. 42-46. ; R4P (2016), « Trends and Challenges in Pesticide Resistance Detection », Trends in Plant Science, 21(10), p. 834-853.(4) www.frac.info ; www.hracglobal ; Grimmer M. K. et al. (2014), « Fungicide resistance risk assessment based on traits associated with the rate of pathogen evolution », Pest Management Science, 71 (2), p. 207-215.(5) Arrêté du 12 juin 2015 ; www.melanges.arvalisinstitut-duvegetal.fr

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La sélection de génotypes de bioagresseurs résistants constitue un des effets non intentionnels de l'utilisation des produits de protection des plantes (PPP). Le suivi et la gestion de ces génotypes représentent un enjeu agronomique majeur afin de préserver durablement l'efficacité des PPP.

PRINCIPE DE GESTION - La résistance est le résultat de l'adaptation des bioagresseurs à la pression de sélection exercée par les pratiques de contrôle. Les éléments de compréhension présentés dans cet article s'appliquent à tous les PPP, qu'ils soient d'origine synthétique ou d'origine naturelle. Notre objectif est de sensibiliser les lecteurs à la nécessité de diversifier les leviers de protection des cultures et de promouvoir des « bonnes pratiques » en phase avec la transition agroécologique.

MOTS-CLÉS - Résistance aux produits de protection des plantes (PPP), mode d'action, bonnes pratiques, stratégie, alternance, mosaïque, association, modulation de dose.

Familles de SA citées

QoI : inhibiteurs du site externe du cytochrome b.

IDM : inhibiteur de la 14<03B1>-démé-thylation des stérols.

ALS : acétolactate-synthase.

Spinosines : activateurs de l'ouverture du récepteur nicotinique de l'acétylcholine (système nerveux des insectes).

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : Contact_r4p@inra.fr

Contact_r4p@R4P_network

LIEN UTILE : www.r4p-inra.fr

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