Gestion du désherbage

Résistances aux herbicides les adventices pérennes aussi !

CHRISTIAN PIEKACZ*, GAËLLE BECHER*, GILLES BERTIN*, MAXIME BÉNICHON*, SÉBASTIEN BAYART* ET CHRISTOPHE DÉLYE** *FMC Agricultural Solutions. **Inra Agroécologie - Dijon. - Phytoma - n°729 - décembre 2019 - page 51

Pour la première fois en France, un cas de résistance à des herbicides est signalé chez une vivace : Rumex obtusifolius.
2. Fructification de rumex à feuilles obtuses.

2. Fructification de rumex à feuilles obtuses.

Plante de rumex à feuilles obtuses.  Photo : B. Bui - Tela Botanica

Plante de rumex à feuilles obtuses. Photo : B. Bui - Tela Botanica

Infestation de céréales (parcelle de Sizun) par du rumex à feuilles obtuses. Photos : FMC

Infestation de céréales (parcelle de Sizun) par du rumex à feuilles obtuses. Photos : FMC

Fig. 1 : Efficacité (%) de différents produits commerciaux sur la population de rumex à feuilles obtuses de Sizun, 28 jours après traitement      Source : FMC - ERDC, G. Becher, janvier 2019.

Fig. 1 : Efficacité (%) de différents produits commerciaux sur la population de rumex à feuilles obtuses de Sizun, 28 jours après traitement Source : FMC - ERDC, G. Becher, janvier 2019.

Fig. 2 : Résultats à 28 jours après application des tests de sensibilité à des herbicides effectués sur la population de rumex à feuilles obtuses de Sizun      À gauche, population Sizun. À droite, population de référence (100 % de plantes sensibles).

Fig. 2 : Résultats à 28 jours après application des tests de sensibilité à des herbicides effectués sur la population de rumex à feuilles obtuses de Sizun À gauche, population Sizun. À droite, population de référence (100 % de plantes sensibles).

Tous les cas de résistance aux herbicides signalés en France jusqu'ici concernaient des adventices annuelles. Mais les parcelles hébergent également des adventices vivaces qui subissent la pression de sélection exercée par les herbicides. La résistance est donc susceptible d'évoluer chez des espèces vivaces. La preuve vient d'en être faite : un nouveau cas de résistance aux herbicides inhibiteurs de l'ALS (acétolactate synthase, groupe HRAC(1) B) a été identifié chez une espèce de vivace, le rumex à feuilles obtuses. Cette espèce est la 19e en France chez laquelle une résistance à ce mode d'action est identifiée.

Les rumex : des adventices à deux visages

Les rumex (photo 1) sont des adventices communes dans un grand nombre de cultures. Leur présence indique souvent une réduction de l'intensité du travail du sol ou la présence de prairies temporaires (luzerne, trèfle...) dans la rotation. Outre une capacité de compétition importante avec la culture, ces plantes sont capables de produire de grandes quantités de semences (jusqu'à 60 000 par plante) qui peuvent persister plusieurs décennies dans le sol (jusqu'à 80 ans selon l'Itab(2)). Ces espèces présentent aussi la particularité d'infester les parcelles sous deux formes. Les plantes « de semis » lèvent à l'automne à partir des semences (photo 2). Pendant leur croissance, ces plantes développent une racine pivotante tubérisée. Cette racine peut s'enfoncer très profondément dans le sol. Elle est un organe de réserve qui permet la régénération des parties aériennes si celles-ci sont détruites. Dès huit à dix semaines, les racines sont suffisamment développées pour permettre la repousse des rumex. Les racines implantées dans le sol sont à l'origine de la deuxième forme : la plante « de souche », qui émerge au printemps.

Désherbage chimique des rumex : les inhibiteurs de l'ALS en pointe

Les substances herbicides les plus efficaces pour la gestion des rumex appartiennent à deux modes d'action : les herbicides auxiniques (groupe HRAC O : fluroxypyr, MCPP, etc.) et les inhibiteurs de l'ALS (groupe HRAC B : metsulfuron, thifensulfuron, florasulame, etc.). L'efficacité de ces herbicides est maximale quand ils sont appliqués au stade rosette du rumex, qui dure généralement jusque fin avril ou début mai selon les années. Dans le cas des inhibiteurs de l'ALS, on notera que l'application doit s'effectuer à une dose suffisamment élevée pour être efficace (au minimum 4 g/ha de substance active pour le metsulfuron sur céréales) (Anonyme, 2014).

Confirmation d'un cas de résistance du rumex en Armorique

Échec de pratiques de désherbage

Dans le cadre du suivi de performance de post-autorisation des herbicides inhibiteurs de l'ALS, la société FMC a été amenée à investiguer une suspicion de résistance concernant un herbicide à base de metsulfuron sur rumex à feuilles obtuses (ou patience à feuilles obtuses, Rumex obtusifolius, photos 1 et 3). Cet herbicide utilisé en 2017 dans une culture de céréale sur la commune de Sizun (Finistère) n'a pas permis de contrôler le rumex (photo 4).

L'étude des pratiques de désherbage (Tableau 1) n'ayant pas permis d'élucider les causes de l'échec de contrôle, des prélèvements de feuilles et de semences ont été effectués juste avant la récolte de la céréale en 2017 sur des plantes ayant survécu aux traitements dans la parcelle.

Tests biologiques de sensibilité aux herbicides

Les objectifs de ces tests étaient de mesurer l'efficacité de différents herbicides normalement efficaces contre le rumex sur la population de rumex à feuilles obtuses de Sizun. Les sept herbicides testés (Tableau 2) sont des substances utilisables sur céréales. Ils comprennent trois inhibiteurs de l'ALS (deux sulfonylurées : le metsulfuron et le thifensulfuron, et une triazolopyrimidine : le florasulame), et un herbicide auxinique (fluroxypyr). Trois autres herbicides auxiniques (2,4-MCPA, clopyralide et halauxifène) ont été indirectement inclus dans les tests parce qu'ils sont vendus formulés en association avec des substances efficaces contre cette espèce.

Les semences ont été envoyées au centre de recherche de FMC (ERDC - Nambsheim). Elles ont été semées en pot, puis placées en chambre de croissance jusqu'au stade d'application choisi (rosette à cinq feuilles). Les jeunes plantes ont alors été traitées avec les différents herbicides appliqués à la dose maximale homologuée contre les rumex (dose N) ou à 1,5 fois cette dose pour Harmony SX (Tableau 2), et à 8 fois la première dose, puis replacées en chambre de croissance jusqu'à la notation. Une population de référence fournie par la société Herbiseed et ne comprenant que des plantes sensibles aux sulfonylurées a été incluse dans le test. L'efficacité des traitements sur les plantes a été notée visuellement 28 jours après l'application en évaluant la réduction de biomasse sur une échelle de 0 à 100.

La résistance aux inhibiteurs de l'ALS confirmée

Les résultats des tests indiquent que les spécialités contenant un herbicide inhibiteur de l'ALS, seul ou associé, ont une efficacité fortement réduite sur la population de Sizun (Figure 1 page suivante). En revanche, l'efficacité du fluroxypyr ne semble pas altérée sur les plantes testées (Figures 1 et 2 page suivante).

Recherche du mécanisme de résistance : étude de l'ADN

Identifier une résistance à l'aide d'un test biologique ne renseigne pas sur le mécanisme en cause. Il est pourtant important de le connaître, car des mécanismes différents peuvent conférer une résistance à une gamme différente d'herbicides (c'est-à-dire un spectre de résistance croisée différent) (Délye, 2013).

Le gène codant pour l'ALS a été séquencé par la société IdentXX chez 25 plantes de rumex à feuilles obtuses ayant survécu aux traitements sur la parcelle de Sizun, et chez 25 plantes issues de semences collectées sur cette parcelle. Comparé à celui de plantes de référence (sensibles), le gène de l'ALS de 23 des 25 plantes collectées sur la parcelle et de 23 des 25 plantes issues de semis porte une mutation au codon 574. Les mutations au codon 574 de l'ALS sont connues pour conférer une forte résistance à tous les inhibiteurs de l'ALS, quelle que soit leur famille chimique (Tranel et al., 2019). Ceci explique que les deux sulfonylurées (metsulfuron et thifensulfuron) et la triazolopyrimidine (florasulame) testées sur la population de Sizun soient toutes concernées par la résistance (Figure 1). Les résultats du séquençage confirment donc les tests biologiques : une résistance générale aux inhibiteurs de l'ALS est bien présente chez le rumex à feuilles obtuses dans la parcelle de Sizun.

La résistance est fixée...

Le rumex à feuilles obtuses est une espèce tétraploïde. Cela signifie que son génome est dupliqué. En particulier, il contient deux gènes d'ALS, chacun en deux copies, au lieu d'un seul gène habituellement. Les résultats du séquençage suggèrent que l'un de ces deux gènes d'ALS serait homozygote mutant dans la plupart des plantes de la parcelle de Sizun (les deux copies de ce gène portent la mutation au codon 574). Cela veut dire que tous les descendants de ces plantes seront également homozygotes mutants. La résistance est donc pratiquement fixée, c'est-à-dire pratiquement irréversible à moins d'éradiquer complètement le rumex dans la parcelle de Sizun.

Perspectives

Première mondiale

Ce cas de résistance identifié chez le rumex à feuilles obtuses est une première en France, mais aussi dans le monde. En effet, aucun cas de résistance n'avait encore été signalé chez cette espèce. Les seuls cas publiés pour le genre Rumex concernent une résistance à des inhibiteurs du photosystème II (groupe HRAC C1) chez Rumex acetosella au Canada, et une résistance à des inhibiteurs de l'ALS chez Rumex dentatus en Inde (Heap, 2019).

Et maintenant, que faire ?

La résistance identifiée chez le rumex à feuilles obtuses est une résistance due à une mutation dans le gène de l'ALS, c'est-à-dire une résistance liée à la cible. Ce type de résistance ne concerne qu'un seul mode d'action herbicide (ici, uniquement les inhibiteurs de l'ALS). De ce fait, pour recouvrer un contrôle chimique efficace sur la parcelle de Sizun, il faut changer de mode d'action herbicide. Ceci est confirmé par les résultats des tests biologiques, qui montrent qu'un herbicide auxinique comme le fluroxypyr reste efficace sur les plantes résistantes aux inhibiteurs de l'ALS. Une liste d'herbicides utilisables en céréales et efficaces contre le rumex est donnée dans le Tableau 3.

Le changement, c'est payant

Après analyse de sa situation, l'agriculteur cultivant la parcelle de Sizun a modifié le cycle de sa rotation en intégrant une culture de pomme de terre au printemps 2018. Celle-ci lui a en outre permis d'introduire de la lutte mécanique par la préparation et le travail du sol, car les herbicides autorisés sur pomme de terre ne contenant pas d'inhibiteurs de l'ALS ont peu d'efficacité sur Rumex.

À l'automne 2018, une céréale a été implantée. Un premier désherbage a été effectué en automne, ciblant les dicotylédones annuelles (prosulfocarbe 3 l/ha + isoxaben 0,5 l/ha). Après les inefficacités constatées en 2017, les rumex résistants ont pu grainer. De ce fait, en sortie d'hiver 2018, il aurait idéalement fallu effectuer une application d'une spécialité ne contenant aucun inhibiteur de l'ALS (groupe B) pour contrôler le rumex, ceci afin d'éviter d'aggraver encore le problème de résistance. Mais comme la parcelle présentait aussi des levées printanières d'autres dicotylédones, l'application a été effectuée avec 1,5 l/ha de Kaon (clopyralide+ florasulame + fluroxypyr) (groupes B + O). Cette application a permis un contrôle total des rumex. À l'été 2019, la parcelle affichait une baisse significative de la population de rumex. Ceci montre que la combinaison de l'agronomie et d'herbicides ayant des modes d'action non concernés par la résistance identifiée (ici, groupe O) permet de contrôler efficacement des populations d'adventices. Toutefois, il ne faudra pas que l'agriculteur se repose uniquement sur des herbicides de groupe O pour contrôler le rumex, sous peine de risquer de sélectionner également une résistance aux herbicides auxiniques.

Quelques pistes pour une gestion durable des rumex

Comme trop souvent, ce nouveau cas de résistance a été identifié dans une parcelle où l'espèce concernée (ici, le rumex à feuilles obtuses) était essentiellement contrôlée par un seul mode d'action (en l'occurrence, les inhibiteurs de l'ALS) (Tableau 1). Ce nouveau cas de résistance rappelle encore une fois que, pour réduire le risque de sélection de résistances, il faut utiliser les herbicides de manière raisonnée, et appliquer le plus grand nombre possible de modes d'action efficaces sur l'espèce ciblée (en association ou en alternance) dans les cultures où elle est présente. Et bien entendu, il ne faut pas s'appuyer uniquement sur la chimie pour le désherbage. Ceci implique de diversifier sa succession de cultures et d'adopter des pratiques de désherbage non chimiques.

Dans le cas du rumex, seules quelques cultures comme le ray-grass d'Italie, le seigle, l'avoine et la luzerne sont capables d'exercer une concurrence efficace contre cette adventice. Au niveau des pratiques, il faut éviter le labour : si cette technique empêche l'implantation de gros rumex de souche, elle enfouit les semences et favorise leur survie dans le sol (jusqu'à 80 ans selon l'Itab(2)). Les déchaumages réalisés en interculture et en conditions sèches sont le levier le plus efficace contre les rumex. Mais attention, il faut utiliser un outil approprié pour remonter en surface les racines des rumex de souche sans les fractionner afin de ne pas les multiplier (Anonyme, 2014). Les faux semis sont également efficaces pour favoriser les levées de rumex et ainsi réduire le stock semencier (Anonyme, 2014).

(1) Herbicide Resistance Action Committee.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - À la suite d'échecs de désherbage de rumex à feuilles obtuses (Rumex obtusifolius) à l'aide d'herbicides inhibiteurs de l'ALS (groupe HRAC B) en culture de céréales, l'hypothèse de la présence d'une résistance à ces herbicides a été étudiée.

ÉTUDE - Une population provenant d'une parcelle bretonne où le rumex à feuilles obtuses n'était plus contrôlé par les herbicides de groupe B a été soumise à des tests biologiques avec trois herbicides de ce groupe (metsulfuron, thifensulfuron et florasulame) et un herbicide auxinique (fluroxypyr, groupe HRAC O).

Le gène de l'ALS a également été séquencé afin de rechercher la présence de mutations causant une résistance aux herbicides inhibiteurs de l'ALS dans cette population.

RÉSULTATS - Les tests biologiques ont montré l'existence d'une résistance aux trois inhibiteurs de l'ALS testés. En revanche, la sensibilité au fluroxypyr des plantes de rumex de la parcelle concernée n'était pas altérée.

Une mutation au codon 574 entraînant une résistance générale aux herbicides du groupe B a été identifiée dans cette parcelle. L'étude souligne le risque de résistance associé à un désherbage uniquement chimique, qui plus est essentiellement basé sur un seul mode d'action.

MOTS-CLÉS - Grandes cultures, rumex à feuilles obtuses, patience à feuilles obtuses, Rumex obtusifolius, désherbage, herbicides inhibiteurs de l'acétolactate synthase (ALS, groupe HRAC B), herbicides auxiniques (groupe HRAC O), résistance, mutation.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : Sebastien.bayart@fmc.com

christophe.delye@inra.fr

BIBLIOGRAPHIE : - Anonyme, 2014, Rumex : des solutions combinées pour éviter les débordements, Arvalis-Cetiom Infos, septembre 2014, p. 6-7.

Disponible sur : https://www.arvalis-infos.fr/rumex-des-solutions-combinees-pour-eviter-les-debordements-@/view-16749-arvarticle.html

- Délye C., 2013, Adventices : tour d'horizon des résistances, Phytoma n° 669, p. 24-29.

- Heap I., 2019, International survey of herbicide-resistant weeds, http://www.weedresearch.com/in.asp

- Tranel P. J., Wright T. R, Heap I. M., 2019, ALS mutations from herbicide-resistant weeds. Voir lien weedresearch.com.

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