dossier

Santé des arbres en ville, la question du diagnostic

CÉLINE HAMON* ET CAROLINE LOHOU**. - Phytoma - n°655 - juin 2012 - page 31

Gérer la qualité sanitaire des arbres en milieu urbain peut exiger un diagnostic précoce et la PCR en est un utile outil, c'est le cas à Paris
 ph. C. Lohou

ph. C. Lohou

 ph. C. Lohou

ph. C. Lohou

Les arbres urbains ne présentent pas de pathologies spécifiques. Leurs maladies et ravageurs sont les mêmes que ceux des arbres d'autres localisations. Mais le milieu urbain favorise certains bioagresseurs. Par ailleurs il impose des exigences particulières. Notamment, dans certains cas, un diagnostic le plus précoce possible. Voyons ce qu'il en est à Paris.

Pourquoi les arbres urbains sont davantage menacés

D'abord, la température toujours supérieure de 2 à 3 °C dans les grandes agglomérations favorise la présence et la survie hivernale de nombreux insectes dont les ravageurs des arbres : acariens, pucerons, cochenilles, mineuses, insectes xylophages, termites… Ensuite, la présence de plaies sur presque tous les arbres (taille, chocs de voiture, travaux…) favorise la pénétration de maladies et champignons (maladies et champignons lignivores qui déstructurent le bois) et de bactéries pathogènes.

Enfin, l'état de stress chronique des arbres en ville, surtout en alignement (manque d'eau, chocs, pollution du sol, sels de déneigement, poussières, tailles importantes…) rend les arbres plus fragiles et plus exposés à tous les pathogènes car leurs défenses immunitaires s'en trouvent affaiblies.

Voici un tour d'horizon des problèmes phytosanitaires des arbres parisiens.

À Paris, des ravageurs nuisibles aux arbres

Acariens, seul le tilleul

Parmi les acariens, seul celui du tilleul peut causer de réelles nuisances par défeuillaison des arbres si les conditions météorologiques estivales sont très chaudes et sèches (cas en 2010). Mais depuis l'arrêt des traitements chimiques contre cet acarien au début des années 2000, les conditions climatiques et les auxiliaires parviennent à limiter correctement les populations.

Insectes piqueurs de sève

• Les pucerons sont présents un peu partout en ville car ils sont favorisés par les températures clémentes. La majorité d'entre eux n'affecte pas la santé des arbres. Les insectes auxiliaires qui les consomment ou les parasitent sont naturellement nombreux et régulent assez bien les populations. Le seul souci est une gêne liée à la production de miellat (exsudat sucré qui tombe au sol) qui rend les trottoirs collants.

Quelques espèces (ex. puceron lanigère du pommier, puceron noir du catalpa) peuvent exiger des interventions. Cela va se traduire à l'avenir par le remplacement des végétaux sensibles par d'autres plus rustiques.

• Les cochenilles ne posent pas de problème important aux grands arbres. En cas de pullulation sur de jeunes sujets, une intervention mécanique (nettoyage à la brosse ou au karcher) est suffisante. Les traitements à base d'huile de colza, envisageables en hiver, ne sont pas utilisés sur les arbres à Paris.

Côté chenilles

• Quant aux mineuses, la plupart ne sont pas nuisibles aux arbres. La seule exception est la mineuse du marronnier Cameraria ohridella, présente à Paris depuis 2000. Ses chenilles provoquent le roussissement et la défoliation précoce des marronniers dès le début de l'été.

La seule lutte vraiment efficace est le ramassage des feuilles d'automne et leur incinération. En effet, la dernière génération de larves passe l'hiver au sol dans ces feuilles et sort sous forme de petit papillon au printemps pour aller pondre dans les jeunes feuilles de l'arbre.

• Les chenilles défoliatrices sont assez peu fréquentes en ville. La processionnaire du chêne a cependant fait des dégâts dans le bois de Vincennes entre 2008 et 2010. Elle dérange surtout car elle est urticante et oblige à fermer des sites fréquentés par le public. La lutte consiste à supprimer les nids à la main et les brûler.

La chenille processionnaire du pin n'est pas (encore) présente en ville. Les autres chenilles ne sont pas nuisibles et, de plus, servent de nourriture aux passereaux parisiens.

Insectes xylophages, sur arbres déjà affaiblis

Les insectes xylophages font des galeries et consomment le bois. La majorité d'entre eux sont des parasites de faiblesse : ils n'attaquent que des végétaux dépérissants voire moribonds. Il n'y a aucun moyen de lutte, à part dans certains cas des pièges à phéromones pour capturer les adultes afin de les empêcher de pondre sous l'écorce.

Sont présents sur Paris :

– le capricorne du chêne (uniquement dans le bois de Boulogne sur de vieux chênes dépérissants),

– la sésie du pommier (sur les petits arbres type pommiers, aubépines, Prunus…),

– la zeuzère sur de jeunes peuplements dans les deux bois et en pépinière à Rungis,

– le cossus gâte-bois souvent sur jeunes plantations stressées,

– le scolyte de l'orme responsable en partie de la dissémination de la graphiose.

Du côté des maladies

Les classiques et la graphiose

Les maladies classiques sont résentes sur les arbres à Paris. Dans la majorité des cas, il n'y a pas de traitement possible, en dehors d'interventions prophylactiques (tailles, abattages sanitaires, désinfection des outils de coupe et de taille…).

On peut citer l'anthracnose du platane, l'anthracnose des saules, le black rot sur marronnier, la verticilliose sur les érables et ailantes, la maladie de la suie de l'érable, Sphaeropsis sapinea sur les pins noirs…

Certaines maladies ont un caractère hautement contagieux. C'est le cas de la graphiose qui continue à faire mourir quelques ormes d'alignement tous les ans (il y avait 16 000 ormes en alignement à Paris au début de l'épidémie en 1977, il en reste à peine 800 aujourd'hui). Ces grandes épidémies ne peuvent être limitées dans leur extension que par une gestion drastique des abattages sanitaires aux premiers symptômes visuels pour sauver les arbres voisins.

La désinfection de tous les outils de coupes est primordiale dans la gestion de ce type d'épidémie, car la transmission d'arbre en arbre se fait principalement par le contact des outils.

Champignons lignivores

Les champignons lignivores s'attaquent au bois lui-même. Ils sont nombreux et peuvent s'attaquer à une ou plusieurs essences en fonction de leurs caractéristiques. Ils pénètrent dans les arbres à la faveur d'une plaie (tronc, branches ou racines) et dégradent plus ou moins vite le bois. Même s'ils sont parfois décoratifs (photo 1 ci-dessus), certains d'entre eux peuvent rendre plus ou moins rapidement un arbre dangereux (risque de casse, de chute…). Lorsqu'ils sont dans l'arbre, il n'y a plus rien à faire ; l'évolution est irrémédiable.

Connaître ces champignons, leurs actions et rapidité de dégradation en fonction de l'essence attaquée est le meilleur moyen de les surveiller et d'intervenir par des tailles ou l'abattage en cas de risque.

Bactéries, du feu au chancre

Les maladies provoquées par des bactéries ne sont pas soignables et ont en général un caractère épidémique fort. Deux principales ont touché les arbres de Paris : le feu bactérien sur toutes les rosacées dans les années 90 et, aujourd'hui, le chancre bactérien sur marronnier blanc (Pseudomonas syringae pv aesculi) qui progresse (photo 2).

Intérêt de la détection moléculaire

Outil de gestion précoce et d'anticipation du suivi de qualité sanitaire des arbres

Pour limiter les foyers d'infection dans les parcs urbains, il faut dépister le plus en amont et le plus rapidement possible les arbres porteurs de maladies.

Depuis quelques années, l'évolution des outils de biologie moléculaire, notamment les techniques basées sur la PCR, a permis des avancées importantes dans la détection des agents pathogènes (virus, bactéries, champignons…) des végétaux.

La PCR, le principe

La PCR (réaction de polymérisation en chaîne ou Polymerase Chain Reaction) permet d'obtenir, à partir d'un échantillon d'ADN, d'importantes quantités d'une séquence d'ADN spécifique. Son principe est décrit dans la figure 1.

La détection d'un agent pathogène se fait par amplification exponentielle d'une séquence spécifique du génome de l'agent pathogène recherché, présent en petite quantité dans l'arbre, grâce à l'enzyme Taq Polymerase et à des amorces complémentaires de la séquence cible de l'agent pathogène. La révélation se fait soit sous rayons UV après migration sur gel par électrophorèse, soit par suivi de fluorescence en temps réel au cours de l'amplification de la séquence cible. Les étapes nécessaires à la recherche d'un agent pathogène dans un échantillon végétal en utilisant un test de détection moléculaire sont décrites dans la figure 2.

Et ses avantages

Les tests de détection moléculaire des agents pathogènes présentent de nombreux avantages par rapport aux observations visuelles classiques :

– rapidité de mise en œuvre du test ;

– spécificité (marqueurs moléculaires spécifiques de l'agent pathogène recherché) ;

– sensibilité (détection d'une très faible quantité d'agent pathogène dans un échantillon, avant tout symptôme visible) ;

– fiabilité (peu de faux positifs ni négatifs/validation des analyses en utilisant des témoins positifs (contaminés par l'agent pathogène recherché) et négatifs (eau) ;

– méthodologie non destructive de la plante (seul un échantillon de 1 cm2 suffit) ;

– quantification possible du taux d'infection dans un échantillon.

Exemple du test de détection du chancre bactérien du marronnier

Le chancre bactérien, une grave maladie émergente

Le chancre bactérien du marronnier est une maladie qui a émergé dans le nord-ouest de l'Europe dans les années 2000. La maladie a été décrite sur marronniers en Angleterre, écosse, Pays de Galles, Irlande, Pays-Bas, Allemagne, Belgique et France.

En France, la maladie a été observée pour la première fois en 2001 dans la ville de Roubaix, dans le Nord-Pas-de-Calais.

Le chancre bactérien affecte le marronnier blanc (Aesculus hippocastaneum) et le marronnier rouge (Aesculus x carnea), mais le marronnier blanc semble le plus sensible à cette maladie. La présence de chancres suintants chez le marronnier commun a d'abord été associée à des pathogènes fongiques (espèces de Phytophthora). Mais, récemment, la maladie a été liée à Pseudomonas syringae pv aesculi. La bactérie avait d'abord été décrite dans les années 80 comme causant des taches sur les feuilles du marronnier de l'Inde Aesculus indica (Webber et al., 2006).

Symptômes provoqués sur marronnier par P. syringae pv aesculi

Les premiers symptômes se caractérisent par des lésions suintantes. Des gouttes éparpillées de liquide collant de couleur rouille (photo 2), jaune-brun ou presque noir coulent de petites ou de grandes zones d'écorce endommagée sur le tronc ou les branches des marronniers infectés.

Les arbres infectés pour une période plus ou moins longue peuvent afficher une lésion de l'écorce qui laisse suinter une résine sur le tronc et quelquefois sur les branches. Les zones suintantes peuvent être proches du sol à la base de l'arbre ou se situer plus haut sur le tronc, à environ 1 m du sol pour ensuite se propager vers le haut. Par temps sec, l'été, cet exsudat sèche pour former une croûte foncée et cassante. Quelques mois après, le centre de la zone de suintement sur l'écorce peut se fissurer.

Actuellement, aucune méthode de lutte contre P. syringae pv aesculi n'est disponible. Pour éviter la propagation de la bactérie, il est recommandé d'abattre les marronniers présentant des symptômes caractéristiques du chancre bactérien.

Pouvoir détecter avant l'apparition de symptômes

Afin de pouvoir détecter précocement P. syringae pv aesculi sur les marronniers (avant apparition des symptômes visuels) et réaliser une étude épidémiologique de la maladie, un test de détection moléculaire a été mis au point dans le laboratoire de Vegenov, en collaboration avec la Division des études végétales de la Ville de Paris.

Ce test de détection du chancre bactérien du marronnier est basé sur la technique PCR et l'utilisation d'un marqueur moléculaire spécifique de P. syringae pv aesculi. Les différentes étapes de la réalisation d'une analyse de détection moléculaire du chancre bactérien du marronnier sont identiques à celles présentées figure 2.

Ce test moléculaire est actuellement utilisé chez Vegenov pour analyser ponctuellement un ou plusieurs échantillons d'écorce de marronnier à la demande de différentes collectivités ou pour s'inscrire dans le cadre d'analyses épidémiologiques dans le temps afin d'évaluer la progression de la maladie sur les marronniers des espaces verts.

Conclusion

Dans un contexte de stratégie de gestion durable des espaces verts en zone urbaine, les tests de détection moléculaire d'agents pathogènes (virus, bactéries, champignons…) peuvent permettre de détecter de manière fiable, à un stade précoce de développement, les maladies des arbres.

Un test de détection du chancre bactérien du marronnier, développé chez Vegenov, est déjà opérationnel et utilisé régulièrement pour contrôler l'état sanitaire de marronniers présentant des symptômes inquiétants et réaliser des analyses épidémiologiques. D'autres tests de détection moléculaire pourront être développés à l'avenir pour gérer précocement la qualité sanitaire des arbres en milieu urbain.

Témoignage de Caroline Lohou, Chef de la Division des études végétales (Paris)

« Pour le problème du chancre bactérien sur marronnier blanc (Pseudomonas syringae pv aesculi), notre démarche a d'abord été d'identifier de façon précise la bactérie. Cette identification était indispensable pour confirmer la progression des symptômes signalés en Belgique et dans le nord de la France.

Pour cela nous avons fait appel, en 2008, au Laboratoire Vegenov qui n'a pas hésité à investir dans le matériel génétique nécessaire aux analyses pour nous épauler dans cette démarche.

Grâce à ce travail commun nous avons confirmé la présence de P. syringae pv aesculi) à Paris. Nous tentons maintenant, avec de nouvelles analyses, de comprendre le mode de propagation et de mettre en relation les symptômes externes et la présence de cette bactérie. »

Fig. 1 : PCR, le principe Mécanisme de la PCR.

 Source : GNIS, http://www.gnis-pedagogie.org/pages/classbio/chap2/12.htm)

Source : GNIS, http://www.gnis-pedagogie.org/pages/classbio/chap2/12.htm)

Il s 'agit de multiplier ( amplifier) l'ADN du pathogène recherché afin de le détecter… s'il est présent.

Fig. 2: PCR, l'application en pratique

Étapes de la détection d'un agent pathogène (virus, bactérie ou champignon) dans un échantillon végétal par utilisation d'un marqueur moléculaire spécifique du pathogène.

RÉSUMÉ

- CONTEXTE : Les arbres implantés en ville, notamment les arbres d'alignement, sont sujets aux mêmes bio-agresseurs (maladies et ravageurs) qu'ailleurs, mais avec souvent davantage de gravité vu le climat urbain (favorable à divers ravageurs), la présence de plaies (taille, chocs) et les conditions stressantes du milieu.

- INVENTAIRE : Le panorama des bio-agresseurs (maladies, ravageurs) des arbres d'alignement à Paris montre que, si la majorité ne pose pas de problèmes, certains sont :

– nuisibles aux arbres (ex. graphiose de l'orme, chancre bactérien du marronnier),

– et/ou facteurs de nuisances pour le public (ex. miellat de pucerons, défoliaison précoce des marronniers par la mineuse, urtications dues à la processionnaire du chêne).

- BESOIN : Face à certains bioagresseurs, la seule solution est prophylactique (taille sanitaire ou abattage). La prophylaxie sera d'autant plus efficace que réalisée vite, d'où le besoin d'un diagnostic précoce avant symptômes typiques voire avant tout symptôme.

- OUTIL : Le diagnostic moléculaire, notamment l'utilisation de la PCR, peut aider à cela. Ainsi, un test PCR visant Pseudomonas syringae pv. aesculi, agent du chancre du marronnier, a été mis au point par Vegenov en collaboration avec la DEVE (Direction des études végétales) de la Ville de Paris.

- MOTS-CLÉS : ZNA zones non agricoles, espaces verts, arbres d'ornement, arbres d'alignement, ravageurs, maladies, chancre bactérien du marronnier Pseudomonas syringae pv. aesculi, diagnostic, détection moléculaire, PCR polymerase chain reaction.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : * C. HAMON, Responsable R&D Biologie moléculaire, Vegenov, Penn ar Prat, 29250 Saint-Pol-de-Léon.

** C. LOHOU, DEVE-SSTV, Chef de la Division des études végétales, Parc floral, pavillon 5, Rond-point de la Pyramide, 75012 Paris.

CONTACTS : hamon@vegenov.com

Caroline.Lohou@paris.fr

BIBLIOGRAPHIE :

– Webber J., Rose J., Parkinson N., Stanford H., Elphinstone J., 2006 - Characterization of a Possible Causal Agent of Horse Chestnut Bleeding Canker in the UK. York, UK: Inform. For. Research, Central Sci. Lab.

L'essentiel de l'offre

Phytoma - GFA 8, cité Paradis, 75493 Paris cedex 10 - Tél : 01 40 22 79 85