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dossier - La vigne en face

Quelle place pour les solutions « alternatives » ?

Marianne Decoin*, d'après Jacques Grosman** - Phytoma - n°628 - mai 2010 - page 24

La protection de la vigne face aux évolutions réglementaires
 ph. M. Decoin

ph. M. Decoin

Neuf substances actives de type alternatif (sans compter le cuivre et le soufre) sont disponibles dans des produits phytos autorisés sur vigne en France. ph. Dumot

Neuf substances actives de type alternatif (sans compter le cuivre et le soufre) sont disponibles dans des produits phytos autorisés sur vigne en France. ph. Dumot

On l'a lu dans les pages précédentes, les évolutions actuelles et futures des réglementations française et européenne visent à surveiller davantage les « pesticides chimiques » et à diminuer leur usage. Donc, c'est logique, elles encouragent les solutions alternatives à ces pesticides. Mais comment ? Et d'abord, quand on parle de solutions alternatives, de quoi s'agit-il ? Pour protéger la vigne comme les autres cultures, il y a deux types de solutions : d'une part l'emploi de produits phytopharmaceutiques alternatifs aux pesticides chimiques, d'autre part l'utilisation de méthodes autres que l'emploi de produits phytopharmaceutiques. C'est surtout le premier type de solution que la réglementation encadre. La communication « La vigne face aux évolutions réglementaires, place des solutions alternatives » de Jacques Grosman au colloque Euroviti des 2 et 3 décembre prochains à Montpellier évoque la question. Cet article y puise très largement.

Tout au long de cet article, « produit phytopharmaceutique » sera abrégé en « produits phytos ». Rappelons que la majorité de ces produits phytos sont des pesticides dits chimiques c'est-à-dire, soyons précis, « issus de la chimie de synthèse », mais que certains sont alternatifs. L'article p. 14 a rappelé la définition de ce qu'est un produit phyto. De ce fait, on voit bien ce qu'est une méthode alternative à l'emploi d'un produit phyto...

Mais un produit phyto alternatif, qu'est-ce que c'est ?

Produits phytos alternatifs et vigne, de quoi parle-t-on

En l'absence de définition légale et officielle, l'auteur de cet article adopte celle-ci : il s'agit d'un produit phyto qui n'est pas un pesticide issu de la chimie de synthèse, et qui est donc soit d'origine naturelle, soit non pesticide, soit les deux à la fois. Il peut donc être pesticide mais ce n'est pas obligé.

Sont inclus par cette définition :

– les pesticides d'origine naturelle, sans appel à la synthèse chimique, mais aussi,

– les produits dits « éliciteurs » ou « stimulateurs des défenses naturelles » (SDN), ainsi que les phéromones (sexuelles, d'agrégation, etc.) et autres produits n'ayant pas d'activité pesticide mais protégeant les plantes, qu'ils soient d'origine naturelle ou non, et aussi,

– la grande majorité des « produits naturels » tels que par exemple, les « purins » d'ortie, de prêle, de consoude, etc., et autres « PNPP », préparations naturelles a priori peu préoccupantes quant à leur toxicité sur l'homme ou sur l'environnement.

Plusieurs produits phytos alternatifs ont des AMM. Pour la vigne, 9 substances actives alternatives incluses dans des produits phytos autorisés en France répondent à notre définition en faisant abstraction du cuivre et du soufre (voir encadré 1).

Il y a d'abord l'antigel heptamaloxyloglucane (en cours d'inscription au niveau européen). Pour la protection contre les ravageurs, six substances alternatives inscrites au niveau européen sont contenues dans des produits autorisés en France :

– quatre insecticides d'origine biologique (biopesticides) : les pyréthrines naturelles, le Btk (Bacillus thuringiensis var kurstaki), le Bta (Bacillus thuringiensis var azawai) et le spinosad.

– deux phéromones qui ne sont pas insecticides (pas pesticides au sens strict) mais utilisées pour la confusion sexuelle, la 7E-9Z dodéca-diénylacétate et la Z9-dodécénylacétate.

Pour la protection contre les maladies, on connaît le Bacillus subtilis (inscrit) et un stimulateur de défenses naturelles, non pesticide, à base de fénugrec (en cours d'inscription).

Europe, les évolutions à attendre

Au niveau européen, une adaptation de la directive 91/414/CEE aux produits naturels ou à faible risque est prévue. Les États rapporteurs peuvent se baser sur des documents-guides tel le document Sanco/10472/2003 -rev.5, qui concerne les données requises pour les substances produites à partir de plantes ou d'extraits de plantes, ou le document Sanco/10473/2003 -rev.4, concernant certaines substances chimiques produites à partir de substances naturelles (http://ec.europa.eu/food/plant/protection/ ressources/publications_en.htm).

C'est ainsi que des substances comme la lami-narine ont pu être inscrites à l'annexe 1 de la directive 91/414/CEE. D'autres sont en cours d'évaluation comme l'heptamaloxyglucane et le fenugrec déjà cités. Comme ces deux substances ont vu leur dossier classé comme acceptable, des spécialités qui en contiennent sont d'ores et déjà autorisées en France. Le projet de recherche européen REBECA (Regulation of Biological Control Agents) doit déboucher sur un document spécifique aux substances d'origine naturelle. Ce document sera basé sur l'actuel document SANCO/10472 cité plus haut, et validé scientifiquement (http://www. rebeca-net.de/? p=320). Important : ce document devrait être pris en compte par la Commission européenne notamment dans le cadre du futur règlement européen destiné à remplacer la directive 91/414/CEE et évoqué p. 20.

France, Grenelle et méthode alternatives

Les produits phytos alternatifs, tout comme les méthodes alternatives à l'emploi de produits phytos, sont encouragés par la dynamique du Grenelle de l'Environnement.

On peut rappeler l'engagement 129 du Grenelle. Il prévoit, outre le retrait de certaines substances chimiques évoquées dans l'article p. 14, l'objectif global de réduction de moitié de l'usage des pesticides en accélérant la diffusion des méthodes alternatives et sous-réserve de leur mise au point.

L'axe 2 du plan Ecophyto 2018 issu du Grenelle prévoit « la mobilisation d'outils réglementaires et incitatifs pour la diffusion de la protection intégrée et de techniques plus économes en produits phytopharmaceutiques en facilitant la mise sur le marché des produits alternatifs, notamment de biocontrôle ».

Rappelons que la loi Grenelle 1 adoptée le 3 août 2009 a été publiée le 5 août, et que le projet de loi Grenelle 2 a été adopté par le Sénat mais doit encore passer à l'Assemblée nationale en 2010. Ce projet de loi prévoit notamment :

– l'encadrement des activités de conseil et de vente des produits phytopharmaceutiques (formation, agrément, Certiphyto, etc.),

– la protection des aires de captage d'eau potable : limitation ou interdiction de certains produits, généralisation de l'agriculture biologique au voisinage des zones de captage ; cette disposition encourage de fait les solutions alternatives : usage de produits phytos autorisés en agriculture biologique et méthodes alternatives à l'emploi de produits phytos.

Le projet de loi instaure une certification environnementale volontaire des exploitations agricoles avec notamment une limitation des intrants. Ceci encourage l'adoption de méthodes autres que l'application de produits phytos.

Avancées en France : le décret PNPP

La loi sur l'eau introduit une disposition complétant le paragraphe IV de l'article L.235-1 du code rural. Elle précise que les préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP) relèvent d'une procédure simplifiée, fixée par décret. Ce décret a été publié en juin dernier.

Il s'agit du décret n° 2009-792 du 23 juin 2009, relatif à la mise sur le marché de préparations naturelles peu préoccupantes à usage phytopharmaceutique. Il précise leur définition et la nature de la « procédure simplifiée » qui leur sera appliquée.

Le ou les végétaux, ou autre élément naturel, à partir desquels sont élaborées les préparations naturelles peu préoccupantes doivent répondre aux conditions suivantes :

– avoir fait l'objet d'une procédure d'inscription à l'Annexe 1 de la directive 91/414/CEE (disposition applicable au 1er janvier 2009) ;

– n'avoir fait l'objet d'aucune décision défavorable relative à leur inscription à l'annexe 1 ; ils peuvent donc être, soit inscrits, soit en attente d'inscription ;

– être tels quels c'est-à-dire non traités, ou traités uniquement par des moyens manuels, mécaniques ou gravitationnels, par dissolution dans l'eau, par flottation, par extraction par l'eau, par distillation à la vapeur ou par chauffage uniquement pour éliminer l'eau ; cet inventaire à la Prévert signifie qu'aucun procédé chimique n'est autorisé pour les formuler ;

– ne pas être identifiés comme toxiques, très toxiques, cancérigènes, mutagènes, tératogènes de catégorie 1 ou 2 (CMR 1 ou 2) ; en effet, l'origine naturelle d'un produit ne garantit pas totalement son innocuité (voir la nicotine, les alcaloïdes d'ergot du seigle, etc.)

– ne pas faire l'objet de restrictions pour leur vente directe au public ;

– ne pas être génétiquement modifiés.

Ces produits naturels, une fois inscrits à l'annexe 1 de la directive 91/414/CEE (aujourd'hui) ou approuvés dans le cadre du nouveau règlement (à partir de sa mise en application) permettront d'élaborer les préparations correspondant à la définition du futur décret. Ces préparations naturelles peu préoccupantes pourront alors obtenir une AMM en France.

Important : appartenant au domaine public, elles ne seront protégées par aucun brevet mais pourront être fabriquées et utilisées par tous. Remarque : toutes les préparations à base de produits naturels ne correspondant pas aux critères évoqués ci-dessus pourront parfaitement être autorisées. Mais il leur faudra suivre les procédures classiques d'évaluation. Tout au plus certaines exigences concernant la constitution des dossiers pourront être adaptées.

Méthodes d'évaluation et travail d'adaptation

Une réflexion sur la méthodologie adaptée à l'expérimentation des « produits naturels » ou à base de produits naturels a été initiée sur demande de la DGAL à l'AFPP (Association française de protection des plantes). Des groupes de travail, œuvrant au sein de la Commission des essais biologiques (CEB) de l'AFPP, se réunissent pour élaborer un document guide concernant l'évaluation de l'efficacité des « produits naturels » et des méthodes générales sur 3 thèmes :

– insectes piqueurs-suceurs,

– maladies fongiques du feuillage,

– stimulation de la croissance et de la vigueur des plantes.

Une méthode CEB vient d'être publiée (voir

page 4).

<p>* Phytoma.</p> <p>**DGAL-SDQPV(Direction générale de l'Alimentation, Sous-direction de la Qualité et de la Protection des Végétaux) du MAAP (Ministère de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche).</p>

1 - Produits alternatifs, certains pesticides en débat

 ph. M. Doumergue

ph. M. Doumergue

Parmi les produits à action clairement pesticide mais d'origine naturelle, considère-t-on comme alternatifs tous ceux autorisés en agriculture biologique ?

En clair, où classer les produits cupriques (bouillie bordelaise, etc.) et même le soufre ? En effet, le soufre et le cuivre sont d'origine minérale et non pas issus de la chimie de synthèse et sont autorisés en agriculture biologique. Mais les débats font rage quand il s'agit de les classer ou non comme produits alternatifs. Surtout pour le cuivre : on ne peut pas classer les produits qui le contiennent comme des préparations naturelles peu préoccupantes pour l'environnement. Et les formulations de cuivre (sulfate, oxychlorure, hydroxyde) font appel à de la chimie, même si pas de synthèse. Pas simple, tout ça... Quoiqu'il en soit, le cuivre et le soufre, inscrits au niveau européen en 2009, le restent donc jusqu'en 2019.

2 - Autres solutions alternatives, exemples

Semis de couvert végétal (ci-dessus), lâchers de chrysopes (bas de colonne) : deux exemples de solutions alternatives qui ne sont pas des produits. ph. Jouffray-Drillaud

Semis de couvert végétal (ci-dessus), lâchers de chrysopes (bas de colonne) : deux exemples de solutions alternatives qui ne sont pas des produits. ph. Jouffray-Drillaud

 ph. R. Sforza

ph. R. Sforza

Qu'est-ce qu'une méthode alternative à l'emploi de produits ? Pour la vigne, on peut donner quelques exemples.

Côté mauvaises herbes, les machines... et l'herbe

Pour l'entretien du sol (gestion des mauvaises herbes), les alternatives à l'emploi des herbicides sont :

les solutions mécaniques : retour au « labour » ancestral mais aussi tous les types de désherbage mécanique ;

les solutions thermiques (« désherbage thermique ») ; mais attention à leur bilan écologique : il faut comparer leur consommation d'énergie fossile à celles issues des désherbages chimique (fabrication du produit, son épandage, etc.) et mécanique ; il faut aussi comparer les risques de pollution (gaz issus de la combustion d'un côté, dérive et ruissellement des herbicides de l'autre) ; pas sûr que les solutions « thermiques » représentent un mieux écologique !

l'enherbement choisi : implantation d'espèces concurrençant peu la vigne et empêchant l'installation d'espèces plus concurrentielles ; ces couverts végétaux ne sont pas utilisables partout mais ils gagnent du terrain car, s'ils sont bien choisis et bien implantés, ils représentent une excellente solution alternative. Souvent les viticulteurs combinent plusieurs techniques : alternatif dans l'interrang (labour ou enherbement), conventionnel sur le rang (herbicide). Cela peut faire baisser l'utilisation d'herbicides de 50 %, le fameux objectif du Grenelle.

Côté maladies, la prophylaxie

La gestion des maladies est un peu la parente pauvre du secteur. Il y a quand même les mesures prophylactiques : enlèvement des bois morts de la parcelle pour lutter contre les maladies du bois, effeuillage contre les maladies du feuillage et des grappes.

Côté ravageurs, les auxiliaires

Et contre les ravageurs ? Il y a les auxiliaires. Les nématodes, insectes ou acariens prédateurs ou parasitoïdes de ravageurs ne sont pas soumis à des autorisations de mise sur le marché (AMM). Pour l'instant, leur mise sur le marché et leur utilisation ne sont pas réglementées.

On peut les utiliser pour la lutte biologique, en effectuant des lâchers. Ainsi, en décembre dernier, Phytoma se faisait l'écho d'un travail sur l'utilisation de chrysopes pour lutter contre des cochenilles sur la vigne(1). On peut aussi aménager l'espace et la protection de la vigne pour encourager le travail des auxiliaires naturellement présents. C'est le cas avec les typhlodromes, acariens prédateurs des acariens phytophages : si on choisit, pour lutter contre les maladies et les ravageurs, des produits qui ne les agressent pas, ces typhlodromes régulent les acariens phytophages (ravageurs) et on n'a plus besoin d'acaricides.

(1) Sentenac G., 2008 - Lutte biologique contre les cochenilles - Essai d'utilisation de la chrysope Chrysoperla lucasina comme agent de lutte biologique contre des cochenilles farineuses sur vigne. Phytoma n° 621, décembre 2008, p. 25.

Résumé

Cet article, basé sur une communication de Jacques Gros-man au colloque Euroviti 2009, fait le point sur les évolutions réglementaires concernant les produits phytopharmaceutiques alternatifs aux pesticides chimiques (issus de la chimie de synthèse). Il définit les produits pouvant entrer dans cette catégorie, en parallèle avec les méthodes alternatives autres que l'emploi de produits phytopharmaceutiques. Il signale les évolutions à attendre au niveau européen (documents guides pour l'inscription de substances naturelles, projet REBECA) et celles induites en France par le Grenelle de l'Environnement, ainsi que la publication du décret PNPP en France et la réflexion en cours sur les méthodes d'évaluation de ces produits.

Mots-clés : vigne, produits phytopharmaceutiques, méthodes alternatives, produits alternatifs, produits naturels, biopesticides, SDN (stimulateurs de défenses naturelles), PNPP (préparations naturelles peu préoccupantes), réglementation, Union européenne, REBECA (Regulation of Biological Control Agent), France, Grenelle de l'Environnement.

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :