La protection des applicateurs et travailleurs agricoles lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques est une préoccupation croissante de nombreux acteurs de terrain tout comme des institutions. En effet l'usage des pesticides est questionné en termes d'impact sur l'environnement et sur la santé publique alors que la santé des applicateurs est longtemps restée au second plan. Aujourd'hui diverses études comme Pestexpo dirigée par Isabelle Baldi du LSTE de Bordeaux ont fait progresser les connaissances sur les conditions de l'exposition des agriculteurs aux pesticides. Elles ont inspiré le programme de formation Agriprotect 2(2) dont la pédagogie allie le jeu du traceur bleu et le commentaire des épouses (explications dans l'article !). Une formation pratique et adaptée grâce aux recherches universitaires faites en amont.
Le programme Agriprotect 2 a réuni un grand nombre de partenaires (Encadré 1). Il a fait suite à une action de recherche sous forme de réseau thématique qui a pris fin en juin 2006 et qui a permis d'élaborer :
• un guide des situations à risque lors des différentes phases de manipulation des produits phytopharmaceutiques et des préconisations envisageables pour chacune des situations,
• un guide de possibilité d'amélioration des matériels d'application,
• un questionnaire permettant de visualiser a priori la perception du risque vis-à-vis des produits phytopharmaceutiques (approche sociologique).
Recherche d'un enseignement pratique
En termes de formations, il existait déjà des modules qui avaient été développés par différents acteurs. Une analyse de leur contenu a mis en évidence qu'à quelques exceptions près (la démarche Phyto Théâtre de la caisse MSA de l'Hérault ou les diagnostics phytos des caisses de la MSA de Gironde ou du Maine-et-Loire), elles étaient basées principalement sur la présentation de diaporamas aux viticulteurs et centrées sur des préconisations en termes d'EPI ; ces formations était souvent perçues comme contraignantes et pas assez pratiques. Le nouveau programme a pour principaux objectifs de :
– rendre les agriculteurs acteurs de leur propre protection et permettre un partage de leur expérience ;
– faciliter l'analyse et la gestion du risque lors de la manipulation de produits agropharmaceutiques.
Pour cela, il a été décidé de développer un outil complet de formation et de suivi des agriculteurs et de le tester dans des contextes différents.
Vu en milieu viticole
L'un de ces contextes est le milieu viticole. Les principaux messages qui sont au cœur de la démarche de sensibilisation et de formation se résument comme suit :
– les viticulteurs jugent que les produits qu'ils manipulent sont dangereux, car c'est bien pour détruire (champignons, ravageurs, etc.) qu'ils les utilisent, mais ils reconnaissent que les bonnes de pratiques de prévention ne sont pas toujours mises en œuvre ;
– beaucoup pensent se contaminer en respirant les produits ; or, contrairement à cette représentation habituelle, la voie principale de pénétration d'un produit dans l'organisme n'est pas la voie respiratoire mais la voie cutanée. La voie cutanée représente alors 80 à 90 % selon les produits ;
– une des actions essentielles en matière de prévention est de limiter le plus possible toutes les formes de contacts entre les différentes zones du corps et les produits pesticides ou bien les matériels sur lesquels ils se sont déposés (cuve du pulvérisateur, partie extérieure du tracteur, etc.)
Distinguer les contaminations directes et indirectes
La contamination directe est le contact d'une personne avec le produit phytosanitaire utilisé dans le cadre de l'activité de traitement. La contamination indirecte est le contact d'une personne avec le produit phytosanitaire déposé sur un objet, du matériel, des vêtements et/ou l'environnement. Elle concerne les opérateurs mais aussi d'autres personnes travaillant sur les parcelles ou non : par exemple la famille qui pourrait être contaminée par des vêtements souillés ou les personnes contaminées par le contact avec les feuilles traitées en entrant dans la parcelle de vigne, dans le cas de la rentrée par exemple.
Le port d'« équipements de protection individuelle » (EPI), en particulier de combinaisons, peut réduire le niveau de contamination. Cependant, elles ne sont pas efficaces à 100 %. De plus, si elles sont réutilisées ou stockées sans précaution dans le local phyto, elles deviennent source de contamination.
Détecter les mauvaises pratiques
Lors de l'étude Pestexpo, il a été démontré que parfois des personnes non protégées avaient eu un niveau de contamination plus faible que des personnes protégées. Cela peut s'expliquer par le point précédent, mais aussi au niveau des pratiques et savoir-faire de prudence.
Par exemple, une personne qui va enfiler sa combinaison en portant des bottes déjà contaminées va souiller l'intérieur de la combinaison. Identifier ces savoir-faire et leur transmission est un enjeu clé de la prévention.
Le bon exemple : les matériels aussi
Enfin, les déterminants de la contamination doivent être recherchés du côté des pratiques des viticulteurs mais aussi du côté de la conception des matériels d'application et de l'organisation du travail.
En effet, nous avons rencontré des cas où des cabines neuves de tracteurs ne sont pas étanches car le trou du passage dans la cabine des tuyaux et câbles de commande n'est pas étanche (photos 1 et 2).
Dans ce cas-là, malgré toutes les précautions que pourront prendre les viticulteurs, ils finiront par être contaminés ; d'où l'importance de nettoyer régulièrement l'intérieur des cabines. Autre exemple : lorsque l'accès à la cuve d'un pulvérisateur tracté est mal conçu et que l'opérateur, pour le remplir, doit monter sur la roue et se coucher sur le pulvérisateur (ph. 3). Cela va générer des contacts répétés du corps avec des surfaces contaminées.
Pour un œil extérieur, il est difficilement compréhensible de retrouver de telles erreurs de conception. Leur impact sur la contamination est sans appel. La profession doit alors se mobiliser pour faire prendre en compte par les concepteurs, les besoins des utilisateurs y compris en termes de sécurité.
Agriprotect 2 en actions, le jeu du traceur bleu
Une des originalités de la démarche proposée dans Agriprotect 2 réside dans des ateliers pratiques où les viticulteurs se servent de leurs compétences pour détecter les situations de contaminations.
Lors de ces ateliers, on utilise un traceur coloré pour aider à révéler les situations de contaminations qui sont souvent peu visibles. Ce colorant peut être mélangé à des préparations ou utilisé lors de simulations d'activités. Le viticulteur qui va se prêter au jeu revêt deux combinaisons : la première est censée représenter la peau, la seconde correspond à la combinaison de protection habituellement portée (ph. 4).
Il est alors demandé à la personne de réaliser ou simuler une préparation de bouillie (ph. 3), ou encore un nettoyage (ph. 5). Les viticulteurs sous-estiment souvent l'effet contaminant de cette dernière activité.
À l'issue de ces actions, le groupe de viticulteurs va essayer d'identifier les situations potentiellement contaminantes et ce qui les détermine au niveau de l'organisation du travail de chacun, sa technique de préparation ou de nettoyage tout comme de sa gestuelle. Puis le groupe va détecter la présence du colorant sur la combinaison extérieure, voire au niveau de la combinaison intérieure, qui atteste des contacts avec le produit et des occasions de contamination (photo 6).
Ces éléments visuels incitent à la prise de conscience par les viticulteurs de l'importance de la contamination cutanée et de la nécessité d'éviter au maximum les contacts avec les produits ou avec les matériels et équipements eux-mêmes recouverts de produit. C'est ce qui va contribuer au développement de savoir-faire et de pratiques de prudence. Sur cette base, les viticulteurs pourront prendre du recul et mettre en discussion leurs habitudes et pratiques. Ils doivent être les acteurs de leur propre protection.
Le linge en famille
Il y a un intérêt à ce que soient associées les épouses lors de ces formations. L'enjeu d'une telle sensibilisation est même de taille. Notre expérience nous a souvent montré que ce sont elles qui sont « porteuses des questions de santé » dans la famille.
De telles expériences se concluent finalement par : « Tu vois je t'avais dit de ne pas mettre tes bleus de travail à laver avec le linge de la famille ; tu vois je t'avais dit de ne pas nettoyer le pulvérisateur dans la cour de la ferme... » Cette contribution à la vigilance collective au sein de la famille va également renforcer l'hygiène corporelle ; en particulier en ce concerne le lavage des mains et des avant-bras avant les repas !
<p>* Université Bordeaux 1. Département HSE de l'IUT.</p> <p>** ACTA, Chef de projet Agriprotect 2.</p> <p>(1) Laboratoire Santé Travail Environnement, Université de Bordeaux 2.</p> <p>(2) Avec le concours du ministère de l'Agriculture dans le cadre de l'appel à projets CAS Développement agricole et rural.</p>
1 - Partenaires du réseau Agriprotect 2 (vigne)
– ITA : ACTA, Arvalis-Institut du végétal, AS-TREDHOR, CETIOM, ITAVI, ITB, ITL, IFV.
– Recherche publique : INVS, Université Bordeaux 1 - Dépt HSE - IUT.
– Administration : MAAP (DSST)
– Organismes de développement : CCMSA, APCA, Chambres d'agriculture 33 & 77, AGRIAL, Champagne-Céréales, MSA 33.
– Structures privées : Adivalor, UIPP.
– Enseignement supérieur : ESA.
2 - Les agriculteurs sont applicateurs de produits phytos : études
Les études sur les conditions d'applications des pesticides sont en général adossées à des études épi-démiologiques permettant de mieux connaître le type de pathologies rencontrées chez les agriculteurs.
Elles ont déjà révélé que les agriculteurs ont globalement moins de cancers que la population générale. En revanche, ils ont davantage de cancers spécifiques. On retrouve plus fréquemment dans cette population des leucémies, le cancer de la peau et de la lèvre, de la prostate et des testicules, des cancers gastriques ou bien des tumeurs cérébrales. Les pesticides mais aussi d'autres facteurs (exposition au soleil, autres contaminants, etc.) peuvent être mis en cause.
Un deuxième type d'effets des pesticides sur la santé a été étudié : les pathologies neurologiques. Dont les symptômes sont : une faiblesse musculaire qui peut s'accompagner de perte de conscience et d'insuffisance respiratoire, troubles de l'humeur, anxiété, difficulté de concentration, troubles de la mémoire, etc. Les liens de la maladie de Parkinson avec l'utilisation d'insecticides organochlorés ont été récemment établis.
Enfin, une troisième forme d'atteinte est constatée sous la forme de trouble de la reproduction : troubles de la fertilité, malformations du système reproducteur, inversement sex-ratio (proportion garçon/fille), avortements, prématurité et hypotrophie. Il est important de rappeler ces éléments de connaissance pour souligner les enjeux que représente le projet Agriprotect 2.