Après le ray-grass, c'est au tour d'un érigéron de résister au glyphosate en France. Il s'agit d'une population d'érigéron de Sumatra dans une parcelle de vigne dans le Gard. Même s'il s'agit d'un cas isolé et récent, même s'il s'explique et n'a rien de catastrophique, il faut tenir compte de cette nouvelle réalité dans les conseils de gestion de la mauvaise herbe. Voici un point sur le contexte, le cas lui-même, les causes de sa survenue, la très nécessaire surveillance et les conseils de prévention et de gestion aux viticulteurs. Le but est que ce phénomène, marginal et gérable aujourd'hui, le reste durablement.
Le phénomène de résistance est un événement naturel et probable. Il se caractérise par la sélection, au sein d'une population de mauvaises herbes, d'individus répondant à deux critères : capacité à survivre à un traitement herbicide qui aurait dû normalement les contrôler et capacité à transmettre cette caractéristique à la génération suivante (Heap, 2011).
Résistance au glyphosate : un phénomène connu mais limité
Dans le monde et en Europe
Concernant le glyphosate (N-phosphono-méthyl glycine), matière active herbicide la plus utilisée dans le monde (Roundup® notamment) et qui permet de contrôler plus de 300 espèces de mauvaises herbes si les conditions d'emploi indiquées sur l'étiquette sont respectées, seules 20 espèces de mauvaises herbes ont développé une résistance confirmée après plus de 35 ans d'utilisation.
Bien qu'il soit largement utilisé sur un grand nombre de cultures et usages parfois plusieurs fois par an, car utile dans de nombreux systèmes agricoles et aussi non agricoles, le glyphosate reste au final une des matières actives avec un très faible taux d'apparition de ce phénomène, comme le montre la figure 1.
En Europe, le phénomène de résistance reste très limité (Espagne, France et Italie) et confirmé sur 5 adventices : trois érigérons (Conyza bonariensis, C. canadensis et C. sumatrensis) et deux ray-grass (Lolium multiflorum et L. rigidum) – dans quelques parcelles bien identifiées uniquement de cultures pérennes.
En France, bonne gestion de l'ivraie raide (L. rigidum) résistante en vigne
En 2005, un premier cas de résistance d'une ivraie raide a été détecté en France dans la commune de Saint-Pons-la-Calm (30) suite à une réclamation. Il a été confirmé après avoir mis en place des essais au champ suivis par la CAPL (84), Monsanto puis en conditions contrôlées par C. Gauvrit (UMR Biologie des adventices, INRA Dijon). Les résultats de ces analyses ont validé ce premier cas de résistance de l'ivraie raide (L. rigidum) au glyphosate en France en 2006 (Favier et Gauvrit, 2007).
Depuis, une surveillance annuelle est effectuée sur le territoire français. À ce jour, une dizaine de cas ont été officiellement analysés et confirmés comme résistants. Sur ces parcelles, des solutions pour gérer ces résistances ont été mises en place, notamment l'utilisation d'autres matières actives comme le flazasulfuron ou la cycloxidime. À noter que la pérennité des solutions dépend au préalable des bonnes pratiques de désherbage : utilisation de plusieurs matières actives, application au bon stade de l'adventice et dans les conditions optimales de pulvérisation (température et hygrométrie).
Découverte de cas de résistance d'érigéron de Sumatra (C. sumatrensis) en vigne en France
En 2010, un cas d'inefficacité du glyphosate sur érigéron de Sumatra est signalé en France auprès de la CAPL (84) sur une parcelle de vignoble à Fournès (30). Après avoir effectué des essais au champ et prélevé des échantillons, des tests comparatifs en conditions contrôlées pour mesurer les facteurs de résistances sont effectués par l'université de Cordoue en Espagne, qui possède cette expertise. Cette population d'érigéron est considérée comme résistante aux doses de glyphosate recommandées (facteur de résistance de 3). Pour une autre population suspectée de résistance et testée de même, la résistance n'a pas été établie.
Comme dans le cas du L. rigidum résistant au glyphosate, tous les acteurs de la filière, InVivo, CAPL (84), Monsanto et le groupe Columa Vigne de l'AFPP ont anticipé la recherche de solutions techniques pour développer des recommandations pratiques pour les viticulteurs.
Causes de la résistance et conseils appropriés
Les facteurs d'échecs d'efficacité sur populations sensibles sont aussi facteurs de risque de résistances
Les espèces de Conyza sont difficiles à contrôler car adaptables à de nombreuses situations : stock de graines conséquent, large spectre d'insectes pollinisateurs, courte période entre floraison et maturité des graines, habitat non spécifique, période de germination longue, périmètre de dissémination important, faible capacité de dormance, pérennité des graines dans le sol (détails dans l'encadré 1).
Les baisses d'efficacité du glyphosate constatées sur érigéron sont liées aux pratiques mises en œuvre sur le terrain :
– les sous-dosages d'herbicide,
– le non-respect du stade optimal de l'adventice ciblée,
– la non-alternance des matières actives ou des pratiques culturales.
Par ailleurs, il existe deux types de populations d'érigéron (Figure 2) : l'une germe à l'automne et reste au stade végétatif en hiver, l'autre germe au printemps. Le décalage de développement des deux populations rend inopérant le traitement de printemps : il est effectué au bon stade pour une population mais trop tardif pour l'autre. Cette dernière sera sélectionnée et sa résistance pourra être favorisée.
Tous ces facteurs ont contribué à augmenter une pression de sélection pour favoriser une espèce dominante à partir d'une flore variée dans certaines régions viticoles.
Ces fréquentes erreurs de gestion des infestations favorisent les résistances, que ce soit dans le cas de l'érigéron ou celui de n'importe quelle autre adventice.
Tous les cas de résistance au glyphosate confirmés aujourd'hui en Europe montrent ce même contexte de mauvaises pratiques : monoapplication répétée de glyphosate, sous-dosage, mauvais stade de l'adventice. En Europe, ces cas sont tous recensés en arboriculture et vigne où l'alternance des matières actives, contrairement à la majorité des grandes cultures, n'est pas induite par la rotation.
Vigilance et surveillance de la résistance au champ, indispensables
Si plusieurs espèces ne sont pas contrôlées lors du même traitement herbicide, le problème peut avoir plusieurs causes : application incorrecte ou conditions climatiques défavorables. Lorsqu'une seule espèce n'est pas contrôlée, et qu'elle présente des stades différents de développement, il peut alors s'agir d'un développement précoce de la résistance à l'herbicide en question (Saavedra, 2002). Il ne pourra être vérifié que par des tests de résistance au champ puis en conditions contrôlées, en serre ou en laboratoire.
Ainsi la surveillance des cas de performance insuffisante est le dispositif le plus approprié pour identifier et gérer le développement de la résistance au glyphosate. La figure 3 résume une méthodologie de surveillance applicable au cas de l'érigéron (Dubois et Plancke, 2010). Lorsqu'un problème de performance survient, l'agriculteur doit en informer son interlocuteur technique qui pourra ainsi évaluer la situation et le guider sur des solutions techniques adaptées, en tenant compte des bonnes pratiques d'utilisation.
Cas de l'érigéron : les bonnes pratiques existent
Le stade, c'est crucial
De nombreux facteurs doivent être maîtrisés pour une bonne gestion des adventices. Un des plus importants est le stade de la mauvaise herbe. Pourtant, l'utilisateur raisonne souvent selon le stade de la culture plutôt que le stade de développement de l'adventice.
Pour bien maîtriser l'érigéron, la dose recommandée est de 1 700 g/ha de glyphosate (celle de l'étiquette du produit), sans jamais dépasser le stade rosette de l'érigéron (Figure 4).
Autres facteurs
D'autres facteurs sont également à mettre en œuvre pour assurer le succès du traitement :
– l'association avec des herbicides anti-germinatifs (aminotriazole, flazasulfuron...) pour gérer les levées échelonnées des populations d'automne et de printemps de l'érigéron,
– le volume d'eau : les efficacités sont meilleures avec des volumes inférieurs à 200 l/ha,
– la dureté de l'eau : il est préférable qu'elle soit inférieure à 200 ppm en Ca2+,
– les conditions climatiques optimales : des températures inférieures à 25 °C et une hygrométrie supérieure à 70 % sont préférables.
Ces recommandations sont préventives, et éventuellement curatives quand le viticulteur n'a pas identifié la difficulté suffisamment tôt. C'est d'autant plus important qu'en viticulture « le recours aux herbicides reste techniquement et économiquement nécessaire : (...) dans les vignobles de coteaux non mécanisables, sur les rangs de vigne (...) » ainsi que sur les mauvaises herbes réputées difficiles (Delpuech et Coulon, 2010).
Conclusion
En France, le développement de cas de résistance au glyphosate a été mis en évidence uniquement sur ivraie raide et érigéron dans des parcelles de vigne. En associant recherche, surveillance et formation aux Bonnes pratiques, les acteurs agricoles, dont Monsanto, la CAPL (84) et les coopératives du réseau InVivo, progressent dans la connaissance et la recherche de pratiques adaptées à mettre en place en cas de résistance des adventices au glyphosate et aux herbicides en général.
Le processus complet – de l'identification des résistances au champ jusqu'à l'adoption de pratiques réellement mises en place par les agriculteurs – demande une vigilance et une méthodologie particulières.
Concernant le glyphosate, des pratiques agronomiques mises en place dans le monde (encadré 2) ont permis de gérer efficacement les 20 populations d'adventices résistantes tout en permettant aux agriculteurs de continuer à bénéficier de l'herbicide sur l'essentiel de leurs surfaces cultivées.
Ces pratiques sont proposées en France, qui bénéficie ainsi de l'expérience acquise ailleurs dans le monde.
<p>* Monsanto Agriculture France, Europarc du Chêne, 1, rue Jacques-Monod, 69673 Bron Cedex marielle.dubois@monsanto.com</p> <p>** InVivo Agrosolutions, 83, avenue de la Grande-Armée, 75782 Paris Cedex 16 - ccottet@invivo-group.com</p> <p>*** CAPL (84) 158, chemin de Brantes, ZI Boivassières, 84700 Sorgues - agro-viti@groupecapl.fr</p> <p>**** Université de Cordoue, Campus de Rabanales Edif. Marie-Curie, 14071 Cordoue, Espagne.</p>
Figure 1 - Herbicides, historique des résistances.
Nombre des cas de résistances dans le monde en fonction des familles de matières actives. (Heap, 2011).
1 - On les appelle Conyza, érigérons ou vergerettes
Le genre Conyza, celui des érigérons ou vergerettes, regroupe une cinquantaine d'espèces de la famille des Asteraceae. Originaire d'Amérique du Nord et du Sud, ce genre invasif est présent aussi en Europe, Afrique et Asie.
Espèces européennes
En Europe, notamment en France, trois espèces de Conyza sont observées : C. canadensis (érigéron du Canada), C. bonariensis (érigéron de Buenos Aires) et C. sumatrensis (érigéron de Sumatra). Leurs principales caractéristiques sont listées dans le tableau 1.
Les érigérons ont longtemps trouvé leur habitat dans les vergers, au bord des routes et voies ferrées et sur des friches. On les recense aujourd'hui sur une quarantaine de cultures dans près de 70 pays (Holm et al., 1997).
Le genre Conyza est présent sur tous les types de sols, même s'il préfère les sols basiques drainés. Il peut tolérer des écosystèmes ombragés et secs. Les sols de texture grossière lui sont également favorables.
Bisanuelles automnales
Les trois espèces sont bisannuelles (Figure 2). Après avoir passé l'hiver au stade rosette et lorsque les conditions redeviennent favorables au développement végétatif (humidité, température, photopériode...), la tige principale s'étend pour atteindre une taille comprise entre 0,5 et 2 mètres de haut, ramifiée de petites fleurs blanches ou jaune pâle. La période de floraison peut s'étendre jusqu'à 5 mois, de juin à octobre.
Bien que ces espèces soient hermaphrodites, une part de leur reproduction est assurée par des insectes pollinisateurs : abeilles, guêpes, papillons et mouches. Toutes les espèces de Conyza produisent un stock de graines important (jusqu'à 200 000 par plante) disséminé par le vent sur de grandes distances, jusqu'à 100 km. Le périmètre de dissémination ainsi que le potentiel de graines sont corrélés à la taille de la plante (Loux et al., 2004).
Les graines mûrissent à l'automne, 3 semaines environ après la floraison. Très peu atteignent un état de dormance physiologique. 80 % des graines matures peuvent germer dès leur entrée en contact avec le sol. Leur viabilité dans le sol est estimée à 2 et 3 ans (Wue et al., 2007).
C'est en période hivernale, au stade rosette, que leur compétitivité vis-à-vis des autres plantes sur la lumière, les nutriments et l'eau est la plus marquée.
Figure 3 - Souci d'efficacité, marche à suivre.
Surveillance des cas de performance insuffisante du glyphosate (Dubois et Plancke, 2010).
Figure 4 - érigéron, quand traiter.
Ci-dessous, les stades recommandés pour l'application du glyphosate. Dès que la tige principale monte (photo ci-contre), le bon moment est passé.
2 - Gestion des résistances dans le monde
Les pratiques recommandées dans le monde, sont les suivantes :
– utiliser des herbicides à mode d'action différent – en séquence ou en mélange avec le glyphosate – et avoir recours au travail du sol de façon adaptée en fonction du système de production,
– appliquer les produits conformément à leurs recommandations d'usage, notamment à la bonne dose et au bon moment par rapport au stade de l'adventice présente la plus difficile à contrôler,
– surveiller l'efficacité/la performance du désherbage,
– éviter la montée à graines des adventices,
– nettoyer le matériel agricole avant de le déplacer d'un champ à l'autre afin de limiter la dissémination des mauvaises herbes,
– informer le technicien de distribution ou le fabricant du produit utilisé si son efficacité n'est pas satisfaisante malgré de bonnes conditions d'application, ce qui pourrait révéler un cas éventuel de résistance.
Réseau d'essais du Columa Vigne
Le groupe Columa Vigne de l'AFPP a mis en place un réseau d'essais destiné à proposer des solutions permettant de répondre à la problématique liée à une difficulté de maîtrise des érigérons (toutes espèces confondues).
Les résultats issus de deux années d'essais seront disponibles fin 2012.
En attendant, le groupe rappelle les principes d'alternance des solutions, chimiques ou mécaniques, pour limiter les situations d'évolution vers une flore difficilement contrôlable dans les parcelles de vigne, qu'elles soient dues ou non à de la résistance, et pour éviter son apparition.