Le réseau Agéris a décidé d'utiliser le logiciel Diaphyt pour évaluer les pratiques phytosanitaires de ses membres. Pourquoi, comment, et avec quel résultat ? Nous allons l'expliquer ici.
Réseau Agéris et pratiques phytosanitaires
Plusieurs étapes dans les actions
Lors de la création du réseau Agéris, l'accent a d'abord été mis sur les bonnes pratiques visant à diminuer les risques de pollution ponctuelle liés à la protection des cultures : aménagement d'aire de remplissage, local de stockage, évaluation des risques de pollution ponctuelle en utilisant Aquasite, développé par Arvalis-Institut du végétal.
Dans un second temps, les aménagements ont porté sur les bandes enherbées pour la protection de l'eau. Le réseau a travaillé leur composition pour qu'elles assurent aussi un rôle vis-à-vis de la biodiversité, en apportant, lorsque c'est possible, le « gîte et le couvert » aux insectes auxiliaires, aux pollinisateurs et à la faune sauvage.
Besoin d'indicateurs
Dans le cadre général des pratiques agricoles, les démarches de protection des cultures font l'objet d'une attention particulière. Cette attention porte notamment sur les méthodes de travail, sans mettre en cause la réussite économique des cultures protégées et donc de l'exploitation.
Dans le cadre de suivi du réseau, il nous a semblé important que ces aménagements et les progrès réalisés soient illustrés par des indicateurs.
La question du choix des indicateurs
Définitions générales possibles
La multiplicité des dénominations faisant référence au concept d'indicateur (mesures, paramètres, variables, valeurs, indices, informations...) (Gallopin, 1999 in Zahm, 2003) annonce la grande variété de définitions qui s'y rapportent.
Dès 1981, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) définit les indicateurs comme des variables servant à mesurer ou à évaluer l'état d'un système ou son évolution.
Pour l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), un indicateur délivre une information synthétique à partir de l'agrégation de données brutes. Cet outil d'acquisition et de partage de connaissances doit fournir des informations sur d'autres variables plus difficiles d'accès (Gras, 1989) et servir de repère pour prendre une décision.
Les indicateurs sont donc des variables faisant office d'intermédiaires, facilitant la compréhension d'un processus, d'une situation ou d'un enjeu et qui, « du diagnostic à l'interprétation des résultats, [...] doivent permettre de décrire l'action par rapport aux objectifs visés » (Maurizi et Verrel, 2002).
Quatre grands types d'indicateurs
On distingue quatre types d'indicateurs :
– indicateur d'état. Il se rapporte à la condition de l'environnement et se base sur des diagnostics de situations ;
– indicateur de pression. En agriculture, il décrit les pressions exercées par les systèmes de culture, les itinéraires techniques (consommation en eau, consommation d'engrais, IFT, etc.) ;
– indicateur de résultats. Il mesure les résultats obtenus (ex. : nombre d'espèces d'oiseaux, de plantes patrimoniales, qualité de l'eau, etc.) ;
– indicateur de réponse. Il évalue par exemple les moyens de protection mis en place (couverture du sol, aménagements du territoire, mise en place de bandes enherbées, etc.).
L'OCDE préconise par exemple le modèle pression-état-réponse (Figure 2), construit, comme son nom l'indique, sur des indicateurs de pression, d'état et de réponse, repris par le Comité d'orientation pour des pratiques agricoles respectueuses de l'environnement (Corpen) (Maurizi et Verrel, 2002). Pour les agriculteurs du réseau, il est important de combiner la pression phytosanitaire, souvent négativement perçue, avec des indicateurs de résultats permettant d'évaluer les effets de leurs pratiques sur les principaux compartiments de l'environnement et sur la sécurité des applicateurs et du personnel de l'exploitation.
Indicateur de pression phytosanitaire, les limites de l'IFT
Pour la « pression phytosanitaire », à l'échelon d'une exploitation, l'IFT (indice de fréquence de traitement) souvent avancé est imparfait.
En effet, il n'évalue pas les impacts potentiels des pratiques sur la biodiversité (lombrics, auxiliaires, pollinisateurs, faune sauvage), mais aussi sur la préservation de la qualité de l'eau (prévention des pollutions ponctuelles et diffuses). Cette préservation exige une bonne connaissance des conditions pédologiques des parcelles, du territoire de l'exploitation et des choix quant aux aménagements, qui contribuent à la protection de la qualité de l'eau en même temps qu'à limiter l'érosion.
Dans de nombreux cas, et c'est encore plus vrai pour certaines filières, l'agriculteur peut employer de la main-d'œuvre. Dès lors, la sécurité du personnel doit faire partie intégrante des méthodes de gestion de l'exploitation. La mise en place d'un document unique doit se faire en s'interrogeant sur ses pratiques agricoles.
Les atouts de Diaphyt
En raison de cette limite de l'IFT, les agriculteurs du réseau Agéris ont évalué leurs pratiques de protection des cultures au moyen de l'outil Diaphyt développé par l'Acta.
Cet outil permet en effet à un agriculteur d'effectuer un diagnostic de ses pratiques sur l'ensemble de sa ferme, mais aussi un diagnostic partiel de parcelles ou bâtiments de référence.
Ce logiciel permet également de mesurer ou simuler une évolution des pratiques.
Enfin, point important, il offre un volet pédagogique vis-à-vis des pratiques phytos.
Diaphyt, petit rappel
L'objectif du logiciel Diaphyt est d'aider le praticien (agriculteur, technicien, enseignant, étudiant) à améliorer l'utilisation des produits phytosanitaires afin de minimiser les risques vis-à-vis de la santé (de l'applicateur, des travailleurs en rentrée, du consommateur), des animaux non-cibles (animaux de rente, abeilles, auxiliaires, lombrics, faune sauvage, organismes aquatiques) et des phénomènes de résistance.
Pour cela, ce logiciel est basé sur l'équation connue : danger x exposition = risque.
Diaphyt est donc un outil de diagnostic global des effets des pratiques phytosanitaires sur une exploitation : il reste une première approche qui peut être complétée ensuite par des outils plus fins. Il n'est pas un modèle, mais peut permettre d'aborder la question grâce à des indicateurs dont le niveau varie en fonction des pratiques déclarées par l'exploitant.
Cet outil nécessite à la fois de rentrer les données les plus fiables, mais également d'analyser les résultats assez finement, les indicateurs jouant leur rôle d'alerter le praticien sur les pratiques les plus à risque.Pour tout complément d'information, nous vous conseillons de consulter les articles dans les numéros 618 (septembre 2008) et 634 (mai 2010) de Phytoma.
Les suivis réalisés
Recueil des informations
Pour chaque exploitation sur laquelle le logiciel Diaphyt a été mis en œuvre, le programme des applications phytosanitaires a été collecté à partir des enregistrements des agriculteurs.
Les synthèses issues de ces consultations et échanges avec les agriculteurs concernés sont réparties en deux tableaux.
Le premier s'attache aux pratiques phytosanitaires sur le siège de l'exploitation : stockage et transport, remplissage du pulvérisateur, lavage du pulvérisateur, gestion des effluents et déchets.
Le second traite de la pression sur différents composants de l'environnement : risque faune sauvage, risque entomofaune, risque pollinisateurs, risque lombrics, risque applicateurs, risque opérateurs. Ces deux types d'information sont complétés par une indication sur la gestion des résistances (Tableau 1).
Les niveaux indicatifs obtenus dans chaque rubrique sont classés suivant un code couleur indiquant soit la qualité des aménagements soit la pression sur différents indicateurs de l'environnement (Tableau 2).
Pratiques phytosanitaires, un réseau très bien noté
Dans le cadre des exploitations Agéris, les tableaux synthétiques ont permis de montrer l'intérêt des aménagements réalisés sur les équipements entourant la préparation des applications de produits phytosanitaires, les actions à mener autour du pulvérisateur et la gestion des effluents.
Les exploitations suivies sur ces points présentent toutes un bilan très positif, à l'image des efforts conduits par les agriculteurs du réseau (Figure 3).
Résultats sur l'environnement et la sécurité, divers points améliorables
Concernant le volet environnement et sécurité, Diaphyt met en évidence quelques points sur lesquels des progrès sont possibles.
À titre d'exemple, l'analyse d'une exploitation viticole du réseau (Figure 4), même si elle présente une évaluation très satisfaisante de la pression phytosanitaire, montre un point d'amélioration vis-à-vis des pollinisateurs.
D'une manière générale sur les exploitations suivies du réseau Agéris, les marges de progression portent, suivant les exploitations, sur les risques pour les lombrics, pour les pollinisateurs, l'entomofaune et parfois pour les opérateurs (travailleurs en rentrée).
Ces points feront l'objet de vérification, d'attentions particulières et de mesures de progrès si nécessaires.
Si ces « tableaux de bord » donnent une vision synthétique de l'exploitation, les analyses sont par ailleurs détaillées au niveau de chaque parcelle ou chaque culture.
Quelques commentaires concernant l'utilisation de Diaphyt
Saisie des informations
Les informations requises pour le fonctionnement de Diaphyt sont essentiellement qualitatives, exception faite de dimensions (surface des parcelles, largeur de bandes enherbées...), doses de produits appliquées (que l'agriculteur inscrit dans son cahier de suivi des traitements), données pédoclimatiques invariantes (pente, longueur de pente...). L'enregistrement des données est donc facile.
Cependant, il convient de vérifier que les données ont bien été prises en compte, afin d'éviter des erreurs pouvant survenir et de rétablir correctement les paramètres.
De nombreux enjeux humains et environnementaux sont abordés dans Diaphyt ; seuls les impacts sur la diversité végétale ne sont pas étudiés.
Possibilités de simulation
Cet outil permet non seulement de révéler des points critiques concernant les pratiques phytosanitaires, mais aussi de simuler des modifications de pratiques.
On peut par exemple simuler des aménagements de bords de parcelle, celui de l'aire de préparation des applications, l'ajout d'un port d'équipements de protection par les applicateurs de traitements : on en observera l'impact potentiel sur les différents compartiments de l'environnement et sur la santé humaine.
Interprétation des résultats
L'aspect très visuel (icônes, résultats sous forme de code couleur...) de cet outil optimise son appropriation par les utilisateurs (évaluateur, agriculteur) et en fait un outil de diagnostic très pédagogique.
Cependant, malgré la lisibilité des résultats, leur interprétation et l'identification de leurs causes doit passer par une analyse approfondie.
Il est par exemple intéressant de distinguer les éléments clés d'un changement de situation. En effet, dans certains cas, la relation entre pression et effet n'est pas linéaire : une variation mineure peut induire un passage de situation positive (vert) à situation défavorable (rouge) et vice versa. Diaphyt permet donc d'effectuer un diagnostic complet et pertinent du risque phytosanitaire, en prenant en compte des paramètres humains, organisationnels, réglementaires, pédoclimatiques et techniques. Même si les résultats ne peuvent prendre que trois (à quatre) valeurs – vert (bien à très bien), orange (moyen), rouge (à améliorer) – ceci est suffisant dans le cadre d'un diagnostic pédagogique : l'idée est de communiquer une description simple et visuelle de l'impact des pratiques sur l'environnement et la santé.
Il reste malgré tout que certains résultats sont discutables. Outre l'éventuel changement de situation évoqué précédemment et pouvant concerner l'ensemble des thématiques abordées, l'évaluation du risque associé à certaines d'entre elles soulève quelques interrogations. Par exemple, les paramètres déterminant le risque pour les lombrics sont encore peu sensibles aux améliorations et, dans certains cas, même la plus idéale des situations ne devient jamais « verte » (favorable).
Mais en conclusion, ces quelques points d'amélioration à venir ne remettent pas en cause l'intérêt de Diaphyt comme outil de diagnostic et de pilotage de la conduite de la protection des cultures à l'échelle de la parcelle, d'une culture ou de l'exploitation dans son ensemble.
Fig. 1 : Localisation des fermes
Les 12 exploitations du réseau sont réparties sur le territoire national.
Fig. 2 : Modèle Pression-État-Réponse
Structure préconisée par l'OCDE (d'après Maurizi et Verrel, 2002, Deprez et Bourcier, 2007).
1 - Réseau Agéris, présentation
Le réseau Agéris réunit 12 fermes dans différents milieux et pratiquant différents modes de production : grandes cultures, polyculture-élevage, viticulture, cultures tropicales (Figure 1).
Il a été créé en 2001. Depuis lors, les agriculteurs du réseau montrent chaque année un peu plus qu'une agriculture moderne et productive est compatible avec le respect de l'environnement. Ils mettent en pratique des méthodes et aménagements concourant à des agricultures compétitives et responsables.
Ces exploitations ont pour vocation de communiquer sur les trois volets de l'agriculture durable :
– efficience économique ;
– convergence avec les enjeux sociétaux ;
– protection de l'environnement et respect de la sécurité.
Fig. 3 : Analyse des pratiques, satisfecit global
Résultat du diagnostic : le même pour toutes les exploitations du réseau.