Lors des deux premiers jours de décembre, le centre CTIFL(1) de Balandran (Gard) était le coeur de l'Europe unie contre Drosophila suzukii, petite mouche nouvellement apparue dans nos campagnes mais d'une notable nuisibilité !
Petit pas pour grand trépas
Un ravageur considérable
Le nouveau directeur du centre, L. Guinard, a apporté une note d'optimisme avec le projet de modernisation des laboratoires d'entomologie du centre. Selon lui, il faut sortir de ces journées avec des idées claires sur des pistes de projets : « C'est un petit pas pour l'homme et un grand trépas pour D. suzukii. »
Xavier Reboud (Inra) a précisé que, à la suite des auditions des parlementaires sur les crises sanitaires, il est entendu que ce sera la combinaison de méthodes de lutte qui apportera des solutions. L'État est à l'écoute.
Du chercheur à l'agriculteur
Un vaste programme était proposé. Les grands axes de recherche ont été présentés : biologie de l'insecte, son écologie dans les milieux cultivés ou non, routes d'invasion et d'adaptation, écologie sensorielle, moyens de lutte, retours d'expérience...
Un point sur le projet Casdar et la présentation du projet international Dropsa ont dressé le tableau de la situation actuelle. Un focus sur la vigne, le démarrage du projet Invaprotect et du projet ANR Suzukill, le témoignage d'une coopérative fruitière et une table ronde avec des producteurs, chercheurs, expérimentateurs et représentants de l'État ont permis des échanges fructueux.
Parmi les nombreuses informations, nous avons choisi de faire un zoom sur trois pistes de recherche innovantes, sur la vigne, sur la situation de nos voisins et sur les moyens et les attentes des professionnels.
Brouillage des pistes...
Face aux odeurs, textures et saveurs
Voici d'abord le travail de Sébastien Lebreton, de l'IBDM Marseille(2), sur l'équipement sensoriel et le comportement de D. suzukii avec les signaux olfactifs, tactiles et gustatifs.
Nous apprenons ainsi qu'un des neurones olfactifs répond aux odeurs des feuilles de fraisier, et que l'odeur et la présence des fruits stimulent la ponte. Que, pour s'accoupler, D. suzukii ne produit pas de phéromone volatile. Et si une phéromone est pulvérisée sur une femelle, cela inhibe l'accouplement.
Concernant les signaux tactiles, D. suzukii semble pondre autant sur fruits durs que fruits mous ; elle les détecterait avec son ovipositeur équipé de deux rangées de soies sensorielles.
Quant aux signaux gustatifs, des capteurs situés sur les pattes, les ailes, l'ovipositeur et le proboscis lui permettent de « goûter » le fruit. Elle est sensible aux sucres, même à faible concentration, à l'acide ascorbique, à la nicotine et à la caféine avec les sensilles de son ovipositeur.
Enfin pour l'accouplement, les femelles et les mâles utilisent les mêmes composés avec présence d'hydrocarbure cuticulaire.
En conclusion, les recherches pourraient porter sur le brouillage des pistes en combinant des odeurs, notamment une odeur sexuelle inhibante, et explorer la piste des plantes répulsives (à découvrir !).
Lointaine modélisation
Un OAD... demain ?
D. suzukii surprend tous les observateurs et son comportement n'est pas totalement connu.
Christophe Roubal (SRAL) explique qu'il existe un modèle (Tochen)... difficilement transposable et incomplètement décrit. Il faudrait des données biologiques supplémentaires pour réaliser un outil transposable à mettre en relation avec les températures et l'hygrométrie.
Des pistes d'amélioration sont nécessaires car la biologie du ravageur est méconnue. Aujourd'hui le modèle est construit à partir de données de laboratoire qui ne correspondent pas toujours à ce qui se passe sur le terrain : il faut trouver des points de validation. Il serait intéressant d'avoir des données, par exemple sur les femelles hivernantes : leur longévité est bonne mais quel est l'état de leurs ovaires, leur taux de fécondité ? Autre exemple : on sait que les mouches peuvent survivre sous toutes les formes et partout mais... où précisément ? Le modèle actuel a également des lacunes sur la ressource alimentaire, un axe à travailler parmi tous les autres.
Technique de l'insecte incompatible
Prémices d'une nouvelle voie
Laurence Mouton, de l'université de Lyon, présente la technique de l'insecte incompatible (TII), stratégie de lutte biologique basée sur l'usage de bactéries symbiotiques type Wolbachia. Près de 80 % des insectes sont porteurs de ces bactéries aux effets phénotypiques variés. L'incompatibilité cytoplasmique (IC) en est un exemple : les descendants des mâles infectés meurent, sauf si l'oeuf est sauvé par la même infection.
Les populations de D. suzukii comprennent des individus infestés naturellement et d'autres non infestés. Les travaux de l'université ont montré que des mâles infectés par une bactérie induisant l'IC pourraient agir comme la lutte autocide (lâcher de mâles stériles). Plusieurs souches de Wolbachia induisant l'IC ont été sélectionnées.
Un projet ANR 2016-2019 Suzukill portera sur les méthodes d'élevage et notamment le sexage, étape indispensable (il ne faut lâcher que des mâles) mais délicate. Les résultats devraient permettre de réfléchir sur la mise en oeuvre de cette technique pour d'autres ravageurs. De vraies perspectives innovantes.
Focus sur la vigne
Pourriture acide : qui est coupable ?
Simon Fellous, de l'Inra-CBGP, analyse l'implication de D. suzukii dans l'épidémie de pourriture acide du vignoble de 2014. Les résultats des travaux de 2015 montrent que D. suzukii ne pond pas sur raisin abîmé mais peut déclencher la pourriture par sa ponte. Puis Drosophila mélanogaster, opportuniste attirée par la pourriture, amplifie le mal. Il y a synergie entre les deux espèces.
Le projet InvaProtect, qui étudie l'écologie et la dynamique de D. suzukii dans deux régions viticoles françaises et le potentiel de vection de la pourriture acide en fonction de la plante-hôte d'origine, devrait compléter les études en cours sur les effets de la fragmentation spatio-temporelle des ressources dans ce même environnement (Lionel Delbac, Inra).
Ailleurs en Europe
Alternatives en Suisse
Serge Fisher, d'Agroscope, raconte qu'en 2016 la Suisse a vu une forte population de mouches sur vigne mais sans dégâts. En revanche le problème est grave sur cerise et pour la première fois sur abricot. Il y a eu une forte pression sur baies, mais peu de dégâts là où les conseils de lutte ont été suivis.
La Suisse met l'accent sur les méthodes de protection alternatives. Les perspectives reposent sur :
- une demande d'approbation de la chaux en tant que substance de base qui est en cours ;
- la poursuite de mise en oeuvre de filet sur les pourtours de champ et ouvertures d'abris, qui ont donné de bons résultats lors des essais 2016 ;
- la recherche de plantes-pièges pour brouillage d'odeurs de type « push and pull » ;
- des tests de différentes substances dont le basilic du Kilimandjaro (camphre).
En Italie, recherche de solutions durables et peu onéreuses
Concernant l'Italie du Nord, Alberto Grassi pour les petits fruits (Fondation E. March) et Stefano Caruso pour les cerises (province de Modène) insistent sur le microclimat de ces cultures favorable au développement de D. suzukii, d'où l'importance de réduire au maximum l'hygrométrie et l'humidité au sol.
Ils citent des méthodes physiques : paillage plastique noir ou coupe courte de l'enherbement pour sécher le sol, taille plus sévère des végétaux laissant passer le soleil, ce qui réchauffe le sol, bâches antipluie au-dessus des cultures.
Tous deux estiment qu'il faut des solutions durables et peu onéreuses. En 2017, leurs recherches porteront sur le piégeage massif avec des attractifs longue durée, le piégeage « attract and kill », la lutte biologique par lâchers d'auxiliaires, l'évaluation de nouveaux produits phytopharmaceutiques, la génétique et la compréhension de l'efficacité des filets.
En Allemagne, suivi des populations
Outre-Rhin, Felix Briem (Institut Julius Kühn) présente un groupe de travail constitué de scientifiques, professionnels, firmes et apiculteurs, qui se réunissent trois/quatre fois par an et étudient les mêmes thématiques. Un site en allemand a été créé (voir « Pour en savoir plus ») et un suivi des populations est accessible (en anglais).
Il semble que le gui soit la première plante-hôte au printemps en Allemagne. Les mouches sont actives surtout l'après-midi en hiver, et le matin et le soir en été. Les oeufs matures sont trouvés dans les femelles disséquées à partir de mai. Sur le terrain, la pression du ravageur est très élevée sur fruits à noyaux (cerise et prune avec de fortes pertes) ainsi que sur baies (100 % d'infestation), et forte sur fraise et myrtille (pertes sur les fruits remontants).
Avis des professionnels
« D. suzukii représente 40 000 emplois », précise Luc Barbier, président de FNPF. La coopérative Sicoly des monts du Lyonnais estime ses pertes en 2016 à 800 tonnes de cerises, soit 1,8 million d'euros. Luc Barbier annonce qu'un plan collectif volontaire (PCV), proposé en juillet 2016 par la FNPF pour préparer 2017, n'a pas été retenu. Pourtant il était prêt.
Quant aux dérogations, il vaut mieux qu'elles arrivent avant la fin des récoltes... Luc Barbier et Gérard Roche (Légumes de France) demandent que le CTIFL soit l'organisme de référence et le pilote du sujet. Il faut soutenir la recherche, de façon pluriannuelle. Bertrand Bourgoin (DGAL), pour qui le problème de D. suzukii est reconnu par l'État, est confiant sur la recherche ; il faut un Casdar 2, estime-t-il. Luc Barbier conclut : « Il faut pouvoir protéger nos cultures en avril 2017. » Question d'argent mais pas seulement...
(1) Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes. (2) Institut biologique du développement de Marseille.