La situation française en matière de règles d'utilisation des produits phyto(1) est paradoxale à l'heure où nous mettons sous presse : certaines règles sont régies par un « arrêté fantôme » qui aurait dû être abrogé depuis le 7 janvier...
Quant à l'arrêté devant le remplacer, nul ne peut encore le signer ! Mais un projet de texte est rendu public. Explications.
Rappel des épisodes précédents
Juillet 2016, un arrêt du conseil d'État contre l'arrêté de septembre 2006
On s'en souvient, un arrêt du conseil d'État du 6 juilllet 2016 a exigé l'abrogation dans un délai de six mois de l'arrêté « utilisation des phyto » du 12 septembre 2006 (voir bibliographie). En toute logique, cet arrêté de 2006 aurait donc dû être abrogé au plus tard le 6 janvier 2017 au soir.
La saisine du conseil d'État (par l'ANPP, Association nationale pommes-poires) était basée sur le contenu de l'arrêté, mais l'arrêt même du conseil n'a pas été motivé par ce contenu. Cette décision a simplement sanctionné un défaut dans la procédure suivie pour l'adoption de ce texte : le projet n'avait pas été notifié à la Commission européenne.
Cependant, l'abrogation de cet arrêté aurait posé des problèmes de vide juridique partiel et d'abandon de règles sécuritaires (voir notre analyse en novembre dernier, Phytoma n° 698). Les services du ministère chargé de l'Agriculture, aujourd'hui le MAAF(2), ont donc planché sur un projet de nouvel arrêté à évaluer par les autres ministères cosignataires, puis à soumettre à consultation publique en France et notification à la Commission.
Sachant que la réglementation européenne impose d'attendre trois mois entre la notification et l'adoption d'un tel texte, il aurait fallu, pour assurer la continuité entre les deux arrêtés, publier le nouveau abrogeant l'ancien au plus tard le 7 janvier 2017.
Pour cela, il aurait fallu avoir notifié le projet de ce nouveau texte au plus tard le 7 octobre 2016. Il n'en a rien été. Pourtant, les services du MAAF avaient travaillé en urgence.
À l'automne 2016, la polémique retarde la publication
En effet, dès mi-septembre, un projet d'arrêté était rédigé. Il augmentait les restrictions aux traitements, dans le but de protéger l'environnement, le voisinage et les travailleurs rentrant dans les parcelles après l'application. Les nouvelles dispositions tenaient compte de demandes de la société civile et des évolutions réglementaires survenues entre-temps.
Certes, la directive européenne de 2009 dite « utilisation durable » (n° 2009/128 sur l'utilisation durable des pesticides) avait été partiellement anticipée par l'arrêté de 2006, mais depuis, d'autres textes ont été publiés, dont la loi d'avenir agricole d'octobre 2014.
Dès que le texte a « fuité », les critiques ont déferlé. Certains le trouvaient trop laxiste. D'autres estimaient que les restrictions supplémentaires pénaliseraient la production agricole française pour un gain de sécurité symbolique et non réel. La polémique enflait. Rédiger un texte acceptable par tous semblait difficile... Quant à fournir quelque texte que ce soit avant le fatidique 7 octobre, il n'y fallait plus songer !
Ceci étant, élaborer un tel arrêté en trois mois était a priori un pari risqué(3). Pour mémoire, un des experts consultés lors de la rédaction de l'arrêté de septembre 2006 se souvenait en 2007 avoir lu la première version de travail du texte en... juin 2003 (voir bibliographie, propos de V. Polvèche).
Bref, les services du MAAF ont semblé abandonner l'idée d'une refonte complète sans longue concertation. Mais il faut publier un nouvel arrêté avant que les pulvérisateurs ne sortent des hangars au printemps 2017. Un projet a minima a donc été préparé.
Début 2017 : le paradoxe
En janvier, le projet (enfin) sur la place publique
Dans Phytoma n° 699 de décembre dernier (voir bibliographie), nous évoquions ce projet en espérant son passage rapide en consultation publique. La consultation a été ouverte du 13 janvier 2017 jusqu'au 3 février inclus. Elle est donc terminée au moment où ce numéro est distribué (voir « Lien utile »). Par ailleurs, le texte a été notifié le 12 janvier 2017(4) à la Commission européenne.
L'arrêté de 2006 en vigueur mais juridiquement contestable
Ce futur arrêté prévoit d'abroger celui du 12 septembre 2006 mais n'est pas encore adopté. L'ancien arrêté reste donc en vigueur. Pourtant, c'est bien un arrêt qu'a rendu le conseil d'État en juillet, c'est-à-dire une décision et pas seulement un avis...
La situation est donc paradoxale : l'arrêté de 2006 restant en vigueur, une personne qui, entre le 7 janvier et l'abrogation du texte, aurait mis en oeuvre une pratique interdite par ledit texte pourra être poursuivie... Mais elle pourra contester cette poursuite au motif que cet arrêté « fantôme » aurait dû être abrogé.
Certaines exigences perdurent
Attention, certaines dispositions de l'arrêté de 2006 continuent à s'appliquer quoi qu'il arrive. Par exemple, les ZNT (zones non traitées) le long des cours d'eau de chaque produit phyto pour chacun de ses usages en pulvérisation ou poudrage restent valables. Ces ZNT font partie des obligations accompagnant l'AMM, autorisation de mise sur le marché du produit. En revanche, seul l'arrêté de 2006 interdit de traiter par pulvérisation ou poudrage si le vent dépasse force 3 (19 km/h). Mais, répétons-le, il n'est pas abrogé.
Et demain ?
Calendrier logique
Le nouvel arrêté ne pourra pas être publié avant le 18 avril 2017, fin du délai de trois mois suivant la réception par l'Union européenne de sa notification. Ce délai suffit pour analyser par ailleurs les avis récoltés par la consultation publique et amender le texte.
Si des remarques issues de la consultation ou de la Commission exigeaient une refonte significative du texte, cela retarderait sa sortie... Gageons que le ministère stockera les éventuelles suggestions bouleversantes pour les discuter et éventuellement les adopter dans un arrêté ultérieur à rédiger à tête reposée.
Ce que le projet contient
Le projet mis en consultation reprend le texte de 2006 sauf des points de détail(5) et des évolutions sur les ZNT et les délais de rentrée (DRE).
Concernant les ZNT le long de l'eau, elles s'appliqueraient au bord des « cours d'eau définis à l'article L. 215-7-1 du code de l'environnement et éléments du réseau hydrographique figurant sur les cartes au 1/25 000 de l'IGN ». Dans l'article L. 215-7-1, un cours d'eau est « un écoulement d'eaux courantes dans un lit naturel à l'origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l'année. L'écoulement peut ne pas être permanent compte tenu des conditions hydrologiques et géologiques locales ». De plus, les préfets auraient à publier des arrêtés définissant les points d'eau à prendre en compte « dans un délai d'un mois » après publication du nouvel arrêté interministériel.
Par ailleurs, c'est nouveau, serait « interdite toute application directe de produit sur les éléments du réseau hydrographique [...] notamment les points d'eau [...], les bassins de rétention d'eaux pluviales, ainsi que les avaloirs, caniveaux et bouches d'égout ».
Pour la rentrée du personnel après traitement, davantage de produits auraient un DRE de 48 heures. Outre ceux classés sensibilisants, il y aurait les CMR, cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques avérés, soupçonnés ou susceptibles de l'être. Mais il serait possible de revenir à 6 heures (8 heures après traitement sous abri) pour des produits à DRE de 24 heures (irritants) ou 48 heures si les travailleurs sont dans une cabine de tracteur filtrante ou portent les mêmes EPI (équipements de protection individuelle) que ceux requis pour appliquer les produits.
En revanche, nous annoncions en décembre qu'il serait autorisé de traiter jusqu'à force 4 à condition de le faire avec du matériel officiellement reconnu comme diminuant la dérive de 90 %. Cela a été abandonné.
Après-demain, tout est ouvert
Et ensuite ? Et bien, rien n'empêche de préparer un autre arrêté... Avec, pour tenir le gouvernail, de futures équipes politiques et, pour actionner les rames de la rédaction, les mêmes fonctionnaires.
(1) Dans cet article, « phyto » = « phytopharmaceutique ». (2) Ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt. (3) Le projet de septembre 2016 reprenait, de plus, le contenu de l'arrêté « Lieux publics » de 2011 qui régit l'application en zones non agricoles (lieux fréquentés par le grand public et certaines personnes vulnérables) ; il le toilettait sans en changer le fond. Nul n'a saisi le conseil d'État à propos de cet arrêté mais... lui non plus n'avait pas été notifié à la Commission européenne ! (4) Source : réponse d'un salarié du MAAF le 3 février 2017. (5) Par exemple il y est écrit « phytopharmaceutique » et non plus « phytosanitaire ».