Aspect au microscope photonique d'oospores rondes de pythiacées présentes dans des tissus racinaires nécrosés de mâche. Photo : Inra
Fig. 1 : Nature et fréquence des espèces de Pythium associées à 66 parcelles de mâche dépérissantes de la région nantaise Onze espèces ont été identifiées, dont une nouvelle nommée P. valerianellae.
Fig. 2 : Caractère pathogène de certains Pythium sp. sur la mâche A. Exemple de l'état sanitaire de mâches témoin ou inoculées par six espèces de Pythium, après vingt jours d'incubation sur sable contaminé artificiellement : P. violae, P. irregulare et P. valerianellae se montrent les plus agressives. B. Indices d'agressivité des Pythium observés traduits en intensité de nécroses racinaires. Échelle de notation : niveau 0, racines saines ; niveau 1, faible présence de petites lésions nécrotiques brunes sur les racines secondaires ; niveau 2, système racinaire secondaire très nécrosé ; niveau 3, racine principale nécrosée et racines secondaires très nécrosées, voire absentes. Photos : CDDM-Ctifl
Fig. 3 : Efficacité du Santhal sur l'expression du dépérissement à Pythium spp. sur mâche à la récolte Échelle de notation employée sur racines : niveau 0, racines saines ; niveau 1, faible présence de petites lésions nécrotiques brunes sur les racines secondaires ; niveau 2, système racinaire secondaire très nécrosé ; niveau 3, racine principale nécrosée et racines secondaires très nécrosées, voire absentes.
Depuis 2009, des symptômes hivernaux inédits sont apparus en culture de mâche dans le bassin maraîcher nantais. Leur nuisibilité a entraîné durant l'hiver 2015-2016 la destruction ou l'anticipation de la récolte de 50 % des parcelles de mâche.
Un long travail d'étiologie a été engagé après le constat de ces symptômes. Un partenariat s'est tissé entre l'Inra de Bordeaux et le CDDM afin de déterminer le ou les agents responsables de cette situation très préoccupante.
Historique et genèse
D'un cas isolé à la généralisation
Le premier cas isolé de dépérissement a été observé en 2009 à Divatte-sur-Loire (Loire-Atlantique) sur une exploitation en production de mâche et de poireau. Par la suite, ces manifestations se sont localisées dans certaines parcelles du bassin historique de la vallée maraîchère, au sud de la Loire, jusqu'à la campagne 2013-2014.
À partir de l'hiver 2014-2015, ce problème s'est généralisé à tout le bassin nantais, d'abord en plein champ sur les cultures conduites sous chenilles plastique, et depuis un an sous grands abris plastiques (GAP). Le niveau d'attaque varie entre parcelles, voire au sein d'une même parcelle. Plusieurs facteurs semblent favoriser ce dépérissement : tassement ou excès d'humidité du sol, manque de fertilisation, période de gel, etc. À partir de la mi-mars, avec des conditions climatiques plus favorables aux cultures, la croissance des plantes redémarre après une reprise de la production racinaire ; cela permet à la plupart des parcelles de mâche d'atteindre leur maturité. Jusqu'à ce jour, les cultures réalisées sur les parcelles infestées n'ont jamais exprimé de symptômes de dépérissement en dehors de la période hivernale.
Symptômes observés
Les symptômes apparaissent toujours en période hivernale à partir de la mi-novembre et peuvent être visibles jusqu'en mars pour les cycles de culture supérieurs à huit semaines. Le dépérissement se caractérise par une croissance réduite, un jaunissement et un flétrissement brutal des mâches en fin de culture (voir photos 1 et 2).
L'observation plus fine du système racinaire permet de constater des brunissements plus ou moins prononcés sur de nombreuses racines (voir photos 3 et 4). Par conséquent, les racines se nécrosant peu à peu, les symptômes foliaires ne se manifestent qu'à partir du dernier tiers de la culture, lorsque les mâches atteignent le stade 4-6 feuilles. Ce contexte oblige les producteurs concernés à anticiper leurs récoltes au détriment du rendement.
Étiologie de ce dépérissement
Hypothèses envisagées
Plusieurs hypothèses ont été avancées empiriquement pour expliquer le dépérissement de la mâche, à savoir : une phytoxicité causée par un excès de fertilisation, l'utilisation d'un désherbage total en interculture, l'émergence d'un bioagresseur dû à la diminution de la dose d'utilisation d'un désinfectant de sol : le métam sodium.
Les deux premières hypothèses ont rapidement été écartées. Par la suite, le nombre d'exploitations touchées grandissant, les itinéraires techniques des producteurs ont été comparés afin de relier le dépérissement aux pratiques culturales, mais aucun marqueur significatif n'est ressorti de ces investigations.
Des observations microscopiques et des isolements mycologiques effectués à partir de racines de plantes malades ont permis de détecter des oomycètes, essentiellement des Pythium spp. Cette situation ne semblait pas étonnante. En effet, le bassin nantais était autrefois une importante zone de production de carottes, affectées fréquemment par le « cavity spot » induit par un complexe de Pythium spp. L'implication de pythiacées, bien qu'envisageable, n'était pas évidente a priori, d'autant que des symptômes identiques ou proches étaient observés au même moment sur des mottes de mâche en Allemagne et en Suisse sans cause biotique identifiée.
Durant l'hiver 2014-2015, la multiplication des prélèvements racinaires et des analyses mycologiques ont permis la détection systématique de Pythium spp. (photo 5). En parallèle, les échanges et les travaux menés avec l'Inra de Bordeaux (Dominique Blancard et Jonathan Gaudin) et des phytopathologistes semenciers européens ont permis de confirmer une origine biotique à ce dépérissement et notamment l'implication de Pythium spp. Ainsi, des travaux ont été engagés afin de les isoler, les caractériser et étudier leur pouvoir pathogène.
Plusieurs espèces de Pythium associées aux lésions racinaires
En 2016, l'Inra de Bordeaux a mené des travaux afin d'identifier et évaluer les potentialités parasitaires des différentes espèces de Pythium associées au dépérissement de la mâche. Plus de 400 isolats ont été sélectionnés, récoltés durant les hivers 2014-2015 et 2015-2016 à partir de plantes prélevées sur 66 sites nantais de production de mâche.
Afin d'identifier ces isolats, l'amplification d'une séquence ADN permettant de discriminer les espèces du genre Pythium a été réalisée grâce à l'outil moléculaire. Les séquences obtenues ont ensuite été confrontées à une banque de séquences de référence (GenBank) afin de situer ces isolats par rapport à diverses espèces du genre Pythium connues. À l'issue de ces analyses, différents groupes d'espèces de Pythium ont été mis en évidence.
Par la suite, l'identification moléculaire des espèces de Pythium a été corroborée par l'étude de leurs caractéristiques morphologiques (formation et types d'anthéridies et d'oospores ; formation et types de sporanges). Toutes les structures observées pour chaque isolat étaient conformes aux caractéristiques morphologiques associées à l'espèce-type décrite dans la littérature, confirmant les analyses moléculaires.
Ce travail a permis d'identifier onze groupes d'espèces de Pythium (voir Figure 1) très régulièrement retrouvées en association dans les parcelles. Parmi elles, quatre espèces ont été plus souvent isolées :
- une nouvelle espèce encore non décrite dénommée Pythium valerianellae(1) ;
- P. violae principalement impliqué dans la problématique de cavity spot de la carotte ;
- P. sylvaticum plutôt connu comme agent de fonte de semis mais aussi associé au cavity spot ;
- P. irregulare, bioagresseur tellurique polyphage répertorié sur d'autres cultures légumières de la région (laitue, carotte, concombre, tomate...) et signalé récemment sur mâche en Italie comme responsable de pourritures racinaires similaires à celles observées en région nantaise.
Reproduction des symptômes et potentialités parasitaires
Afin de vérifier l'implication dans le dépérissement de la mâche de Pythium spp. isolés de systèmes racinaires altérés, des inoculations artificielles de plantes ont été réalisées en conditions contrôlées d'hiver dans un sol maraîcher préalablement désinfecté à la chaleur sèche (four Pasteur).
Au terme des cultures (quinze semaines), des symptômes de nécrose sur racine et de chlorose foliaire similaires à ceux vus en parcelles de production ont été observés (photos 8 et 9). Des analyses mycologiques ont permis la détection de Pythium sp. à partir des lésions de racines, confirmant ainsi leur implication dans le dépérissement.
Agressivité des espèces de Pythium détectées (conditions contrôlées)
En complément des essais de reproduction des symptômes réalisés en phytotron, l'agressivité des espèces de Pythium en présence a été comparée. Pour ce faire, des plantules de mâche produites en mottes ont été déposées sur du sable inoculé artificiellement par huit isolats de Pythium.
Après incubation sous abri en période hivernale, des symptômes variables ont été observés, confirmant des niveaux de pouvoir pathogène différents selon l'espèce de Pythium (voir Figure 2). Les isolats de P. irregulare et à un moindre degré de P. violae et P. valerianellae se sont révélés les plus agressifs dans ces conditions, provoquant des lésions racinaires brunes, une croissance faible et la chlorose des plantes. P. ultimum et P. sylvaticum semblaient moins agressifs.
En conclusion, en plus d'être parmi les plus fréquentes, les espèces Pythium violae, P. valerianellae et P. irregulare sont aussi les plus agressives sur mâche. De plus, au moins une de ces trois espèces est présente dans chaque parcelle dépérissante étudiée de la région nantaise. Il est maintenant possible d'avancer que ce dépérissement de la mâche est sous la dépendance d'un complexe d'espèces de Pythium aux potentialités parasitaires plus ou moins importantes.
Méthodes de protection Désinfecter le sol
Une fois la cause du dépérissement connue, il convenait de fournir aux producteurs une à plusieurs méthodes de protection permettant d'y pallier. Contrôler le développement des bioagresseurs telluriques n'est toujours pas chose aisée actuellement, car les options techniques classiques sont de moins en moins performantes vu l'évolution de la législation sur l'usage des pesticides.
En préambule, signalons qu'une réduction de la dose d'utilisation du métam-sodium semblait favoriser le développement du dépérissement sur mâche en 2015, suggérant une probable origine biotique.
Le CDDM a mené des essais sur plusieurs parcelles dépérissantes, comparant différentes doses de métam sodium et une désinfection à la vapeur (d'une durée de 6 minutes). Seules la vapeur et le métam sodium à 1 500 l/ha ont permis de réduire fortement la pression de la maladie au champ. À la suite de ces essais, certains maraîchers ont choisi de désinfecter en entrée d'hiver leurs parcelles au métam sodium à forte dose (1 200 l/ha) et d'autres ont opté pour la désinfection vapeur. Ces traitements n'ont permis d'assurer une bonne protection que sur la première culture du cycle. Une probable recolonisation des sols ne permettait pas un niveau de protection suffisant dès la seconde tournée de mâche. Il a donc été fait le choix de rechercher d'autres moyens de protection.
Fongicide anti-Pythium en prélevée
Des premiers essais de protection chimique de la mâche avec des fongicides anti-Pythium disponibles (fosétyl d'aluminium, propamocarbe et métalaxyl-M) ont permis de révéler les potentialités de contrôle du métalaxyl-M, notamment de la spécialité Santhal (à base de métalaxyl-M) à la dose de 2,5 l/ha. Mais ce traitement en applications foliaires induisait des brûlures. À partir de ces résultats, la dose optimale d'utilisation et le positionnement de ce traitement ont été recherchés.
Aussi, durant l'hiver 2015-2016 un essai consistant à fractionner la dose de Santhal a été mis en place en plein champ. Deux traitements à 0,7 l/ha ont été réalisés en pulvérisation foliaire aux stades 2 et 4 feuilles. Cet essai a confirmé l'efficacité du métalaxyl-M à l'égard des Pythium spp. responsables du dépérissement (Figure 3). Mais il a aussi démontré une nouvelle fois l'impossibilité d'appliquer ce produit en foliaire sur mâche. Après ces observations et afin d'éviter toute phytotoxicité, le Santhal est dorénavant appliqué au champ en traitement du sol en post-semis prélevée de la culture à la dose de 1,5 l/ha.
Résultat satisfaisant à court terme
Ce positionnement s'est révélé optimal, permettant une bonne efficacité et n'entraînant pas de phytotoxicité sur mâche. Les analyses de résidus réalisées sur ces essais ont montré que la limite maximale de résidus (LMR) européenne existant sur mâche était respectée.
L'efficacité du Santhal à 1,5 l/ha a été confirmée durant l'été 2016 lors d'un essai conduit en phytotron avec un positionnement de ce fongicide en post-semisprélevée. Ce produit a une nouvelle fois montré son efficacité en sol naturellement contaminé et à l'égard d'isolats de P. violae et P. valerianellae inoculés artificiellement (Figure 4 page précédente).
Ces résultats d'essai ainsi que les données résidus ont permis d'obtenir une autorisation d'emploi dérogatoire du Santhal (métalaxyl-M) pour 120 jours sur la période hivernale afin d'offrir une première solution aux producteurs.
Tester des options de biocontrôle
Cependant, cette option technique comporte le risque de voir émerger des souches de Pythium spp. résistantes ou sélectionner des isolats peu sensibles au métalaxyl ; ce cas ayant déjà été observé sur de nombreuses cultures et la législation sur l'utilisation évoluant en permanence, il convenait de rechercher d'autres moyens de protection.
Depuis l'été 2016, un travail d'évaluation de l'efficacité de différents produits de biocontrôle à l'égard du dépérissement de la mâche a été mis en place.
Plusieurs spécialités ont été sélectionnées et expérimentées : Trichoderma atroviride, Gliocladium catenulatum, Bacillus subtilis. Des premiers résultats montrent qu'ils présenteraient une certaine efficacité, pouvant fluctuer en fonction de l'espèce de Pythium ciblée.
Conclusion et perspectives
Premières étapes réussies
Ces travaux ont permis d'impliquer sans ambiguïté plusieurs espèces de Pythium dans le dépérissement hivernal de la mâche, ce qui a été une avancée considérable. Ces recherches, ainsi que la possibilité de pouvoir contrôler cette problématique, ont redonné confiance aux producteurs de mâche de la région nantaise et ont permis de pérenniser cette culture d'hiver dans ce bassin de production emblématique.
La connaissance approfondie obtenue sur les espèces de Pythium mis en cause devrait permettre de faciliter la mise au point d'une stratégie de protection plus globale. Celle-ci pourra faire la part belle aux biopesticides ainsi qu'à une approche agronomique encore plus aboutie.
(1) Pour cette espèce, les analyses de séquences n'ont pas permis de trouver suffisamment de similarités avec les espèces de Pythium référencées dans la GenBank. Néanmoins la construction d'un arbre phylogénétique a confirmé qu'il s'agissait d'un groupe de Pythium très homogène situé entre P. intermedium et un « super-groupe » constitué de quatre espèces (P. violae, P. paroecandrum, P. irregulare et P. sylvaticum). Il est donc fort probable qu'il s'agisse d'une nouvelle espèce qui n'a pas encore été décrite officiellement, que l'on nommera provisoirement Pythium valerianellae. Morphologiquement, cette espèce forme des oogones lisses, intercalaires portant plusieurs anthéridies diclines (qui ne se sont pas formées sur le même hyphe que l'oogone), et produit des oospores dites aplérotiques (présence d'un espace entre la paroi de l'oospore et celle de l'oogone). Ces structures mesurent 45 de diamètre en moyenne et peuvent se former en très grand nombre sur racine de mâche inoculée (voir photos 6 et 7 p. 38). Par ailleurs, aucun sporange n'a pu être observé. Enfin, tous les isolats de ce groupe présentent la particularité de se développer plus lentement que les autres en conditions in vitro. Cette singularité semble déjà avoir été décrite en 2001 en Allemagne à propos d'une espèce pathogène sur mâche et nommée Pythium spec., car non identifiée par les auteurs.
RÉSUMÉ
POUR EN SAVOIR PLUS
brigitte.pelletier@cddm.fr
marylou.lorne@cddm.fr
LIEN UTILE : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01391964/document
- Klemsdal S. S., Herrero M. L., Wanner L. A., Lund G., Hermansen A. (2008), PCR-based identification of Pythium sp. causing cavity spot in carrots and sensitive detection in soil samples, Plant Pathology, 57, 877-886.
- Nododus E. (2016), Dépérissement de la mâche (Valerianella locusta) en région nantaise : étiologie du dépérissement, caractérisation des Pythiacées impliquées et recherche de premières options de protection.
- Sapkota R. & Nicolaisen M. (2015), An improved high throughput sequencing method for studying oomycetes communities, Journal of Microbiological Methods, 110, 33-39.
- Serrano M. & Robertson A. E. (2016), Cold stress at planting increase susceptibility to damping-off caused by Pythium sylvaticum, Phytopathology, 106, 40-40.
- Garibaldi A., Gilardi G., Ortega S. F., and Gullino M. L., 2015, Root Rot of Lamb's Lettuce (Valerianella olitoria) in Northern Italy Caused by Pythium irregulare, Plant Dis. 99 (11) : 1650.
- Koch E. and Riesterer K. 2001, Occurrence and Pathogenicity of Pythium-Species on Lamb's Lettuce (en allemand), Nachr Dtsch Pflanzenschutzd, 53 : 137-142.
- Le Stunff M. (2017), Dépérissement de la mâche en région nantaise : recherche de premières options de protection en biocontrôle.
REMERCIEMENTS
aux producteurs et particulièrement à Olivier Terrien et Cyril Pogu, impliqués dans les essais : à FranceAgriMer et au Casdar pour leurs participations financières sans lesquelles les essais n'auraient pu être mis en place ; aux pathologistes des sociétés semencières et particulièrement à Marc Villevieille, société Rijk Zwaan, pour son implication active dans la recherche des causes et l'identification des Pythium ; au Ctifl pour l'accueil des deux pathologistes du CDDM et la mise à disposition du laboratoire de phytopathologie ; à Dominique Blancard, de l'Inra de Bordeaux, pour son expertise dans les maladies des légumes, ses contributions photographiques et sa relecture ; à Sylvain Gérard, William Parmé et Patrick Verron, du CDDM, pour leur participation dans la réalisation des essais ; à Estelle Nododus et Morane Le Stunff, stagiaires à l'Inra de Bordeaux et au CDDM.