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Sur le métier

Véronique Brault perce le mystère des virus transmis par puceron

PAR CHANTAL URVOY - Phytoma - n°739 - décembre 2020 - page 49

Depuis plus de 25 ans, Véronique Brault, directrice de recherche à l'Inrae de Colmar, cherche à comprendre comment fonctionnent les virus transmis par les pucerons. C'est la recherche fondamentale qui l'anime, une recherche où le maître mot est persévérance. Avec son équipe, elle a déjà réussi à élucider plusieurs mécanismes impliqués dans la transmission des virus grâce à l'étude d'un modèle virus-plante-puceron.
 Photo : C. Urvoy

Photo : C. Urvoy

À l'Inrae de Colmar, l'équipe Virologie Vection compte 31 collaborateurs avec de multiples compétences (virologie, biologie moléculaire, microbiologie, élevage d'insectes...). Parmi eux, Véronique Brault, directrice de recherche et virologue spécialiste des virus transmis par les pucerons, son sujet d'étude depuis plus de 25 ans. « J'ai surtout travaillé sur le genre Polerovirus, précise-t-elle. Mais depuis 2018, nous élargissons nos recherches aux virus de la jaunisse des betteraves dont certains ne sont pas des Polerovirus. » La recherche fondamentale est le coeur de son métier. « Notre objectif est l'acquisition de connaissances sur les mécanismes de la transmission des virus par puceron. Notre motivation, c'est de comprendre ce qui se passe même si nous savons qu'il n'y aura pas d'applications sur le terrain dans l'immédiat. Nous sommes des explorateurs ! »

Petit génome

Pour cela, elle étudie un virus modèle : celui de la jaunisse du navet, responsable de jaunisse sur colza mais sans impacts majeurs sur le rendement. En revanche, c'est un fabuleux modèle pour comprendre la transmission des virus par puceron. « Ces connaissances peuvent maintenant être transposées à d'autres virus à impact économique plus important comme ceux de la jaunisse de la betterave. » Un virus est en apparence un être simpliste doté d'un petit génome (ce qui facilite son étude) qui a besoin de son hôte pour vivre et se reproduire. « Notre plante modèle (l'hôte) est l'Arabidopsis thaliana et le puceron, Myzus persicae car c'est celui qui transmet le mieux notre virus modèle. »

Virus modifiés

Véronique Brault et son équipe ont d'abord identifié les protéines virales indispensables à la transmission du virus par le puceron. « Des virus modifiés ont été construits en enlevant à chaque fois un bout d'ARN les empêchant ainsi d'exprimer une protéine. Nous avons ensuite regardé si ces virus modifiés étaient toujours transmis par le puceron. Si ce n'était pas le cas, cela signifiait que la protéine correspondant à ce bout d'ARN supprimé était essentielle à la transmission du virus. » Notre virologue a ensuite recherché quelles protéines de la sève des plantes étaient associées au virus. Absorbées avec le virus lors de l'alimentation du puceron, elles jouent potentiellement un rôle, probablement en le protégeant de dégradations dans le corps du puceron.

Des années de recherche

L'étape suivante, atteinte récemment après de longues années de recherche, était de comprendre pourquoi certaines espèces de pucerons transmettaient des virus et d'autres pas. « Nous avons cherché le système d'accrochage des virus présent dans les pucerons transmetteurs de virus. Trois protéines de puceron ont été identifiées comme pouvant se lier à deux protéines de la capside du virus. On se demandait si on était sur la bonne piste ou pas. Ce n'était pas toujours facile de se motiver tous les jours. Nous avons ensuite inhibé chez le puceron l'expression du gène produisant l'une de ces trois protéines. Une diminution de la transmission du virus de 40 à 80 % a alors été observée. Huit à dix ans de recherche ont été nécessaires pour conduire cette étude qui a finalement porté ses fruits. »

Virus manipulateur

Depuis cinq ans, notre chercheuse se concentre sur l'identification des voies métaboliques dérégulées par le virus dans la plante-hôte favorisant l'acquisition du virus par le puceron. « C'est le concept de la "manipulation" possible du puceron et de la plante-hôte par le virus. Pour se déplacer d'une plante à une autre, le virus modifie l'apparence de la plante et y induit des changements métaboliques pour la rendre plus attractive et plus ou moins appétente pour le puceron. Il peut également prendre le contrôle du puceron pour lui faire perdre cet attrait pour la plante infectée et l'envoyer vers des plantes saines. Des Américains l'ont démontré sur d'autres types de virus. Nous avons pour l'instant des difficultés à le prouver sur notre modèle d'étude. » Finalement, ce virus est peut-être simpliste mais super intelligent ! Objectif ultime : identifier des cibles et des composés inhibiteurs pour bloquer ces dérégulations engendrées par le virus et ainsi limiter ou stopper sa propagation.

Nouveau terrain de jeu

Avec le projet sur la betterave initié en 2018, Véronique Brault et son équipe se retrouvent connectées au terrain. « Un état des lieux des virus de la betterave a été réalisé, de même que du transfert de compétences vers l'ITB(1) et le Geves(2) pour évaluer les nouvelles variétés de betterave. L'ITB nous fournit des échantillons de betteraves infectées par les virus de la jaunisse et nous fait remonter certaines observations, par exemple le fait que certaines betteraves restent vertes dans un champ fortement atteint par la jaunisse. Nous allons produire des connaissances sur l'identification des différents virus affectant la betterave, leur interaction, leur impact sur la sévérité de la jaunisse et leur transmission par puceron. Ces données seront nécessaires pour l'évaluation des différentes alternatives aux néonicotinoïdes. Nous prévoyons aussi de tester le mécanisme de vaccination des plantes avec des isolats viraux peu virulents. Même si un jour le problème de la jaunisse de la betterave est réglé sur le terrain, nous continuerons à étudier ces virus car ils ont vraiment un grand intérêt scientifique. » La betterave est en effet infectée par au moins trois types de virus différents transmis par le même puceron. Ce pathosystème constitue donc un véritable terrain de jeu et un super modèle de recherche pour Véronique Brault et son équipe !

(1) Institut technique de la betterave.(2) Groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences.

VÉRONIQUE BRAULT BIO EXPRESS

1986. DEA de biologie et santé à l'université de Bordeaux (Gironde).

1990 : Doctorat sur l'étude de la résistance dérivée du pathogène pour lutter contre un népovirus de la vigne à l'université de Bordeaux.

1990. Post-doctorat à l'université d'Iowa State pour étudier les mécanismes de la traduction des lutéovirus infectant les céréales (États-Unis).

1993. Post-doctorat puis chercheuse au CNRS/IBMP de Strasbourg sur la transmission des virus par puceron (Bas-Rhin).

2004. Intégration dans l'équipe Virologie Vection de l'Inrae de Colmar et poursuite de ses recherches sur la transmission des virus par puceron (Haut-Rhin).

2007. Directrice de recherche dans l'équipe Virologie Vection.

2018. Directrice adjointe de l'unité Santé de la vigne et qualité du vin (SVQV) à l'Inrae de Colmar.

2020. Directrice de l'unité SVQV.

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