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Lutte biologique

Les parasitoïdes des cochenilles sur plantes ornementales

PHILIPPE KREITER(1), NICOLAS RIS(1), SYLVIE WAROT(1), ANDRÉANNE BELET(1), FATEN AYED(1), GEORGE JAPOSHVILI(2), JEAN-FRANÇOIS GERMAIN(3), VALÉRIE BALMES(3), SOPHIE DESCAMPS(4), AURÉLIE TOURLOURAT(4), LAURENT CAMBOURNAC(4), SOLÈNE HENRY(4), SERGE GRAVEROL(4 - Phytoma - n°740 - janvier 2021 - page 9

En plus d'un état des lieux des cochenilles présentes sur plantes d'ornement, le projet Cochorti a permis de dresser une liste des antagonistes indigènes identifiés sur les ravageurs.
Exemples de parasitoïdes de cochenilles.       1. Larves d'Aphytis. Photos : 1. et 2. P. Kreiter - Inrae - 3 et 4. J.-C. Malausa - Inrae

Exemples de parasitoïdes de cochenilles. 1. Larves d'Aphytis. Photos : 1. et 2. P. Kreiter - Inrae - 3 et 4. J.-C. Malausa - Inrae

2. Ablerus perspeciosus.

2. Ablerus perspeciosus.

3 et 4. Acerophagus flavidulus.

3 et 4. Acerophagus flavidulus.

5. Anagyrus mâle. Photos : 5. P. Lebeaux - 6. H. Hantzberg - Inrae - 7. P. Kreiter - Inrae

5. Anagyrus mâle. Photos : 5. P. Lebeaux - 6. H. Hantzberg - Inrae - 7. P. Kreiter - Inrae

6. Anagyrus sp.

6. Anagyrus sp.

7. Pseudococcus viburni parasité.

7. Pseudococcus viburni parasité.

Parthenolecanium corni. Trous de sortie des parasitoïdes. Photo : P. Kreiter - Inrae

Parthenolecanium corni. Trous de sortie des parasitoïdes. Photo : P. Kreiter - Inrae

L'horticulture ornementale englobe plus de deux cents espèces végétales d'importance économique. Depuis de nombreuses années, la protection biologique et intégrée (PBI) s'est mise en place et apporte des résultats satisfaisants contre de nombreux arthropodes ravageurs des cultures. La méconnaissance de la biologie et l'écologie de certains ravageurs rendent toutefois complexe cette stratégie. C'est notamment le cas des cochenilles dont les tentatives de contrôle entraînent souvent des traitements inappropriés et inefficients. À ces méconnaissances, viennent se rajouter la diversité des espèces de cochenilles, leurs difficultés d'identification, la faible diversité et le coût élevé des macro-organismes utilisables comme auxiliaires et, en amont, la méconnaissance des cortèges d'ennemis naturels. Les partenaires de l'UMT FioriMed pilotés par Astredhor ont débuté en 2017 le projet CasDar Cochorti visant à recenser les cochenilles sur plantes ornementales (Phytoma n° 736 p. 41), dans différentes régions de France, ainsi que leurs ennemis naturels.

Des données manquantes pour identifier tous les parasitoïdes

Contrairement à celle des cochenilles, l'identification de leurs antagonistes (en particulier les parasitoïdes) s'est avérée beaucoup plus délicate et la correspondance entre caractérisations morphologique et moléculaire reste imparfaite. Cette difficulté s'explique par trois raisons principales :

- la diversité des parasitoïdes et leur relativement faible abondance, ce qui contribue à compliquer l'appariement entre, d'une part, les individus caractérisés morphologiquement et, d'autre part, les individus caractérisés moléculairement ;

- la documentation encore très partielle de la base de données Genbank(1) pour ces taxons ;

- l'existence de complexes d'espèces, c'est-à-dire des espèces morphologiquement si proches que leur identification est compliquée, voire impossible.

L'exemple de la famille des Encyrtidae illustre cette situation générale : seules 28 % des espèces d'Encyrtinae (sous-famille) identifiées sur des bases morphologiques (voir encadré) ont pu être caractérisées moléculairement (sur la base du gène mitochondrial COI), la plupart des séquences obtenues ne trouvant pas de correspondances suffisantes dans Genbank. Lorsque c'est le cas (exemple pour Metaphycus flavus ou M. lounsburyi), le niveau de divergence observé entre les séquences obtenues et celles de Genbank peut poser la question de leur appartenance effective à une même espèce. D'une façon générale, le projet Cochorti a contribué significativement à la caractérisation intégrative des parasitoïdes associés aux cochenilles, par le couplage entre approches morphologique, moléculaire et écologique. Ce travail n'est clairement pas encore abouti !

Trois familles principales d'ennemis naturels

Parmi les antagonistes, la super-famille des Chalcidoidea (« chalcidiens ») s'avère particulièrement bien représentée avec quarante-quatre espèces identifiées. Ceux-ci se répartissent en trois familles :

• La famille des Aphelinidae représentée par quatorze espèces réparties dans trois sous-familles et cinq genres (Aphelininae : Aphytis (photo 1) ; Azotinae : Ablerus (photo 2) ; Coccophaginae : Coccobius, Coccophagus et Encarsia) ;

• La famille des Encyrtidae représentée par vingt-neuf espèces, réparties dans deux sous-familles, celle des Encyrtinae et celle des Tetracneminae. Au sein des Encyrtinae, dix-neuf espèces sont recensées, réparties dans quatorze genres dont trois (Acerophagus (photos 3 et 4), Encyrtus et Metaphycus) sont représentés par au moins deux espèces. Au sein des Tetracneminae, dix espèces sont recensées, réparties en quatre genres dont trois (Anagyrus (photos 5 et 6), Leptomastix et Tetracnemoidea) sont représentées par plus de deux espèces ;

• La famille des Signiphoridae représentée seulement par Chartocerus subaeneus.

À la suite de ce travail d'inventaire, nous avons ensuite cherché à établir les relations « cochenilles-hôtes/parasitoïdes » (tableau ci-contre). On observe ainsi des espèces utilisées comme auxiliaires des cultures en lutte biologique, notamment les genres Aphytis et Encarsia contre les Diaspididae, Acerophagus ou Anagyrus contre les Pseudococcidae, Metaphycus contre les Coccidae. Certaines espèces peuvent être des hyperparasitoïdes(2) comme Ablerus perspeciosus.

Certaines espèces sont, selon la base de données internationale des chalcidiens, nouvelles pour la France (Noyes, 2019) (en gras dans le tableau). Par ailleurs, certaines associations s'avèrent particulières, voire surprenantes, puisque certains de ces parasitoïdes sont à la fois associés à des Pseudococcidae (photo 7) et à des Coccidae. Un tel manque de spécificité d'hôtes nous a interrogés sur d'éventuels biais dans notre approche mais ce phénomène se retrouve également pour certaines associations dans la base de données internationale « ScaleNet(3) ».

Onze parasitoïdes identifiés pour la première fois en France

Une quarantaine d'ennemis naturels pour une vingtaine de cochenilles

Sur les 408 espèces de cochenilles recensées, toutes filières confondues, par Foldi et Germain (2018), l'inventaire sur plantes ornementales du projet Cochorti, bien que non exhaustif, n'en recense pas moins de cinquante-sept. Vis-à-vis de cette diversité, un apport important du projet est l'identification des ennemis naturels pour plus d'une vingtaine d'espèces de cochenilles. Plus de quarante espèces ont ainsi été collectées, pour la plupart appartenant aux familles des Encyrtidae, des Aphelinidae et des Signiphoridae. Certaines espèces semblent nouvelles pour la France (Noyes, 2019), sans qu'il soit possible de statuer si ces espèces étaient auparavant présentes mais passées inaperçues.

Huit nouveaux Encyrtidae

Concernant les Encyrtidae, dans le genre Anagyrus, quatre espèces sont nouvelles pour la France. Anagyrus amnestos, Rameshkumar, Noyes & Poorani, décrit pour la première fois en 2013 en Indes (Rameshkumar et al., 2013), est le parasitoïde le plus présent sur la cochenille invasive Phenacoccus madeirensis, parasitée par ailleurs par huit autres espèces d'hyménoptères chalcidiens (tableau). Anagyrus dactylopii (Howard) est présent en Asie, Australie et Amérique du Sud ; son identification ici pourrait être la première pour l'Europe (Noyes, 2019). Il en est de même pour Anagyrus rufoscutatus (Ishii), présent en Russie et au Japon (Trjapitzin, 1989), nos résultats pointant toutefois une possible synonymie entre A. rufoscutatus et une autre espèce, A. nr belibus (Walker) déjà décrite en France (Trjapitzin, 1989). Cet Encyrtidae parasite Trionymus hamberdi, cochenille pseudococcine sur Poaceae. Anagyrus fusciventris quant à lui, a été signalé en Italie depuis de nombreuses années (Viggiani et Battaglia, 1983) et semble, dans les échantillons, spécifique de P. longispinus.

Concernant d'autres genres, Cerchysius subplanus (Dalman) avait été décrit au Portugal (Japoshvili et Abrantes, 2006) mais jamais recensé en France (Noyes, 2019), où nous l'avons finalement trouvé en Pays de la Loire, Bretagne et Paca sur des Pseudococcidae telles que Trionymus hamberdi et Pseudococcus viburni. Encyrtus infelix (Embleton) est un parasitoïde de Coccidae, issu de Saissetia coffeae dans nos échantillons ; il est largement répandu dans le monde mais jamais recensé en France (Noyes 2019). Mahencyrtus comara (Walker) est un parasitoïde présent dans de nombreux pays européens sur Pseudococcidae et Coccidae (Noyes, 2019). Nous avons récolté des individus mâles sur les Coccidae et des femelles sur Pseudococcidae. Concernant l'espèce Mira mucora Schellenberg, le projet Cochorti a mis en évidence sa présence en France et son association principalement avec Pseudococcus longispinus et Phenacoccus madeirensis. Toutefois, un individu est issu d'une Coccidae, Coccus hesperidum. Fusu (2001) signale sa présence en Roumanie, sans préciser l'espèce de cochenille-hôte.

Trois nouveaux Aphelinidae, un Signiphoridae

Concernant les Aphelinidae, Aphytis lingnanensis Compere a beaucoup été étudié comme agent de lutte biologique sur le pourtour méditerranéen, pour lutter contre Aonidiella aurantii sur agrumes, notamment par Bénassy et Euverte (1967). Sa présence n'avait toutefois jamais été signalée en France.

Chez les Coccophagus, nous avons identifié deux espèces nouvelles, Coccophagus longiclavatus Shafee et Coccophagus shillongensis Hayat & Singh, toutes les deux originaires d'Indes (Shafee, 1972, Hayat et Singh, 1989). L'analyse moléculaire de plusieurs individus correspond toutefois parfaitement à une séquence GenBank d'un individu identifié comme C. japonicus. Il pourrait donc s'agir d'une synonymie, ce qui ne change de toute façon pas le fait que l'espèce est identifiée pour la première fois en France. Une deuxième espèce de Coccophagus, potentiellement C. longiclavatus, s'avère également être nouvelle pour la France.

Enfin, chez les Signiphoridae, l'étude a mis en évidence la présence en France de l'espèce Chartocerus subaeneus Föster qui pourrait être à la fois un parasitoïde primaire et secondaire (Noyes, 2019), ce qui expliquerait son association avec des cochenilles aussi éloignées que Trionymus hamberdi et Icerya purchasi.

Une diversité invitant à des stratégies interfilières

À la diversité des cochenilles fait donc écho une diversité également importante mais beaucoup moins bien connue, celle des parasitoïdes. Que ce soit pour les cochenilles ou les parasitoïdes, la détermination morphologique reste clairement une affaire de spécialistes. L'apport de la biologie moléculaire exige préalablement d'associer systématiquement les deux méthodes d'identifications, démarche suivie par ce projet Cochorti. D'un point de vue appliqué, la diversité des parasitoïdes pourrait potentiellement offrir des leviers de biocontrôle ou d'outils pertinents en agroécologie, que ce soit par des stratégies de luttes biologiques par conservation ou par augmentation. Concernant ce dernier point, l'étude pourrait d'ailleurs faciliter la commercialisation en France de nouveaux auxiliaires, plusieurs espèces d'origine exotique étant finalement présente sur notre territoire. La biodiversité des cochenilles et de leurs ennemis naturels en cultures ornementales et/ou en espaces verts pose aussi la question de la circulation de ces espèces entre les différentes filières (ornement, maraîchage et arboriculture fruitière en particulier). En effet, le marché des plantes ornementales est un marché en mouvement qui entraîne une circulation des végétaux et une promiscuité entre des espèces végétales ornementales et des cultures de plein champ comme l'arboriculture fruitière ou les cultures maraîchères. Toutefois, à l'instar des haies composites, cette filière peut être un réservoir d'auxiliaires. Assurément, la question de la gestion du risque « cochenilles » et le développement de méthodes de biocontrôle doivent inclure des réflexions/synergies interfilières.

(1) Base de données de séquences génétiques des NIH (National Institutes of Health), une collection annotée de toutes les séquences d'ADN accessibles au public. GenBank fait partie de l'International Nucleotide Sequence Database Collaboration, qui comprend l'ADN DataBank du Japon (DDBJ), l'European Nucleotide Archive (ENA) et GenBank au National Center for Biotechnology Information (NCBI).(2) Parasitoïde secondaire parasitant les larves d'un parasitoide primaire. (3) Outil permettant de trouver des informations sur les cochenilles : leur diversité taxonomique, leur histoire nomenclaturale, leur biogéographie, leurs associations écologiques et leur importance économique. ScaleNet modélise la littérature sur les insectes à grande échelle. Actuellement, il contient des données provenant de 24 750 références relatives à 8 398 noms d'espèces valides.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Les plantes ornementales abritent et alimentent un grand nombre d'espèces de cochenilles, que ce soit dans les jardins/espaces verts, les collections botaniques ou les exploitations horticoles ornementales. C'est la raison pour laquelle les partenaires de l'UMT Fiorimed ont piloté de janvier 2017 à décembre 2019, le projet Cochorti, financé par un programme Casdar « Recherche technologique ».

ÉTUDE - Un inventaire des cochenilles et de leurs parasitoïdes a été entrepris sur plantes ornementales. Un réseau de collecteurs a été mis en place dans plusieurs régions françaises, notamment, en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Cinquante-sept espèces de cochenilles (voir Phytoma n° 736 p. 41) et plus de quarante espèces d'hyménoptères parasitoïdes d'une vingtaine d'entre elles ont été déterminées, parmi lesquelles plusieurs ont été identifiées pour la première fois en France.

MOTS-CLÉS - Plantes ornementales, cochenilles, parasitoïdes, agroécologie.

Techniques de montage pour l'analyse morphologique des insectes

Le réseau d'échantillonnage piloté par Astredhor, l'envoi et le tri des échantillons, les techniques d'identification (morphologique et moléculaire) des cochenilles sont décrites dans un précédent article (Phytoma n° 736 p. 41). Pour la détermination morphologique des hyménoptères parasitoïdes, la technique de montage s'approche de celle décrite par Noyes (1982) avec une phase d'éclaircissage à la potasse, de neutralisation de la potasse par de l'acide acétique et des bains successifs d'alcool pour déshydrater les individus. La préparation pour le montage entre lame et lamelle s'opère dans de l'essence de lavande avant que l'individu ne soit figé dans du baume du Canada pour une conservation de longue durée. Comme pour les cochenilles, tous les renseignements concernant l'individu ainsi monté sont notés sur une étiquette placée à gauche de la lame.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : philippe.kreiter@inrae.fr

fabien.robert@astredhor.fr

BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article est disponible auprès de ses auteurs (contacts ci-dessus).

REMERCIEMENTS

Ce travail a pu être réalisé grâce au financement d'un projet « Développement agricole et rural » (CasDar, Recherche). Les auteurs remercient les stations de l'Institut Astredhor et le BHR qui ont participé à la collecte d'échantillons, et nos contacts sur place, notamment : Mmes Notte et Lhoste-Drouineau ; MM. Mary, Foucher, Gros et Déogratias. Ils remercient également tous les participant(e)s hors-stations qui ont apporté leur contribution dans cette collecte de données : M. Le Sann (STH), M. Coche, producteur de violettes et de roses (Tourrettes-sur-Loup), M. Coutant (Service Parc et jardin de la ville de Nice, CPHM), M. Bailet (parc Phoenix, Nice), Mme Mellet (parc de la Tête d'or, Lyon), M. Th. Kreiter (Les Jardins du haut pays), Mme et M. Dir (Domaine de La Vignette, Mouans-Sartoux), M. Caporalino (coopérative agricole de Cagnes-sur-Mer), la pépinière Lebas (Quettreville-sur-Sienne), la pépinière Gautier (Muneville-sur-Mer), Mme Legoff, et MM. Bazzano et Borowiec (Inrae).

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